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Cancer du sein et interruption du traitement hormonal de substitution
(arrêt Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 1ère chambre, 28 septembre 2023, n° 21/18069)
Isabelle Lucas-Baloup

Arrêt intéressant sur l’incidence d’un retard au diagnostic d’un cancer du sein, le maintien du traitement hormonal de substitution et la question posée : ce retard a-t-il entraîné une perte de chance significative à prendre en considération dans les responsabilités encourues ?

 

Ci-après l’intégralité de l’arrêt :

 

« Exposé des faits et de la procédure

En 2013, Mme [I] [Y], âgée de 68 ans, qui suivait un traitement hormonal substitutif et souffrait d’une mastose, s’est vue prescrire par son médecin généraliste une mammographie et une échographie.

La mammographie a été réalisée le 13 février 2013 par le docteur [E] [M], radiologue, qui, comparant les clichés avec ceux obtenus deux ans plus tôt dans le cadre d’un dépistage de masse organisé par l’association Arcades, a constaté une légère modification, passant l’examen d’une classification AIR I (mammographie normale) à AIR 2 (mammographie normale : formations bénignes).

En revanche, il n’a pas réalisé l’échographie prescrite par le médecin généraliste.

En novembre 2013, le docteur [H], gynécologue assurant le suivi de Mme [Y], a constaté la présence d’une masse au niveau de son sein droit et prescrit un nouveau bilan sénologique.

La mammographie et l’échographie réalisées le 5 novembre 2013 ont abouti à un classement AIR 5 à droite, à savoir existence d’une anomalie évocatrice d’un cancer.

Une micro-biopsie réalisée le 12 novembre 2013 a révélé l’existence de lésions adénocarcinomateuses lobulaires de grade SBR II.

Prise en charge par le docteur [Z] à l’institut [7], Mme [Y] a subi le 24 janvier 2014 une mastectomie droite et un curage axillaire et, dans les suites post-opératoires, une chimiothérapie adjuvante, une radiothérapie et une hormonothérapie.

Reprochant au docteur [M] un retard de diagnostic à l’origine d’un retard de traitement, Mme [Y] a saisi le conseil départemental de l’ordre des médecins le 18 novembre 2013 d’une plainte. Cette procédure disciplinaire a donné lieu à un blâme à l’encontre du docteur [M] pour ne pas avoir réalisé l’échographie prescrite par le médecin généraliste.

Parallèlement, Mme [Y] a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 21 novembre 2014, a désigné le docteur [D] [P], radiologue, en qualité d’expert.

Après s’être adjoint les services d’un sapiteur oncologue en la personne du professeur [W], l’expert a déposé son rapport le 31 mars 2016.

Par acte du 24 novembre 2017, Mme [Y] a fait assigner M. [M] devant le tribunal de grande instance de Marseille, afin d’obtenir l’annulation du rapport d’expertise, la désignation d’un nouvel expert et la condamnation de M. [M] à lui payer une somme de 25 000 € à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel.

Par jugement du 9 mai 2019, le tribunal a :

  • débouté Mme [Y] de sa demande d’annulation du rapport d’expertise et de sa demande de désignation d’un nouvel expert ;
  • dit que M. [M] a commis une faute en ne réalisant pas d’échographie et dit que cette faute a entraîné un retard de diagnostic ;
  • avant dire droit sur les demandes relatives à l’indemnisation du préjudice, ordonné un complément d’expertise et désigné pour y procéder le docteur [P] avec pour mission de fournir au tribunal tous éléments médicaux quant aux conséquences du maintien du traitement hormonal substitutif sur 1'évolution défavorable du cancer du sein dont a été atteinte Mme [Y] et plus généralement sur son état général et les souffrances endurées.

Après s’être adjoint un sapiteur oncologue en la personne du professeur [N] [T], l’expert a déposé son rapport le 15 septembre 2020.

À la suite du dépôt de ce rapport, Mme [Y] a sollicité du tribunal une contre-expertise et la condamnation de M. [M] à lui payer, dans l’attente, une provision de 25 000 € à valoir sur l’indemnisation de son préjudice.

