Base de données - ORL

Chirurgie à 4 mains => responsabilité partagée
(Cour d’appel de Paris, 1ère ch., 23 mars 2007)
Isabelle Lucas-Baloup

Après une dacryocystorhinostomie (DCR), technique au laser, pratiquée conjointement par deux chirurgiens, l’un ORL l’autre ophtalmologiste, une patiente, qui souffrait initialement de larmoiement, présente une cécité et un ptôsis. Avant l’intervention, un examen fibroscopique avait permis de vérifier l’absence d’anomalie des fosses nasales. Chacun des médecins a établi un compte-rendu opératoire mentionnant la présence de l’autre à son côté, l’ophtalmo ayant placé la sonde d’application du laser et l’ORL déclenché les tirs.
Les experts nommés ont conclu à une co-responsabilité des opérateurs, en retenant que la paroi lacrymo-nasale était suffisamment fine pour permettre la visualisation de l’impact laser et que les soins n’ont pas été conformes aux données acquises de la science médicale, « les impacts laser ayant été appliqués en un endroit où ils n’auraient pas dû l’être et la mauvaise application des impacts laser étant liée à la mauvaise orientation de la sonde d’application du laser sans qu’il leur soit possible de départager la responsabilité de chacun des deux praticiens tellement leurs déclarations étaient contradictoires » mentionne l’arrêt.
Ce qui intéressera l’ensemble des chirurgiens est l’affirmation par l’arrêt qu’en cas de pluridisciplinarité concomitante « chaque chirurgien est tenu d’une obligation générale de prudence et de diligence quant au domaine de compétence du praticien avec lequel il a concouru à l’intervention ; qu’en l’espèce, l’ORL devait vérifier que l’ophtalmologiste avait correctement posé la sonde d’application du laser avant de déclencher les tirs et l’ophtalmologiste devait s’assurer que l’ORL avait visionné la lumière du laser de visée ».
Chaque chirurgien supporte la moitié des conséquences dommageables de l’intervention qu’ils ont pratiquée à quatre mains.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2007
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Décisions récentes d'autorisation ou de refus de sites distincts pour les médecins
(CNOM, 10 décembre 2004)
Isabelle Lucas-Baloup

« Il ne résulte pas de l’instruction du dossier du Dr R., spécialiste en oto-rhino-laryngologie, exerçant à Apt, que l’intérêt de la population de Velaux, commune de 7 680 habitants, et des communes alentour, nécessite l’ouverture d’un cabinet secondaire dans sa spécialité ; en effet, 11 spécialistes de la même discipline exercent à Aix en Provence (17,6 km), 5 à Vitrolles (10,9 km), 4 à Marignane (8 km). »

 

--> autorisation refusée.

 

 

La Lettre du Cabinet - Janvier 2010


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Des délits sexuels sans sexe ?
Isabelle Lucas-Baloup

En février, Théo L., 22 ans, a affirmé que quatre policiers d’Aulnay-sous-Bois lui ont « enfoncé une matraque dans les fesses volontairement » et un rapport médical postérieur évoque un prolapsus rectal modéré avec une probable perforation du rectum. Un policier - mis en examen pour viol - a admis avoir porté un coup de matraque télescopique au niveau des jambes et des cuisses pour faire tomber le jeune homme, alors qu’il se débattait à l’occasion de son interpellation ; un coup serait parti en direction de sa cuisse et l’aurait blessé, sans aucune intention du policier de commettre un délit ou un crime sexuel.

Cet événement invite à s’intéresser à jurisprudentielle de la définition du viol et plus généralement à la responsabilité pénale et disciplinaire de certains médecins ayant franchi les limites des bonnes pratiques professionnelles.

J’avais rappelé l’état du droit pénal français, dans le Quotidien du médecin (janvier 1999), lorsque Bill Clinton avait plaidé, devant le Sénat américain, qu’il n’avait pas menti en déclarant sous serment ne pas avoir eu une « relation sexuelle » avec Monica Lewinsky, dès lors que le Journal of the American Medical Association (JAMA) venait de publier les résultats d’une étude du Kinsey Institute for Sex Research de l’Université de l’Indiana aux termes de laquelle la fellation ne constituait pas une relation sexuelle.

