Base de données - Clause de non-concurrence

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Clause de non-concurrence, concurrence déloyale, le point sur les règles de droit applicables
Bertrand Vorms

L'évolution récente de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de validité des clauses de non-concurrence stipulées dans un contrat de travail a conduit à une relative perte de repères des règles de droit applicables, à tel point que certains sont aujourd'hui convaincus que les engagements de non-réinstallation ne seraient plus valables. Il n'en est rien.
Conditions de validité pour les salariés :
Depuis une série d'arrêts, abondamment commentés, en date du 10 juillet 2002 (Cass. soc. Bull. civ. V n° 239), jamais démentis depuis (notamment Cass. soc. 3 novembre 2004, nos 02-45881 et 02-46313, www.legifrance.gouv.fr), la Haute juridiction subordonne au double visa du principe fondamental du libre exercice d'une activité professionnelle et de l'article L. 120-2 du code du travail, la validité d'une clause de non-concurrence à une nouvelle condition : "l'obligation, pour l'employeur, de verser au salarié une contrepartie financière", cumulative avec celles dégagées par sa jurisprudence antérieure, à savoir : "être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, être limitée dans le temps et dans l'espace et tenir compte des spécificités de l'emploi du salarié".
Cette nouvelle exigence s'appliquant rétroactivement, nombre de clauses sont susceptibles d'être déclarées nulles si les contrats des salariés qui les contiennent ne prévoient pas de contrepartie (payable pendant toute la durée d'exécution du contrat ou à son terme), sauf si l'obligation de la régler résulte de la convention collective ou d'un accord interprofessionnel applicable au contrat (Cass. soc. 10 mars 2004, n° 02-40108, www.legifrance.gouv.fr).
Une partie importante de la doctrine considère que l'employeur ne peut, unilatéralement, ajouter cette contrepartie et en fixer le montant, au motif qu'elle constitue une modification du contrat de travail (puisqu'elle a pour effet de rendre valide une disposition nulle à défaut), soumise, en tant que telle, à l'accord exprès du salarié, ce qu'a confirmé la ministre des affaires sociales (rep. min. n° 16810 : JO débats AN, 16 mars 2004, p. 2016).
La plupart des salariés concernés par ces engagements de non-concurrence sont aujourd'hui susceptibles de recouvrer leur pleine liberté d'exercice au bénéfice de toute autre entreprise, à l'issue de leur contrat.
Conséquence du non-respect de la clause par un salarié :
Sous réserve qu'elle soit valable, sa violation par le salarié(laquelle ne peut résulter de la simple sollicitation d'un emploi similaire dans une société concurrente si elle n'est pas accompagnée d'actes de concurrence actifs (réaffirmé notamment par Cass. soc. 12 mai 2004, n° 02-40490, www.legifrance.gouv.fr), libère l'employeur de son obligation de régler la contrepartie financière (Cass. soc. 5 mai 2004, n° 01-46661, www.legifrance.gouv.fr) et lui ouvre la voie à la restitution des sommes déjà payées à ce titre, outre la possibilité de demander en Justice des dommages et intérêts (si la concurrence lui a causé un préjudice spécifique) et/ou d'exiger, sur le fondement de l'article 1143 du code civil, la cessation de l'activité concurrente.
La Cour de cassation a ainsi débouté un ancien gérant salarié d'une clinique d'Ile-de-France de sa demande tendant à faire censurer l'arrêt de cour d'appel l'ayant condamné à restituer 304 666 F (46 446 €) d'indemnité de non-concurrence aux motifs suivants : "Attendu que l'arrêt relève, d'un côté, que l'engagement de non-concurrence litigieux est limité à une durée de trois ans à la région Ile-de-France, ainsi qu'aux groupes nationaux et au secteur de l'hospitalisation privée ; que M. X… ne démontre pas qu'il n'existe pas de poste de gérant ou de directeur de cliniques dans les groupes d'étendue régionale ; qu'en outre la formation de M. X…, à la fois médicale et financière, devait lui permettre de postuler à des postes nombreux et variés et qu'il retient, de l'autre, que le montant de l'indemnité, dont M. X… ne prétend pas avoir sous-estimé la rigueur, lorsqu'il a exprimé son accord, fait la loi des parties, dès lors qu'il a été accepté en connaissance de cause, ce dont il découle que l'engagement n'était pas disproportionné dans son étendue et qu'il avait été rémunéré par une somme librement négociée entre la société et son gérant ; que la cour d'appel […] a légalement justifié sa décision et pu statuer comme elle a fait." (Cass. com. 21 septembre 2004, n° 00-18265, www.legifrance.gouv.fr).