Par jugement du 4 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Marseille a débouté Mme [Y] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux dépens dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, il a, en substance, considéré que l’expert a répondu à toutes les questions figurant dans sa mission et que Mme [Y] ne produit aucun élément, avis médical, article scientifique ou autre pièce, de nature à remettre en cause la pertinence de ses conclusions.

Par acte du 21 décembre 2021, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme [Y] a relevé appel de cette décision en visant expressément chacun des chefs de son dispositif.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 19 juin 2023.

Prétentions et moyens des parties

Dans ses dernières conclusions, régulièrement notifiées le 13 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Mme [Y] demande à la cour de :

² infirmer la décision rendue par le tribunal judiciaire de Marseille le 04 novembre 2021 ;

²Statuant à nouveau,

²désigner un nouvel expert spécialisé en gynécologie et/ou en imagerie du sein aux fins de contre-expertise avec la mission précisée dans ses écritures ;

²condamner M. [M] à lui verser la somme de 25 000 € à titre provisionnel à valoir sur la réparation de ses préjudices ;

²condamner M. [M] à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

²condamner M. [M] aux entiers dépens. ²

 

Au soutien de son appel et de ses prétentions, elle fait valoir que :

  • l’expert n’a pas répondu à la mission qui lui avait été confiée par le tribunal puisqu’il s’est contenté d’indiquer, d’une part qu’il est peu probable que le maintien du traitement hormonal de substitution ait occasionné une perte de chance significative mais qu’il ne peut pour autant être affirmé que celle-ci est égale à zéro, d’autre part que les conséquences sur l’état général et les souffrances endurées ne peuvent être déterminées en regard de l’imprécision des termes employées par le tribunal ;
  • les conclusions de l’expert reviennent à nier la réalité de ses préjudices alors que le tribunal, dans son premier jugement a reconnu l’existence d’une faute sous forme d’un retard de diagnostic et d’une perte de chance en lien avec ce manquement fautif ;
  • au regard des recommandations scientifiques, à savoir établissement d’un diagnostic le plus précoce possible et contre-indication absolue de tout traitement hormonal de substitution, son état de santé actuel ne peut être la conséquence d’une évolution normale de la pathologie ;
  • dans le premier rapport déposé en 2016, l’expert a estimé que le cliché de face montrait une accentuation de la densité par rapport à 2012, de sorte que la perte de chance induite par l’erreur de diagnostic ne peut être évaluée que par un médecin gynécologue et/ou par un médecin spécialisé en imagerie du sein et non par un médecin radiologue.

 

Dans ses dernières conclusions d’intimé, régulièrement notifiées le 2 juin 2013, auxquelles il convient de renvoyer pour un exposé plus exhaustif des moyens, M. [M] demande à la cour de :

²confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

²condamner Mme [Y] à lui verser la somme de 2 593 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de la présente procédure, distraits au profit de son avocat. ²

Il fait valoir que :

  • la contre-expertise n’étant pas de droit, la partie qui la sollicite doit justifier d’un vice de forme ou de fond affectant le rapport contesté, or, en l’espèce, l’expert a respecté les règles procédurales applicables à l’expertise ;
  • le rapport n’est pas davantage incomplet puisque :

* l’expert a bien fourni au tribunal les éléments médicaux relatifs aux conséquences du maintien du traitement hormonal substitutif sur l’évolution défavorable du cancer du sein et dès lors qu’un diagnostic plus précoce n’aurait pas changé le traitement ni évité la mastectomie totale, la chimiothérapie et la radiothérapie, il n’existe en réalité aucun préjudice ; le professeur [T], deuxième sapiteur oncologue désigné, spécialement saisi de la question du maintien du traitement hormonal, n’est pas revenu sur l’avis de son confrère initialement désigné ;

* l’impossibilité scientifique de formuler le moindre avis sur une diminution des chances de guérison définitive consacre une réponse à la question posée par le tribunal ;

* les interrogations qui fondent la demande de contre-expertise n’ont aucun intérêt dès lors que Mme [Y], dont le cancer n’a pas métastasé, n’est pas décédée et est considérée comme guérie de son cancer ;

* si l’expert ne nie pas la réalité des désagréments vécus, il considère que les préjudices sont en lien avec le cancer et non avec le retard de diagnostic, de sorte que le recensement et la cotation des préjudices ne présente aucun intérêt.

