Base de données - Professions de santé

Publicité des professions de santé : enfin ça bouge !
(arrêt du 4 mai 2017 de la CJUE, 3ème ch., aff. C-339/15)
Isabelle Lucas-Baloup

   Un arrêt très important a été rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), le 4 mai 2017, sur question préjudicielle posée par le tribunal correctionnel de Bruxelles dans une affaire concernant des poursuites engagées contre un chirurgien-dentiste, M. Luc Vanderborght, pour avoir enfreint une réglementation nationale interdisant toute publicité pour des prestations de soins buccaux et dentaires.

    La CJUE répond notamment que :

 « La directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (directive sur le commerce électronique), doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d’un site créé par un dentiste. »

 « L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires. »

    Le droit belge est identique au droit français en ce qui concerne l’interdiction de la publicité pour les chirurgiens-dentistes, dès lors que l’article 1er de la Wet betreffende de publiciteit inzake tandverzorging (loi relative à la publicité en matière de soins dentaires) prévoit : « Nul ne peut se livrer directement ou indirectement à quelque publicité que ce soit en vue de soigner ou de faire soigner par une personne qualifiée ou non, en Belgique ou à l’étranger, les affections, lésions ou anomalies de la bouche et des dents […]. »

   Cet arrêt présente donc un intérêt majeur en France, pour l’ensemble des professions de santé réglementées, et notamment pour les :

  •  chirurgiens-dentistes, dont l’article R. 4127-215 du code de la santé publique (CSP) interdit « tous procédés directs ou indirects de publicité » ;
  • médecins, dont l’article R. 4127-19 du même code interdit « tous procédés directs ou indirects de publicité » ;
  • pharmaciens et médecins biologistes, dont l’article L. 6222-8 du CSP interdit « toute forme de publicité ou de promotion, directe ou indirecte, en faveur d’un laboratoire de biologie médicale » ;
  • sages-femmes, dont l’article R. 4127-310 du même code interdit « tous procédés directs ou indirects de publicité » ;
  • masseurs-kinésithérapeutes, dont l’article R. 4321-67 du même code interdit « tous procédés directs ou indirects de publicité » ;
  • et infirmiers, dont l’article R. 4312-76 du même code interdit « tous procédés directs ou indirects de réclame ou de publicité ». 

   Plutôt que continuer à interdire purement et simplement la publicité pour les professionnels de santé, l’Etat français devrait prendre en considération l’évolution du droit communautaire et engager les réformes qui s’imposent, afin de se mettre en conformité avec les dispositions ci-après :

 1. La directive 2000/31 sur la société de l’information :

    Le considérant 18 de la directive 2000/31 énonce : « Les services de la société de l’information englobent un large éventail d’activités économiques qui ont lieu en ligne. […] Les services de la société de l’information ne se limitent pas exclusivement aux services donnant lieu à la conclusion de contrats en ligne, mais, dans la mesure où ils représentent une activité économique, ils s’étendent à des services qui ne sont pas rémunérés par ceux qui les reçoivent, tels que les services qui fournissent des informations en ligne ou des communications commerciales […]. Les activités qui, par leur nature, ne peuvent pas être réalisées à distance ou par voie électronique, telles que le contrôle légal des comptes d’une société ou la consultation médicale requérant un examen physique du patient, ne sont pas des services de la société de l’information. »

     L’article 8, § 1 et 2, de ladite directive, intitulé « Professions réglementées », est libellé comme suit :

 « 1. Les Etats membres veillent à ce que l’utilisation de communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information fourni par un membre d’une profession réglementée, ou qui constituent un tel service, soit autorisée sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession ainsi que le secret professionnel et la loyauté envers les clients et les autres membres de la profession.

« 2. Sans préjudice de l’autonomie des organismes et associations professionnels, les Etats membres et la Commission encouragent les associations et les organismes professionnels à élaborer des codes de conduite au niveau communautaire pour préciser les informations qui peuvent être données à des fins de communications commerciales dans le respect des règles visées au paragraphe 1. »

    Dans ses points 37 et suivants, l’arrêt de la CJUE énonce :

 « 37.  Il y a lieu de considérer que la publicité en ligne est susceptible de constituer un service de la société de l’information au sens de la directive 2000/31 […].

« 38. Par ailleurs, l’article 2, sous f), de cette directive précise que la notion de « communication commerciale » couvre notamment toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des services d’une personne exerçant une profession réglementée.

« 39. Il s’ensuit que la publicité relative aux prestations de soins buccaux et dentaires, faite au moyen d’un site Internet créé par un membre d’une profession réglementée, constitue une communication commerciale faisant partie d’un service de la société de l’information ou constituant un tel service, au sens de l’article 8 de la directive 2000/31.

« 40. Partant, il y a lieu de considérer que cette disposition implique, […], que les Etats membres doivent s’assurer que de telles communications commerciales soient, en principe, autorisées. […]

« 42. Il convient, en effet, de rappeler que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2000/31 a pour objet de permettre aux membres d’une profession réglementée d’utiliser des services de la société de l’information afin de promouvoir leurs activités.

« 43. Cela étant, il ressort de cette disposition que des communications commerciales telles que celles mentionnées au point 39 du présent arrêt ne doivent être autorisées que sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession réglementée concernée ainsi que le respect du secret professionnel et la loyauté tant envers les clients qu’envers les autres membres de cette profession.

« 44. Pour autant, les règles professionnelles mentionnées à ladite disposition ne sauraient, sans priver celle-ci d’effet utile et faire obstacle à la réalisation de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union, interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne destinée à promouvoir l’activité d’une personne exerçant une profession réglementée.