Une jurisprudence protéiforme :

En France, la Cour de cassation juge que l’expression « relation sexuelle » implique nécessairement « un acte de pénétration sexuelle » (1) et, depuis 1984, que la fellation est viol dès lors qu’il y a eu pénétration non consentie de la verge dans la bouche de la victime (2), allant même, en 1997, jusqu’à juger que « tout acte de fellation constitue un viol dès lors qu’il est imposé à celui qui le subit ou à celui qui le pratique » (3), même en présence de fellations réciproques (4).

Pourtant, la jurisprudence se révèle protéiforme sur la présence effective du sexe (la verge ou le vagin) dans l’acte incriminé. C’est essentiellement à l’occasion de la définition des compétences respectives de la cour d’assises (jugeant les crimes, notamment celui de viol) et du tribunal correctionnel (sanctionnant les délits, notamment celui d’attentat à la pudeur) que les juges français ont eu à réfléchir sur la qualification des divers faits et gestes mettant en œuvre « le sexe ».

Traditionnellement, le viol s’entendait d’une « pénétration sexuelle » stricto sensu qui supposait que le sexe du coupable pénétrât dans le sexe de la victime (conjonction sexuelle), définition qui a évolué dès lors que des femmes ont été condamnées pour viol et que des hommes en ont été jugés victimes.

Aujourd’hui, l’article 222-23 du code pénal définit le viol comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise », puni de 15 ans de réclusion criminelle, portés à 20 ans « lorsqu’il est commis par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions » (un policier ou un médecin par exemple).

Bien qu’un texte de droit pénal s’applique restrictivement, les magistrats sont allés assez loin dans la définition de l’acte jusqu’à condamner pour viol des « pénétrations anales pratiquées avec le doigt ou avec des carottes, infligées par une mère à sa fille, dans un but d’initiation sexuelle » (5).

L’intromission d’un corps étranger dans l’anus devenait ainsi une pénétration « sexuelle », ce qui apparaît relever plus d’une approche répressive que d’une analyse strictement anatomique de la cause. La jurisprudence fut identique lorsque le coupable introduisit dans l’anus d’une femme le sexe d’un animal (6) et un pensionnaire « un manche de pioche recouvert à son extrémité d’un préservatif » dans le rectum d’un de ses camarades (7).

Ainsi disparut, au mépris du sens des mots « pénétration » et « sexuelle », l’élément matériel essentiel de l’infraction : la pénétration par le sexe (du coupable) et/ou dans le sexe (de la victime). La pénétration sans le sexe, mais « à connotation sexuelle » était née.

Puis la Cour de cassation a adopté une conception plus objective de la pénétration sexuelle, en refusant la qualification de viol pour l’intromission dans la bouche de ses patientes d’un objet de forme phallique par un médecin gynécologue, en jugeant : « Pour être constitutive d’un viol, la fellation implique une pénétration par l’organe sexuel masculin de l’auteur et non par un objet le représentant » (8).

Des médecins relaxés :

Le « mobile » a permis, dans certains cas, de légitimer l’acte de pénétration : ainsi un médecin-expert, nommé « pour procéder à l’expulsion de tout corps étranger », fut-il relaxé bien qu’ayant diligenté, avec l’aide de deux policiers, un toucher rectal « malgré les véhémentes protestations de la victime » sur une personne suspectée de trafic de stupéfiants après qu’un examen radiologique ait révélé la présence d’enveloppes en latex contenant de l’héroïne dans ses intestins (9).

Des médecins condamnés pénalement :

Un médecin proctologue a vu la Cour de cassation rejeter son pourvoi contre un arrêt de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Caen, après débat sur le choix entre la qualification de viol ou d’agression sexuelle et que les experts nommés aient conclu que « la pénétration digitale vaginale pouvait se justifier médicalement, mais pas des mouvements de va et vient », renvoyant devant la cour d’assises le praticien qui avait abusé de l’autorité que lui conféraient ses fonctions de médecin proctologue (10).