Il ajoute que Mme [Y] avait elle-même demandé la désignation d’un radiologue et que la désignation d’un sapiteur oncologue s’imposait également par préférence à un gynécologue, s’agissant d’obtenir un avis éclairé sur l’évolution d’un cancer.

*****

L’arrêt sera contradictoire conformément aux dispositions de l’article 467 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur la demande de contre-expertise

En application des articles 143 et 144 du code de procédure civile, les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, faire l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible et ces mesures peuvent être ordonnées en tout état de cause dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.

L’article 146 du code de procédure civile interdit, en revanche, au juge de suppléer la carence des parties dans l’administration de la preuve, précisant qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver.

Il en résulte qu’il appartient au juge d’apprécier les diligences des plaideurs dans le cadre du litige afin de déterminer si les éléments qui lui sont soumis justifient, dans le cas où une mesure d’expertise a déjà été ordonnée, de nouvelles investigations, celles-ci étant par définition coûteuses et de nature à retarder l’issue du litige.

En l’espèce, une expertise a déjà été ordonnée, qui a conclu que le docteur [M] avait commis une faute en ne complétant pas son analyse, compte tenu de la densité mammaire observée, par la réalisation de l’échographie pourtant prescrite par le médecin généraliste. Cette expertise conclut également qu’un diagnostic plus précoce n’aurait pas changé le traitement ni évité la mastectomie totale avec ses complications, la chimiothérapie et la radiothérapie.

Le tribunal, observant qu’aucune réponse n’avait été apportée au dire du conseil de Mme [Y] relatif à l’incidence du maintien du traitement hormonal sur l’évolution de la pathologie cancéreuse, et en conséquence sur l’impact du retard de diagnostic sur cette dernière, a ordonné un complément d’expertise.

La mission confiée à l’expert était la suivante :

  • fournir tous éléments médicaux quant aux conséquences du maintien du traitement hormonal substitutif sur l’évolution défavorable du cancer du sein, sur l’état général de Mme [Y] et les souffrances par elle endurées ;
  • fournir tous éléments permettant au tribunal d’apprécier les préjudices qui en seraient résulté.

L’expert a conclu que le traitement hormonal de substitution est contre-indiqué en cas de cancer du sein suspecté et doit être interrompu en présence d’un cancer connu.

S’agissant du cas de Mme [Y], il indique qu’il 'est peu probable que le maintien du traitement ait entrainé une perte de chance significative même si celle-ci n’est pas négligeable', ajoutant qu’en tout état de cause celle-ci ne peut être objectivée.

Il en résulte que si le cancer avait été diagnostiqué plus tôt, le traitement hormonal de substitution aurait pu être interrompu.

L’expert a donc répondu à la mission qui lui avait été confiée sur ce premier point.

S’agissant de l’incidence du maintien du traitement substitutif faute de diagnostic plus précoce du cancer, l’expert indique dans son rapport que la taille de la tumeur aurait été moins importante.

Il tempère cependant son propos en précisant que la différence de taille de la tumeur n’a pas eu d’influence sur la prise en charge thérapeutique en regard de son ancienneté et de ses caractéristiques, puisque le carcinome lobulaire était étendu sur presque dix centimètres avec six ganglions envahis, témoignant d’une maladie très évoluée localement.

Selon lui, compte tenu des données médicales propres à Mme [Y], il y a tout lieu de penser que la maladie évoluait depuis plusieurs années.

Le complément de rapport permet donc de considérer que la mastectomie, la radiothérapie, la chimiothérapie et l’hormonothérapie auraient eu lieu même si le diagnostic avait été plus précoce, ce qui revient à dire qu’une interruption en amont du traitement hormonal de substitution n’aurait pas évité ces traitements invasifs.

Ce complément de rapport répond donc à la mission donnée à l’expert par le tribunal puisque selon l’expert et son sapiteur oncologue, si la poursuite de ce traitement aurait peut-être ralenti l’évolution de la tumeur, Mme [Y] n’aurait pas, malgré tout, échappé aux traitements précités.

