Base de données - Télécardiologie

Télécardiologie : aspect médico-légaux
Isabelle Lucas-Baloup

Le Groupe Stimulation Cardiaque de la Société Française de Cardiologie a organisé, le 19 mars 2004, une réunion à l'occasion de laquelle j'ai été invitée à aborder les aspects médico-légaux de la " Télécardiologie et systèmes d'assistance en stimulation cardiaque ". En raison de la pertinence des questions posées par les cardiologues présents, il est apparu utile de préciser dans ce numéro de StimuCoeur plusieurs des réponses communiquées.

Les deux principaux systèmes proposés sur le marché, la téléassistance de Medtronic, d'une part, la télécardiologie de Biotronik, d'autre part, présentent des caractéristiques très différentes, et, par voie de conséquence, mettent en oeuvre des principes non identiques de responsabilité.

Ce qui suit n'aborde, pour éviter juridiquement toute ambiguïté dans les réponses, que le système de monitorage à distance " Téléc@rdiologie " de Biotronik.


" Quelle information au patient ? "


La loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, a renforcé les droits du patient à obtenir une information totale, dans les termes de l'article L. 1111-2 introduit au code de la santé publique :

" Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. […] ".


Cette nouvelle technologie impose au cardiologue d'expliquer d'une façon " claire, loyale et appropriée ", pour reprendre les termes de son code de déontologie (article 35), le système de monitorage à distance proposé, c'est-à-dire ce qu'il fait, mais aussi ce qu'il ne fait pas :

- ce qu'il fait : le stimulateur/défibrillateur envoie, grâce à un appareil complémentaire remis au patient, au cardiologue, par le réseau de téléphonie mobile, via un centre qui reçoit et décrypte, les informations, enregistrées dans sa mémoire, ce qui permet au médecin de mieux surveiller le rythme cardiaque et d'être prévenu d'un évènement, médical ou technique, sans attendre la prochaine consultation prévue ; c'est donc un système de détection précoce d'un évènement ;
- ce qu'il ne fait pas : ce n'est ni un système d'alerte ni un système d'urgence. Il ne permet pas non plus au médecin d'agir immédiatement ou d'intervenir directement à distance sur le stimulateur/défibrillateur. Il ne se substitue pas à la consultation du patient par le cardiologue. En cas d'urgence ou de doute, il ne dispense pas le patient d'appeler les secours.


" Quel consentement ? "

Le consentement, c'est l'accord exprès que donne le patient dûment informé. Généralement, l'accord peut être verbal ou écrit. Le droit de la santé prévoit certains cas où le consentement doit être obligatoirement donné par écrit, par exemple la loi Huriet impose un consentement écrit en matière de recherches cliniques.

Même lorsque la confirmation écrite du consentement n'est pas obligatoire, elle facilite, ultérieurement en cas de besoin, la preuve de l'accord donné par le patient. C'est la raison pour laquelle l'écrit est de plus en plus recommandé (y compris par vos assureurs).

En l'espèce, il m'apparaît totalement indispensable que les cardiologues soient extrêmement fermes sur ce point : le patient qui refuse de signer le document contractuel prouvant à la fois l'information reçue et son consentement ne doit pas bénéficier du système. Ce principe doit être appliqué strictement et simplement. En effet, la télécardiologie constituant une prestation nouvelle qui n'entre pas encore dans la définition habituelle des obligations légales, réglementaires et déontologiques, son encadrement juridique doit être systématique au moment de la mise en oeuvre du système de monitorage à distance.


" Quelle est la responsabilité du médecin s'il ne prend pas connaissance d'un évènement qui lui est notifié pendant son absence ? "

La responsabilité d'un cardiologue peut être engagée en cas de faute professionnelle. Celle-ci se définit par rapport à ses obligations contractuelles.

Biotronik a bien voulu, pour les besoins de cette question, me communiquer les documents contractuels proposés au patient et au cardiologue. Si ce dernier les a bien fait signer par le patient, les choses sont claires : la " Fiche d'information patient et de consentement pour l'utilisation du système Home Monitoring® Téléc@rdiologie® de Biotronik " mentionne :

" Le médecin ne peut prendre connaissance du rapport reçu, évaluer vos données et vous joindre, qu'à ses jours et heures de travail. Il n'est néanmoins pas tenu d'assurer une permanence à ce titre, et peut librement s'absenter du cabinet, pour toutes raisons personnelles et professionnelles (week-ends, formations, congrès, vacances, autres événements), sans avoir à se faire remplacer, ni prévenir chacun de ses patients de ses jours et heures de travail. "

Prendre connaissance d'une information d'événement notifiée constitue bien une obligation pour le médecin, mais seulement dans les conditions ainsi définies.

