Base de données - Données acquises de la science

Décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010 du Conseil constitutionnel : sur la loi « anti-jurisprudence Perruche »
Isabelle Lucas-Baloup

Depuis le 1er mars 2010, les justiciables peuvent solliciter que soient déférées au Conseil constitutionnel, sous certaines conditions, par le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation, des dispositions législatives qu’ils considèrent porter atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, selon la procédure de « question prioritaire de constitutionnalité » (QPC). Parmi la soixantaine de QPC dont il a à connaître actuellement, le Conseil s’est prononcé, par décision du 11 juin 2010, sur la conformité à la Constitution de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, concernant le droit, pour les parents de l’enfant atteint d’un handicap non décelé pendant la grossesse, d’obtenir réparation au titre des charges particulières découlant de ce handicap tout au long de la vie de l’enfant et le droit, pour l’enfant né atteint d’un handicap ou d’une affection qui n’a pas été décelée pendant la grossesse de sa mère, d’être indemnisé.

Le sujet a déjà défrayé les chroniques et fait l’objet d’un dossier documentaire très complet sur le site web du Conseil constitutionnel(a). En résumant à l’extrême, on peut ainsi présenter le problème :

? Une femme enceinte est fondée à bénéficier d’une interruption volontaire de grossesse en cas de forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic (article L. 2213-1 du code de la santé publique).
? Le Conseil d’Etat a jugé, le 14 février 1997 (jurisprudence C.H. Nice/Quarez), que l’hôpital avait commis une faute en n’informant pas Madame Quarez, dont l’enfant était atteint de trisomie 21, que les résultats de l’amniocentèse, qui n’avaient fait état d’aucune anomalie, pouvaient être affectés d’une marge d’erreur, et que cette faute d’information était la cause directe des préjudices résultant pour les parents de l’infirmité dont était atteint leur enfant, indemnisant tout autant le préjudice moral que les troubles dans leurs conditions d’existence qu’enfin « les charges particulières notamment en matière de soins et d’éducation spécialisée » découlant de cette infirmité.
? La Cour de cassation , le 17 novembre 2000 (jurisprudence Perruche), a considéré que les fautes commises par le médecin et le laboratoire avaient empêché Madame Perruche d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap ; elle a reconnu à l’enfant un droit à réparation du préjudice résultant de son handicap et causé par les fautes retenues, jurisprudence confirmée par trois arrêts de l’assemblée plénière du 13 juillet 2001. Pourtant, et sans entrer dans la polémique, on peut convenir que le handicap de l’enfant n’avait pas pour cause la faute du médecin mais bien une infirmité congénitale.
? On se souvient du débat philosophico-juridico-politico-déontologique et éthique, mais également sociologique et religieux, provoqué notamment par la mise en oeuvre du « droit de ne pas naître » et de l’augmentation immédiate et vertigineuse des primes d’assurance de responsabilité civile des obstétriciens, puis de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, dite Kouchner, interdisant à l’enfant de réclamer en justice la réparation du préjudice « du seul fait de sa naissance » et limitant la réparation possible au préjudice directement provoqué par l’acte médical fautif ou son rôle aggravant ou la privation de mesures susceptibles de l’atténuer.
? Ces dispositions ont été modifiées et codifiées par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, soumettant la prise en charge des personnes handicapées à la solidarité nationale (en instaurant une prestation de compensation qui complète le régime d’aide sociale) et déclarant le droit nouveau immédiatement applicable aux instances en cours .
? Un débat judiciaire est alors né, portant tant sur la rétroactivité de la loi à des dommages antérieurs à sa promulgation que sur le caractère limité de la compensation au titre de la solidarité nationale et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), saisie par des familles privées de pouvoir revendiquer le bénéfice des jurisprudences Quarez et Perruche, a prononcé deux arrêts, le 6 octobre 2005 (Draon et Maurice c/ France), concluant à la violation de la Convention européenne des droits de l’homme (article 1er du protocole n° 1).
? Depuis, la Cour de cassation continue à appliquer la jurisprudence Perruche lorsque l’enfant handicapé est né avant la date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 si l’action en justice n’a été intentée qu’après cette date et si le dommage s’est révélé avant le 7 mars 2002 (arrêts des 30 octobre 2007 et 8 juillet 2008), tout comme le Conseil d’Etat (arrêt du 24 février 2006).
? Saisi par le Conseil d’Etat, dans une instance introduite par la mère d’un garçon né en 1995, atteint d’une myopathie de Duchenne, qui avait été déboutée de sa demande en indemnisation « en raison de l’erreur de diagnostic commise par le laboratoire de biochimie génétique de l’Hôpital Cochin en 1992 » sur le risque encouru de transmettre cette maladie à un enfant de sexe masculin, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision n° 2010-2 du 10 juin 2010 :

--> déclaré conformes à la Constitution les dispositions relatives à l’interdiction faite à l’enfant de réclamer la réparation d’un préjudice du fait de sa naissance, et à la limitation du préjudice indemnisable décidée par le législateur, qui ne revêt pas un caractère disproportionné au regard des buts poursuivis ; 

--> considéré « qu’en subordonnant à l’existence d’une faute caractérisée la mise en oeuvre de la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse, le législateur a entendu prendre en considération, en l’état des connaissances et des techniques, les difficultés inhérentes au diagnostic médical prénatal ; qu’à cette fin, il a exclu que cette faute puisse être présumée ou déduite de simples présomptions ; que la notion de « faute caractérisée » ne se confond pas avec celle de faute lourde ; que, par suite, eu égard à l’objectif poursuivi, l’atténuation apportée aux conditions dans lesquelles la responsabilité de ces professionnels et établissements peut être engagée n’est pas disproportionnée » ; 

--> jugé que « les parents peuvent obtenir l’indemnisation des charges particulières résultant, tout au long de la vie de l’enfant, de son handicap lorsque la faute a provoqué directement ce handicap, l’a aggravé ou a empêché de l’atténuer ; qu’ils ne peuvent obtenir une telle indemnisation lorsque le handicap n’a pas été décelé avant la naissance par suite d’une erreur de diagnostic ; que dès lors la différence instituée entre les régimes de réparation correspond à une différence tenant à l’origine du handicap » ;

--> en revanche, le Conseil constitutionnel a décidé que le 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi du 11 février 2005, appliquant le droit nouveau aux instances non jugées de manière irrévocable à la date d’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, est contraire à la Constitution, en ce que ces dispositions sont relatives au droit d’agir en justice de l’enfant né atteint d’un handicap, aux conditions d’engagement de la responsabilité des professionnels et établissements de santé à l’égard des parents, ainsi qu’aux préjudices indemnisables lorsque cette responsabilité est engagée.

En conséquence, seul le dispositif de droit transitoire qui rendait applicable la loi nouvelle à toutes les instances dans lesquelles il n’avait pas été jugé de manière irrévocable sur le principe de l’indemnisation, est déclaré inconstitutionnel.

Dès lors, le délai de prescription de 10 ans (à compter de la consolidation du dommage, art. L. 1142-28, CSP) pour engager l’action ne démarrant qu’à l’âge de 18 ans, les procédures en indemnisation soumises au droit commun (= jurisprudences Perruche et Quarez) pourront être lancées au moins encore jusqu’en 2002 + 18 + 10 = 2030.

(a) cf. www.conseil-constitutionnel.fr

(b) les textes légaux et les jurisprudences sont disponibles sur www.legifrance.gouv.fr

(c) article L. 114-5, code de l’action sociale et des familles :
« Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.
« La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.
« Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »
article L. 114-1 : « [...] Les dispositions de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles tel qu’il résulte du 1 du présent II sont applicables aux instances en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 précitée, à l’exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l’indemnisation. [...]»

Gynéco Online - Septembre 2010
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Dommages-intérêts obtenus par un ophtalmologiste victime d’une dénonciation calomnieuse de la part d’une patiente devant le Conseil de l’Ordre des médecins
(Arrêt Cour d’appel de Bordeaux, 5ème ch. civile, 26 octobre 2011, n° 2009/07510)
Isabelle Lucas-Baloup

Une patiente est opérée de la cataracte sur son œil D, et devait l’être par le même chirurgien de l’œil G une semaine plus tard. Déçue du résultat, elle change d’ophtalmologiste, et subit ailleurs son intervention sur l’œil G.
Elle saisit le Conseil de l’Ordre des médecins pour accuser le premier chirurgien qui d’après elle « n’aurait pas dû opérer son meilleur œil en premier » et aurait donc « commis une erreur grave en opérant un œil que l’on n’aurait jamais dû toucher ». Une expertise conclut que le chirurgien attaqué avait donné des soins conformes aux données de la science à l’époque des faits. Ce dernier lance une action pour faire condamner la patiente à des dommages-intérêts pour dénonciation calomnieuse.
L’arrêt juge : « En accusant le chirurgien d’avoir effectué une intervention injustifiée sur un œil valide, alors qu’elle savait que cela était faux, la patiente a procédé à une dénonciation calomnieuse » et l’ophtalmologiste peut obtenir réparation du préjudice matériel qui est la conséquence de la dénonciation auprès de l’Ordre (pas de l’action en référé-expertise également lancée par la patiente).
Il est retenu une demi-journée de perdue pour se défendre, soit la privation, d’après une attestation de l’expert comptable de l’ophtalmologiste, de 1300 €, et 1000 € en réparation de son préjudice moral. Le reste de l’arrêt ne présente pas d’intérêt à commenter.