Limites au principe de la liberté de la concurrence :
Si le revirement de jurisprudence précité est susceptible de conduire à l'annulation de nombre de clauses de non-concurrence jusque-là considérées licites, la liberté de réinstallation des salariés concernés, comme celle des dirigeants non salariés ou des praticiens libéraux, trouve sa limite dans le principe de l'interdiction de la concurrence déloyale. Celle-ci ne peut résulter que de la commission de faits, tels que détournement de clientèle, débauchage de salariés, confusion entretenue volontairement entre les deux entreprises successives, dénigrement des produits ou de la politique de l'ancien employeur. A défaut, la concurrence n'est pas déloyale.
Ainsi, par exemple, la Cour de cassation a-t-elle été amenée à censurer un arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui, en écartant une clause de non-concurrence stipulée dans un contrat d'association conclu entre praticiens libéraux, avait néanmoins condamné l'un des médecins à payer aux autres des indemnités pour ouverture d'un cabinet de consultation dans le même immeuble que celui qu'il exploitait précédemment avec ses confrères, en considérant que : "Ce choix délibéré et conscient présente un caractère fautif puisque le Docteur D… n'établit pas que ses associés sont à l'origine de la rupture - les torts étant partagés - et qu'au lieu de s'établir dans la ville à une autre adresse, ce qui l'aurait placé hors de toute critique, une telle option étant de nature à permettre une concurrence loyale, il a, au contraire, choisi d'implanter son cabinet là où il pouvait encore profiter des bénéfices de l'association passée et rompue, ce qui était de nature à lui procurer un avantage indu par rapport à ses ex-associés qui n'avaient aucun moyen pratique pour prévenir la captation de clientèle en découlant." Cette décision est censurée au motif que : "En statuant ainsi, après avoir déclaré inapplicable en l'espèce la clause de non-concurrence, alors que n'est pas fautif, en lui-même, le fait pour un médecin, précédemment associé d'une société en participation, dissoute judiciairement, de poursuivre son activité professionnelle dans le même immeuble que ses anciens associés, la Cour d'appel a violé le texte susvisé" (Cass. com. 15 janvier 2002, n° 99-18799, www.legifrance.gouv.fr).
A défaut de clause de non-concurrence et en l'absence de preuve de manœuvres actives de concurrence déloyale, la chambre commerciale de la Cour de cassation fait prévaloir le principe de la liberté d'installation. Peut-être les plaignants auraient-ils été plus avisés de fonder leur action non sur le terrain de la concurrence déloyale, mais sur celui de la violation d'une obligation déontologique, résultant de l'article 90 du code de déontologie médicale applicable à l'époque des faits (devenu article R. 4127-90 du code de la santé publique) aux termes duquel : "Un médecin ne doit pas s'installer dans un immeuble où exerce un confrère de même discipline sans l'accord de celui-ci ou sans l'autorisation du conseil départemental de l'Ordre. Cette autorisation ne peut être refusée que pour des motifs tirés d'un risque de confusion pour le public."
A l'inverse, adresser une correspondance ayant "pour objet d'inviter les clients de [l'ancienne] société à s'adresser désormais à la [nouvelle], en se prévalant de ce que "le service, le sérieux, la compétence et la déontologie disparaissent des grandes structures" a légitimement pu conduire une cour d'appel à considérer que cette lettre "était constitutive d'un dénigrement" procédant d'une concurrence déloyale" (Cass. com. 12 mai 2004, n° 02-19199, www.legifrance.gouv.fr).
