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Quelle « communauté de vie » pour le couple candidat à l’AMP ?
Isabelle Lucas-Baloup
   Avant la réforme intervenue par la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique (c’est-à-dire sous le régime de la loi n° 2004-800 du 6 août 2004), l’assistance médicale à la procréation (AMP) était encadrée strictement par l’article L. 2141-2 du code de la santé publique (CSP) :

 

 

 

« L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans et consentant préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. »

 

 

 

   Depuis la réforme de 2011, la condition de stabilité de 2 ans de vie commune est supprimée dans le nouvel article L. 2141-2 du CSP :

 

 

 

« L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer, et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation.  »

 

 

 

   Dans la hiérarchie des normes, un arrêté ne peut être contraire à la loi. Le problème est que l’arrêté relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’AMP du 11 avril 2008, a été modifié par un arrêté du 3 août 2010, lui-même modifié par un arrêté du 2 juin 2014 (JO n° 134 du 12 juin 2014 page 9778), signé par Monsieur B. Vallet, Directeur Général de la Santé, qui n’a pas pris en considération le préambule de l’annexe qui mentionne donc toujours l’exigence de la « preuve d’une vie commune d’au moins deux ans » et au § II-5 de l’Annexe à l’arrêté l’exigence avant le recours à l’AMP d’un « justificatif du mariage ou tout document apportant les éléments en faveur d’une durée de vie commune d’au moins deux ans ». 

 

   Néanmoins, la loi nouvelle ayant supprimé l’obligation d’être « mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans », ni le gynécologue ni le médecin biologiste n’est en droit d’exiger une preuve supprimée par la réforme de 2011.La déclaration écrite sur l’honneur de l’homme et la femme déclarant vivre en couple suffit sans obligation d’apporter la preuve d’une durée de 2 ans de vie commune. 

 

   En revanche, il est indispensable, pour le gynécologue et le biologiste, de faire signer un formulaire dans lequel l’homme et la femme certifient sur l’honneur : 

 

-        consentir au transfert des embryons ou à l’insémination,

 

-        s’ils sont mariés ensemble : ne pas avoir déposé une requête en divorce ou en séparation de corps,

 

-        s’ils ne sont pas mariés ensemble : déclarer ne pas être mariés avec une autre personne et être actuellement en état de vie commune. 

 

   Les médecins n’ont pas à se convertir en détectives privés pour vérifier la pertinence des déclarations sur l’honneur de l’homme et la femme formant le couple demandeur à l’AMP et n’ont pas non plus à leur imposer une durée minimum de deux ans de vie commune que la dernière loi de bioéthique (2011) a écartée.

 

   Le but est d’éviter un conflit de « présomption de paternité », si la femme ment en déclarant être divorcée alors qu’elle ne l’est pas, mais l’article 314 du code civil écarte cette présomption de paternité avec l’homme n° 1 lorsque l'acte de naissance de l'enfant ne désigne pas celui-ci (« le mari » non divorcé contrairement à la déclaration de la mère), et que l'enfant n'a pas de possession d'état à son égard. Le couple obtenant l’AMP déclarera l’homme n° 2 comme étant le père et non le « mari non divorcé » lequel ne pourra pas établir la « possession d’état » de l’enfant puisqu’il n’existait plus de vie commune avec lui au moment de l’AMP et que l’enfant ne vivra normalement pas (ou alors vous êtes tombés sur une situation vaudevillesque très très compliquée…)  sous son toit. Le risque juridique n’est donc pas exclu si la mère signe une déclaration sur l’honneur frauduleuse, mais c’est aux parties (la mère, le père et le mari qui n’est pas le père) à gérer les effets éventuels de la fraude, pas aux cliniciens et biologistes qui peuvent s’en tenir aux termes de la loi de bioéthique modifiée.

 

   En conclusion, l’article L. 2141-2 n’exige pas « la preuve du divorce » d’avec un autre homme que celui avec lequel la femme constitue aujourd’hui le couple demandeur et qui en atteste par un écrit qui doit être conservé précieusement dans le dossier médical, comme la mention qu’aucun autre obstacle juridique et/ou médical à l’AMP n’est constaté ce qui sera tracé également dans le dossier à archiver.
Gynéco Online - Juillet 2014


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Viol au sein du couple
Isabelle Lucas-Baloup

Chacun sait que le viol constitue un crime, mais les choses se compliquent pour certain(e)s – auteurs et victimes – quand on confronte, pour le meilleur et pour le pire, la notion de viol avec l’obligation de devoir conjugal. Plusieurs affaires récentes ont défrayé la chronique sur les violences sexuelles pénalement répréhensibles entre époux et concubins pacsés, qui conduisent à relire son code pénal avant de passer à l’action sur l’oreiller et ainsi éviter un transfert postérieur du lit conjugal à la chambre correctionnelle :

 

Quelques repères juridiques :

 

  • viol : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle. »

(article 222-23, code pénal).

