Base de données - Connaissances médicales avérées

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Hygiène et normes opposables
Isabelle Lucas-Baloup

L’état de l’art, en pratique quoditienne
L’état de l’art sur un sujet scientifique ou médical se compose d’une masse d’informations existant à une époque donnée. Chaque professionnel reçoit, de ses professeurs, de ses maîtres, une première approche théorique, pendant ses études, qu’il complètera par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment. Le professionnel développera sans arrêt ses compétences en lisant les revues spécialisées, françaises et internationales, en participant aux congrès professionnels de la discipline concernée, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires, prendra connaissance et expérimentera les recommandations émanant des sociétés savantes, des organismes parapublics, des agences et, en exerçant régulièrement lui-même, opérera des options de protocole, des choix de gestes relevant de sa spécialité, ce qui lui permettra, individuellement, d’en évaluer l’opportunité et l’efficacité à court, moyen et long terme.
L’état de l’art est apprécié et mis en œuvre subjectivement par le praticien médical ou paramédical, par l’ingénieur biomédical, par les cadres des établissements de santé quelle que soit leur spécialité, en fonction de leur propre connaissance de la question concernée.
Si le professionnel a été performant dans sa démarche de recherche des données relatives au sujet, sa connaissance acquise est très proche de l’état de l’art objectif sur la question concernée, qui inclut une somme exhaustive d’informations, ou très proche de l’exhaustivité.


L’état de l’art, en droit
En droit, l’état de l’art est essentiellement observé à l’occasion des procès en responsabilité civile, administrative et pénale, impliquant des établissements de santé ou des professionnels intervenus.
Pour la Cour de cassation, depuis le célèbre arrêt Mercier (Cassation 20 mai 1936), l’état de l’art opposable est constitué des « données acquises de la science », notion reprise par les codes de déontologie médicale respectivement en 1955, en 1979 puis en 1995.
Par un arrêt du 6 juin 2000, les Hauts magistrats ont rejeté un moyen de pourvoi se référant à la « notion erronée de données actuelles de la science » pour réaffirmer que l’obligation qui pèse sur le médecin consiste à donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science. Ce débat qui a néanmoins duré plus de soixante ans sur le choix entre « données acquises » et « données actuelles » de la science traduit combien il est délicat de définir les limites de l’état de l’art opposable.
La loi Kouchner, le 4 mars 2002, a introduit la notion nouvelle de « connais-sances médicales avérées ». Ainsi, aujourd’hui, en application de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, « toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. » En hygiène tout particulièrement le professionnel est débiteur de cette obligation d’assurer aux patients la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées.

La garantie de la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées
Nulle part, en droit français, la méthodologie permettant de définir les connaissances médicales avérées n’est décrite. La pratique du contentieux de la responsabilité médicale révèle que la conscience professionnelle de l’expert, sa formation, sa culture, son expérience personnelle et le soin qu’il apporte à la recherche documentaire, à la revue de littérature scientifique permettant la rédaction d’un rapport pertinent, ne suffisent pas à obtenir la certitude que le malade, l’établissement public ou privé de soins critiqué et le juge seront parfaitement informés sur l’état des connaissances médicales avérées. Comment dès lors se prémunir contre l’évaluation subjective, incomplète, maladroite, manquant de nuance ou de fondement scientifique, d’un sujet que l’expert est susceptible de mal maîtriser malgré l’obligation générale de compétence, de conscience, d’objectivité et d’impartialité à laquelle il est tenu.
Si la plupart des experts procède à des analyses et conclusions irréprochables, certains rapports révèlent néanmoins de vraies imperfections que les seules poursuites disciplinaires et sanctions qu’ils encourent ne permettent pas systématiquement d’éviter. La liste des experts ayant écrit des conclusions contestables, voire de véritables bêtises, est plus longue que celle des experts sanctionnés... Peu importe que, statistiquement, les affirmations contestables soient moins nombreuses que les conclusions dûment fondées sur l’état de l’art : pour le patient en demande, ou l’hygiéniste en défense, un défaut dans l’évaluation expertale d’un comportement médical ou paramédical constitue un manquement inacceptable et difficile à faire écarter par les juges scientifiquement incompétents dans la discipline technique, scientifique, médicale, pour laquelle ils ont justement ordonné une expertise.

L’état de l’art, en jurisprudence
Lorsque l’expert fournit une opinion, elle ne lie pas le juge, titulaire d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits. Le jugement doit faire la part des choses, entre le fait et le droit. Aussi, le juge saisi devrait-il s’impliquer plus souvent dans le contrôle des sources d’informations dont l’expert a tenu compte pour rédiger les conclusions de son rapport. Il n’est pas sans intérêt d’observer certaines motivations de la jurisprudence pour retenir ou écarter des éléments contribuant à la définition de l’état de l’art opposable :
La Cour de Bordeaux a ainsi jugé (par arrêt du 18 février 2003) : « Des études postérieures aux faits, émanant exclusivement de services très spécialisés de centres hospitaliers, dont la diffusion et la connaissance par les praticiens devraient être relativement confidentielles, effectuées à partir d’observations limitées à quelques cas, ne sauraient constituer des règles de l’art consacrées par la pratique. [...] Ces données acquises ne recouvrent que des règles de l’art consacrées par la pratique. »
La Cour de Versailles sanctionne régulièrement le praticien dont le comportement viole des « recommandations » de sociétés savantes (cf. notamment arrêt du 27 juin 1996). Mais « l’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation d’un médecin, dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles », juge la Cour de Rennes (le 8 octobre 2003).
La référence aux données de la littérature médicale est fréquemment retenue comme critère permettant d’inclure ou d’exclure un acte de l’état de l’art. Par exemple, la Cour de Besançon a écarté (par décision du 8 juin 2005) la responsabilité d’un praticien à l’occasion d’un accident « rarissime puisque l’expert n’a trouvé aucune publication identique dans la littérature. » En revanche, la Cour administrative d’appel de Paris retenait (le 12 juin 1995) la responsabilité de l’AP-HP, en raison du fait que le risque de prescription de produits sanguins concentrés non chauffés en juin 1983 constituait un risque de transmission du VIH par voie de transfusion sanguine chez les personnes atteintes d’hémophilie, dès lors qu’il ressortait du dossier « qu’à partir du mois de janvier 1983 et de façon de plus en plus précise au fil du temps, des revues médicales spécialisées françaises et étrangères, notamment le New England Journal of Medecine, The Lancet, la Lettre de la Prévention, la Revue française de transfusion et d’immuno-hématologie, en ont informé les milieux médicaux ».
La Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sur le même fondement (par arrêt du 16 décembre 2003) une action à l’encontre des Hospices Civils de Lyon lancée par une patiente qui ne produisait, à l’appui de ses affirmations critiques « aucune étude permettant de conclure que l’association de X + Y améliorait le pronostic de survie du patient » en cas de cancer du poumon.
Enfin, la Cour de cassation, dans son célèbre arrêt du 6 juin 2000 susvisé, écartant les données actuelles de la science pour retenir les données acquises, a ouvert la voie vers la prise en considération obligatoire des publications scientifiques, dans un arrêt dans lequel elle affirme clairement : « Il est raisonnable de ne fonder une condamnation que sur l’absence de prise en compte de connaissances médicales datant de plusieurs années, ayant fait l’objet de publications dans différents pays, étant utilisées dans de nombreux centres publics ou privés, étant prises en charge par les organismes de sécurité sociale et, si possible, ayant été validées par des conférences de consensus ». Ce faisant, elle écartait des travaux récents de spécialistes américains invoqués contre un médecin qui n’en avait pas tenu compte.
Le Conseil d’Etat en revanche a annulé en 2001 une décision du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) ayant sanctionné un confrère « en se fondant uniquement sur l’absence d’expérimentation en France, sans rechercher quelle était l’opinion de la communauté scientifique internationale ». Il était reproché au CNOM de n’avoir pas examiné l’ensemble des données scientifiques propres à établir sa conviction (Conseil d’Etat, 19 octobre 2001).
Devant les tribunaux, chaque partie fait valoir le résultat de sa propre recherche documentaire en ne sélectionnant que ce qui est favorable à son argumentation en demande ou en défense. Le problème est que les magistrats ne sont pas formés pour évaluer la pertinence des différents articles invoqués par les antagonistes, qui auront chacun interrogé leurs banques de données préférées (Medline, Healthstar, Embase, Pascal, Cochrane Database, etc.), outre celles spécifiques à la discipline concernée.
Les magistrats peuvent être aussi sensibles à une position émise dans un résumé de congrès, un document gouvernemental, une étude non publiée mais émanant de l’équipe connue d’un CHU, un rapport ou tout autre document non conventionnel : c’est ce qu’on appelle la « littérature grise », dont la prévalence jurisprudentielle constitue un danger en l’absence d’évaluation préalable par le juge de la pertinence des sources ainsi retenues.