SAFIR - Mars 2012
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Hygiène et normes opposables
Isabelle Lucas-Baloup

L’état de l’art, en pratique quoditienne
L’état de l’art sur un sujet scientifique ou médical se compose d’une masse d’informations existant à une époque donnée. Chaque professionnel reçoit, de ses professeurs, de ses maîtres, une première approche théorique, pendant ses études, qu’il complètera par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment. Le professionnel développera sans arrêt ses compétences en lisant les revues spécialisées, françaises et internationales, en participant aux congrès professionnels de la discipline concernée, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires, prendra connaissance et expérimentera les recommandations émanant des sociétés savantes, des organismes parapublics, des agences et, en exerçant régulièrement lui-même, opérera des options de protocole, des choix de gestes relevant de sa spécialité, ce qui lui permettra, individuellement, d’en évaluer l’opportunité et l’efficacité à court, moyen et long terme.
L’état de l’art est apprécié et mis en œuvre subjectivement par le praticien médical ou paramédical, par l’ingénieur biomédical, par les cadres des établissements de santé quelle que soit leur spécialité, en fonction de leur propre connaissance de la question concernée.
Si le professionnel a été performant dans sa démarche de recherche des données relatives au sujet, sa connaissance acquise est très proche de l’état de l’art objectif sur la question concernée, qui inclut une somme exhaustive d’informations, ou très proche de l’exhaustivité.


L’état de l’art, en droit
En droit, l’état de l’art est essentiellement observé à l’occasion des procès en responsabilité civile, administrative et pénale, impliquant des établissements de santé ou des professionnels intervenus.
Pour la Cour de cassation, depuis le célèbre arrêt Mercier (Cassation 20 mai 1936), l’état de l’art opposable est constitué des « données acquises de la science », notion reprise par les codes de déontologie médicale respectivement en 1955, en 1979 puis en 1995.
Par un arrêt du 6 juin 2000, les Hauts magistrats ont rejeté un moyen de pourvoi se référant à la « notion erronée de données actuelles de la science » pour réaffirmer que l’obligation qui pèse sur le médecin consiste à donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science. Ce débat qui a néanmoins duré plus de soixante ans sur le choix entre « données acquises » et « données actuelles » de la science traduit combien il est délicat de définir les limites de l’état de l’art opposable.
La loi Kouchner, le 4 mars 2002, a introduit la notion nouvelle de « connais-sances médicales avérées ». Ainsi, aujourd’hui, en application de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, « toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. » En hygiène tout particulièrement le professionnel est débiteur de cette obligation d’assurer aux patients la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées.

La garantie de la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées
Nulle part, en droit français, la méthodologie permettant de définir les connaissances médicales avérées n’est décrite. La pratique du contentieux de la responsabilité médicale révèle que la conscience professionnelle de l’expert, sa formation, sa culture, son expérience personnelle et le soin qu’il apporte à la recherche documentaire, à la revue de littérature scientifique permettant la rédaction d’un rapport pertinent, ne suffisent pas à obtenir la certitude que le malade, l’établissement public ou privé de soins critiqué et le juge seront parfaitement informés sur l’état des connaissances médicales avérées. Comment dès lors se prémunir contre l’évaluation subjective, incomplète, maladroite, manquant de nuance ou de fondement scientifique, d’un sujet que l’expert est susceptible de mal maîtriser malgré l’obligation générale de compétence, de conscience, d’objectivité et d’impartialité à laquelle il est tenu.
Si la plupart des experts procède à des analyses et conclusions irréprochables, certains rapports révèlent néanmoins de vraies imperfections que les seules poursuites disciplinaires et sanctions qu’ils encourent ne permettent pas systématiquement d’éviter. La liste des experts ayant écrit des conclusions contestables, voire de véritables bêtises, est plus longue que celle des experts sanctionnés... Peu importe que, statistiquement, les affirmations contestables soient moins nombreuses que les conclusions dûment fondées sur l’état de l’art : pour le patient en demande, ou l’hygiéniste en défense, un défaut dans l’évaluation expertale d’un comportement médical ou paramédical constitue un manquement inacceptable et difficile à faire écarter par les juges scientifiquement incompétents dans la discipline technique, scientifique, médicale, pour laquelle ils ont justement ordonné une expertise.

L’état de l’art, en jurisprudence
Lorsque l’expert fournit une opinion, elle ne lie pas le juge, titulaire d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits. Le jugement doit faire la part des choses, entre le fait et le droit. Aussi, le juge saisi devrait-il s’impliquer plus souvent dans le contrôle des sources d’informations dont l’expert a tenu compte pour rédiger les conclusions de son rapport. Il n’est pas sans intérêt d’observer certaines motivations de la jurisprudence pour retenir ou écarter des éléments contribuant à la définition de l’état de l’art opposable :
La Cour de Bordeaux a ainsi jugé (par arrêt du 18 février 2003) : « Des études postérieures aux faits, émanant exclusivement de services très spécialisés de centres hospitaliers, dont la diffusion et la connaissance par les praticiens devraient être relativement confidentielles, effectuées à partir d’observations limitées à quelques cas, ne sauraient constituer des règles de l’art consacrées par la pratique. [...] Ces données acquises ne recouvrent que des règles de l’art consacrées par la pratique. »
La Cour de Versailles sanctionne régulièrement le praticien dont le comportement viole des « recommandations » de sociétés savantes (cf. notamment arrêt du 27 juin 1996). Mais « l’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation d’un médecin, dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles », juge la Cour de Rennes (le 8 octobre 2003).
La référence aux données de la littérature médicale est fréquemment retenue comme critère permettant d’inclure ou d’exclure un acte de l’état de l’art. Par exemple, la Cour de Besançon a écarté (par décision du 8 juin 2005) la responsabilité d’un praticien à l’occasion d’un accident « rarissime puisque l’expert n’a trouvé aucune publication identique dans la littérature. » En revanche, la Cour administrative d’appel de Paris retenait (le 12 juin 1995) la responsabilité de l’AP-HP, en raison du fait que le risque de prescription de produits sanguins concentrés non chauffés en juin 1983 constituait un risque de transmission du VIH par voie de transfusion sanguine chez les personnes atteintes d’hémophilie, dès lors qu’il ressortait du dossier « qu’à partir du mois de janvier 1983 et de façon de plus en plus précise au fil du temps, des revues médicales spécialisées françaises et étrangères, notamment le New England Journal of Medecine, The Lancet, la Lettre de la Prévention, la Revue française de transfusion et d’immuno-hématologie, en ont informé les milieux médicaux ».
La Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sur le même fondement (par arrêt du 16 décembre 2003) une action à l’encontre des Hospices Civils de Lyon lancée par une patiente qui ne produisait, à l’appui de ses affirmations critiques « aucune étude permettant de conclure que l’association de X + Y améliorait le pronostic de survie du patient » en cas de cancer du poumon.
Enfin, la Cour de cassation, dans son célèbre arrêt du 6 juin 2000 susvisé, écartant les données actuelles de la science pour retenir les données acquises, a ouvert la voie vers la prise en considération obligatoire des publications scientifiques, dans un arrêt dans lequel elle affirme clairement : « Il est raisonnable de ne fonder une condamnation que sur l’absence de prise en compte de connaissances médicales datant de plusieurs années, ayant fait l’objet de publications dans différents pays, étant utilisées dans de nombreux centres publics ou privés, étant prises en charge par les organismes de sécurité sociale et, si possible, ayant été validées par des conférences de consensus ». Ce faisant, elle écartait des travaux récents de spécialistes américains invoqués contre un médecin qui n’en avait pas tenu compte.
Le Conseil d’Etat en revanche a annulé en 2001 une décision du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) ayant sanctionné un confrère « en se fondant uniquement sur l’absence d’expérimentation en France, sans rechercher quelle était l’opinion de la communauté scientifique internationale ». Il était reproché au CNOM de n’avoir pas examiné l’ensemble des données scientifiques propres à établir sa conviction (Conseil d’Etat, 19 octobre 2001).
Devant les tribunaux, chaque partie fait valoir le résultat de sa propre recherche documentaire en ne sélectionnant que ce qui est favorable à son argumentation en demande ou en défense. Le problème est que les magistrats ne sont pas formés pour évaluer la pertinence des différents articles invoqués par les antagonistes, qui auront chacun interrogé leurs banques de données préférées (Medline, Healthstar, Embase, Pascal, Cochrane Database, etc.), outre celles spécifiques à la discipline concernée.
Les magistrats peuvent être aussi sensibles à une position émise dans un résumé de congrès, un document gouvernemental, une étude non publiée mais émanant de l’équipe connue d’un CHU, un rapport ou tout autre document non conventionnel : c’est ce qu’on appelle la « littérature grise », dont la prévalence jurisprudentielle constitue un danger en l’absence d’évaluation préalable par le juge de la pertinence des sources ainsi retenues.

