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Pacte d'associés : attention danger
Isabelle Lucas-Baloup

Avec la multiplication des sociétés d’exercice libéral (SEL) et leurs déclinaisons en SELARL, SELAFA, SELAS, SELCA, outre que les cabinets d’imagerie médicale, de radiothérapie et d’oncologie, d’anatomopathologie, de médecine nucléaire ou de chirurgie dentaire, des laboratoires de biologie médicale, des pharmacies d’officine, des cliniques vétérinaires, c’est-à-dire toutes les structures avec plateaux techniques onéreux, les professionnels de santé se voient conseiller par leurs experts-comptables, avocats et banquiers la constitution de sociétés et groupements satellites propres à « simplifier » (?! pas toujours) la gestion et les investissements. Les sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL) ont ajouté une ligne au sommet d’organigrammes de plus en plus compliqués, puisqu’on peut y trouver plusieurs SEL, plusieurs SCM, GIE, SARL, SA et SAS pour répartir les autorisations administratives, le matériel, les personnels, sans oublier les sociétés indépendantes pour acquérir et louer l’immobilier. Bref, un médecin est unique mais il s’avère de plus en plus impliqué dans plusieurs sociétés civiles, commerciales et immobilières dès lors que son activité requiert une structure de moins en moins gérée en bon père de famille mais d’une manière hyper-spécialisée, c’est-à-dire déléguée à des professionnels non-médecins, qui transposent à l’entreprise médicale des pratiques avec des instruments juridiques et fiscaux qui ne relevaient hier que du commerce et de l’industrie.

Parmi ces pratiques, se développent les pactes d’associés ou d’actionnaires, les pactes dits extra-statutaires, des contrats dans lesquels on met ce qu’on n’ose pas écrire dans les statuts des professions réglementées, par discrétion, ou par crainte que la copie soit refusée par les ordres professionnels dont le feu vert est indispensable à l’immatriculation de chaque SEL au registre du commerce et des sociétés.

L’intérêt du pacte d’associés – qui peut être conclu seulement entre certains d’entre eux et pas tous, par exemple entre associés fondateurs du cabinet ayant un intérêt commun - est sa force contractuelle : il lie chaque signataire qui se voit dès lors tenu de le respecter, là où une obligation prévue dans les statuts ou dans le règlement intérieur pourra évoluer à la suite d’une décision collective des associés, sans unanimité, ou en assemblée générale parfois ordinaire. Le pacte est un contrat qui le plus souvent va prévoir des règles de fonctionnement ou d’organisation de la société, autoriser un droit de communication de certains documents aux associés minoritaires non gérants ou administrateurs, ou imposer la désignation de dirigeants (par exemple une parité entre deux cabinets fusionnés) ou encadrer leurs pouvoirs, instituer un parachute doré, ou des engagements personnels en cas de cessions de titres, des clauses d’agrément non prévues aux statuts pour éviter l’arrivée d’investisseurs non désirés, des clauses « anti-dilution », de préemption, pour maintenir la concentration du pouvoir entre certaines mains, des clauses d’inaliénabilité des titres pendant une certaines durée (le délai de remboursement d’emprunts par exemple), des clauses de sorties (sortie forcée : conférant le droit pour certains associés d’obliger d’autres associés à vendre leur participation en même temps et aux mêmes conditions notamment financières, ou sortie conjointe) ou clause d’exclusion, ou toutes clauses contenant des obligations de voter dans tel sens sur certains sujets (par exemple, voter en assemblée générale ordinaire la distribution des dividendes si les comptes sociaux le permettent), enfin une clause de décote de la valeur des parts ou actions pour certaines raisons, la liste n’est pas exhaustive.

Le pacte peut être conclu pour une durée provisoire, alors que les statuts organisent la société pour toute sa durée, sauf modification votée en assemblée générale extraordinaire. Les signataires du pacte peuvent, en toute confidentialité, modifier son contenu, sans que les actionnaires non signataires du pacte ne l’apprennent.

La Cour de cassation juge que le pacte entre actionnaires est valable lorsqu’il n’est pas contraire à une règle d’ordre public, à une stipulation impérative des statuts ou à l’intérêt social (Cass. com., 7 janvier 2004, n° 00-11692). De la sorte, et c’est un inconvénient du pacte d’associés, les signataires ne sont jamais complètement certains de son opposabilité, il existe le plus souvent un risque en cas de conflit au moment de son exécution, de voir une juridiction décider que l’engagement est illicite pour une raison ou une autre.

Ainsi dans un arrêt du 26 avril 2017, la Cour de cassation a privé d’efficacité un pacte d’actionnaires ayant prévu, dans un souci d’égalité animant ses signataires, que la société issue de la fusion serait administrée par un conseil d’administration composé par un nombre pair de membres choisis à parité parmi les candidats présentés par les deux sociétés fusionnées, en jugeant qu’est « illicite toute stipulation ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la libre révocabilité de l’administrateur d’une société anonyme ». On ignore si le principe sera étendu aux autres formes de sociétés, notamment à une SELAS ou une SELARL…

Depuis la réforme du droit des contrats intervenue le 1er octobre 2016, la disparition de l’ancien article 1142 du code civil [Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur.] permettra, dans certaines circonstances, d’exiger l’exécution de l’obligation et non plus seulement des dommages-intérêts en réparation du préjudice né de l’inexécution.

La rédaction du pacte d’associés expose ses signataires à un risque de validité si elle fait apparaître des obligations exagérément ou significativement déséquilibrées entre les parties. Il est, depuis la réforme du code civil, encore difficile de conseiller les actionnaires sur la place des curseurs dans la mesure du caractère exagéré du déséquilibre.

Il est donc essentiel de lire avant de signer. Si les statuts peuvent être modifiés à la majorité qu’ils prévoient à cette fin, le pacte d’associés, une fois signé, n’évoluera – en sa qualité de contrat qui fait la loi des parties – qu’à l’unanimité de ses signataires. Ne pas oublier non plus qu’il ne se transmet pas de plein droit aux nouveaux associés, qui doivent impérativement le signer pour être tenus de le respecter.

Le pacte d’associés constitue en conséquence un instrument juridique souvent très utile, mais parfois mal maîtrisé, de sa rédaction à son exécution. C’est alors une bombe à retardement, qui peut compliquer singulièrement la vie professionnelle d’un médecin qui n’a pas parfaitement compris le jour de la signature son contenu et ses effets. C’est au moment de sa mise en œuvre que la surprise peut être désagréable. Prudence.

La Lettre du Cabinet - Janvier 2018


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