A cette prohibition générale de la concurrence déloyale s'ajoute celle, résultant de l'article R. 4127-86 du code de la santé publique (ancien article 86 du code de déontologie médicale), aux termes duquel : "Un médecin ou un étudiant qui a remplacé un de ses confrères pendant trois mois, consécutifs ou non, ne doit pas, pendant une période de deux ans, s'installer dans un cabinet où il puisse entrer en concurrence directe avec le médecin remplacé et avec les médecins qui, le cas échéant, exercent en association avec ces derniers, à moins qu'il n'y ait entre les intéressés un accord qui doit être notifié au conseil départemental. A défaut d'accord entre tous les intéressés, l'installation est soumise à l'autorisation du conseil départemental de l'ordre".
Non-concurrence et exercice libéral :
Sauf dans le cadre du respect des dispositions du code de déontologie médicale, figurant aujourd'hui sous les articles R. 4127-1 et suivants du code de la santé publique, il n'existe pas un principe général qui interdirait la concurrence entre praticiens libéraux, au contraire, la liberté d'installation étant la règle. Son application rigoureuse conduit, parfois, à des solutions jurisprudentielles qui peuvent apparaître, de prime abord, choquantes. C'est ainsi que la Cour de cassation a été conduite à rejeter le pourvoi exercé par une société civile professionnelle de médecins à l'encontre d'un arrêt, rendu par la Cour d'appel de Bourges, dans un litige l'opposant à l'un de ses anciens associés : ce dernier avait fait usage de son droit de retrait stipulé aux statuts, ce qui avait conduit ses anciens associés à lui racheter ses parts sociales à une somme, fixée par expertise, à plus de 500 000 F (76 224 €), alors même qu'il s'était réinstallé à proximité immédiate de l'ancien cabinet commun. La SCP reprochait à la Cour de s'être prononcée ainsi sans tenir compte de ce que cette installation "à proximité des locaux de l'ancien cabinet commun avait causé à la société une baisse certaine de son chiffre d'affaires dans la mesure où de nombreux clients avaient suivi l'intéressé dans son nouveau lieu d'exploitation […], sous prétexte que cet état de fait ne pouvait être reproché au retrayant puisque les statuts ne prévoyaient pas, contrairement aux usages, de clause de non-concurrence dans un rayon minimum". La Haute juridiction n'accueille pas cette critique en jugeant que : "En l'absence d'une clause de non-concurrence, la Cour d'appel, qui n'était pas saisie d'une action en concurrence déloyale et qui était souveraine dans son évaluation des parts, n'a violé aucun des textes visés au moyen".
Lorsqu'une clause de non-concurrence est stipulée, elle doit impérativement être respectée, sous réserve, néanmoins, que sa rédaction la rende valable, ce qui implique qu'elle doive cumuler les critères de limitation dans le temps et dans l'espace et de proportionnalité à la protection des intérêts légitimes du bénéficiaire, cette dernière notion ayant tendance à devenir prépondérante dans la jurisprudence récente de la Cour de cassation.
C'est ainsi que par un arrêt de principe en date du 11 mai 1999 (Cass. civ. 1ère, 11 mai 1999, n° 97-14493, www.legifrance.gouv.fr), la Haute juridiction a jugé, sous le visa de l'article 1131 du code civil (article 1131 : "L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet") : "Attendu que pour constater que M. X… avait violé la clause de non-concurrence contenue dans le contrat d'association provisoire qu'il avait signé, le 1er avril 1995, avec MM. Y... et Z..., médecins à Cayenne, l'arrêt attaqué retient, par motifs propres et adoptés, que la clause, étant limitée à une durée de deux ans et à un rayon de 100 km du siège du cabinet objet du contrat d'association provisoire, ne faisait pas obstacle à la liberté de choix du malade et n'interdisait pas au médecin d'exercer sa profession ailleurs que dans la zone interdite et dans le délai contractuellement prévu, de sorte qu'elle était licite ; Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si cette clause était proportionnée aux intérêts légitimes à protéger, compte tenu de la durée du contrat et du lieu d'exercice de la profession, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé."
On ne saurait trop recommander à un médecin tenté de ne pas respecter l'engagement de non-réinstallation qu'il a souscrit de tirer de cette motivation de la Cour de cassation les enseignements qui s'imposent : ce n'est que parce que le contrat d'association était provisoire et n'avait duré que peu de temps, et en raison de la localisation du cabinet d'exercice, que la clause, parfaitement valable dans d'autres circonstances, a été déclarée illicite.
La prudence s'impose.

La Lettre du Cabinet - Janvier 2005


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