De la littérature grise au rapport d’expertise,
en passant par l’évidence scientifique
En oncologie, les SOR, élaborés depuis 1993 par la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, sont définis par leur degré de fiabilité : Standard, Option ou Recommandation. La FNCLCC souligne que les SOR sont un guide et non un mécanisme d’évaluation. Ils peuvent être qualifiés d’usages reconnus ou encore de bonnes pratiques en cancérologie. Décrivant les conduites les plus communément admises, ils n’ont pas de valeur absolue et ne sont pas exclusifs d’autres usages. Il s’agit d’une aide à la décision pour le praticien qui s’y réfère. Ils sont d’un usage facultatif, ne présentant aucun caractère obligatoire et ne sont assortis d’aucune sanction. Les SOR doivent présenter six qualités essentielles qui conditionnent leur pertinence : les informations y figurant doivent être sérieuses, exactes, fiables, complètes, actuelles et sécurisées, déclare la FNCLCC.
L’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES), avant la Haute Autorité de Santé (HAS), a publié un Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, en janvier 2000, que l’on trouve sur le site de cette dernière. Des grilles de lecture y sont proposées ainsi qu’une méthodologie pour l’analyse de la documentation obtenue et l’élaboration des recomman-dations.
Le niveau de preuve d’une étude (fort niveau de preuve, niveau intermédiaire ou faible niveau de preuve) en permet la classification. L’évidence scientifique est appréciée lors de la synthèse des résultats de l’ensemble des études sélectionnées s’appuyant sur :
- l’existence de données de la littérature pour répondre aux questions posées,
- le niveau de preuve des études disponibles,
- la cohérence de leurs résultats.
Si les résultats sont tous cohérents entre eux, des conclusions peuvent facilement être formulées. En cas de divergence des résultats, il appartient aux experts de pondérer les études en fonction de leur niveau de preuve, de leur nombre et, pour des études de même niveau de preuve, en fonction de leur puissance. La HAS, comme avant elle plusieurs auteurs que la place manque ici pour citer, propose ainsi d’apprécier la force des recommandations en fonction :
- du niveau d’évidence scientifique,
- de l’interprétation des experts.
L’évaluation des recommandations avant leur publication met ainsi en œuvre des instruments de « gradation » de leur pertinence, mais les publications imposent d’opérer des nuances que la jurisprudence ne prend pas systématiquement en considération.
Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des « connaissances médicales avérées », devrait donc respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition de recommandations objets d’une évaluation, d’une gradation et d’une mise à jour périodique.
Pourtant, il ne serait pas raisonnable de requérir d’un expert judiciaire, nommé pour donner un avis technique, scientifique, sur un comportement argué de faute à l’occasion d’un acte de diagnostic, de soin ou de traitement, d’emprunter les voies conseillées par la Haute Autorité de Santé pour la rédaction des recommandations de bonne pratique, ou alors il faudrait arrêter de sous-payer leurs travaux afin de leur donner les moyens d’y consacrer le temps opportun.

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Juillet-août 2007
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L'état de l'art en médecine
Isabelle Lucas-Baloup

L’état de l’art, en pratique quoditienne
L’état de l’art sur un sujet scientifique ou médical se compose d’une masse d’informations existant à une époque donnée. Chaque professionnel reçoit, de ses professeurs, de ses maîtres, une première approche théorique, pendant ses études, qu’il complètera par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment. Le professionnel développera sans arrêt ses compétences en lisant les revues spécialisées, françaises et internationales, en participant aux congrès professionnels de la discipline concernée, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires, prendra connaissance et expérimentera les recommandations émanant des sociétés savantes, des organismes parapublics, des agences et, en exerçant régulièrement lui-même, opérera des options de protocole, des choix de gestes relevant de sa spécialité, ce qui lui permettra, individuellement, d’en évaluer l’opportunité et l’efficacité à court, moyen et long terme.
L’état de l’art est apprécié et mis en œuvre subjectivement par le praticien médical ou paramédical, par l’ingénieur biomédical, par les cadres des établissements de santé quelle que soit leur spécialité, en fonction de leur propre connaissance de la question concernée.
Si le professionnel a été performant dans sa démarche de recherche des données relatives au sujet, sa connaissance acquise est très proche de l’état de l’art objectif sur la question concernée, qui inclut une somme exhaustive d’informations, ou très proche de l’exhaustivité.


L’état de l’art, en droit
En droit, l’état de l’art est essentiellement observé à l’occasion des procès en responsabilité civile, administrative et pénale, impliquant des établissements de santé ou des professionnels intervenus.
Pour la Cour de cassation, depuis le célèbre arrêt Mercier (Cassation 20 mai 1936), l’état de l’art opposable est constitué des « données acquises de la science », notion reprise par les codes de déontologie médicale respectivement en 1955, en 1979 puis en 1995.
Par un arrêt du 6 juin 2000, les Hauts magistrats ont rejeté un moyen de pourvoi se référant à la « notion erronée de données actuelles de la science » pour réaffirmer que l’obligation qui pèse sur le médecin consiste à donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science. Ce débat qui a néanmoins duré plus de soixante ans sur le choix entre « données acquises » et « données actuelles » de la science traduit combien il est délicat de définir les limites de l’état de l’art opposable.
La loi Kouchner, le 4 mars 2002, a introduit la notion nouvelle de « connais-sances médicales avérées ». Ainsi, aujourd’hui, en application de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, « toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. » En hygiène tout particulièrement le professionnel est débiteur de cette obligation d’assurer aux patients la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées.

La garantie de la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées
Nulle part, en droit français, la méthodologie permettant de définir les connaissances médicales avérées n’est décrite. La pratique du contentieux de la responsabilité médicale révèle que la conscience professionnelle de l’expert, sa formation, sa culture, son expérience personnelle et le soin qu’il apporte à la recherche documentaire, à la revue de littérature scientifique permettant la rédaction d’un rapport pertinent, ne suffisent pas à obtenir la certitude que le malade, l’établissement public ou privé de soins critiqué et le juge seront parfaitement informés sur l’état des connaissances médicales avérées. Comment dès lors se prémunir contre l’évaluation subjective, incomplète, maladroite, manquant de nuance ou de fondement scientifique, d’un sujet que l’expert est susceptible de mal maîtriser malgré l’obligation générale de compétence, de conscience, d’objectivité et d’impartialité à laquelle il est tenu.
Si la plupart des experts procède à des analyses et conclusions irréprochables, certains rapports révèlent néanmoins de vraies imperfections que les seules poursuites disciplinaires et sanctions qu’ils encourent ne permettent pas systématiquement d’éviter. La liste des experts ayant écrit des conclusions contestables, voire de véritables bêtises, est plus longue que celle des experts sanctionnés... Peu importe que, statistiquement, les affirmations contestables soient moins nombreuses que les conclusions dûment fondées sur l’état de l’art : pour le patient en demande, ou l’hygiéniste en défense, un défaut dans l’évaluation expertale d’un comportement médical ou paramédical constitue un manquement inacceptable et difficile à faire écarter par les juges scientifiquement incompétents dans la discipline technique, scientifique, médicale, pour laquelle ils ont justement ordonné une expertise.