La perte de chance revendiquée par Mme [Y] ne correspond selon cet expert à aucune réalité médicale et le professeur [T], oncologue, précise qu’au delà des recommandations générales (interruption immédiate du traitement en cas de cancer connu), à l’échelon individuel, il est impossible de déterminer si les chances de guérison définitive ont effectivement été diminuées par le maintien du traitement.

Il sera d’ailleurs observé qu’à ce jour, après une mastectomie, une radiothérapie, une chimiothérapie et une hormonothérapie qui étaient inévitables compte tenu de l’ancienneté et des caractéristiques de la tumeur, Mme [Y] est considérée comme guérie.

Mme [Y] ne démontre par aucune pièce pertinente que les deux rapports d’expertise (principal et complémentaire) sont incomplets, contradictoires ou contiennent des éléments scientifiquement inexacts.

Après avoir elle même sollicité la désignation d’un radiologue, qui était pertinente compte tenu de la spécialité du médecin en cause, Mme [Y] considère aujourd’hui que l’avis d’un gynécologue s’impose et serait plus pertinente. Cependant, le tribunal avait indiqué dans son jugement initial, commettant le docteur [P], qu’il lui appartiendrait de s’adjoindre tout expert compétent dans un autre spécialité si celle-ci lui paraissait indispensable pour se prononcer dans un domaine dont il n’était pas spécialiste. L’expert a ainsi fait appel à un sapiteur spécialisé en oncologie qui n’a pas décliné cette désignation alors que la question posée à l’expert dans le cadre du complément d’expertise portait expressément sur l’incidence du maintien du traitement hormonal de substitution sur l’évolution de la tumeur. L’oncologue est spécialiste en cancérologie et Mme [Y] ne démontre par aucune pièce que, sur le plan scientifique, son avis manque de pertinence. Elle ne démontre pas davantage que l’absence de chiffrage d’une perte de chance procède en réalité d’une lacune que la désignation d’un expert gynécologue serait susceptible de compléter utilement.

L’avis en date du 7 juin 2023 du docteur [J] [V] [L], spécialiste en imagerie médicale et sénologie n’est pas de nature à corroborer son argumentation ni justifier une nouvelle mesure d’expertise confiée à un expert d’une autre spécialité puisque la réinterprétation des clichés de la mammographie réalisée par M. [M] corrobore tout au plus la carence fautive de ce dernier pour n’avoir pas complété cet examen d’une exploration complémentaire par échographie. Or, le manquement fautif n’est pas contesté.

L’expert a répondu aux questions posées par le tribunal, quand bien même sa réponse consiste en l’aveu d’une impossibilité scientifique de pousser utilement les investigations plus avant afin de déterminer dans quelle mesure exactement l’arrêt du traitement substitutif, que le diagnostic tardif a retardé, a pu impacter l’étendue des préjudices. Il est acquis, en tout état de cause, que l’arrêt du traitement n’aurait pas évité les lourds traitements subis par la patiente.

Certes, le tribunal avait demandé à l’expert, dans son complément, de fournir tous éléments permettant au tribunal d’apprécier les préjudices mais uniquement dans l’hypothèse où l’évolution de la tumeur aurait été impactée par le retard de diagnostic, que ce soit directement ou au travers d’un maintien contre-indiqué du traitement hormonal.

En l’espèce, l’impossibilité scientifique de chiffrer une perte de chance revient à remettre en cause l’existence même de celle-ci.

Il ne peut donc utilement être reproché à l’expert de n’avoir pas chiffré les préjudices.

En l’absence de lacunes ou d’incohérences dans le travail de l’expert, les deux rapports déposés sont de nature à permettre une appréhension exhaustive des éléments du litige.

C’est donc par des motifs pertinents que le tribunal a rejeté la demande de contre-expertise.

Sur la demande de provision

Le tribunal peut accorder une provision dès lors que l’obligation n’est pas sérieusement contestable.

En l’espèce, M. [M] a commis un manquement fautif.

