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Accouchement non médicalisé : information et responsabilité
Isabelle Lucas-Baloup

Comment évaluer le risque, et donc choisir le service d’obstétrique (ou la « maison de naissance » bientôt autorisée), si la parturiente n’a pas été soumise aux actes de dépistage (notamment clarté nucale et dosage des marqueurs sériques du 1er trimestre et autres consultations prénatales) dans les délais recommandés ? Qui est responsable ?

L’Assemblée Nationale vient d’ajouter, en séance du 2 novembre, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, un article L. 6122-19 au code de la santé publique [cliquer ici pour accéder au texte], qui permettra, si le Sénat l’adopte à l’identique, à partir du 1er septembre 2011, « l’expérimentation de nouveaux modes de prise en charge de soins aux femmes enceintes et aux nouveau-nés au sein de maisons de naissance ». Des sages-femmes réaliseront ainsi l’accouchement des femmes enceintes, dans des structures qui ne seront pas elles-mêmes des établissements de santé, mais qui devront être « attenantes à une structure autorisée à l’activité de gynécologie-obstétrique avec laquelle elle doit obligatoirement passer une convention. »

 

Pour avoir vécu, dans ma vie d’avocat, plusieurs fermetures de maternités parce qu’elles ne disposaient pas d’un anesthésiste-réanimateur ou d’un pédiatre en permanence, ce qui les rendaient « dangereuses » d’après les ARH, l’opération surprend et l’exemple de ce qui se pratique dans certains pays amis ne saurait dissiper, en droit interne, le manque de cohérence entre les mesures ainsi décidées ! Toute parturiente ayant vécu une hémorragie de la délivrance est consciente du bénéfice d’être entourée de professionnels compétents, et l’ouverture des maisons de naissance « au nom de la liberté d’accoucher naturellement dans un cadre moins médicalisé parce que ce n’est pas une maladie », inquiète sérieusement pour les femmes non détectées « à risque » maternel et/ou fœtal, peut-être simplement parce que, dans leur démarche d’éviter la médicalisation de leur grossesse, elles auront consulté a minima un médecin généraliste ou une sage-femme, sans bénéficier d’un avis spécialisé après la 1ère consultation. Ces situations ne se rencontrent pas seulement dans les cas de dérives sectaires…

 

En droit, quelles sont les responsabilités encourues en cas de risque non diagnostiqué parce que la parturiente n’est pas venue aux consultations prénatales ?

 

On sait bien que si le défaut de diagnostic procède d’un manquement du médecin ayant suivi la grossesse, qui n’a pas prescrit les examens échographiques ou biologiques utiles, ou n’a pas analysé les résultats bien que les ayant reçus : les soins n’ont pas été attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science. Cette carence engage évidemment sa responsabilité, puisqu’il n’a pu informer du risque la parturiente, qui s’est trouvée dans l’impossibilité de recourir à une éventuelle interruption thérapeutique de grossesse (Cour de cassation, arrêt du 6 mai 2010). De même, s’il n’a pas prescrit d’examens complémentaires et s’est montré trop rassurant (Cour d’appel de Chambéry, 11 mars 2008 : alors que l’analyse du sang révélait un risque de spina-bifida, le médecin s’est contenté de dire à la patiente qu’il était possible qu’il y ait « un petit souci sans gravité à la colonne vertébrale de l’enfant », sans procéder à des examens complémentaires ; ou encore Cour d’appel de Rennes, arrêt du 3 novembre 2009 : responsabilité conjointe du gynécologue et du radiologue, qui n’ont pas, après diagnostic d’anencéphalie sur l’un des jumeaux, procédé à une 3ème échographie de contrôle sur le fœtus, réalisé une échographie morphologique et demandé en l’espèce un avis complémentaire pour l’interprétation de l’IRM). 

 

Mais si, en revanche, c’est la femme enceinte qui n’a pas donné suite aux prescriptions, qui n’a pas fait pratiquer les examens prévus, ou n’est pas revenue consulter le médecin ou la sage-femme, alors il ne doit pas être reproché au professionnel une insuffisance fautive dans la surveillance. Il n’est pas rare qu’une femme qui, ayant ou pas reçu/entendu/compris/retenu l’information sur le suivi général de sa grossesse qui a dû lui être communiquée dans les conditions recommandées par la Haute Autorité de Santé, n’est pas réapparue pour les consultations prénatales suivantes et arrive directement pour accoucher, six mois plus tard.

 

Toute action constitue un cas d’espèce et les juges examineront attentivement la situation pour voir si la femme a reçu une information suffisante l’alertant sur la nécessité d’être suivie pendant sa grossesse. Evidemment, le médecin, quelle que soit sa spécialité, n’aura pas le même comportement avec une patiente qui le consultait régulièrement avant d’être enceinte, et une patiente nouvelle, ou de passage, ou qui déclare avoir un autre médecin et n’avoir pas l’intention de revenir, etc. 