L’état de l’art, en jurisprudence
Lorsque l’expert fournit une opinion, elle ne lie pas le juge, titulaire d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits. Le jugement doit faire la part des choses, entre le fait et le droit. Aussi, le juge saisi devrait-il s’impliquer plus souvent dans le contrôle des sources d’informations dont l’expert a tenu compte pour rédiger les conclusions de son rapport. Il n’est pas sans intérêt d’observer certaines motivations de la jurisprudence pour retenir ou écarter des éléments contribuant à la définition de l’état de l’art opposable :
La Cour de Bordeaux a ainsi jugé (par arrêt du 18 février 2003) : « Des études postérieures aux faits, émanant exclusivement de services très spécialisés de centres hospitaliers, dont la diffusion et la connaissance par les praticiens devraient être relativement confidentielles, effectuées à partir d’observations limitées à quelques cas, ne sauraient constituer des règles de l’art consacrées par la pratique. [...] Ces données acquises ne recouvrent que des règles de l’art consacrées par la pratique. »
La Cour de Versailles sanctionne régulièrement le praticien dont le comportement viole des « recommandations » de sociétés savantes (cf. notamment arrêt du 27 juin 1996). Mais « l’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation d’un médecin, dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles », juge la Cour de Rennes (le 8 octobre 2003).
La référence aux données de la littérature médicale est fréquemment retenue comme critère permettant d’inclure ou d’exclure un acte de l’état de l’art. Par exemple, la Cour de Besançon a écarté (par décision du 8 juin 2005) la responsabilité d’un praticien à l’occasion d’un accident « rarissime puisque l’expert n’a trouvé aucune publication identique dans la littérature. » En revanche, la Cour administrative d’appel de Paris retenait (le 12 juin 1995) la responsabilité de l’AP-HP, en raison du fait que le risque de prescription de produits sanguins concentrés non chauffés en juin 1983 constituait un risque de transmission du VIH par voie de transfusion sanguine chez les personnes atteintes d’hémophilie, dès lors qu’il ressortait du dossier « qu’à partir du mois de janvier 1983 et de façon de plus en plus précise au fil du temps, des revues médicales spécialisées françaises et étrangères, notamment le New England Journal of Medecine, The Lancet, la Lettre de la Prévention, la Revue française de transfusion et d’immuno-hématologie, en ont informé les milieux médicaux ».
La Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sur le même fondement (par arrêt du 16 décembre 2003) une action à l’encontre des Hospices Civils de Lyon lancée par une patiente qui ne produisait, à l’appui de ses affirmations critiques « aucune étude permettant de conclure que l’association de X + Y améliorait le pronostic de survie du patient » en cas de cancer du poumon.
Enfin, la Cour de cassation, dans son célèbre arrêt du 6 juin 2000 susvisé, écartant les données actuelles de la science pour retenir les données acquises, a ouvert la voie vers la prise en considération obligatoire des publications scientifiques, dans un arrêt dans lequel elle affirme clairement : « Il est raisonnable de ne fonder une condamnation que sur l’absence de prise en compte de connaissances médicales datant de plusieurs années, ayant fait l’objet de publications dans différents pays, étant utilisées dans de nombreux centres publics ou privés, étant prises en charge par les organismes de sécurité sociale et, si possible, ayant été validées par des conférences de consensus ». Ce faisant, elle écartait des travaux récents de spécialistes américains invoqués contre un médecin qui n’en avait pas tenu compte.
Le Conseil d’Etat en revanche a annulé en 2001 une décision du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) ayant sanctionné un confrère « en se fondant uniquement sur l’absence d’expérimentation en France, sans rechercher quelle était l’opinion de la communauté scientifique internationale ». Il était reproché au CNOM de n’avoir pas examiné l’ensemble des données scientifiques propres à établir sa conviction (Conseil d’Etat, 19 octobre 2001).
Devant les tribunaux, chaque partie fait valoir le résultat de sa propre recherche documentaire en ne sélectionnant que ce qui est favorable à son argumentation en demande ou en défense. Le problème est que les magistrats ne sont pas formés pour évaluer la pertinence des différents articles invoqués par les antagonistes, qui auront chacun interrogé leurs banques de données préférées (Medline, Healthstar, Embase, Pascal, Cochrane Database, etc.), outre celles spécifiques à la discipline concernée.
Les magistrats peuvent être aussi sensibles à une position émise dans un résumé de congrès, un document gouvernemental, une étude non publiée mais émanant de l’équipe connue d’un CHU, un rapport ou tout autre document non conventionnel : c’est ce qu’on appelle la « littérature grise », dont la prévalence jurisprudentielle constitue un danger en l’absence d’évaluation préalable par le juge de la pertinence des sources ainsi retenues.

De la littérature grise au rapport d’expertise,
en passant par l’évidence scientifique
En oncologie, les SOR, élaborés depuis 1993 par la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, sont définis par leur degré de fiabilité : Standard, Option ou Recommandation. La FNCLCC souligne que les SOR sont un guide et non un mécanisme d’évaluation. Ils peuvent être qualifiés d’usages reconnus ou encore de bonnes pratiques en cancérologie. Décrivant les conduites les plus communément admises, ils n’ont pas de valeur absolue et ne sont pas exclusifs d’autres usages. Il s’agit d’une aide à la décision pour le praticien qui s’y réfère. Ils sont d’un usage facultatif, ne présentant aucun caractère obligatoire et ne sont assortis d’aucune sanction. Les SOR doivent présenter six qualités essentielles qui conditionnent leur pertinence : les informations y figurant doivent être sérieuses, exactes, fiables, complètes, actuelles et sécurisées, déclare la FNCLCC.
L’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES), avant la Haute Autorité de Santé (HAS), a publié un Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, en janvier 2000, que l’on trouve sur le site de cette dernière. Des grilles de lecture y sont proposées ainsi qu’une méthodologie pour l’analyse de la documentation obtenue et l’élaboration des recomman-dations.
Le niveau de preuve d’une étude (fort niveau de preuve, niveau intermédiaire ou faible niveau de preuve) en permet la classification. L’évidence scientifique est appréciée lors de la synthèse des résultats de l’ensemble des études sélectionnées s’appuyant sur :
- l’existence de données de la littérature pour répondre aux questions posées,
- le niveau de preuve des études disponibles,
- la cohérence de leurs résultats.
Si les résultats sont tous cohérents entre eux, des conclusions peuvent facilement être formulées. En cas de divergence des résultats, il appartient aux experts de pondérer les études en fonction de leur niveau de preuve, de leur nombre et, pour des études de même niveau de preuve, en fonction de leur puissance. La HAS, comme avant elle plusieurs auteurs que la place manque ici pour citer, propose ainsi d’apprécier la force des recommandations en fonction :
- du niveau d’évidence scientifique,
- de l’interprétation des experts.
L’évaluation des recommandations avant leur publication met ainsi en œuvre des instruments de « gradation » de leur pertinence, mais les publications imposent d’opérer des nuances que la jurisprudence ne prend pas systématiquement en considération.
Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des « connaissances médicales avérées », devrait donc respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition de recommandations objets d’une évaluation, d’une gradation et d’une mise à jour périodique.
Pourtant, il ne serait pas raisonnable de requérir d’un expert judiciaire, nommé pour donner un avis technique, scientifique, sur un comportement argué de faute à l’occasion d’un acte de diagnostic, de soin ou de traitement, d’emprunter les voies conseillées par la Haute Autorité de Santé pour la rédaction des recommandations de bonne pratique, ou alors il faudrait arrêter de sous-payer leurs travaux afin de leur donner les moyens d’y consacrer le temps opportun.

 

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Juillet-Août 2007
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Prescriptions hors AMM
Isabelle Lucas-Baloup

Les médecins savent que, depuis les dernières réformes du régime juridique des prescriptions hors AMM en 2011/2014, une prudence accrue s’impose.
Rapide tour d’horizon pour mieux maîtriser les risques encourus :

Un peu d’histoire :