Pour autant, aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, la responsabilité d’un professionnel de santé ne l’oblige à réparation qu’en cas de faute à l’origine d’un dommage. Il appartient donc au patient de démontrer la faute et les conséquences dommageables en lien de causalité avec celle-ci.

En l’espèce, la responsabilité de M. [M] est contestée en ce que si l’expert retient une faute de sa part dans la prise en charge, l’existence et l’étendue des dommages en lien avec celle-ci demeurent discutées dès lors qu’un diagnostic plus précoce n’aurait évité ni la mastectomie totale, avec ses complications, ni la chimiothérapie et la radiothérapie, même s’il aurait permis l’arrêt du traitement hormonal substitutif.

Au regard de ces contestations sérieuses, la créance d’indemnisation est sérieusement contestable, de sorte que c’est à juste titre que le tribunal a rejeté la demande de provision à valoir sur l’indemnisation des préjudices.

 

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles sont confirmées.

Mme [Y], qui succombe, supportera la charge des entiers dépens d’appel.

L’équité ne commande pas de lui allouer une somme au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité justifie d’allouer à M. [M] une indemnité de 2 500 € au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

 

Par ces motifs

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 4 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Marseille ;

Y ajoutant,

Déboute Mme [Y] de sa demande d’indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés devant la cour ;

Condamne Mme [I] [Y] à payer à M. [E] [M] une indemnité de 2 500 € en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés devant la cour ;

Condamne Mme [I] [Y] aux entiers dépens d’appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande, le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile. »

Gynéco-online - janvier 2024


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Cancer du sein Perte de chance Retard de diagnostic

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Questionnaire médical pour crédit immobilier et cancer du sein
(arrêt 25 mai 2022, Cour d’appel de Lyon, 1ère ch., n° 20/00907)
Isabelle Lucas-Baloup

   Lorsque le questionnaire médical n’a pas été rempli avec exactitude, la mauvaise déclaration doit-elle avoir été intentionnelle ? Cet arrêt illustre le soin que doit apporter tout emprunteur remplissant le questionnaire médical nécessaire au contrat d’assurance du prêt souscrit, ici pour l’achat d’un bien immobilier.

   En mai 2015, Mme K. souscrit un contrat de crédit immobilier et adhère à un contrat d’assurance de prêt. En janvier 2016, un diagnostic de cancer du sein est posé et Mme K. sollicite auprès de l’assureur l’application de la garantie incapacité temporaire totale (ITT). En juin 2016, l’assureur répond qu’il considère que le questionnaire médical n’avait pas été rempli avec exactitude puis il résilie le contrat d’assurance.

   L’assureur soutient que la résiliation du contrat est fondée sur l’article L. 113-4 du code des assurances qui dispose qu’en cas d’aggravation du risque en cours de contrat, telle que, si les circonstances nouvelles avaient été déclarées lors de la conclusion du contrat, l’assureur n’aurait pas contracté ou ne l’aurait fait que moyennant une prime plus élevée, l’assureur a la faculté soit de dénoncer le contrat, soit de proposer un nouveau montant de prime. Mais, par dérogation à l’article L. 113-4 du code des assurances, l’assureur ne pouvait pas résilier ce contrat pour aggravation du risque qui ne résultait pas d’un changement de comportement volontaire de l’assurée.

   L’arrêt s’intéresse aux réponses du questionnaire de santé rempli par Mme K. :

 

« a) Souffrez-vous ou avez-vous souffert, au cours des 10 dernières années, d’un(es) des maladie(s) suivante(s) : cancer, maladie cardiaque, maladie vasculaire, hypertension artérielle, diabète, maladie neurologique, maladie de l’appareil urinaire, maladie psychique ou psychiatrique, dépression, hypercholestérolémie, maladie de sang, maladie de l’appareil digestif (y compris l’estomac), maladie de l’appareil respiratoire, affection de la colonne vertébrale, affection articulaire et/ou ligamentaire, atteinte rénale, affection thyroïdienne, maladie endocrinienne, maladie dermatologique, maladie gynécologique, maladie immunitaire, maladie rhumatismale '

 