Un médecin biologiste n’eut pas plus de succès auprès des Hauts magistrats de la Cour suprême, lorsqu’il soutenait que le toucher vaginal pratiqué à main nue sur une patiente, sans son consentement et sans prescription médicale en ce sens, était dépourvu de connotation sexuelle, alors qu’il constitue un acte de pénétration sexuelle accompli par surprise sur la personne d’autrui, au sens de l’article 222-23 du code pénal (11).

Pas plus un interne en ORL n’obtint grâce aux yeux de l’assemblée plénière de la Cour de cassation après s’être livré à une exploration pelvienne et rectale d’une patiente bien qu’il prétendait que « ce geste n’était pas dénué de justification médicale », opinion non partagée par quatre experts désignés par le juge d’instruction, l’interne ayant par ailleurs reconnu pendant sa garde à vue avoir éjaculé sur la patiente à son insu (12).

Un dermatologue, au casier vierge et dont l’examen psychiatrique ne mettait en évidence aucune anomalie mentale de dimension aliénante ni de signe de perversion mais des traits de personnalité névrotique à dominante obsessionnelle avec une fragilité narcissique, décrit l’arrêt de la Cour d’appel de Rouen, fut condamné à 2 ans d’emprisonnement avec sursis et interdiction d’exercer la médecine pendant 2 ans à titre de peine complémentaire, du chef du délit d’atteintes sexuelles commises avec surprise sur sa patiente, personne particulièrement vulnérable, pour avoir, après l’examen de son cuir chevelu, « ouvert son pantalon pour en sortir un sexe en érection, le placer face à la bouche de la patiente afin de l’amener à lui faire pratiquer une fellation puis de la diriger vers la salle d’examen pour y avoir une relation sexuelle » (13).

Des gynécologues : Après que 20 femmes, clientes d’un gynécologue exerçant en cabinet privé, aient dénoncé de sa part des pénétrations digitales vaginales à visée non médicale accompagnées, pour certaines d’entre elles, de caresses à caractère sexuel, ce dernier a été renvoyé devant la cour d’assises sous l’accusation de viols aggravés (14). Ce qui fut le cas également, sur plainte de 29 patientes, d’un gynécologue pratiquant des va et vient pendant les échographies gynécologiques avec la sonde d’examen, outre des mouvements du bassin, des touchers anormalement longs, des positions non conformes des patientes et des manœuvres d’excitation du clitoris ne constituant pas des pratiques conformes pour un médecin gynécologue a conclu l’expert nommé (15). Cf. d’autres arrêts de même type (16) (17).

Et des condamnations de la Chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins :

L’Ordre des médecins ne plaisante pas avec les errements en matière de mœurs et moralité de ses ressortissants :

  • radiation du Dr G après qu’il ait été condamné par le Tribunal correctionnel de Metz à 12 mois d’emprisonnement avec sursis pour des faits d’exhibition sexuelle dans une clinique, puis introduction de deux doigts dans le vagin et deux dans l’anus sur une jeune patiente attachée sur un lit d’hôpital après une intervention (18),
  • radiation du Dr H, renvoyé devant la cour d’assises sous l’accusation de viols et agressions sexuelles aggravées (19),
  • radiation du Dr V, après plainte d’une patiente, 16 ans après les actes réprimés (20).

Mais les faits doivent être établis et il ne suffit pas d’affirmer pour démontrer. Une patiente est déboutée de sa plainte contre un gynécologue après que le rapport d’expertise ait conclu que « Melle G a mal interprété les gestes gynécologiques du Dr T, auquel aucun acte contraire à la déontologie médicale ne peut être reproché » à l’occasion d’un toucher vaginal après douleurs pelviennes chroniques, et classement sans suite de la plainte pénale visant des gestes « brusques, déplacés, non professionnels, relevant plutôt d’une perversité qu’au devoir d’un médecin » (21).

La Cour de cassation vérifie, dans ces dossiers, que les magistrats de cours d’appel ont « examiné tant la crédibilité des accusations de la victime que l’argumentation en défense présentée par le médecin » (22).