De la littérature grise au rapport d’expertise,
en passant par l’évidence scientifique
En oncologie, les SOR, élaborés depuis 1993 par la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, sont définis par leur degré de fiabilité : Standard, Option ou Recommandation. La FNCLCC souligne que les SOR sont un guide et non un mécanisme d’évaluation. Ils peuvent être qualifiés d’usages reconnus ou encore de bonnes pratiques en cancérologie. Décrivant les conduites les plus communément admises, ils n’ont pas de valeur absolue et ne sont pas exclusifs d’autres usages. Il s’agit d’une aide à la décision pour le praticien qui s’y réfère. Ils sont d’un usage facultatif, ne présentant aucun caractère obligatoire et ne sont assortis d’aucune sanction. Les SOR doivent présenter six qualités essentielles qui conditionnent leur pertinence : les informations y figurant doivent être sérieuses, exactes, fiables, complètes, actuelles et sécurisées, déclare la FNCLCC.
L’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES), avant la Haute Autorité de Santé (HAS), a publié un Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, en janvier 2000, que l’on trouve sur le site de cette dernière. Des grilles de lecture y sont proposées ainsi qu’une méthodologie pour l’analyse de la documentation obtenue et l’élaboration des recomman-dations.
Le niveau de preuve d’une étude (fort niveau de preuve, niveau intermédiaire ou faible niveau de preuve) en permet la classification. L’évidence scientifique est appréciée lors de la synthèse des résultats de l’ensemble des études sélectionnées s’appuyant sur :
- l’existence de données de la littérature pour répondre aux questions posées,
- le niveau de preuve des études disponibles,
- la cohérence de leurs résultats.
Si les résultats sont tous cohérents entre eux, des conclusions peuvent facilement être formulées. En cas de divergence des résultats, il appartient aux experts de pondérer les études en fonction de leur niveau de preuve, de leur nombre et, pour des études de même niveau de preuve, en fonction de leur puissance. La HAS, comme avant elle plusieurs auteurs que la place manque ici pour citer, propose ainsi d’apprécier la force des recommandations en fonction :
- du niveau d’évidence scientifique,
- de l’interprétation des experts.
L’évaluation des recommandations avant leur publication met ainsi en œuvre des instruments de « gradation » de leur pertinence, mais les publications imposent d’opérer des nuances que la jurisprudence ne prend pas systématiquement en considération.
Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des « connaissances médicales avérées », devrait donc respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition de recommandations objets d’une évaluation, d’une gradation et d’une mise à jour périodique.
Pourtant, il ne serait pas raisonnable de requérir d’un expert judiciaire, nommé pour donner un avis technique, scientifique, sur un comportement argué de faute à l’occasion d’un acte de diagnostic, de soin ou de traitement, d’emprunter les voies conseillées par la Haute Autorité de Santé pour la rédaction des recommandations de bonne pratique, ou alors il faudrait arrêter de sous-payer leurs travaux afin de leur donner les moyens d’y consacrer le temps opportun.

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Juillet-août 2007
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L'état de l'art en médecine
Isabelle Lucas-Baloup

L’état de l’art, en pratique quoditienne
L’état de l’art sur un sujet scientifique ou médical se compose d’une masse d’informations existant à une époque donnée. Chaque professionnel reçoit, de ses professeurs, de ses maîtres, une première approche théorique, pendant ses études, qu’il complètera par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment. Le professionnel développera sans arrêt ses compétences en lisant les revues spécialisées, françaises et internationales, en participant aux congrès professionnels de la discipline concernée, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires, prendra connaissance et expérimentera les recommandations émanant des sociétés savantes, des organismes parapublics, des agences et, en exerçant régulièrement lui-même, opérera des options de protocole, des choix de gestes relevant de sa spécialité, ce qui lui permettra, individuellement, d’en évaluer l’opportunité et l’efficacité à court, moyen et long terme.
L’état de l’art est apprécié et mis en œuvre subjectivement par le praticien médical ou paramédical, par l’ingénieur biomédical, par les cadres des établissements de santé quelle que soit leur spécialité, en fonction de leur propre connaissance de la question concernée.
Si le professionnel a été performant dans sa démarche de recherche des données relatives au sujet, sa connaissance acquise est très proche de l’état de l’art objectif sur la question concernée, qui inclut une somme exhaustive d’informations, ou très proche de l’exhaustivité.