« b) Etes-vous suivi par un médecin spécialiste (hors suivi normal de grossesse) ou un bilan en vue d’un diagnostic est-il en cours '»

 

« Mme [K] a répondu par la négative aux deux sections de cette question. Comme l’a relevé le premier juge, il ressort des pièces médicales produites que :

 

  •  la mère et la tante de Mme [K] ont toutes deux souffert d’un cancer du sein lié à une mutation du gène BRCA1,
  • que l’intéressée a fait l’objet d’un suivi systématique et de dépistage du fait de ses antécédents familiaux, ainsi qu’en a attesté sa gynécologue le 1er septembre 2016,
  • Mme [K] s’est soumise à des échographies mammaires bilatérales réalisées par les radiologues exerçant au centre [7], dédié au traitement des maladies cancéreuses, les 22 février 2013, 31 mai 2013, 20 novembre 2013 et 8 juillet 2014,
  • l’assurée a, à la suite de l’adhésion au contrat, subi un nouvel examen le 3 août 2015.

 

« Le certificat établi par la radiologue le 2 septembre 2016 mentionne que Mme [K] a été suivie «dans le service de radiologie du Centre [7] de 2012 à août 2015 pour des contrôles échographiques de lésions bénignes (souligné par le médecin) ».

 

« Dans ce contexte d’un suivi rapproché, en raison d’antécédents familiaux, Mme [K] ne pouvait répondre par la négative à la question 5 b) pour les motifs retenus par le premier juge. Il sera ajouté que, contrairement à ce qui est soutenu par l’appelante, la question est claire et précise et ne souffre pas d’ambiguïté s’agissant de l’existence d’un suivi par un médecin spécialiste.

 

« Il convient en conséquence de retenir le caractère inexact de la déclaration de Mme [K] lors des réponses apportées au questionnaire de santé.

 

« Toutefois, l’assureur a reconnu à deux reprises le caractère non intentionnel de cette déclaration inexacte.

 

« Ainsi, dans la lettre du 17 juin 2016, son gestionnaire écrit : «Toutefois, je considère que cette mauvaise déclaration n’a pas été effectuée intentionnellement », puis, dans celle du 13 juillet 2016 : «Je ne remets bien évidemment pas en cause votre bonne foi, lors de la complétude de la déclaration d’état de santé, et c’est pour cela que je considère que cette mauvaise déclaration n’a pas été effectuée intentionnellement ».

 

« L’assureur est ainsi mal fondé à soutenir devant la cour le caractère intentionnel de la déclaration inexacte de Mme [K], faute de produire des éléments qui auraient révélé la mauvaise foi de l’assurée postérieurement aux deux lettres par lesquelles il a reconnu sa bonne foi. La demande de la société [P] en annulation du contrat doit en conséquence être rejetée.

 

« Il convient en conséquence d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de déclarer nulle la résiliation du contrat d’assurance intervenue par lettre du 3 août 2016 et de condamner Mme [K] à payer les cotisations d’assurance depuis le 17 juillet 2016 jusqu’à la date de l’arrêt. »

 

   Dans ce type de dossiers, le caractère intentionnel ou pas de la déclaration inexacte est donc examiné avec attention par la juridiction saisie. Les assureurs écrivent parfois trop vite…

Gyneco-online - octobre 2022
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Récidive de cancer du sein : pas de responsabilité fautive du médecin
Isabelle Lucas-Baloup

Un arrêt, prononcé le 9 mars 2017 par la Cour d’appel d’aix-en-Provence (10ème chambre, n° 15/22268) déboute une patiente de son action en responsabilité civile professionnelle à l’encontre de son médecin traitant, lequel avait pourtant prescrit divers examens afin de déterminer l’origine des douleurs dont se plaignait la patiente : un bilan sénologique, une IRM du rachis cervical, dorsal et lombaire, un EMG et des bilans sanguins.