 

  • viol entre époux ou personnes pacsées : « Le viol est puni de 20 ans de réclusion criminelle : […] 11° lorsqu’il est commis par le conjoint ou le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. »

(article 222-24, code pénal).

 

  • devoir conjugal : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance. »

(article 212, code civil).

 

  • rôle du consentement : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. »

(article 222-22, 2ème alinéa, code pénal).

 

L’article 36 de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a supprimé la phrase : « Dans ce cas, la présomption de consentement des époux à l'acte sexuel ne vaut que jusqu'à preuve du contraire. », qui avait été introduite par une loi du 4 avril 2006. Désormais, la notion de « présomption de consentement des époux à l’acte sexuel » qui a existé de 2006 à 2010 est supprimée du code pénal, mais elle n’a pas encore quitté l’esprit de certain(e)s adeptes de la tyrannie conjugale.

 

 

Le tableau juridique ainsi dressé encadre, sous la photo du mariage, un espace de rapports sexuels relativement bien défini : ce qui est consenti est légitime et légal, ce qui est imposé constitue un crime, au sein du couple, comme en dehors du couple.

 

Se pose alors, après la question de routine « tu veux ou tu veux pas ? » celle plus complexe de la preuve de la réponse, c’est-à-dire la preuve du consentement à l’acte.

 

En termes de régime probatoire, il en va aujourd’hui du consentement à l’acte sexuel entre époux et concubins exactement à l’identique du consentement à l’acte de soins entre un patient et son médecin : au quotidien l’un et l’autre se font confiance, mais lorsqu’un des deux partenaires considère que l’autre a abusé de son droit tout bascule, il faut que celui qui est accusé d’avoir abusé prouve le consentement de celui qui s’affirme victime, et on en revient à la norme juridique et au formalisme de la preuve de l’accord.

 

« Qui ne dit mot consent » ?

 

Oubliez en cette matière la maxime du pape Boniface VIII « qui tacet consentire videtur » (qui ne dit mot semble consentir) et l’acquiescement cataphatique, qui ne constitue pas, dans notre droit positif français, une cause exonératoire de responsabilité civile ou pénale.

 

En toute matière aujourd’hui, le consentement doit se prouver s’il est contesté par celui sensé l’avoir accordé. Pas toujours facile dans le colloque singulier, que ce soit dans le cabinet de consultation du médecin donnant ses soins, ou à la maison entre époux et concubins qui n’ont pas l’habitude d’ajouter aux préliminaires sexuels la signature d’un document prouvant le consentement éclairé.

 

La preuve du consentement est au cœur du débat judiciaire : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. »

 

(article 427, code de procédure pénale)

 

Sans la preuve des faits qu’elle invoque, la victime perd son procès (au civil : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention », article 9 du code civil), sauf le recours à la preuve par présomptions et le recours à l’intime conviction du juge pénal.

 

 

De la charge de la preuve à la charge de la vraisemblance des faits allégués :

 

En l’absence d’écrit, la preuve se rapporte par tous moyens, notamment par témoins, ils font souvent défaut en cette matière, ou par aveu mais le présumé coupable de viol n’avoue pas facilement et spontanément la réalité des faits que la victime lui impute, y compris – ou encore plus – au sein du couple.

 

En droit civil existe la preuve par présomptions, simple, mixte ou irréfragable, qui dispense celui au profit duquel elle est établie de la preuve du fait qu’elle prend en considération, quand le fait qui rend celui-ci vraisemblable est certain.

 

Mais il n’existe plus aucun texte, depuis la réforme susvisée de l’article 222-22 du code pénal en 2010, autorisant un conjoint ou concubin à se prévaloir de l’existence d’un prétendu devoir conjugal qui créerait une présomption légale de consentement à l’acte sexuel non souhaité par celui qui s’en prétend ensuite victime.

 

La question avait fait débat notamment lorsque la Cour de cassation avait jugé que l’absence de consommation du mariage pendant une certaine durée constituait une faute de nature à faire prononcer le divorce aux torts et griefs de l’auteur de l’indifférence injurieuse (Cassation civile, 2ème chambre, 16 décembre 1963).