Les médecins, plus souvent que les policiers, sont exposés au risque de plaintes abusives qui ne défraient pas systématiquement la chronique car elles sont souvent classées sans suite. Quand le professionnel est jugé et relaxé, il se garde de donner à l’affaire une quelconque publicité, car même s’il sort de la procédure rétabli dans son honneur il en demeure à jamais profondément perturbé. De véritables mises en scène par des patientes ayant la volonté de tendre un piège à un praticien ont créé une légitime inquiétude au sein de la profession. J’ai assisté à plusieurs gardes à vue totalement illégitimes, après des dénonciations inventées de toutes pièces aux fins d’obtenir des dommages-intérêts dans le cadre d’une transaction proposée « pour éviter la publicité de l’affaire » annonce clairement la plaignante à son médecin qui sait ne pas avoir démérité mais qu’il sera compliqué de le démontrer car prouver une absence de fait n’est pas chose facile. Quid de ce chef de service qui, après un mois de détention préventive, s’est suicidé le jour de sa sortie de prison, n’ayant plus la force de vivre sereinement après une telle expérience et avant son jugement définitif.

Les personnes qui dénoncent des faits et agissements graves jamais intervenus sont rarement condamnées à la hauteur du préjudice causé. C’est l’une des raisons pour lesquelles, on ne cesse de le répéter en vain, il est impératif et urgent qu’enfin le secret de l’instruction soit respecté. Comme l’est le secret médical.

 

  1. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 28 mars 1990
  2. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 22 février 1984
  3. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 16 décembre 1997
  4. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 28 novembre 2001
  5. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 27 avril 1994
  6. Revue de Sciences Criminelles, 1992, p. 69
  7. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 6 décembre 1995
  8. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 21 février 2007
  9. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 29 janvier 1997
  10. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 20 août 2014
  11. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 22 mars 2000
  12. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 14 février 2003
  13. arrêt Cour d’appel de Rouen, chambre correctionnelle, du 8 février 2007
  14. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 19 septembre 2006
  15. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 17 mars 2010
  16. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 23 janvier 2013
  17. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 9 avril 2014
  18. décision Section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins, 24 avril 2007
  19. décision Section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins, 22 mars 2011
  20. décision Section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins, 30 septembre 2014
  21. décision Section disciplinaire du Conseil national de l’Ordre des médecins, 22 mars 2011
  22. arrêt Cassation, chambre criminelle, du 8 février 2017.

 

La Lettre du Cabinet - Septembre 2017
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Panseuse incompétente, clinique et chirurgien condamnés
(arrêt du 23 juin 2006, 1ère ch. Cour d’appel de Paris, Juris-Data n° 306 800)
Isabelle Lucas-Baloup

En 1993, intervention chirurgicale en ORL avec usage d’une lumière froide et d’un bistouri électrique réservé exclusivement à l’hémostase pendant le temps de l’ablation des cornets inférieurs. Brûlures aux 2è et 3è degrés de la jambe droite du patient, loin du site opératoire. Expertise concluant à un défaut de contact de la plaque dite électrode indifférente servant de second pôle et à l’incompétence de l’aide-soignante intervenue comme panseuse, qui a accompli des actes fautifs, et ce en l’absence d’infirmière diplômée dans la salle d’opération. Il est imputé à faute à la clinique (condamnée à hauteur de 60%) que cette aide-soignante, employée depuis quelques mois seulement, « n’avait pas reçu de formation complémentaire pour être affectée, seule, au bloc opératoire ».
Le chirurgien est également condamné (40%) au motif ci-après : « S’il ne lui était pas possible de toucher la plaque, au risque de se dé-stériliser et prolonger anormalement l’opération, il devait s’assurer, avant d’utiliser le bistouri électrique, du bon emplacement de cette plaque, ne serait-ce que par questionnement de la panseuse, d’autant que la lumière froide n’avait pas été positionnée de manière habituelle et qu’il avait fallu bouger les jambes du patient, fait qu’il ne pouvait ou de devait pas ignorer ».

La Lettre du Cabinet - Décembre 2006
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