L’état de l’art, en droit
En droit, l’état de l’art est essentiellement observé à l’occasion des procès en responsabilité civile, administrative et pénale, impliquant des établissements de santé ou des professionnels intervenus.
Pour la Cour de cassation, depuis le célèbre arrêt Mercier (Cassation 20 mai 1936), l’état de l’art opposable est constitué des « données acquises de la science », notion reprise par les codes de déontologie médicale respectivement en 1955, en 1979 puis en 1995.
Par un arrêt du 6 juin 2000, les Hauts magistrats ont rejeté un moyen de pourvoi se référant à la « notion erronée de données actuelles de la science » pour réaffirmer que l’obligation qui pèse sur le médecin consiste à donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science. Ce débat qui a néanmoins duré plus de soixante ans sur le choix entre « données acquises » et « données actuelles » de la science traduit combien il est délicat de définir les limites de l’état de l’art opposable.
La loi Kouchner, le 4 mars 2002, a introduit la notion nouvelle de « connais-sances médicales avérées ». Ainsi, aujourd’hui, en application de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, « toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. » En hygiène tout particulièrement le professionnel est débiteur de cette obligation d’assurer aux patients la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées.

La garantie de la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées
Nulle part, en droit français, la méthodologie permettant de définir les connaissances médicales avérées n’est décrite. La pratique du contentieux de la responsabilité médicale révèle que la conscience professionnelle de l’expert, sa formation, sa culture, son expérience personnelle et le soin qu’il apporte à la recherche documentaire, à la revue de littérature scientifique permettant la rédaction d’un rapport pertinent, ne suffisent pas à obtenir la certitude que le malade, l’établissement public ou privé de soins critiqué et le juge seront parfaitement informés sur l’état des connaissances médicales avérées. Comment dès lors se prémunir contre l’évaluation subjective, incomplète, maladroite, manquant de nuance ou de fondement scientifique, d’un sujet que l’expert est susceptible de mal maîtriser malgré l’obligation générale de compétence, de conscience, d’objectivité et d’impartialité à laquelle il est tenu.
Si la plupart des experts procède à des analyses et conclusions irréprochables, certains rapports révèlent néanmoins de vraies imperfections que les seules poursuites disciplinaires et sanctions qu’ils encourent ne permettent pas systématiquement d’éviter. La liste des experts ayant écrit des conclusions contestables, voire de véritables bêtises, est plus longue que celle des experts sanctionnés... Peu importe que, statistiquement, les affirmations contestables soient moins nombreuses que les conclusions dûment fondées sur l’état de l’art : pour le patient en demande, ou l’hygiéniste en défense, un défaut dans l’évaluation expertale d’un comportement médical ou paramédical constitue un manquement inacceptable et difficile à faire écarter par les juges scientifiquement incompétents dans la discipline technique, scientifique, médicale, pour laquelle ils ont justement ordonné une expertise.

L’état de l’art, en jurisprudence
Lorsque l’expert fournit une opinion, elle ne lie pas le juge, titulaire d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits. Le jugement doit faire la part des choses, entre le fait et le droit. Aussi, le juge saisi devrait-il s’impliquer plus souvent dans le contrôle des sources d’informations dont l’expert a tenu compte pour rédiger les conclusions de son rapport. Il n’est pas sans intérêt d’observer certaines motivations de la jurisprudence pour retenir ou écarter des éléments contribuant à la définition de l’état de l’art opposable :
La Cour de Bordeaux a ainsi jugé (par arrêt du 18 février 2003) : « Des études postérieures aux faits, émanant exclusivement de services très spécialisés de centres hospitaliers, dont la diffusion et la connaissance par les praticiens devraient être relativement confidentielles, effectuées à partir d’observations limitées à quelques cas, ne sauraient constituer des règles de l’art consacrées par la pratique. [...] Ces données acquises ne recouvrent que des règles de l’art consacrées par la pratique. »
La Cour de Versailles sanctionne régulièrement le praticien dont le comportement viole des « recommandations » de sociétés savantes (cf. notamment arrêt du 27 juin 1996). Mais « l’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation d’un médecin, dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles », juge la Cour de Rennes (le 8 octobre 2003).
La référence aux données de la littérature médicale est fréquemment retenue comme critère permettant d’inclure ou d’exclure un acte de l’état de l’art. Par exemple, la Cour de Besançon a écarté (par décision du 8 juin 2005) la responsabilité d’un praticien à l’occasion d’un accident « rarissime puisque l’expert n’a trouvé aucune publication identique dans la littérature. » En revanche, la Cour administrative d’appel de Paris retenait (le 12 juin 1995) la responsabilité de l’AP-HP, en raison du fait que le risque de prescription de produits sanguins concentrés non chauffés en juin 1983 constituait un risque de transmission du VIH par voie de transfusion sanguine chez les personnes atteintes d’hémophilie, dès lors qu’il ressortait du dossier « qu’à partir du mois de janvier 1983 et de façon de plus en plus précise au fil du temps, des revues médicales spécialisées françaises et étrangères, notamment le New England Journal of Medecine, The Lancet, la Lettre de la Prévention, la Revue française de transfusion et d’immuno-hématologie, en ont informé les milieux médicaux ».
La Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sur le même fondement (par arrêt du 16 décembre 2003) une action à l’encontre des Hospices Civils de Lyon lancée par une patiente qui ne produisait, à l’appui de ses affirmations critiques « aucune étude permettant de conclure que l’association de X + Y améliorait le pronostic de survie du patient » en cas de cancer du poumon.
Enfin, la Cour de cassation, dans son célèbre arrêt du 6 juin 2000 susvisé, écartant les données actuelles de la science pour retenir les données acquises, a ouvert la voie vers la prise en considération obligatoire des publications scientifiques, dans un arrêt dans lequel elle affirme clairement : « Il est raisonnable de ne fonder une condamnation que sur l’absence de prise en compte de connaissances médicales datant de plusieurs années, ayant fait l’objet de publications dans différents pays, étant utilisées dans de nombreux centres publics ou privés, étant prises en charge par les organismes de sécurité sociale et, si possible, ayant été validées par des conférences de consensus ». Ce faisant, elle écartait des travaux récents de spécialistes américains invoqués contre un médecin qui n’en avait pas tenu compte.
Le Conseil d’Etat en revanche a annulé en 2001 une décision du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) ayant sanctionné un confrère « en se fondant uniquement sur l’absence d’expérimentation en France, sans rechercher quelle était l’opinion de la communauté scientifique internationale ». Il était reproché au CNOM de n’avoir pas examiné l’ensemble des données scientifiques propres à établir sa conviction (Conseil d’Etat, 19 octobre 2001).
Devant les tribunaux, chaque partie fait valoir le résultat de sa propre recherche documentaire en ne sélectionnant que ce qui est favorable à son argumentation en demande ou en défense. Le problème est que les magistrats ne sont pas formés pour évaluer la pertinence des différents articles invoqués par les antagonistes, qui auront chacun interrogé leurs banques de données préférées (Medline, Healthstar, Embase, Pascal, Cochrane Database, etc.), outre celles spécifiques à la discipline concernée.
Les magistrats peuvent être aussi sensibles à une position émise dans un résumé de congrès, un document gouvernemental, une étude non publiée mais émanant de l’équipe connue d’un CHU, un rapport ou tout autre document non conventionnel : c’est ce qu’on appelle la « littérature grise », dont la prévalence jurisprudentielle constitue un danger en l’absence d’évaluation préalable par le juge de la pertinence des sources ainsi retenues.