Au commencement était « la liberté de prescription », consacrée par tous les codes de déontologie médicale (« logos » discours et « déontos » ce qu’il faut faire) depuis 1947. L’article 8 du dernier d’entre eux (décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004) prévoyait : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. ». Le principe demeure sous l’article R. 4127-8 du code de la santé publique, mais un peu modifié puisqu’il est ajouté parmi les limites, après la loi : « et compte tenu des données acquises de la science », un concept que la jurisprudence doit définir au regard du droit des patients à recevoir des soins « les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées » comme il est écrit à l’article L.1110-5 du même code depuis la Loi Kouchner. Mais revenons à la liberté de prescription : l’article L.162-2 du code de la sécurité sociale rappelle qu’elle relève des principes déontologiques « fondamentaux », au même titre que le libre choix du médecin par le malade, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade et la liberté d’installation du médecin, consacrés par une célèbre loi promulguée par le Président Georges Pompidou le 3 juillet 1971 relative aux rapports entre les caisses d’assurance maladie et les praticiens et auxiliaires médicaux.
Comme la France est le pays des Libertés affirmées par les parlementaires mais très vite encadrées par les ministères, sont apparues rapidement « les restrictions au principe de la liberté de prescription, dans l’intérêt de la santé publique », par voie de décrets dans une démarche vivement contestée que le Conseil d’Etat a néanmoins validée dans un arrêt Syndicat des médecins d’Aix du 16 février 1996. La liberté de prescription a ainsi été écartée notamment pour les médicaments soumis à la réglementation des substances vénéneuses, puis pour les médicaments soumis à prescription restreinte.
Aucun texte n’interdisait purement et simplement à un médecin de prescrire un médicament en dehors du champ de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’AFSSAPS, devenue l’ANSM, dans les conditions des article L. 5121-8 et R. 5142-20 à -29 du code de la santé publique, prévoyant aussi des autorisations temporaires d’utilisation délivrées par l’Agence, pour effectuer des prescriptions hors AMM - ATU dites « de cohorte » ou de « pré-AMM » - lorsque le laboratoire invoquait des résultats d’essais thérapeutiques laissant présumer fortement l’efficacité et la sécurité du médicament. Des ATU dites « nominatives » permettaient par ailleurs à un médecin d’obtenir à sa demande une autorisation pour des malades nommément désignés et de prescrire un médicament sans AMM en cas de maladie grave ou rare lorsqu’il n’existait pas de traitement approprié, mais « sous la responsabilité du médecin traitant » (article L. 5121-12, CSP). Une procédure particulière était également prévue pour utiliser des médicaments en cours d’essais cliniques dans le cadre de la recherche biomédicale (décret n° 90-872 du 2è septembre 1990).
Ces procédures d’ATU ne sont pas applicables à des médicaments ayant déjà reçu une AMM dans une ou d’autres indication(s).

C’est dans ce contexte légal et réglementaire que les médecins ont développé des prescriptions en dehors des AMM, en exposant leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire dès que le traitement s’avère discutable à l’égard du patient, soit qu’il lui ait été proposé comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé insuffisamment éprouvé (article R. 4127-39 CSP) en lui faisant alors courir un risque injustifié (article R. 4127-40), soit qu’il ait été prescrit en dehors des fameuses « données acquises » de la science (article R. 4127-32).

Jusqu’en 2011, on vient de le voir, la prescription hors AMM relevait de la liberté de prescription et n’était pas expressément autorisée sans être pour autant interdite.


La réforme de la prescription hors AMM :

Trois lois ont successivement modifié le régime des prescriptions hors AMM :

- la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 (article 18),
- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 (article 57),
- et enfin la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, n° 2014-892 du 8 août 2014 (article 10).

La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, intervenue dans le contexte de l’affaire du Médiator, a d’abord développé des charges opposables aux laboratoires qui doivent contribuer au bon usage des médicaments qu’ils commercialisent en veillant à ce qu’ils soient prescrits conformément à leur autorisation (AMM, ATU, AIP, enregistrement ou RTU), en prenant toutes les mesures d’information vis-à-vis des prescripteurs et en informant l’ANSM lorsqu’ils constatent des prescriptions non conformes au bon usage de leurs spécialités.


Les conditions actuelles de la prescription hors AMM :

L’article L. 5121-12-1 du CSP, dans sa dernière version issue de la loi du 8 août 2014, encadre très strictement les prescriptions hors AMM :



« I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l’absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, sous réserve qu’une recommandation temporaire d’utilisation établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l’utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d’utilisation et que le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.
En l’absence de recommandation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu’en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.

« II.- Les recommandations temporaires d’utilisation mentionnées au I sont établies pour une durée maximale de trois ans, renouvelable. Elles sont mises à disposition des prescripteurs par le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché ou par l’entreprise qui assure l’exploitation de la spécialité concernée.

« III.- Le prescripteur informe le patient que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son autorisation de mise sur le marché, le cas échéant de l’existence d’une recommandation temporaire d’utilisation, des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament et porte sur l’ordonnance la mention : « Prescription hors autorisation de mise sur le marché » ou, le cas échéant, « Prescription sous recommandation temporaire d’utilisation ».
Il informe le patient sur les conditions de prise en charge, par l’assurance maladie, de la spécialité pharmaceutique prescrite dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées.
Il motive sa prescription dans le dossier médical du patient. […] »



Schématiquement, on peut résumer ainsi les conditions de prescription hors AMM :

Principe : La prescription d’une spécialité pharmaceutique doit être conforme à son AMM ou ATU.

Dérogations : La prescription non conforme à l’AMM est possible :

1er cas :
? en l’absence de spécialité
(disposant d’une AMM ou ATU dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées)
o de même principe actif,
o de même dosage,
o et de même forme pharmaceutique,

? si RTU établie par l’ANSM dans cette indication,

? et que le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique et son patient.

2ème cas :
? si absence d’alternative médicamenteuse appropriée,
et pas de RTU publiée par l’ANSM :

? il faut que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique et son patient.

? En l’absence de RTU le prescripteur a donc la charge de la preuve des données acquises de la science qui l’ont conduit à juger « indispensable » cette prescription dans l’intérêt du patient.

Les recommandations temporaires d’utilisation (RTU) :

L’article R. 5121-76-1 (tel que modifié par un décret n° 2014-1703 du 30 décembre 2014) prévoit que les RTU sont élaborées par l’ANSM lorsque deux conditions sont réunies :
- l’existence d’un besoin thérapeutique dans l’indication concernée,
- et un rapport bénéfice/risque du médicament présumé favorable.

Elles sont publiées sur le site de l’ANSM, qui en présente en octobre 2015 moins d’une dizaine, octroyées en 2014-2015 :

o Avastin (bevacizumab)
o Cicardin (mélatonine)
o Lioresal (baclofène)
o Rémicade (infliximab)
o Spécialités orales à base de vérapamil
o Thalidomide Celgene (thalidomide)
o Velcade (bortézomib),

c’est dire qu’en gynécologie-obstétrique les médecins qui prescrivent en dehors des AMM, sans RTU, sont exposés à devoir apporter la preuve qu’il n’existait pas d’alternative médicamenteuse appropriée, que la molécule utilisée dans cette indication était indispensable dans l’intérêt supérieur du patient et ce conformément aux données acquises de la science.


Les données acquises de la science et les connaissances médicales avérées :

La pratique des expertises judiciaires depuis trente ans me permet d’affirmer que rien n’est moins certain que « les données acquises de la science » et leur prise en considération – ou pas – par les tribunaux jugeant la responsabilité des prescripteurs ou par les instances disciplinaires professionnelles. L’état de l’art, en médecine, relève d’une approche subjective et non objective, à l’occasion de cas particuliers qui, selon la qualité des experts, avocats et magistrats intervenus, classera un acte dans ou hors les données « acquises » de la science…
Comme aujourd’hui pour la définition des « connaissances médicales avérées » (article L. 1110-5, CSP), aucune méthodologie n’est fixée pour établir les données acquises, si le patient se considérant victime d’une prescription fautive en demande réparation.
La Cour de cassation a écarté les données « actuelles » de la science par un arrêt du 6 juin 2000, alors que de nombreuses juridictions employaient indifféremment les adjectifs « acquis » et « actuels » depuis 1946. En conséquence, le caractère d’actualité d’une donnée médicale ne suffit pas à l’imposer comme critère d’une pratique médicale de référence que le prescripteur peut utiliser.
Depuis que la loi du 4 mars 2002, source de droit supérieure dans la hiérarchie des normes au dernier décret de déontologie médicale de 2004, permet au patient de revendiquer des prescriptions conformes aux connaissances médicales « avérées », ce qui signifie « reconnues comme vraies, authentiques après examen, attestées » (cf. www.cnrtl.fr), il est singulier que, malgré la réforme en 2014 de l’article L. 5121-12-1 qui organise les prescriptions hors AMM, demeure le renvoi aux données « acquises » de la science.
Les « données acquises de la science » et les « connaissances médicales avérées » ne constituent évidemment pas deux référentiels identiques. Sémantiquement, les données sont des faits, des observations, qui vont servir à un raisonnement, alors que la connaissance est personnelle et subjective. C’est la connaissance du professionnel qui lui permet de prescrire, plus que les seules données auxquelles il a accès. En fonction de sa spécialité, de son expérience, de son savoir-faire, de sa compétence, il va prendre en considération les données pour compléter sa connaissance et décider d’une prescription éventuellement hors AMM, dans l’intérêt supérieur du patient, primum non nocere.
Si le prescripteur entend consolider son dossier, il va rechercher des recommandations ou publications dans des revues à comité de lecture qui conforteront son projet de prescription en lui donnant une preuve forte de sa pertinence : la Haute Autorité de Santé a publié un Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations (ancien mais toujours utile, janvier 2000) où l’on trouve des grilles de lecture pour l’analyse de la documentation obtenue et le niveau de preuve des études (fort-intermédiaire-faible). Mais le recours à l’evidence-based medecine n’est pas systématiquement pratiqué par nos experts qui communiquent souvent aux magistrats les ayant désignés des « rapports » dans lesquels les conclusions sont plus longues que les références sérieuses fondant leur opinion, ce qui a permis le développement de la « littérature grise » dont la prévalence jurisprudentielle constitue un danger en l’absence d’évaluation préalable de la pertinence des sources ainsi retenues (publication non contrôlée, document émanant de professionnels non indépendants etc.). Il est ainsi toujours possible de trouver un expert qui soutiendra le contraire d’un de ses collègues et jettera le doute sur la qualité d’une référence scientifique pourtant bien classée, devant des magistrats qui ne connaissent pas les règles de classification.