Par ailleurs, le rapport transmis régulièrement par le centre de service de Biotronik au cardiologue constitue un élément de traçabilité de l'état du patient et/ou de la prothèse : un non-évènement peut être utile à la défense du praticien à l'occasion d'une action en recherche des causes de la mort d'un patient.


" Ma responsabilité peut-elle être engagée si je désactive certaines alertes ayant trait à des événements qui me semblent peu utiles ou peu fiables chez un patient donné (autrement dit, doit-je systématiquement laisser activées les alertes pour tous les types d'événements proposées par le système ?) "

La loi Kouchner a réintroduit en droit français le principe " pas de responsabilité du médecin sans faute " (article L. 1142-1 I., csp). Pour engager la responsabilité du cardiologue, le fait de désactiver une alerte doit présenter un caractère fautif, constituer une décision, un choix critiquables dans la sélection des évènements à notifier pendant le suivi à distance.

Un cardiologue m'a exposé que les alarmes activées doivent être personnalisées en fonction de l'état du patient et des limites du système implanté. Ce choix est évolutif selon les alarmes reçues au fil du temps et leur pertinence conduit le médecin à activer ou désactiver certaines d'entre elles, par exemple : une arythmie atriale devenue permanente conduit à désactiver l'alarme sur commutation de mode, cet évènement étant devenu chronique et non corrigeable donc son signalement sans pertinence ; autre exemple : alertes répétées d'impédance de sonde basse alors que le cardiologue sait que, chez tel patient, l'impédance de sonde est basse sans qu'il s'agisse d'une anomalie ; ou encore alertes répétées de commutation de mode alors que le cardiologue sait qu'il s'agit d'interférences non corrigeables.

Il appartient, en conséquence, au cardiologue de sélectionner le type d'évènements devant provoquer une notification, le système étant prévu pour permettre un choix modulable selon chaque patient concerné.

Sa responsabilité sera mesurée à l'aune de ce choix des paramètres retenus, dans des conditions analogues à celles qui caractérisent son intervention lorsqu'il règle par exemple pendant une visite de contrôle un stimulateur ou un défibrillateur déjà implanté.


" Légalement, les cardiologues peuvent-ils utiliser le système de monitorage à distance sans qu'il soit pris en charge par les caisses d'assurance maladie ? "

La réponse est positive, en application des articles L. 5211-1 et 5211-3 du code de la santé publique :

- article L. 5211-1 :

" On entend par dispositif médical tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels intervenant dans son fonctionnement, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales et dont l'action principale voulue n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens.

Les dispositifs médicaux qui sont conçus pour être implantés en totalité ou en partie dans le corps humain ou placés dans un orifice naturel, et qui dépendent pour leur bon fonctionnement d'une source d'énergie électrique ou de toute source d'énergie autre que celle qui est générée directement par le corps humain ou la pesanteur, sont dénommés dispositifs médicaux implantables actifs. "

- article L. 5211-3 :

" Les dispositifs médicaux ne peuvent être importés, mis sur le marché, mis en service ou utilisés, s'ils n'ont reçu, au préalable, un certificat attestant leurs performances ainsi que leur conformité à des exigences essentielles concernant la sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et des tiers.
La certification de conformité est établie par le fabricant lui-même ou par des organismes désignés par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
Les dispositifs médicaux utilisés dans le cadre d'essais cliniques sont dispensés de certification de conformité pour les aspects qui doivent faire l'objet des essais et sous réserve de présenter, pour la sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et des tiers, les garanties prévues par le titre I du livre II de la partie I du présent code. "

Le cardiologue ne prend, en conséquence, pas de risque médico-légal en utilisant et/ou prescrivant un dispositif médical mis sur le marché lorsqu'il a obtenu le marquage CE. Le certificat de marquage CE permet l'utilisation d'un dispositif médical en dehors d'un essai clinique, que ce soit en milieu hospitalier public ou privé.

Pour être remboursé par l'assurance maladie, le dispositif médical à usage individuel doit généralement être inscrit sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Mais quel que soit le statut tarifaire du dispositif, le marquage CE assure aux patients et aux cardiologues la légalité de sa mise sur le marché.

Revue StimuCoeur n° 2 - Mai 2004


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