De la littérature grise au rapport d’expertise,
en passant par l’évidence scientifique
En oncologie, les SOR, élaborés depuis 1993 par la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, sont définis par leur degré de fiabilité : Standard, Option ou Recommandation. La FNCLCC souligne que les SOR sont un guide et non un mécanisme d’évaluation. Ils peuvent être qualifiés d’usages reconnus ou encore de bonnes pratiques en cancérologie. Décrivant les conduites les plus communément admises, ils n’ont pas de valeur absolue et ne sont pas exclusifs d’autres usages. Il s’agit d’une aide à la décision pour le praticien qui s’y réfère. Ils sont d’un usage facultatif, ne présentant aucun caractère obligatoire et ne sont assortis d’aucune sanction. Les SOR doivent présenter six qualités essentielles qui conditionnent leur pertinence : les informations y figurant doivent être sérieuses, exactes, fiables, complètes, actuelles et sécurisées, déclare la FNCLCC.
L’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES), avant la Haute Autorité de Santé (HAS), a publié un Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, en janvier 2000, que l’on trouve sur le site de cette dernière. Des grilles de lecture y sont proposées ainsi qu’une méthodologie pour l’analyse de la documentation obtenue et l’élaboration des recomman-dations.
Le niveau de preuve d’une étude (fort niveau de preuve, niveau intermédiaire ou faible niveau de preuve) en permet la classification. L’évidence scientifique est appréciée lors de la synthèse des résultats de l’ensemble des études sélectionnées s’appuyant sur :
- l’existence de données de la littérature pour répondre aux questions posées,
- le niveau de preuve des études disponibles,
- la cohérence de leurs résultats.
Si les résultats sont tous cohérents entre eux, des conclusions peuvent facilement être formulées. En cas de divergence des résultats, il appartient aux experts de pondérer les études en fonction de leur niveau de preuve, de leur nombre et, pour des études de même niveau de preuve, en fonction de leur puissance. La HAS, comme avant elle plusieurs auteurs que la place manque ici pour citer, propose ainsi d’apprécier la force des recommandations en fonction :
- du niveau d’évidence scientifique,
- de l’interprétation des experts.
L’évaluation des recommandations avant leur publication met ainsi en œuvre des instruments de « gradation » de leur pertinence, mais les publications imposent d’opérer des nuances que la jurisprudence ne prend pas systématiquement en considération.
Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des « connaissances médicales avérées », devrait donc respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition de recommandations objets d’une évaluation, d’une gradation et d’une mise à jour périodique.
Pourtant, il ne serait pas raisonnable de requérir d’un expert judiciaire, nommé pour donner un avis technique, scientifique, sur un comportement argué de faute à l’occasion d’un acte de diagnostic, de soin ou de traitement, d’emprunter les voies conseillées par la Haute Autorité de Santé pour la rédaction des recommandations de bonne pratique, ou alors il faudrait arrêter de sous-payer leurs travaux afin de leur donner les moyens d’y consacrer le temps opportun.

 

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Juillet-Août 2007
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Ordre de passage au bloc opératoire : un arrêt singulier de la Cour de Douai
Isabelle Lucas-Baloup

L’affaire avait déjà défrayé la chronique et suscité un débat vif entre le Sou Médical (Docteur Christian Sicot) et la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED, Professeur Bertrand Napoléon), notamment dans Gastroenterol Clin Biol (2005;29 : 1069-1072).
L’arrêt du 8 juin 2006 prononcé par la Cour d’appel de Douai va relancer les commentaires en raison du doute qui perdure sur la cause de la contamination et les affirmations péremptoires auxquelles les juges procèdent sur l’ordre de passage des patients dans un programme d’endoscopie.
En l’espèce, une patiente avait présenté une hépatite C dans les suites d’une coloscopie sous anesthésie diligentée immédiatement après celle d’une autre malade (une infirmière) connue comme étant infectée par le VHC.
Dans un commentaire du jugement de première instance (en dates des 16 octobre et 18 novembre 2003) le Docteur Sicot avait écrit : « Dans le cadre d’une démarche de gestion des risques, l’observation précédente est un nouvel exemple des conséquences dommageables d’une “déviance“, c’est-à-dire du franchissement d’une “défense immatérielle“ représentée par la règle de bonne pratique de toujours mettre en fin de programme d’une séance d’endoscopie digestive tout malade dont on sait qu’il est porteur du VHC. »
La SFED s’appuyait sur l’état des recommandations actuelles pour contester ce principe, en soulignant le danger, pour les juges – et donc rapidement pour les malades –, d’exprimer, sous couvert de position expertale, des opinions personnelles non fondées sur des références publiées. Dans la même revue, Thierry Vallot et Jean-Christophe Lucet (Unité d’Hygiène et de Lutte contre les Infections Nosocomiales, CHU Bichat - Claude Bernard) affirmaient qu’il n’existe actuellement aucun texte réglementaire qui aborde la question de l’ordre de passage de malades en endoscopie digestive en fonction de leur statut infectieux.
Sur interpellation de la SFED, le Directeur Général de la Santé écrivait, en août 2005 : « [...] En conclusion, la position de principe qu’adopteraient les experts des infections nosocomiales n’est pas en faveur de l’institution d’un ordre de passage selon le risque viral. [...] Pour le moment, [...] aucune recommandation n’est faite en ce sens », tout en soulignant que le CTINILS était saisi.
La Clinique avait été condamnée en première instance et ne contestait pas sa responsabilité mais revendiquait qu’elle soit partagée avec le gastro-entérologue intervenu en raison « de sa faute de négligence en acceptant de procéder à la coloscopie d’une patiente porteuse du VHC juste avant de pratiquer la coloscopie sur [la demanderesse au procès]. »
L’arrêt du 8 juin 2006 condamne in solidum la Clinique et le gastro-entérologue au titre d’une obligation de sécurité de résultat, les faits, de 1996, ne permettant pas d’appliquer la loi Kouchner. La Cour ajoute que la patiente, d’après le rapport d’expertise « présente le même génotype (de type 3A) que l’infirmière et que tout laisse à penser que la contamination provient de l’infirmière qui a été traitée juste avant elle », tout en rappelant les déclarations conjointes du gastroentérologue et de l’anesthésiste selon lesquelles « le coloscope qui a servi pour son examen ne serait pas le même que celui qui a servi pour la patiente précédente atteinte d’une hépatite C » et que les médecins inspecteurs de la DDASS ont fait état « de réserves sur les opérations de désinfection des endoscopes, notamment pour les opérations de rinçage, dans la Clinique ».
Il est en conséquence regrettable de lire dans cet arrêt, en présence d’un tel doute sur les causes exactes de la contamination, un alinéa que de futurs plaideurs ne manqueront pas d’invoquer : « La Cour considère que [le gastroentérologue] a commis une faute en procédant à la coloscopie de Mme P. après avoir effectué celle de l’infirmière qui était atteinte de l’hépatite C. »
Il est urgent qu’en droit français une réflexion sérieuse soit conduite sur les sources de l’état de l’art opposable et des connaissances médicales avérées (article L. 1110-5, csp).