En gynécologie-obstétrique comme dans les autres spécialités médicales, des débats ont lieu sur l’usage hors AMM de certains médicaments. Ainsi par exemple des travaux sont conduits après le communiqué de l’ANSM mettant en garde les gynécologues-obstétriciens contre les risques liés à l’utilisation hors AMM du misoprostol dans le déclenchement artificiel de l’accouchement, alors que l’AMM concerne essentiellement le traitement de l’ulcère gastrique ou duodénal évolutif. D’autres travaux semblent en cours, sur les inhibiteurs calciques dans la tocolyse, le méthotrexate dans le traitement de la grossesse extra-utérine, ou les macroprogestatifs utilisés en contraception (cf. Collège national des gynécologues et obstétriciens français, CNGOF).

Il est vivement conseillé de ne pas prescrire hors AMM sans un solide dossier le permettant. En effet, mettre à la charge du médecin responsable d’une prescription hors AMM la preuve qu’il a « jugé indispensable au regard des données acquises de la science » le recours à la spécialité litigieuse contraint celui-ci à très sérieusement s’assurer par anticipation de la preuve de la qualité des motifs qui le conduisent à cette prescription, à en conserver la trace et en informer le patient :

Information renforcée du patient :

Le prescripteur doit informer le patient :

? que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son AMM,
? le cas échéant de l’existence d’une RTU,
? des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament,
? et porte sur l’ordonnance la mention : « Prescription hors autorisation de mise sur le marché » ou, le cas échéant, « Prescription sous recommandation temporaire d’utilisation »,
? des conditions de prise en charge, par l’assurance maladie, de la spécialité pharmaceutique prescrite dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées.

En cas de conflit, c’est au gynécologue-obstétricien qu’incombe la charge de la preuve qu’il a dispensé cette information, qu’elle a été comprise par la patiente et que celle-ci, bien informée, a dûment accepté la prescription hors AMM.

A défaut, la patiente – même sans préjudice subi – pourra obtenir des dommages et intérêts du seul chef de la carence du prescripteur dans la délivrance de l’information due (cf. arrêt Cassation civile 1ère ch., 23 janvier 2014, Gyneco online, mars 2014).

La patiente peut également reprocher à son gynécologue une absence de prise en charge par l’assurance maladie obligatoire du traitement prescrit hors AMM qui ne lui aurait pas été signalée, ou qu’elle n’aurait pas comprise. Si bien qu’on peut se demander si, toutes choses étant ce qu’elles sont par ailleurs, l’information renforcée imposée par l’article L. 5121-12-1, § III, ne doit pas conduire le praticien à exiger la signature d’un document écrit d’information et de consentement, compte tenu des risques judiciaires encourus.


Dans les établissements de santé :
le contrat de bon usage enregistre les prescriptions hors AMM

Parallèlement, au sein des établissements de santé publics, privés et ESPIC, a été mis en œuvre (article L. 162-22-7, CSS) un contrat-type de bon usage des médicaments et dispositifs médicaux (CBU), incorporé au contrat d’objectifs et de moyens conclus avec l’agence régionale de santé dont relève l’établissement, afin notamment d’améliorer les conditions de prescription (cf. décret du 27 septembre 2013 et instruction du 10 décembre suivant), en fixant des indicateurs et critères d’évaluation parmi lesquels il est tenu compte :
- du taux de prescription dans le cadre de l’AMM,
- du taux de prescription dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU),
- du taux de prescription dans le cadre du hors AMM hors RTU.

Lorsque le CBU n’est pas respecté, la part prise en charge par l’assurance maladie de certains médicaments, dispositifs médicaux et prestations peut être réduite dans la limite de 30% en tenant compte des manquements constatés.


Nul praticien, administration de tutelle ou association de patients ne peut contraindre un laboratoire à demander à l’ANSM une extension à d’autres indications de l’AMM d’un médicament déjà mis sur le marché, même si son efficacité est démontrée. Les raisons des laboratoires sont diverses et on sait les prescriptions hors AMM appelées à se développer. Les prescripteurs devront également multiplier leurs efforts pour se prémunir des preuves indispensables à prouver qu’ils ont satisfait aux obligations nouvelles rendues opposables par les trois réformes récentes du code de la santé publique à ce titre.

Gynéco-Online - Octobre 2015
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Recommandation de bonne pratique HAS sur la césarienne programmée à terme (janv. 2012) Quelle opposabilité en cas de procédure judiciaire ?
Isabelle Lucas-Baloup

Les recommandations de bonne pratique (RBP) interpellent les professionnels concernés, qui y trouvent souvent, à leur première lecture, matière à évoquer divers cas de leur expérience personnelle à l’occasion desquels ils considèrent avoir eu raison de ne pas mettre en œuvre ce qui est aujourd’hui « recommandé », ou (?) « imposé »… La HAS vient de publier, en janvier 2012, ses Recommandations sur les indications de réalisation d’une césarienne programmée. Doivent-elles être respectées à la lettre, ou le gynécologue-obstétricien conserve-t-il une marge de liberté dans sa prise en charge de la parturiente ?

Sur quels fondements interviennent ces recommandations ?

La Haute Autorité de Santé est une autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale chargée notamment d’élaborer des guides de bon usage des soins et des recommandations de bonne pratique, de procéder à leur diffusion, de contribuer à l’information des professionnels de santé et du public dans ces domaines, et d’établir et mettre en œuvre des procédures d’accréditation des professionnels de santé (articles L. 161-37 et suivants et R. 161-72 du code de la sécurité sociale).

Au titre de sa mission d’accréditation des médecins exerçant en établissements de santé, la Haute Autorité de Santé est chargée (par l’article L. 1414-3-3 du code de la santé publique) d’élaborer, avec les professionnels et les organismes concernés, selon des méthodes scientifiquement reconnues, ou de valider, des référentiels de qualité des soins et de pratiques professionnelles, de diffuser ces référentiels et de favoriser leur utilisation par tout moyen approprié et d’organiser la procédure d’accréditation des médecins ou des équipes médicales au regard des référentiels de qualité des soins et des pratiques professionnelles en veillant à la validation des méthodes et à la cohérence des initiatives relatives à l’amélioration de la qualité dans le domaine de la prise en charge des patients.

En l’espèce, la HAS a été saisie par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour élaborer une recommandation de bonne pratique sur le thème des indications de réalisation d’une césarienne programmée, visant à répondre aux questions suivantes : 

- quelles sont les indications de la césarienne programmée ? 

- quelles sont les informations à transmettre à la femme enceinte lorsqu’une césarienne programmée est envisagée ?

Les recommandations sont à lire sur le site de la HAS (www.has-sante.fr).


Les Recommandations de bonne pratique clinique sur les
« Indications de la césarienne programme à terme » publiées en janvier 2012 par la Haute Autorité de Santé :

Les indications de la césarienne programmée sont les suivantes :

- utérus cicatriciel,
- grossesse gémellaire,
- présentation par le siège,
- macrosomie,
- transmissions mère-enfant d’infections maternelles,
- et quatre autres indications (à discuter au cas par cas, en particulier : défaut de placentation, malformations fœtales et fœtopathies, antécédents et pathologies maternelles intercurrentes et problèmes périnéaux).

La HAS rappelle qu’un médecin peut décliner la réalisation d’une césarienne sur demande, à condition d’orienter la patiente vers un de ses confrères, en rappelant que la demande maternelle n’est pas en soi une indication à la césarienne et qu’il est recommandé de rechercher les raisons spécifiques à cette requête, de les discuter et de les rapporter dans le dossier médical.

Une deuxième partie des recommandations est consacrée aux informations à transmettre à la femme enceinte lorsqu’une césarienne programmée est envisagée et un document d’information destiné aux femmes enceintes est proposé en annexe des recommandations.

La définition de la césarienne programmée retenue dans ces recommandations est la césarienne programmée à terme (après 37 semaines d’aménorrhée), non liée à une situation d’urgence apparaissant en dehors du travail ou au cours du travail.