L’arrêt est reproduit quasi intégralement :

 

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

« Mme Carole B. épouse C. a subi le 25 mars 2004 l'exérèse d'un carcinome canalaire infiltrant suivi de 6 séances de chimiothérapie ; le 10 mai 2004 elle a bénéficié d'une reconstruction mammaire par mise en place d'un expandeur qui a été ôté le 28 février 2005 pour mise en place d'une prothèse totale ; elle a bénéficié par la suite d'un suivi régulier par son gynécologue, tous les mois puis tous les ans.

« Mme B. qui avait pour médecin traitant le docteur L. a été examinée le 17 mars 2010 puis à diverses reprises entre cette date et juin 2010 par le remplaçant de ce médecin, le docteur Monique O.

« A la suite d'une IRM ayant révélé des métastases de son cancer du sein, Mme B. mécontente des soins de Mme O. a saisi le juge des référés qui par ordonnance du 4 décembre 2012 a prescrit une mesure d'expertise confiée au docteur M. qui a déposé son rapport le 20 janvier 2014.

« Par acte d'huissier de justice du 27 avril 2015 Mme B. a assigné Mme O. devant le tribunal d'instance d'Aix en Provence, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône (CPAM), tiers payeur, pour obtenir l'indemnisation du préjudice consécutif à un retard de diagnostic des métastases de son cancer du sein.

« Par jugement du 27 novembre 2015 cette juridiction a :

- débouté Mme B. de sa demande de dommages et intérêts,

- dit n'y a voir lieu à exécution provisoire,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclaré le jugement opposable à la CPAM,

- condamné Mme B. aux dépens.

« Pour statuer ainsi le tribunal a considéré que Mme B. ne rapportait pas la preuve que le retard de diagnostic des métastases à la hanche était imputable à Mme O. alors que sur la période de mars 2010 à janvier 2011 elle avait également été suivie par son gynécologue, le docteur B. et par d'autres médecins et qu'elle n'avait pas communiqué à l'expert les dossiers médicaux permettant à celui-ci de vérifier le contenu des diverses consultations.

« Par acte du 17 décembre 2015, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme B. a interjeté appel général de cette décision.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

« Mme B. demande à la cour dans ses conclusions du 16 mars 2016, en application des articles L.1142-1 du code de la santé publique et 700 du code de procédure civile, de :

- infirmer le jugement,

statuant de nouveau

- juger que Mme O., chargée de son suivi médical, a commis une faute en négligeant de s'entourer de tous les moyens d'investigation utiles et ainsi en ne diagnostiquant pas la récidive de son cancer,

- juger que cette erreur de diagnostic a été à l'origine d'un traitement inadapté et d'un retard dans sa prise en charge,

- juger que compte tenu du suivi médical pris en charge par Mme O. il existe un lien de causalité entre les manquements de ce médecin et ses séquelles,

- condamner Mme O. à indemniser toutes les conséquences de ses manquements,

- évaluer son préjudice à :

- déficit fonctionnel temporaire partiel : 1 000 €

- souffrances endurées : 3 500 €

en conséquence

- condamner Mme O. à lui verser la somme de 4 500 €,

- la condamner à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens,

- le tout avec les intérêts au double du taux légal à compter de la date de l'accident,

subsidiairement

- ordonner une expertise judiciaire au contradictoire des docteurs B. et L.,

- juger que dans l'hypothèse où à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir l'exécution forcée devra être réalisée par un huissier de justice le montant des sommes par lui retenues en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96/1080 devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

« Elle expose que ce n'est qu'en janvier 2011, à la suite de son insistance et car elle se plaignait auprès d'elle depuis mai 2010 de douleurs dans le dos, que Mme O. l'a orientée vers un rhumatologue, le docteur B., qui a prescrit une IRM laquelle a révélé des métastases, qu'elle a alors été prise en charge en radiothérapie puis en chimiothérapie puis a subi en avril 2012 une opération pour mise en place d'une prothèse totale de la hanche gauche consécutive à la nécrose de l'os due au cancer, que lorsque Mme O. l'a examinée elle savait qu'elle avait été opérée d'un cancer du sein, que Mme O. a omis de s'entourer de tous les moyens d'investigation utiles et a omis de diagnostiquer une récidive de son cancer ce qui a retardé sa prise en charge et a été à l'origine d'un traitement inadapté.