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Novembre-Décembre 2006
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Prescriptions hors AMM
Isabelle Lucas-Baloup

Les médecins savent que, depuis les dernières réformes du régime juridique des prescriptions hors AMM en 2011/2014, une prudence accrue s’impose.
Rapide tour d’horizon pour mieux maîtriser les risques encourus :

Un peu d’histoire :

Au commencement était « la liberté de prescription », consacrée par tous les codes de déontologie médicale (« logos » discours et « déontos » ce qu’il faut faire) depuis 1947. L’article 8 du dernier d’entre eux (décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004) prévoyait : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. ». Le principe demeure sous l’article R. 4127-8 du code de la santé publique, mais un peu modifié puisqu’il est ajouté parmi les limites, après la loi : « et compte tenu des données acquises de la science », un concept que la jurisprudence doit définir au regard du droit des patients à recevoir des soins « les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées » comme il est écrit à l’article L.1110-5 du même code depuis la Loi Kouchner. Mais revenons à la liberté de prescription : l’article L.162-2 du code de la sécurité sociale rappelle qu’elle relève des principes déontologiques « fondamentaux », au même titre que le libre choix du médecin par le malade, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade et la liberté d’installation du médecin, consacrés par une célèbre loi promulguée par le Président Georges Pompidou le 3 juillet 1971 relative aux rapports entre les caisses d’assurance maladie et les praticiens et auxiliaires médicaux.
Comme la France est le pays des Libertés affirmées par les parlementaires mais très vite encadrées par les ministères, sont apparues rapidement « les restrictions au principe de la liberté de prescription, dans l’intérêt de la santé publique », par voie de décrets dans une démarche vivement contestée que le Conseil d’Etat a néanmoins validée dans un arrêt Syndicat des médecins d’Aix du 16 février 1996. La liberté de prescription a ainsi été écartée notamment pour les médicaments soumis à la réglementation des substances vénéneuses, puis pour les médicaments soumis à prescription restreinte.
Aucun texte n’interdisait purement et simplement à un médecin de prescrire un médicament en dehors du champ de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’AFSSAPS, devenue l’ANSM, dans les conditions des article L. 5121-8 et R. 5142-20 à -29 du code de la santé publique, prévoyant aussi des autorisations temporaires d’utilisation délivrées par l’Agence, pour effectuer des prescriptions hors AMM - ATU dites « de cohorte » ou de « pré-AMM » - lorsque le laboratoire invoquait des résultats d’essais thérapeutiques laissant présumer fortement l’efficacité et la sécurité du médicament. Des ATU dites « nominatives » permettaient par ailleurs à un médecin d’obtenir à sa demande une autorisation pour des malades nommément désignés et de prescrire un médicament sans AMM en cas de maladie grave ou rare lorsqu’il n’existait pas de traitement approprié, mais « sous la responsabilité du médecin traitant » (article L. 5121-12, CSP). Une procédure particulière était également prévue pour utiliser des médicaments en cours d’essais cliniques dans le cadre de la recherche biomédicale (décret n° 90-872 du 2è septembre 1990).
Ces procédures d’ATU ne sont pas applicables à des médicaments ayant déjà reçu une AMM dans une ou d’autres indication(s).

C’est dans ce contexte légal et réglementaire que les médecins ont développé des prescriptions en dehors des AMM, en exposant leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire dès que le traitement s’avère discutable à l’égard du patient, soit qu’il lui ait été proposé comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé insuffisamment éprouvé (article R. 4127-39 CSP) en lui faisant alors courir un risque injustifié (article R. 4127-40), soit qu’il ait été prescrit en dehors des fameuses « données acquises » de la science (article R. 4127-32).

Jusqu’en 2011, on vient de le voir, la prescription hors AMM relevait de la liberté de prescription et n’était pas expressément autorisée sans être pour autant interdite.


La réforme de la prescription hors AMM :

Trois lois ont successivement modifié le régime des prescriptions hors AMM :

- la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 (article 18),
- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 (article 57),
- et enfin la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014, n° 2014-892 du 8 août 2014 (article 10).

La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, intervenue dans le contexte de l’affaire du Médiator, a d’abord développé des charges opposables aux laboratoires qui doivent contribuer au bon usage des médicaments qu’ils commercialisent en veillant à ce qu’ils soient prescrits conformément à leur autorisation (AMM, ATU, AIP, enregistrement ou RTU), en prenant toutes les mesures d’information vis-à-vis des prescripteurs et en informant l’ANSM lorsqu’ils constatent des prescriptions non conformes au bon usage de leurs spécialités.


Les conditions actuelles de la prescription hors AMM :

L’article L. 5121-12-1 du CSP, dans sa dernière version issue de la loi du 8 août 2014, encadre très strictement les prescriptions hors AMM :



« I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l’absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, sous réserve qu’une recommandation temporaire d’utilisation établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l’utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d’utilisation et que le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.
En l’absence de recommandation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu’en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient.

« II.- Les recommandations temporaires d’utilisation mentionnées au I sont établies pour une durée maximale de trois ans, renouvelable. Elles sont mises à disposition des prescripteurs par le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché ou par l’entreprise qui assure l’exploitation de la spécialité concernée.

« III.- Le prescripteur informe le patient que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son autorisation de mise sur le marché, le cas échéant de l’existence d’une recommandation temporaire d’utilisation, des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament et porte sur l’ordonnance la mention : « Prescription hors autorisation de mise sur le marché » ou, le cas échéant, « Prescription sous recommandation temporaire d’utilisation ».
Il informe le patient sur les conditions de prise en charge, par l’assurance maladie, de la spécialité pharmaceutique prescrite dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées.
Il motive sa prescription dans le dossier médical du patient. […] »



Schématiquement, on peut résumer ainsi les conditions de prescription hors AMM :

Principe : La prescription d’une spécialité pharmaceutique doit être conforme à son AMM ou ATU.