Sont exclues du champ de ces recommandations :

- les indications d’une césarienne programmée avant terme (< 37 SA) ;
- les indications d’une césarienne liée à une situation d’urgence apparaissant avant le travail ou au cours du travail.

Une césarienne programmée peut être réalisée en urgence antérieurement au terme initialement prévu.


Pertinence et opposabilité des RBP :

Les RBP sont normalement des synthèses de l’état de l’art et des données de la science à un temps donné, élaborées selon une méthode résumée dans l’argumentaire scientifique qui les accompagne et décrites dans le guide méthodologique de la HAS disponible sur son site à la rubrique « Elaboration de recommandations de bonne pratique, Méthode Recommandations pour la pratique clinique ».

La Haute Autorité de Santé a publié, en décembre 2010, un guide méthodologique d’élaboration des RBP, qu’on trouve également sur son site, décrivant le déroulement de l’élaboration d’une RBP :
- constitution du groupe de travail et du groupe de lecture,
- phase de revue systématique et de synthèse de la littérature,
- rédaction de la version initiale des recommandations,
- phase de lecture,
- phase de finalisation.

La pertinence d’une recommandation dépend du niveau de preuve scientifique fourni par la littérature classée en niveaux (le niveau 1 étant le plus fort, le niveau 4 traduisant des études comportant des biais importants) qui conduisent à donner aux recommandations un grade de pertinence :

- grade A : preuve scientifique établie,
- grade B : présomption scientifique,
- grade C : faible niveau de preuve.


Comme tout médecin, un gynécologue-obstétricien « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » en application de l’article R. 4127-32 du code de la santé publique (ancien article 32 du code de déontologie médicale).

Devant le juge, le débat a eu lieu sur le thème « données acquises de la science » versus « données actuelles de la science » : dans un arrêt du 6 juin 2000, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que l’obligation pesant sur un médecin est de donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date des soins et qu’il n’y a pas lieu de se référer à la « notion erronée de données actuelles », laquelle est inopérante.

C’est également le sens de la loi Kouchner qui a introduit un nouvel article L. 1110-5 dans le code de la santé publique visant les « thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées ».

L’état de l’art au moment du soin litigieux devra prendre en considération, en conséquence, diverses sources et, en pratique quotidienne, le médecin doit tenir compte d’une masse d’informations communiquées non seulement par ses professeurs, ses maîtres, pendant ses études, complétées par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment, mais également ses lectures des revues spécialisées, françaises et internationales, ce qu’il a retenu de ses participations aux congrès professionnels dans sa discipline, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires ayant pour objet de divulguer les recommandations émanant des organismes parapublics et agences (Haute Autorité de Santé mais également Institut national du Cancer, Conseil supérieur de l’Hygiène Publique de France, Afssaps devenue l’Ansm pour les dispositifs médicaux et les médicaments, Comité Technique National des Infections Nosocomiales et des Infections Liées aux Soins en hygiène, etc.) mais aussi des recommandations émanant des sociétés savantes.
Mais cette obligation est à mettre en œuvre en tenant compte également des dispositions de l’article R. 4127-8 du même code : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. […] Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

Dès lors, en cas de mise en cause de sa responsabilité professionnelle, le médecin devra convaincre ses pairs, systématiquement nommés pour conduire une expertise de sa prescription ou de ses choix et gestes pour le patient concerné. On passe alors de l’état de l’art médical à l’art judiciaire :

Quelle opposabilité en cas de procédure judiciaire :

L’état de l’art médical, en jurisprudence, est une notion très protéiforme.

Dans un monde parfait, on pourrait imaginer que l’état de l’art est une notion objective. Dans la réalité des hôpitaux et des palais de justice, chacun vient avec sa vérité, ses sources de ses banques de données préférées et l’évidence scientifique manque parfois d’évidence juridique.

On trouve alors des motivations de jugements et d’arrêts retenant ou écartant une pratique au bénéfice de commentaires variés. Quelques exemples :

- la Cour de Rennes a jugé, dans un arrêt du 8 octobre 2003 : « L’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation du médecin dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles » ;

- « L’absence de consensus scientifique » ne permet pas la condamnation du médecin, a jugé la Cour de cassation le 25 novembre 2010 ;

- la Cour de Douai a pris en considération, dans un arrêt du 2 février 2006, les « recommandations du jury d’une conférence de consensus » pour condamner un médecin ;

- la Cour de Toulouse a visé, par arrêt du 18 janvier 2010, la violation du respect « des recommandations consensuelles » ;

- un médecin a été condamné par la Cour de Rouen, le 17 mars 2010, l’arrêt retenant qu’il « ne pouvait ignorer les recommandations de la Haute Autorité de Santé » ;

Bien sûr, les juridictions d’une manière constante visent « la littérature médicale », « la doctrine médicale diffusée et disponible », et les « études que le médecin ne pouvait ignorer en sa qualité de spécialiste ».

Une bonne décision doit être motivée, qu’elle soit médicale ou judiciaire. Il est regrettable que certains rapports d’expertise procèdent par affirmations péremptoires et ne citent pas les « recommandations professionnelles » qu’ils visent parfois sans en préciser l’auteur, la date, et surtout sans égard à la gradation de leur pertinence.

Il sera utile aux gynécologues-obstétriciens d’observer, à ce titre, le classement de ses recommandations par la HAS sur les indications de la césarienne programmée à terme : essentiellement de grade « C », donc de faible niveau de preuve, permettant aux praticiens une discussion scientifique au cas par cas, plus facile que pour les Recommandations de grade « A ».

Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des connaissances médicales avérées, devrait utilement respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition des recommandations.

Les experts nommés n’en ont pas toujours la compétence et, lorsqu’ils l’ont, certaines affaires et le niveau de rémunération qui leur est réservé, ne permettent pas systématiquement de se livrer à une méthodologie expertale et une analyse des publications et recommandations tracées, prouvées, mises à la disposition des parties et de la juridiction devant statuer.

C’est la raison pour laquelle il ne suffira pas à un gynécologue-obstétricien de critiquer par principe la recommandation en matière d’indication de la césarienne programmée mais il devra motiver son choix, le défendre par une analyse du bénéfice/risque pour cette patiente à cette date-là dans les conditions contemporaines à l’accouchement, avec discernement et références médicales à l’appui.

Une chose est certaine, le médecin devra, pendant l’expertise, être actif à la défense de ses choix thérapeutiques, avoir recherché lui-même les données expliquant sa prescription ou son geste, connaître parfaitement son dossier et se faire aider le cas échéant de confrères de sa discipline.

A noter : le Tribunal n’est jamais lié par les constatations du technicien qu’il a nommé et les conclusions d’un rapport d’expertise peuvent être écartées par un magistrat, en application de l’article 246 du code de procédure civile.

En conséquence, le débat demeure ouvert et possible, même après l’expertise contradictoire, même en présence de Recommandations de bonne pratique clinique de la Haute Autorité de Santé.

Gynéco Online - Mai 2012
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Responsabilité encourue à l’occasion d’un drilling ovarien
Isabelle Lucas-Baloup

Pas de responsabilité sans faute, en droit médical français, depuis la loi Kouchner. Le chirurgien, tenu à une obligation de moyens et non de résultat, n’aura donc pas à indemniser la patiente si ses interventions sont conformes aux données acquises de la science, ce qu’un collège d’experts déterminera. En l’absence de faute, la patiente peut tenter de faire indemniser son préjudice par l’ONIAM, sous certaines conditions.

Pas de responsabilité sans faute à l’occasion du traitement d’une patiente infertile présentant un SOPK :

Depuis la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 (loi dite Kouchner) applicable rétroactivement à compter du 5 septembre 2001 :

Les médecins et établissements de santé, publics, PSPH ou privés, ne sont responsables qu’en cas de faute (article L. 1142-1 du code de la santé publique) ;

En l’absence de faute, la patiente peut obtenir réparation auprès de l’ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux, 36 avenue du Général de Gaulle, 93175 Bagnolet cedex, www.oniam.fr) , au titre de la solidarité nationale, à la triple condition :

- que son préjudice soit directement imputable, sans faute du chirurgien, à un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale,
- qu’il constitue une conséquence anormale au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci,
- et présente un caractère de gravité apprécié en termes de perte de capacités fonctionnelles et de conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant compte notamment du taux d’incapacité permanente (>24 %) ou de la durée de l’incapacité temporaire de travail (au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois - article D. 1142-1 du CSP) .