 

Le suivi de la grossesse constitue une démarche continue et évolutive, qui implique la participation effective de la parturiente. Pour que la responsabilité du médecin, ou de la sage-femme, soit engagée, une faute doit être établie. Sans faute : pas de responsabilité (article L. 1142-1.I. du CSP).

 

Le texte voté par l’Assemblée Nationale pour l’expérimentation des maisons de naissance précise que les sages-femmes y accouchent les femmes enceintes « dont elles ont assuré le suivi de grossesse ». L’article L. 4151-3 du code de la santé publique leur impose de faire appel à un médecin en cas de pathologie maternelle, fœtale ou néonatale pendant la grossesse. Mais si le risque n’est pas diagnostiqué, ou s’il l’est tardivement, la femme enceinte peut être classée en « suivi A » (?sans risque ou faible niveau de risque), alors que de meilleures investigations auraient conduit au moins à une demande d’avis d’un gynécologue-obstétricien et/ou d’un autre spécialiste (avis A1 ou A2), voire à un « suivi B » de la grossesse. Le lieu de naissance, hôpital public ou privé ou maison de naissance, et le plateau technique immédiatement disponible, dépendant notamment du classement du suivi de la grossesse, on imagine que les sages-femmes vont être très sérieusement exposées elles-mêmes à un risque professionnel majoré, comme le sera très certainement le montant de leurs primes d’assurance de responsabilité…

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, l’Assemblée Nationale a adopté, en première lecture, dans sa session du 2 novembre 2010, un nouvel article L. 6122-19 au code de la santé publique dans les termes ci-après :

« A partir du 1er septembre 2011 et pendant une période de deux ans, le Gouvernement est autorisé à engager l’expérimentation de nouveaux modes de prise en charge de soins aux femmes enceintes et aux nouveau-nés au sein de structures dénommées : « maisons de naissance », où des sages-femmes réalisent l’accouchement des femmes enceintes dont elles ont assuré le suivi de grossesse, dans les conditions prévues aux articles L. 4151-1 et L. 4151-3. Ces expérimentations ont une durée maximale de cinq ans.
« A cet effet, il est dérogé aux articles L. 1434-2, L. 1434-7 et L. 6122-1.
« Les maisons de naissance ne sont pas des établissements de santé au sens de l’article L. 6111-1 et ne sont pas soumises au chapitre II du titre II du livre III de la deuxième partie.
« Le décret en Conseil d’Etat visé au dernier alinéa du présent article précise notamment que la maison de naissance doit être attenante à une structure autorisée à l’activité de gynécologie-obstétrique avec laquelle elle doit obligatoirement passer une convention.
« L’activité de la maison de naissance est comptabilisée avec celle de la structure autorisée à l’activité de gynécologie-obstétrique autorisée attenante.
« Il peut être dérogé aux dispositions du code de la sécurité sociale relatives aux modalités d’application de la prise en charge de certains actes inscrits sur la liste prévue à l’article L. 162-1-7 de ce même code.
« Par dérogation à l’article L. 162-22-13 du même code, les dépenses nécessaires au fonctionnement des maisons de naissance peuvent être prises en charge en tout ou partie par la dotation annuelle prévue à l’article L. 162-22-14 du même code.
« Les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner à titre expérimental en fonction notamment de l’intérêt et de la qualité du projet pour l’expérimentation et de son intégration dans l’offre de soins régionale en obstétrique. La suspension de fonctionnement d’une maison de naissance inscrite sur la liste peut être prononcée par le directeur général de l’agence régionale de santé pour les motifs et dans les conditions prévues par l’article L. 6122-13. Le retrait d’inscription à la liste est prononcé par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale en cas de manquement grave et immédiat à la sécurité ou lorsqu’il n’a pas été remédié aux manquements ayant motivé la suspension.
« Un premier bilan de l’expérimentation est établi au 31 décembre 2014 par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale en vue de la poursuite ou de l’abandon de l’expérimentation. Le Gouvernement adresse au Parlement un bilan définitif de l’expérimentation dans l’année qui suivra sa fin.
« Les conditions de l’expérimentation et notamment les conditions d’établissement de la liste susmentionnée, les conditions de prise en charge par l’assurance maladie de la rémunération des professionnels, les conditions spécifiques de fonctionnement des maisons de naissance ainsi que les modalités d’évaluation de l’expérimentation à son terme sont fixées par décret en Conseil d’Etat. »

Gynéco Online - Novembre 2010
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L'absence de recrutement par la Clinique de gynécologue-obstétricien pratiquant les césariennes justifie que certains gynécologues-obstétriciens aient résilié leur contrat
(CA Lyon, ch. civ. 1, 29 mars 2011, n° 09/02616)
Isabelle Lucas-Baloup