Dérogations : La prescription non conforme à l’AMM est possible :

1er cas :
? en l’absence de spécialité
(disposant d’une AMM ou ATU dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées)
o de même principe actif,
o de même dosage,
o et de même forme pharmaceutique,

? si RTU établie par l’ANSM dans cette indication,

? et que le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique et son patient.

2ème cas :
? si absence d’alternative médicamenteuse appropriée,
et pas de RTU publiée par l’ANSM :

? il faut que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique et son patient.

? En l’absence de RTU le prescripteur a donc la charge de la preuve des données acquises de la science qui l’ont conduit à juger « indispensable » cette prescription dans l’intérêt du patient.

Les recommandations temporaires d’utilisation (RTU) :

L’article R. 5121-76-1 (tel que modifié par un décret n° 2014-1703 du 30 décembre 2014) prévoit que les RTU sont élaborées par l’ANSM lorsque deux conditions sont réunies :
- l’existence d’un besoin thérapeutique dans l’indication concernée,
- et un rapport bénéfice/risque du médicament présumé favorable.

Elles sont publiées sur le site de l’ANSM, qui en présente en octobre 2015 moins d’une dizaine, octroyées en 2014-2015 :

o Avastin (bevacizumab)
o Cicardin (mélatonine)
o Lioresal (baclofène)
o Rémicade (infliximab)
o Spécialités orales à base de vérapamil
o Thalidomide Celgene (thalidomide)
o Velcade (bortézomib),

c’est dire qu’en gynécologie-obstétrique les médecins qui prescrivent en dehors des AMM, sans RTU, sont exposés à devoir apporter la preuve qu’il n’existait pas d’alternative médicamenteuse appropriée, que la molécule utilisée dans cette indication était indispensable dans l’intérêt supérieur du patient et ce conformément aux données acquises de la science.


Les données acquises de la science et les connaissances médicales avérées :

La pratique des expertises judiciaires depuis trente ans me permet d’affirmer que rien n’est moins certain que « les données acquises de la science » et leur prise en considération – ou pas – par les tribunaux jugeant la responsabilité des prescripteurs ou par les instances disciplinaires professionnelles. L’état de l’art, en médecine, relève d’une approche subjective et non objective, à l’occasion de cas particuliers qui, selon la qualité des experts, avocats et magistrats intervenus, classera un acte dans ou hors les données « acquises » de la science…
Comme aujourd’hui pour la définition des « connaissances médicales avérées » (article L. 1110-5, CSP), aucune méthodologie n’est fixée pour établir les données acquises, si le patient se considérant victime d’une prescription fautive en demande réparation.
La Cour de cassation a écarté les données « actuelles » de la science par un arrêt du 6 juin 2000, alors que de nombreuses juridictions employaient indifféremment les adjectifs « acquis » et « actuels » depuis 1946. En conséquence, le caractère d’actualité d’une donnée médicale ne suffit pas à l’imposer comme critère d’une pratique médicale de référence que le prescripteur peut utiliser.
Depuis que la loi du 4 mars 2002, source de droit supérieure dans la hiérarchie des normes au dernier décret de déontologie médicale de 2004, permet au patient de revendiquer des prescriptions conformes aux connaissances médicales « avérées », ce qui signifie « reconnues comme vraies, authentiques après examen, attestées » (cf. www.cnrtl.fr), il est singulier que, malgré la réforme en 2014 de l’article L. 5121-12-1 qui organise les prescriptions hors AMM, demeure le renvoi aux données « acquises » de la science.
Les « données acquises de la science » et les « connaissances médicales avérées » ne constituent évidemment pas deux référentiels identiques. Sémantiquement, les données sont des faits, des observations, qui vont servir à un raisonnement, alors que la connaissance est personnelle et subjective. C’est la connaissance du professionnel qui lui permet de prescrire, plus que les seules données auxquelles il a accès. En fonction de sa spécialité, de son expérience, de son savoir-faire, de sa compétence, il va prendre en considération les données pour compléter sa connaissance et décider d’une prescription éventuellement hors AMM, dans l’intérêt supérieur du patient, primum non nocere.
Si le prescripteur entend consolider son dossier, il va rechercher des recommandations ou publications dans des revues à comité de lecture qui conforteront son projet de prescription en lui donnant une preuve forte de sa pertinence : la Haute Autorité de Santé a publié un Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations (ancien mais toujours utile, janvier 2000) où l’on trouve des grilles de lecture pour l’analyse de la documentation obtenue et le niveau de preuve des études (fort-intermédiaire-faible). Mais le recours à l’evidence-based medecine n’est pas systématiquement pratiqué par nos experts qui communiquent souvent aux magistrats les ayant désignés des « rapports » dans lesquels les conclusions sont plus longues que les références sérieuses fondant leur opinion, ce qui a permis le développement de la « littérature grise » dont la prévalence jurisprudentielle constitue un danger en l’absence d’évaluation préalable de la pertinence des sources ainsi retenues (publication non contrôlée, document émanant de professionnels non indépendants etc.). Il est ainsi toujours possible de trouver un expert qui soutiendra le contraire d’un de ses collègues et jettera le doute sur la qualité d’une référence scientifique pourtant bien classée, devant des magistrats qui ne connaissent pas les règles de classification.

En gynécologie-obstétrique comme dans les autres spécialités médicales, des débats ont lieu sur l’usage hors AMM de certains médicaments. Ainsi par exemple des travaux sont conduits après le communiqué de l’ANSM mettant en garde les gynécologues-obstétriciens contre les risques liés à l’utilisation hors AMM du misoprostol dans le déclenchement artificiel de l’accouchement, alors que l’AMM concerne essentiellement le traitement de l’ulcère gastrique ou duodénal évolutif. D’autres travaux semblent en cours, sur les inhibiteurs calciques dans la tocolyse, le méthotrexate dans le traitement de la grossesse extra-utérine, ou les macroprogestatifs utilisés en contraception (cf. Collège national des gynécologues et obstétriciens français, CNGOF).

Il est vivement conseillé de ne pas prescrire hors AMM sans un solide dossier le permettant. En effet, mettre à la charge du médecin responsable d’une prescription hors AMM la preuve qu’il a « jugé indispensable au regard des données acquises de la science » le recours à la spécialité litigieuse contraint celui-ci à très sérieusement s’assurer par anticipation de la preuve de la qualité des motifs qui le conduisent à cette prescription, à en conserver la trace et en informer le patient :

Information renforcée du patient :

Le prescripteur doit informer le patient :

? que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son AMM,
? le cas échéant de l’existence d’une RTU,
? des risques encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament,
? et porte sur l’ordonnance la mention : « Prescription hors autorisation de mise sur le marché » ou, le cas échéant, « Prescription sous recommandation temporaire d’utilisation »,
? des conditions de prise en charge, par l’assurance maladie, de la spécialité pharmaceutique prescrite dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées.