Les tribunaux sont compétents en droit, mais pas sur l’état de l’art en options thérapeutiques pour le traitement de l’infertilité chez une patiente présentant un SOPK. Les magistrats vont donc classiquement :

- nommer un collège d’experts aux fins de les informer sur les données médicales avérées,

- analyser la situation, au vu des conclusions du rapport, et distribuer les responsabilités encourues, en prenant en considération la demande de la patiente, ou de ses ayants cause si elle est décédée, étant observé que la personne a « le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. » (article L. 1110-5 du CSP), 

- rechercher toutes recommandations de bonnes pratiques dans l’hyper-spécialité concernée (HAS, sociétés savantes, publications, conférences de consensus, etc.), susceptibles d’influencer la distribution des responsabilités.

Responsabilité du chirurgien en cas de complications consécutives à un drilling ovarien chez une patiente présentant un SOPK :

Au titre de l’indication, il appartient au chirurgien de justifier l’opportunité de son intervention. Il doit « élaborer son diagnostic avec le plus grand soin » (article R. 4127-33 du CSP) et assurer personnellement à la patiente des « soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » (article R. 4127-32 du CSP). Les juges retiendront, si les parties les invoquent et communiquent, les données de l’état de l’art publié sur la place de la chirurgie dans le SOPK. Ainsi, dès lors que les recommandations de la Haute Autorité de Santé publiées en juin 2008 sur la « Multiperforation de l’ovaire par cœlioscopie ou par culdoscopie (drilling ovarien) » mentionnent comme indication : « prise en charge de l’infertilité par anovulation dans le cadre d’un syndrome des ovaires polykystiques en cas d’échec au citrate de clomifène », une prise en charge chirurgicale sans avoir pratiqué préalablement une induction de l’ovulation par citrate de clomifène, traitement de première intention pendant 6 cycles à dose adéquate, pourra être considérée comme fautive, sauf évidemment si le chirurgien établit la pertinence des causes de cette indication apparemment en violation de la recommandation de la HAS. Il convient en effet de souligner qu’en tout état de cause le chirurgien demeure « libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance » dans les limites fixées par la loi (article R. 4127-8 du CSP), qui n’affirme à aucun moment que les recommandations de la HAS seraient impératives. On lit dans certaines publications scientifiques sur la place de la chirurgie dans le SOPK que le drilling ovarien en première intention serait une « indication à débattre ». En conséquence, ce débat peut avoir lieu devant les magistrats saisis. D’autres contre-indications sont susceptibles d’être retenues, ce sont les experts qui évalueront si elles constituaient en l’espèce, pour la patiente concernée et non en général, un obstacle dirimant ou non.

Au titre de la pratique du geste opératoire, le chirurgien est susceptible de commettre une maladresse, une erreur, une imprudence que le tribunal peut qualifier « faute » engageant sa responsabilité : choix d’une mauvaise technique, ou voie d’abord, accident électrique qui aurait pu être évité par la mise à distance des ovaires des organes de voisinage, etc. Là encore la HAS a recommandé une formation du chirurgien à la technique de la multiperforation ovarienne reposant sur une courbe d’apprentissage fixée à 5 procédures sans tenir compte de l’abord et, pour l’apprentissage des voies d’abord, une expérience de 30 procédures de cœlioscopie et 15 en fertiloscopie. Un lien de causalité pourrait être retenu, en cas de complication peropératoire apparaissant sans respect de cette contrainte, entre l’inexpérience de l’opérateur et le dommage causé. L’anesthésie peut également provoquer une complication, imputable à l’anesthésiste-réanimateur et non au chirurgien, sauf circonstances particulières (par exemple mauvaise communication entre les deux spécialistes d’éléments de nature à modifier le protocole). 

Les complications postopératoires, telles les séquelles adhérentielles, pouvaient-elles être évitées ? C’est la question que se poseront les juges pour retenir ou non la responsabilité de l’opérateur, la patiente étant en droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité au regard des connaissances médicales avérées (article  L. 1110-5 du CSP). Bien évidemment, en l’absence de faute, le seul échec de conception après drilling ovarien ne saurait engager la responsabilité de l’opérateur, tenu à une obligation de moyens et non de résultat.

En l’absence de faute, la patiente victime d’une complication du drilling ovarien devra établir l’anormalité des conséquences de l’intervention sur son état pour pouvoir saisir l’ONIAM de la réparation d’un dommage relevant éventuellement de l’aléa thérapeutique, dans les conditions exposées au premier § de cette note. L’information préopératoire que lui aura donnée le chirurgien constituera alors un élément majeur d’appréciation pour le tribunal.


Devoir d’information et modalités pratiques

L’information de la patiente doit porter, en application de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique sur : « les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». 

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressée, « par tous moyens » (article L. 1111-2, 7ème alinéa). Les moyens de preuve étant, en droit français, l’écrit, le témoignage, l’aveu, les présomptions et le serment, il est évident que le mode le plus efficace est le document écrit qui trace l’information, d’une part, le consentement de la patiente, d’autre part. Pour autant, l’écrit n’est pas obligatoire puisque le code de la santé publique prévoit qu’en cette matière la preuve peut être apportée « par tous moyens ».

En ce qui concerne le contenu de l’information, la question récurrente porte sur la quantité et la qualité des précisions : le chirurgien doit présenter une description de l’acte opératoire qu’il envisage suffisamment complète pour permettre à la patiente de donner un consentement parfaitement éclairé par les informations reçues. C’est un exercice très difficile que de rédiger un document de cette nature et ce sont souvent les sociétés savantes qui s’y emploient dans l’intérêt des médecins de la spécialité. Il convient de soumettre à la patiente un tableau objectif et quasi-complet des bénéfices/risques de l’intervention envisagée, qui ne pourra cependant pas être exhaustif, sauf à être trop long ou trop scientifique, donc inefficace car vraisemblablement non compris et déstabilisateur. La patiente le plus souvent « fait confiance » au conseil de son chirurgien et adoptera sa recommandation qui deviendra sa propre décision ; si tout se passe bien c’est suffisant, mais en cas de complication et à défaut de traces permettant d’établir sur quoi a porté l’information - et donc le consentement – les parties seront opposées en fait, le consentement sera affirmé « vicié » par une information incomplète ou prétendument « uniquement favorable à l’acte proposé, sans réserves et sans informations sur les alternatives thérapeutiques », affirmera la demanderesse à l’indemnisation. Dès lors que la preuve contraire incombe au chirurgien, s’il est défaillant dans cette démarche, le dossier se complique à son égard. De l’aléa thérapeutique nous passons à l’aléa judiciaire, avec son cortège de preuves par présomptions… comment fait-il d’habitude, etc. La magistrature s’est féminisée et je témoigne aves mes trente années d’expérience en droit de la santé que les juges réfléchissent plus volontiers en s’assimilant à « la victime » plutôt qu’au chirurgien auteur direct ou indirect d’une complication chirurgicale… La prudence conduit donc à faire signer un document écrit, la loi ne l’impose pas. 

Enfin, l’information sur les « autres solutions possibles » requiert parfois le concours d’un consultant fiviste vers lequel le chirurgien invitera la patiente à se diriger afin qu’elle soit certaine d’avoir ainsi reçu une information complète, en droit conforme aux dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique. 

La relation entre l’information et l’indemnisation au titre de l’aléa thérapeutique, si le préjudice est grave sans avoir pour origine une faute du chirurgien, a été soulignée supra, au regard de la normalité ou de l’anormalité des conséquences. 

Responsabilité du Fiviste face à une complication de type hyperstimulation ovarienne chez une patiente qui ne s’est pas vu proposer le drilling ovarien avant la FIV :

Les mêmes textes de droit commun que ceux décrits pour la responsabilité du chirurgien s’appliquent au fiviste, au titre de l’indication, de la pratique du geste et des complications postopératoires, de leur diagnostic et leur traitement. 
Pour répondre plus précisément, mais en quelques mots seulement, à la responsabilité encourue par le fiviste, il est évident qu’une information adaptée doit avoir été communiquée à la patiente dès lors que le risque d’hyperstimulation ovarienne s’avère particulièrement élevé dans l’OPK et peut – exceptionnellement – menacer le pronostic vital. Au titre des indications et de l’analyse des facteurs de risques, comme au titre des doses de gonadotrophines, le fiviste doit être en mesure de justifier de ses décisions et protocoles, lesquels seront analysés par les experts en cas de complication et de procédure. Le diagnostic précoce de l’hyperstimulation ovarienne et la prise en charge par un traitement adapté constituent des éléments dont le tribunal tiendra compte pour définir si le fiviste est fautif ou non, à « low dose » ou plus lourdement !... 
L’absence de jurisprudence publiée conduit à penser que la responsabilité du fiviste est rarement recherchée.

Dialogue en Gynécologie - n° 4 - 2010
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