Toujours à Lyon, 3 obstétriciens exerçant à la Polyclinique des M. vendent leurs actions à une Mutuelle qui reprend l’établissement en en regroupant la maternité avec celle de la Clinique de la R. voisine. Tous les médecins ne pratiquant pas les césariennes, faute de qualification chirurgicale, ce qui générait un surcroît de gardes pour les médecins habilités, qui ont pris soin de faire prendre l’engagement par la Clinique « de procéder au recrutement de médecins spécialistes en gynécologie-obstétrique pour renforcer l’équipe actuelle de manière qu’elle comprenne 4 gynécologues-obstétriciens effectuant des césariennes ». L’arrêt précise : « Il ne peut être contesté que ces dispositions étaient déterminantes pour les médecins signataires de ces contrats puisque le préambule le rappelle expressément. […] Il est constant que la Polyclinique des M. n’a effectué aucun recrutement conforme à ses engagements […]. Il n’apparaît nullement des pièces produites que le non-respect de l’engagement de la Polyclinique d’effectuer l’embauche de médecins spécialistes en gynécologie-obstétrique ait pour origine l’opposition des médecins en place. […] Dès lors c’est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la Polyclinique des M. n’ayant pas rempli ses obligations, les Drs F. M. et M. ont pu justement résilier leur contrat et dit que l’indemnité de résiliation était due en l’absence de toute faute […]. »

Gynéco-Online - Mai 2011
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Obligation pour la Clinique qui transfère sa maternité vers un hôpital d'indemniser les gynécologues-obstétriciens faute d'avoir respecté le délai de préavis de deux ans
(CA Aix en Provence, ch. civ. 1, 26 janvier 2010, n° 08/19445)
Isabelle Lucas-Baloup

L’arrêt ne porte que sur la réparation du non respect par la Clinique la R. d’un délai de préavis de deux ans avant la fermeture de sa maternité et juge : « La Clinique la R. s’oppose au principe du paiement en invoquant, par son appel incident, le fait que la rupture du contrat de collaboration est imputable aux torts exclusifs du Dr A. […] ; Attendu que la lettre de rupture adressée le 24 décembre 2001 informant le Dr A. qu’il serait mis fin au contrat à compter du 31 janvier 2002 n’invoque aucun grief de sorte que c’est à juste titre que le premier juge a considéré que les problèmes auxquels la Clinique la R. a été confrontée face aux exigences de l’Agence Régionale d’Hospitalisation ayant abouti à la décision de fermeture de la maternité et à son transfert vers l’hôpital Saint-Joseph étaient de nature structurelle et généraux, sans aucune faute caractérisée de la part du Dr A. ». La Cour ordonne l’indemnisation du gynécologue-obstétricien en prenant en considération le nombre d’accouchements annuels réalisés dans l’établissement, dès lors qu’il avait un cabinet en ville et une activité non exclusive à la Clinique la R.

Gynéco-Online - Mai 2011
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Suractivité de la maternité : non fautive
(arrêt Cour d’appel Toulouse, 1ère ch., 5 mars 2018, n° 1/06068)
Isabelle Lucas-Baloup

   En application de l’article L. 1142-1 I du code de la santé publique, un établissement de santé n’est responsable qu’en cas de faute, qu’il commet lui-même ou par ses préposés telle qu’un défaut dans l’organisation des services, un manquement à l’obligation d’assurer la continuité des soins en application de l’article L. 1110-1 du CSP, un défaut dans la mise en œuvre des soins paramédicaux ou un manquement à l’obligation de veiller à la sécurité du patient en fonction de son état.

   Une parturiente fait valoir qu’après la 2ème injection d’analgésique effectuée en présence de la sage-femme, elle a été laissée seule avec son compagnon en salle d’accouchement entre 11h45 et 12h15, alors qu’elle était déjà entrée en travail et a accouché seule à 12h09 pendant que son compagnon était parti chercher de l’aide.

   La Cour de Toulouse mentionne que « Dans le contexte de la suractivité importante de la maternité lors de l’accouchement, de l’impossibilité de réguler une activité d’urgence telle que l’obstétrique, du déroulement jusqu’alors normal de la grossesse de Mme N. et de l’extrême rapidité, non prévisible, de son travail, l’absence de médecin et/ou de sage-femme auprès de celle-ci au moment de l’accouchement et dans la demi-heure qui a précédé ne peut même s’il aurait été préférable que l’intéressée n’affronte pas seule ce moment critique dont l’expert judiciaire indique qu’il peut être considéré comme une urgence obstétricale, être imputée à faute à la clinique, que ce soit au travers d’un défaut d’organisation du service ou de continuité des soins ou au travers d’une mauvaise appréciation de la situation d’urgence par son personnel paramédical. »

   L’expertise avait établi que le personnel médical et paramédical présent était conforme aux normes recommandées pour une maternité de type 2 réalisant 3 600 accouchements par an, mais que la clinique a dû faire face à la mi-journée à 7 femmes en travail simultané et 4 accouchements réalisés entre 11h55 et 12h29.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2018


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