« 45. Cette interprétation est corroborée par le fait que l’article 8, § 2, de la directive 2000/31 prévoit que les Etats membres et la Commission encouragent l’élaboration de codes de conduite ayant pour objet, non pas d’interdire ce genre de publicité, mais plutôt de préciser les informations qui peuvent être données à des fins de communications commerciales dans le respect de ces règles professionnelles.

« 46. Il s’ensuit que, si le contenu et la forme des communications commerciales visées à l’article 8, § 1, de la directive 2000/31 peuvent valablement être encadrées par des règles professionnelles, de telles règles ne sauraient comporter une interdiction générale et absolue de ce type de communications.

« 47. Cette considération est également valable en ce qui concerne une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui ne s’applique qu’aux dentistes.

« 48. En effet, il convient de relever que le législateur de l’Union n’a pas exclu de professions réglementées du principe d’autorisation des communications commerciales en ligne prévu à l’article 8, § 1, de la directive 2000/31.

« 49. Dès lors, si cette disposition permet de tenir compte des particularités des professions de santé dans l’élaboration des règles professionnelles y afférentes, en encadrant, le cas échéant de manière étroite, les formes et les modalités des communications commerciales en ligne mentionnées à ladite disposition en vue notamment de garantir qu’il ne soit pas porté atteinte à la confiance qu’ont les patients envers ces professions, il n’en demeure pas moins que ces règles professionnelles ne sauraient valablement interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité en ligne destinée à promouvoir l’activité d’une personne exerçant une telle profession.

« 50. Au vu des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux 4ème et 5ème questions que la directive 2000/31 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires, en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d’un site Internet créé par un dentiste. »

Pourquoi ce qui est valable pour un chirurgien-dentiste ne le serait-il pas pour les autres professionnels de santé énumérés supra ? Par analogie ils peuvent revendiquer le bénéfice des mêmes dispositions communautaires, qui n’ont pas été parfaitement transposées en droit interne français, par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004.

 

2. L’article 56 TFUE et les restrictions à la libre prestation de services à l’intérieur de l’Union :

« Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation. »

   L’arrêt rappelle tout d’abord qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que « doivent être considérées comme des restrictions à la libre prestation des services toutes les mesures qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (voir, en ce sens, arrêts du 17 juillet 2008, Corporación Dermoestética, C-500/06, EU:C:2008:421, point 32 ; du 22 janvier 2015 Stanley International Betting et Santleybet Malta, C-463/13, EU:C:2015:25, point 45, ainsi que du 28 janvier 2016, Laezza, C-375/14, EU:C:2016:60, point 21).

   Puis l’arrêt énonce :

« 63. Or, une législation nationale qui interdit, de manière générale et absolue, toute publicité pour une certaine activité est de nature à restreindre la possibilité, pour les personnes exerçant cette activité, de se faire connaître auprès de leur clientèle potentielle et de promouvoir les services qu’ils se proposent d’offrir à cette dernière.

« 64. Par conséquent, une telle législation nationale doit être considérée comme emportant une restriction à la libre prestation des services. […]

« 71. S’agissant de la nécessité d’une restriction à la libre prestation des services telle que celle en cause au principal, il doit être tenu compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le Traité et qu’il appartient, en principe, aux Etats membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Celui-ci pouvant varier d’un Etat membre à l’autre, il convient de reconnaître aux Etats membres une marge d’appréciation. […]

 75. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que les objectifs poursuivis par la législation en cause au principal pourraient être atteints au moyen de mesures moins restrictives encadrant, le cas échéant, de manière étroite, les formes et les modalités que peuvent valablement revêtir les outils de communication utilisés par les dentistes, sans pour autant leur interdire de manière générale et absolue toute forme de publicité.

« 76. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la 6ème question que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires. »

  Aux autres professionnels de santé qui sont également interdits de toute publicité directe ou indirecte de développer les effets de l’article 56 TFUE à leur avantage…

  Dans d’autres articles accessibles sur le site www.lucas-baloup.com, j’ai déjà commenté les délicats rapports de la publicité et des professionnels de santé (cf. notamment revues de jurisprudence ordinale), en rappelant combien la profession d’avocat a su être moins frileuse et a organisé en son sein des instruments de contrôle qui permettent aux avocats de communiquer sur leurs activités tout en les soumettant à des sanctions si la publicité est mensongère ou trompeuse, ou si elle contient des mentions comparatives ou dénigrantes d’autrui.

  Combien de temps faudra-t-il à l’Etat français pour harmoniser le droit déontologique interne (par voie de décrets) avec les textes de l’Union européenne ? Combien de professionnels seront encore poursuivis et condamnés pour des communications qualifiées publicitaires, prohibées en France d’une manière générale et absolue, ce qui constitue, l’arrêt commenté en manifeste la preuve, une violation du droit de l’Union européenne ?

  Que cet arrêt soit l’occasion, pour les instances ordinales, les syndicats professionnels et associations de défense des intérêts des médecins, des chirurgiens-dentistes, des pharmaciens biologistes, des sages-femmes et des masseurs-kinésithérapeutes, de revendiquer les réformes qui s’imposent pour que soit autorisée une communication saine et loyale sur les prestations offertes au sein des cabinets de ces professionnels de santé, dans le respect des principes essentiels de chaque profession. C’est clairement l’intérêt des patients d’être parfaitement informés.

 

 

 

 

La Lettre du Cabinet - Janvier 2018


Mots clefs associés à cet article :
Professions de santé Publicité

Voir le contenu de l'article [+]