Base de données - GHT

GHT et mouvements de personnels en perspective :
Jonathan Quadéri

    Depuis la loi de Santé du 26 janvier 2016 (article 107) et le 1er juillet suivant, « chaque établissement public de santé, sauf dérogation tenant à sa spécificité dans l'offre de soins territoriale, est partie à une convention de groupement hospitalier de territoire » (GHT), outil de coopération dénué de la personnalité morale et ayant pour objet, d’après l’article L. 6132-1 du code de la santé publique (CSP), la mise en œuvre d’une « stratégie de prise en charge commune et graduée du patient, dans le but d'assurer une égalité d'accès à des soins sécurisés et de qualité », une « rationalisation des modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d'activités entre établissements ». Une liste de 150 GHT constitués en France au 19 juillet 2016 figure sur le site social-sante.gouv.fr et leurs détails sur celui des agences régionales de santé (ARS) concernées. Un budget de 10 millions d’euros a été annoncé par la Ministre de la Santé « pour accompagner la réforme ».

   Sont a minima élaborés, et le cas échéant transmis pour approbation à ou auxdites agences territorialement compétentes, une convention constitutive (pour 10 ans), un règlement intérieur, deux projets partagés, respectivement, médical (pour 5 ans) et de soins, un schéma directeur du système d'information.

   Selon le II. de l’article L. 6132-2 du CSP, cette convention définit, entre autres, les délégations éventuelles d'activités à l’établissement dit « support » (à la tête) du groupement, si besoin des transferts d'activités de soins ou d'équipements de matériels lourds entre les parties, leur organisation, et « la répartition des emplois médicaux et pharmaceutiques » ainsi que « les modalités de constitution des équipes médicales communes et, le cas échéant, des pôles interétablissements ».

   On devine tout de suite les conséquences que ce nouveau type de « super hôpital » (sans personnalité juridique néanmoins) ou d’hyper réseau d’hôpitaux est susceptible d’engendrer sur la carrière des personnels et agents qui y sont employés.

   En l’état actuel de la réglementation, il est prévu que les établissements parties aient ou organisent nécessairement en commun des « fonctions mutualisées » de « système d'information hospitalier convergent » (cf. identifiant patient unique) et de « département de l'information médicale de territoire » (DIM, pour les connaisseurs), d’achats (passation des marchés, contrôle de gestion, approvisionnement, sauf produits pharmaceutiques, etc.), de formation et de développement professionnel continu de leurs personnels (projets et ressources pédagogiques, politique de stages, etc.) mais, aussi, « d'imagerie diagnostique et interventionnelle », de « biologie médicale » et, dans un avenir proche, de « pharmacie ». Ici, sont clairement visés les praticiens hospitaliers.

   De plus, insidieusement présenté comme un libre choix par le Législateur, l'établissement support du GHT peut également gérer, pour les parties, « des activités administratives, logistiques, techniques et médico-techniques ».

   Enfin, il existe désormais une procédure simplifiée de cession des autorisations sanitaires (médecine, chirurgie, scanner, etc.) entre membres, inscrite à l’article R. 6132-24 du CSP. Là, on tend dangereusement vers les regroupements de sites, dans une perspective progressive ou programmée de fusion des structures.

   Il est certain que nous devrions très vite assister à un véritable chambardement du paysage, de l’économie et des pratiques aujourd’hui connus du secteur public hospitalier, fort de ces leviers de transformation, habillés quant à eux, sur le terrain des ressources humaines, par la mise en place de pôles interétablissements et d’équipes médicales communes.

   Ces pôles sont mentionnés à l’article R. 6146-9-3 du CSP (leur mode de gestion diffère peu des « intraétablissements », hormis cette dimension territoriale). En revanche, la lecture des dispositions codifiées aux L. 6132-1 à -7 et R. 6132-1 à -24 dans le même code, encadrant les GHT, n’apprend quasiment rien sur les équipes dont s’agit, en particulier sur les conditions d’exercice y afférentes, si ce n’est que leurs « principes d'organisation territoriale » doivent être décrits dans le projet médical partagé.

   Le corps médical (et avec lui paramédical) a probablement raison d’exprimer ses inquiétudes et est légitime à s’interroger sur le sort qui va pouvoir être réservé à de nombreux agents, les risques de suppression de postes, de changements d’affectation, de mises à disposition ou de recherches d’affectation auprès du Centre National de Gestion sont grands.

   Certains diront que cette voie ouverte vers la « rationalisation », notamment des effectifs, est salvatrice en ce domaine où les finances des hôpitaux sont parfois moribondes. Certes, mais de l’autre côté il est question de médecins, de pharmaciens, de biologistes, de sages-femmes, d’infirmiers et d’autres personnels soignants et administratifs, non responsables de la politique suivie par leur établissement, qui ont construit leur vie sociale et familiale à proximité et ne souhaitent pas la voir dégradée du chef d’un GHT.

   A ce jour, les statuts régissant les praticiens hospitaliers (temps plein, temps partiel, contractuels, assistants, etc.) n’ont pas été modifiés depuis la loi du 26 janvier 2016, de sorte que trouvent à s’appliquer, dans ces situations de mouvements de personnels, les procédures de droit commun existantes, comme celles relatives aux modalités de nomination et d’affectation de ces professionnels au sein de pôles.

   Ces règles sont précises et l’intéressé tient d’elles des garanties essentielles dont la méconnaissance, par l’Administration, peut conduire le Juge à prononcer l’annulation pure et simple de la mesure qui lui est déférée.

   Les plus heureux trouveront certainement dans les GHT l’occasion d’obtenir de nouvelles responsabilités, d’accéder à d’autres fonctions, mais les chances qu’il y ait une majorité de déçus, pas toujours pour des raisons ou des motifs valables, sont réelles. Dans ce cas, le passé a démontré que la meilleure défense était quelques fois l’attaque...

La Lettre du Cabinet - Août 2016


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