 

Mais déjà avant la réforme de 2010 la chambre criminelle de la Cour de cassation jugeait que « la présomption de consentement des époux aux actes sexuels accomplis dans l’intimité de la vie conjugale ne vaut que jusqu’à preuve contraire » (Cassation criminelle, 11 juin 1992).

 

Comme souvent, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a aidé à l’évolution en jugeant que le caractère par essence avilissant du viol est si manifeste qu’il doit conduire à l’abandon de l’immunité conjugale conformément à une notion civilisée du mariage et à l’objectif fondamental de la Convention des Droits de l’Homme, le respect de la dignité et de la liberté humaines.

 

(CEDH, 22 novembre 1995, CR et SW, Royaume-Uni)

 

Le doute doit profiter à l’accusé :

 

S’il n’existe plus d’immunité conjugale en cas de viol, l’homme ou la femme qui dépose une plainte à l’encontre de son conjoint ou concubin pour viol devra néanmoins convaincre le Juge de la vraisemblance des faits allégués (cour d’assises ou chambre correctionnelle du tribunal de grande instance puis cour d’appel). Il ne suffit pas d’affirmer pour démontrer et, si la Cour juge selon « son intime conviction » elle doit motiver sa décision de condamnation face à la présomption d’innocence du prévenu. L’arrêt de condamnation pour viol entre époux doit donc être soigneusement rédigé, à défaut il sera cassé par la chambre criminelle de la Cour de cassation. En effet, si le juge apprécie librement les éléments de preuve qu’il trouve au dossier pénal, il doit énoncer les faits déterminants, les charges suffisantes qui caractérisent l’élément matériel et intentionnel de l’infraction, notamment l’existence d’un acte sexuel, plus spécialement une pénétration (cf. néanmoins « Des crimes sexuels sans sexe », Gyneco-online avril 2017, Isabelle Lucas-Baloup) et une atteinte au consentement de la victime partie civile, même si celle-ci est mariée ou pacsée avec le prévenu, homme ou femme bien entendu puisque l’abus peut aussi et malgré les statistiques émaner de la femme sur la personne de l’homme dans un couple hétérosexuel ou d’une femme ou d’un homme sur la personne d’une femme ou d’un homme dans un couple homosexuel.

 

En présence d’une opposition entre deux discours, deux vérités antagonistes, l’instruction qui précède en général le jugement de première instance, de même que l’interrogatoire des parties pendant l’audience auront établi – ou pas – la preuve de l’acte matériel du viol : des traces de coups ou d’autres actes de pénétration forcée, la présence d’une arme utilisée pour contraindre, des marques de violence, l’ivresse ou l’intoxication médicamenteuse, d’autres indices comme également les déclarations respectives des parties et leur confrontation, d’éventuelles déclarations concordantes et crédibles de leur entourage, le renouvellement ou le caractère exceptionnel de l’abus et du refus de l’acte sexuel, la production de certificats « de contre-indication aux rapports sexuels » délivrés voire renouvelés par un gynécologue au profit de la victime avant les faits poursuivis, dirigeront les juges vers une condamnation ou une relaxe de l’époux accusé de viol au sein du couple.

 

Un rapport d’expertise médicale, psychologique ou psychiatrique, un rapport de personnalité, complètent l’information du juge, concernant tant l’accusé que le plaignant, et peuvent donner un avis plus ou moins pertinent sur l’existence d’une pathologie ou de troubles du comportement, mais on a vu dans de nombreux dossiers la capacité des experts à se tromper, ou à être trompés, par une stratégie subtile qu’il est parfois délicat de diagnostiquer de la personne entendue en demande comme en défense.

 

L’atteinte au consentement aux rapports sexuels au sein du couple est particulièrement difficile à établir en l’absence d’éléments matériels et de témoins directs des faits et de l’obligation d’écarter les témoignages de complaisance en matière de confidences aux tiers. La constance dans la dénégation de l’accusé(e) ou la variation des faits exposés pourront être convaincants, au contraire marquer un comportement manipulateur et pervers ou simplement une absence de cohérence altérant ses moyens de défense.

 

Bref c’est en prenant en considération un faisceau d’indices que le juge se décide, avec prudence, dans un dossier de prétendu viol au sein d’un couple comme dans toute autre affaire d’atteintes sexuelles, en retenant que le doute doit impérativement profiter à l’accusé.

 

Gynéco-Online - décembre 2018


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