« Elle précise qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir communiqué à l'expert son dossier médical qu'elle n'a pas eu en sa possession.

« Mme O. demande à la cour dans ses conclusions du 12 mai 2016, en application de l'article L.1142-1 I du code de la santé publique, de :

- constater que Mme B. ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle a pu engager sa responsabilité,

en conséquence

- débouter Mme B. de ses demandes,

- confirmer le jugement,

subsidiairement

- dire que la réparation du dommage ne saurait excéder les sommes suivantes :

- déficit fonctionnel temporaire partiel : 450 €

- souffrances endurées : 1 000 €

- débouter Mme B. de ses demandes,

- condamner Mme B. à lui verser la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme B. aux dépens avec distraction.

« Elle rappelle que le médecin n'est tenu que d'une obligation de moyens et que l'erreur n'est pas fautive dès lors que le diagnostic est difficile à établir.

« Elle précise qu'elle n'a examiné Mme B. qu'à l'occasion de remplacements, que durant la période où elle est intervenue cette patiente a consulté 3 autres médecins, que son gynécologue n'a pas décelé une récidive de son cancer, qu'elle-même a toujours cherché par la prescription d'examens d'imagerie (IRM), par la réalisation d'un EMG et par la demande de bilans sanguins à diagnostiquer la pathologie de Mme B.

« Elle ajoute que si l'expert a retenu un retard de diagnostic, il a précisé qu'il ne pouvait dire à quel praticien ce retard était imputable car Mme B. ne lui avait pas remis les dossiers médicaux des docteurs L. et B. ni le compte rendu de la consultation du docteur B. du 27 novembre 2010 et soutient que c'est à Mme B. de remettre ces documents.

« La CPAM, assignée par Mme B. par acte d'huissier du 17 mars 2016 délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel n'a pas constitué avocat.

« Par courrier du 12 juillet 2016 elle a indiqué n'avoir versé aucune prestation en espèces.

« L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

« Il résulte de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

« En l'espèce il ressort du rapport d'expertise que Mme O. n'a vu Mme B. en consultation que du mois de mars 2010 à fin janvier 2011, seulement à 8 reprises, à l'occasion du remplacement du médecin traitant de cette patiente, le docteur L., que face aux plaintes de Mme B. elle a prescrit divers examens afin de déterminer l'origine de ses douleurs soit un bilan sénologique le 15 mars 2010 et une IRM du rachis cervical, dorsal et lombaire le 3 mai 2010, et que les résultats de ces examens n'ont pas révélé ou fait suspecter la présence de métastases.

« Par ailleurs l'expert a noté que Mme B. a été atteinte d'une pathologie dont l'évolutivité est significative ce dont il s'évince que le diagnostic pouvait difficilement être posé rapidement.

« Ainsi au cours de sa courte période d'intervention Mme O. a dispensé des soins attentifs et consciencieux à Mme B. et a mis en œuvre les moyens d'investigation utiles et adaptés ; en outre dans le même temps que Mme O., Mme B. a également été prise en charge par son gynécologue, le docteur B. et par son médecin traitant, le docteur L.

« Enfin Mme B. n'a pas fourni à l'expert alors qu'elle seule était en mesure de le faire, en les demandant à ses médecins habituels, ses dossiers médicaux, de sorte que l'expert n'a pas pu mener plus amplement ses opérations.

« Il résulte de l'ensemble de ces éléments, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une mesure d'expertise au contradictoire des docteurs B. et L., laquelle n'est pas utile, que Mme B. ne rapporte pas la preuve que Mme O. a commis une faute dans les soins qu'elle lui a dispensés et qui serait à l'origine d'un retard fautif de diagnostic de ses métastases osseuses.

« Mme B. doit en conséquence être déboutée de ses demandes, le jugement sera confirmé.

« Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

« L'équité ne commande pas de faire application en cause d'appel de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties.

« Mme B. qui succombe supportera la charge des entiers dépens d'appel.

 

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Confirme le jugement,

Y ajoutant,

- Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- Condamne Mme Carole B. épouse C. aux dépens d'appel. »

 

Gynéco-Online - mai 2017
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