En cas de conflit, c’est au gynécologue-obstétricien qu’incombe la charge de la preuve qu’il a dispensé cette information, qu’elle a été comprise par la patiente et que celle-ci, bien informée, a dûment accepté la prescription hors AMM.

A défaut, la patiente – même sans préjudice subi – pourra obtenir des dommages et intérêts du seul chef de la carence du prescripteur dans la délivrance de l’information due (cf. arrêt Cassation civile 1ère ch., 23 janvier 2014, Gyneco online, mars 2014).

La patiente peut également reprocher à son gynécologue une absence de prise en charge par l’assurance maladie obligatoire du traitement prescrit hors AMM qui ne lui aurait pas été signalée, ou qu’elle n’aurait pas comprise. Si bien qu’on peut se demander si, toutes choses étant ce qu’elles sont par ailleurs, l’information renforcée imposée par l’article L. 5121-12-1, § III, ne doit pas conduire le praticien à exiger la signature d’un document écrit d’information et de consentement, compte tenu des risques judiciaires encourus.


Dans les établissements de santé :
le contrat de bon usage enregistre les prescriptions hors AMM

Parallèlement, au sein des établissements de santé publics, privés et ESPIC, a été mis en œuvre (article L. 162-22-7, CSS) un contrat-type de bon usage des médicaments et dispositifs médicaux (CBU), incorporé au contrat d’objectifs et de moyens conclus avec l’agence régionale de santé dont relève l’établissement, afin notamment d’améliorer les conditions de prescription (cf. décret du 27 septembre 2013 et instruction du 10 décembre suivant), en fixant des indicateurs et critères d’évaluation parmi lesquels il est tenu compte :
- du taux de prescription dans le cadre de l’AMM,
- du taux de prescription dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU),
- du taux de prescription dans le cadre du hors AMM hors RTU.

Lorsque le CBU n’est pas respecté, la part prise en charge par l’assurance maladie de certains médicaments, dispositifs médicaux et prestations peut être réduite dans la limite de 30% en tenant compte des manquements constatés.


Nul praticien, administration de tutelle ou association de patients ne peut contraindre un laboratoire à demander à l’ANSM une extension à d’autres indications de l’AMM d’un médicament déjà mis sur le marché, même si son efficacité est démontrée. Les raisons des laboratoires sont diverses et on sait les prescriptions hors AMM appelées à se développer. Les prescripteurs devront également multiplier leurs efforts pour se prémunir des preuves indispensables à prouver qu’ils ont satisfait aux obligations nouvelles rendues opposables par les trois réformes récentes du code de la santé publique à ce titre.

Gynéco-Online - Octobre 2015
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Recommandation de bonne pratique HAS sur la césarienne programmée à terme (janv. 2012) Quelle opposabilité en cas de procédure judiciaire ?
Isabelle Lucas-Baloup

Les recommandations de bonne pratique (RBP) interpellent les professionnels concernés, qui y trouvent souvent, à leur première lecture, matière à évoquer divers cas de leur expérience personnelle à l’occasion desquels ils considèrent avoir eu raison de ne pas mettre en œuvre ce qui est aujourd’hui « recommandé », ou (?) « imposé »… La HAS vient de publier, en janvier 2012, ses Recommandations sur les indications de réalisation d’une césarienne programmée. Doivent-elles être respectées à la lettre, ou le gynécologue-obstétricien conserve-t-il une marge de liberté dans sa prise en charge de la parturiente ?

Sur quels fondements interviennent ces recommandations ?

La Haute Autorité de Santé est une autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale chargée notamment d’élaborer des guides de bon usage des soins et des recommandations de bonne pratique, de procéder à leur diffusion, de contribuer à l’information des professionnels de santé et du public dans ces domaines, et d’établir et mettre en œuvre des procédures d’accréditation des professionnels de santé (articles L. 161-37 et suivants et R. 161-72 du code de la sécurité sociale).

Au titre de sa mission d’accréditation des médecins exerçant en établissements de santé, la Haute Autorité de Santé est chargée (par l’article L. 1414-3-3 du code de la santé publique) d’élaborer, avec les professionnels et les organismes concernés, selon des méthodes scientifiquement reconnues, ou de valider, des référentiels de qualité des soins et de pratiques professionnelles, de diffuser ces référentiels et de favoriser leur utilisation par tout moyen approprié et d’organiser la procédure d’accréditation des médecins ou des équipes médicales au regard des référentiels de qualité des soins et des pratiques professionnelles en veillant à la validation des méthodes et à la cohérence des initiatives relatives à l’amélioration de la qualité dans le domaine de la prise en charge des patients.

En l’espèce, la HAS a été saisie par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour élaborer une recommandation de bonne pratique sur le thème des indications de réalisation d’une césarienne programmée, visant à répondre aux questions suivantes : 

- quelles sont les indications de la césarienne programmée ? 

- quelles sont les informations à transmettre à la femme enceinte lorsqu’une césarienne programmée est envisagée ?

Les recommandations sont à lire sur le site de la HAS (www.has-sante.fr).


Les Recommandations de bonne pratique clinique sur les
« Indications de la césarienne programme à terme » publiées en janvier 2012 par la Haute Autorité de Santé :

Les indications de la césarienne programmée sont les suivantes :

- utérus cicatriciel,
- grossesse gémellaire,
- présentation par le siège,
- macrosomie,
- transmissions mère-enfant d’infections maternelles,
- et quatre autres indications (à discuter au cas par cas, en particulier : défaut de placentation, malformations fœtales et fœtopathies, antécédents et pathologies maternelles intercurrentes et problèmes périnéaux).

La HAS rappelle qu’un médecin peut décliner la réalisation d’une césarienne sur demande, à condition d’orienter la patiente vers un de ses confrères, en rappelant que la demande maternelle n’est pas en soi une indication à la césarienne et qu’il est recommandé de rechercher les raisons spécifiques à cette requête, de les discuter et de les rapporter dans le dossier médical.

Une deuxième partie des recommandations est consacrée aux informations à transmettre à la femme enceinte lorsqu’une césarienne programmée est envisagée et un document d’information destiné aux femmes enceintes est proposé en annexe des recommandations.

La définition de la césarienne programmée retenue dans ces recommandations est la césarienne programmée à terme (après 37 semaines d’aménorrhée), non liée à une situation d’urgence apparaissant en dehors du travail ou au cours du travail.

Sont exclues du champ de ces recommandations :

- les indications d’une césarienne programmée avant terme (< 37 SA) ;
- les indications d’une césarienne liée à une situation d’urgence apparaissant avant le travail ou au cours du travail.

Une césarienne programmée peut être réalisée en urgence antérieurement au terme initialement prévu.


Pertinence et opposabilité des RBP :

Les RBP sont normalement des synthèses de l’état de l’art et des données de la science à un temps donné, élaborées selon une méthode résumée dans l’argumentaire scientifique qui les accompagne et décrites dans le guide méthodologique de la HAS disponible sur son site à la rubrique « Elaboration de recommandations de bonne pratique, Méthode Recommandations pour la pratique clinique ».

La Haute Autorité de Santé a publié, en décembre 2010, un guide méthodologique d’élaboration des RBP, qu’on trouve également sur son site, décrivant le déroulement de l’élaboration d’une RBP :
- constitution du groupe de travail et du groupe de lecture,
- phase de revue systématique et de synthèse de la littérature,
- rédaction de la version initiale des recommandations,
- phase de lecture,
- phase de finalisation.

La pertinence d’une recommandation dépend du niveau de preuve scientifique fourni par la littérature classée en niveaux (le niveau 1 étant le plus fort, le niveau 4 traduisant des études comportant des biais importants) qui conduisent à donner aux recommandations un grade de pertinence :

- grade A : preuve scientifique établie,
- grade B : présomption scientifique,
- grade C : faible niveau de preuve.


Comme tout médecin, un gynécologue-obstétricien « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » en application de l’article R. 4127-32 du code de la santé publique (ancien article 32 du code de déontologie médicale).

Devant le juge, le débat a eu lieu sur le thème « données acquises de la science » versus « données actuelles de la science » : dans un arrêt du 6 juin 2000, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que l’obligation pesant sur un médecin est de donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date des soins et qu’il n’y a pas lieu de se référer à la « notion erronée de données actuelles », laquelle est inopérante.

C’est également le sens de la loi Kouchner qui a introduit un nouvel article L. 1110-5 dans le code de la santé publique visant les « thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées ».

L’état de l’art au moment du soin litigieux devra prendre en considération, en conséquence, diverses sources et, en pratique quotidienne, le médecin doit tenir compte d’une masse d’informations communiquées non seulement par ses professeurs, ses maîtres, pendant ses études, complétées par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment, mais également ses lectures des revues spécialisées, françaises et internationales, ce qu’il a retenu de ses participations aux congrès professionnels dans sa discipline, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires ayant pour objet de divulguer les recommandations émanant des organismes parapublics et agences (Haute Autorité de Santé mais également Institut national du Cancer, Conseil supérieur de l’Hygiène Publique de France, Afssaps devenue l’Ansm pour les dispositifs médicaux et les médicaments, Comité Technique National des Infections Nosocomiales et des Infections Liées aux Soins en hygiène, etc.) mais aussi des recommandations émanant des sociétés savantes.
Mais cette obligation est à mettre en œuvre en tenant compte également des dispositions de l’article R. 4127-8 du même code : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. […] Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

Dès lors, en cas de mise en cause de sa responsabilité professionnelle, le médecin devra convaincre ses pairs, systématiquement nommés pour conduire une expertise de sa prescription ou de ses choix et gestes pour le patient concerné. On passe alors de l’état de l’art médical à l’art judiciaire :

Quelle opposabilité en cas de procédure judiciaire :

L’état de l’art médical, en jurisprudence, est une notion très protéiforme.

Dans un monde parfait, on pourrait imaginer que l’état de l’art est une notion objective. Dans la réalité des hôpitaux et des palais de justice, chacun vient avec sa vérité, ses sources de ses banques de données préférées et l’évidence scientifique manque parfois d’évidence juridique.

On trouve alors des motivations de jugements et d’arrêts retenant ou écartant une pratique au bénéfice de commentaires variés. Quelques exemples :

- la Cour de Rennes a jugé, dans un arrêt du 8 octobre 2003 : « L’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation du médecin dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles » ;

- « L’absence de consensus scientifique » ne permet pas la condamnation du médecin, a jugé la Cour de cassation le 25 novembre 2010 ;

- la Cour de Douai a pris en considération, dans un arrêt du 2 février 2006, les « recommandations du jury d’une conférence de consensus » pour condamner un médecin ;

- la Cour de Toulouse a visé, par arrêt du 18 janvier 2010, la violation du respect « des recommandations consensuelles » ;

- un médecin a été condamné par la Cour de Rouen, le 17 mars 2010, l’arrêt retenant qu’il « ne pouvait ignorer les recommandations de la Haute Autorité de Santé » ;

Bien sûr, les juridictions d’une manière constante visent « la littérature médicale », « la doctrine médicale diffusée et disponible », et les « études que le médecin ne pouvait ignorer en sa qualité de spécialiste ».

Une bonne décision doit être motivée, qu’elle soit médicale ou judiciaire. Il est regrettable que certains rapports d’expertise procèdent par affirmations péremptoires et ne citent pas les « recommandations professionnelles » qu’ils visent parfois sans en préciser l’auteur, la date, et surtout sans égard à la gradation de leur pertinence.

Il sera utile aux gynécologues-obstétriciens d’observer, à ce titre, le classement de ses recommandations par la HAS sur les indications de la césarienne programmée à terme : essentiellement de grade « C », donc de faible niveau de preuve, permettant aux praticiens une discussion scientifique au cas par cas, plus facile que pour les Recommandations de grade « A ».

Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des connaissances médicales avérées, devrait utilement respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition des recommandations.

Les experts nommés n’en ont pas toujours la compétence et, lorsqu’ils l’ont, certaines affaires et le niveau de rémunération qui leur est réservé, ne permettent pas systématiquement de se livrer à une méthodologie expertale et une analyse des publications et recommandations tracées, prouvées, mises à la disposition des parties et de la juridiction devant statuer.

C’est la raison pour laquelle il ne suffira pas à un gynécologue-obstétricien de critiquer par principe la recommandation en matière d’indication de la césarienne programmée mais il devra motiver son choix, le défendre par une analyse du bénéfice/risque pour cette patiente à cette date-là dans les conditions contemporaines à l’accouchement, avec discernement et références médicales à l’appui.

Une chose est certaine, le médecin devra, pendant l’expertise, être actif à la défense de ses choix thérapeutiques, avoir recherché lui-même les données expliquant sa prescription ou son geste, connaître parfaitement son dossier et se faire aider le cas échéant de confrères de sa discipline.

A noter : le Tribunal n’est jamais lié par les constatations du technicien qu’il a nommé et les conclusions d’un rapport d’expertise peuvent être écartées par un magistrat, en application de l’article 246 du code de procédure civile.

En conséquence, le débat demeure ouvert et possible, même après l’expertise contradictoire, même en présence de Recommandations de bonne pratique clinique de la Haute Autorité de Santé.

Gynéco Online - Mai 2012
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