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Cancer du sein : distribution des responsabilités par la jurisprudence
Isabelle Lucas-Baloup

Deux affaires récentes illustrent la distribution des responsabilités lorsque certaines patientes n’ont pas la chance d’un diagnostic et traitement rapide et efficace de leur cancer du sein.
Le premier arrêt (Cour d’appel de Montpellier) constitue une illustration d’un cumul de comportements jugés fautifs, avec distribution de la charge indemnitaire entre le radiologue, le chirurgien et le radiothérapeute.
L’arrêt suivant (Cour d’appel de Paris) retient l’entière responsabilité du radiologue.


Cour d’appel de Montpellier, 6 octobre 2010 (n° 09/00161)

Cet arrêt constitue un exemple d’analyse par les Juges, après expertise, des responsabilités respectivement encourues par :

- un radiologue, pour retard au diagnostic d’un cancer du sein, puis de sa récidive,
- un chirurgien, pour retard au traitement de la récidive cancéreuse,
- un radio-chimiothérapeute, pour avoir inversé les traitements de radiothérapie et de chimiothérapie,

faisant perdre à la patiente 50% de chances de survie.

Le radiologue : 70% de responsabilité
L’expert a relevé que le radiologue n’avait pas vu sur les mammographies les micro-calcifications situées à proximité du nodule, classées en ACR4, ce qui imposait un contrôle histologique qui n’a donc pas eu lieu. C’est à partir d’un compte rendu radiographique erroné que le chirurgien a décidé une chirurgie conservatrice plutôt qu’une mastectomie totale. Après l’intervention chirurgicale, le même radiologue n’a toujours pas diagnostiqué la récidive du cancer du sein bien que la patiente soit revenue le voir devant l’élargissement d’une plaque fibreuse près de la cicatrice.

Le chirurgien : 10%
Il a décidé de pratiquer une chirurgie conservatrice plutôt qu’une mastectomie compte tenu des résultats des examens radiographiques interprétés par le radiologue, ce qui ne lui est pas imputé à faute compte tenu du compte rendu reçu du radiologue.
Cependant, lorsqu’il constate la présence d’une zone nodulaire évoquant un noyau fibreux dans la périphérie du sein traité, avec modifications de la cicatrice, il aurait dû immédiatement prescrire des examens complémentaires tels que mammographie, biopsie, lesquels auraient permis de détecter une récidive du cancer, ce qu’il n’a pas fait.

Le radio-chimiothérapeute : 20%
Le chimiothérapeute a procédé d’abord à un traitement de radiothérapie puis à un traitement de chimiothérapie, alors que « la littérature médicale prescrit l’inverse» déclare l’expert. De même, après avoir constaté la présence d’un nodule au niveau de la cicatrice, il n’a pas prescrit de mesures urgentes avec des examens approfondis, ce qui a généré un retard de 9 mois dans le traitement de la récidive concernée par une équipe pluridisciplinaire oncologique alors que la patiente présentait un stade avancé compte tenu de la dissémination métastatique ganglionnaire.

La patiente est décédée des suites de sa maladie.


Cour d’appel de Paris, 12 novembre 2010 (n° 08/23503)

Cette décision condamne le radiologue au motif ci-après :

« Le cancer du sein a été diagnostiqué le 18 juin 2003. A cette date il s’agissait d’une lésion classée T2 (3 cm de diamètre) N1, avec un ganglion palpable et suspect. En février 2003, la lésion était beaucoup plus petite (T1<2cm) et l’adénopathie n’était pas perçue par la patiente. Elle semble néanmoins avoir été perçue par le gynécologue, qui l’a dessinée dans son dossier. Il semblerait qu’on soit passé d’un stade I (T1 N0) à un stade IIb (T2 N1). Il existe un retard de diagnostic de 4 mois, qui a entraîné une perte de chance. Pour une lésion classée T1, la survie à 10 ans après un traitement est de plus de 80%. Elle n’est plus que de 60% pour les tumeurs T2. Il y a donc une diminution des chances de survie que l’on peut quantifier à 20%. L’apparition de ganglions métastatiques préjore l’évolution de façon semblable. Par contre, le retard de diagnostic n’a pas eu de réelle incidence sur les traitements, seulement une aggravation du traumatisme psychologique. »

La Cour conclut : « Le radiologue a interprété de façon erronée la mammographie effectuée le 21 février 2003 et cette faute, à l’origine d’un retard de diagnostic de 4 mois, est en relation directe et certaine avec la perte de chance subie par la patiente. Sa responsabilité est engagée. »
La patiente est décédée de son cancer. La perte de chance de survie a été évaluée à 20% (15 000 euros de dommages-intérêts à sa fille).

Gynéco-Online - Avril 2011
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Echographie pendant la grossesse : ne pas diagnostiquer le handicap ne constitue pas toujours une « faute caractérisée »
(arrêt Cour administrative d’appel de Nancy, 3ème ch., 9 janvier 2014, n° 12NC02068)
isabelle Lucas-Baloup
Gyneco online suit avec intérêt l’évolution de la jurisprudence sur la « faute caractérisée » mise en œuvre par l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles : « Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis de parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. » (cf. rubrique juridique « Affaire Perruche, suite … et fin ? », septembre 2010, puis commentaire de l’arrêt du 16 janvier 2013, rubrique de mars 2013 et enfin commentaire de l’arrêt du 14 novembre 2013, rubrique de décembre 2013).
 

 

Application des critères d’intensivité et d’évidence :

 

Dans ce dernier arrêt du 14 novembre 2013 (n° 21.576), la 1ère chambre de la Cour de cassation avait jugé que la faute caractérisée devait répondre à des critères d’intensivité et d’évidence.

 

Il est intéressant de signaler un arrêt prononcé par une juridiction administrative, et non plus civile, la Cour administrative d’appel de Nancy, appliquant à l’hôpital public l’article L. 114-5 susvisé, après que le Conseil d’Etat ait précédemment statué dans dossiers : Centre Hospitalier Emile Roux, le 9 février 2005 (n° 255990) et Centre Hospitalier Cochin, le 13 mai 2011 (n° 329290).

 

Dans l’arrêt de Nancy, ce sont les Hôpitaux Civiles de Colmar et les Hôpitaux universitaire de Strasbourg qui donne l’occasion au prononcé d’une jurisprudence utile en ce qu’elle vient confirmer que le seul constat d’une erreur ne saurait constituer une faute caractérisée dans le diagnostic prénatal. Les circonstances étaient les suivantes :

 

Mme KG a été hospitalisée le 20 août 2002, au cours de sa 2ème grossesse, dans le service de gynécologie obstétrique des Hôpitaux de Colmar, après que son médecin traitant ait observé un retard de développement du fœtus. Les examens échographiques ayant confirmé une hypotrophie fœtale, l’intéressée a été transférée le 22 août 2002 à l’Hôpital Hautepierre à Strasbourg, relevant des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, en vue d’y subir des examens spécialisés jusqu’au 31 août suivant. Mme KG a donné naissance le 29 octobre 2002 à une fille chez laquelle a été diagnostiquée une arthrogrypose, ainsi qu’un pied bot bilatéral et une fente palatine, entraînant chez l’enfant une invalidité de 80 %.

 

Mme KG et son époux ont recherché la responsabilité des deux hôpitaux au motif que, n’ayant pas été informés des anomalies observées au cours de la croissance fœtale, ils n’ont pas été mis en mesure de solliciter une interruption médicale de grossesse.

 

Ils ont fait appel d’un premier jugement du 6 novembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a rejeté leur demande tendant à la condamnation des deux hôpitaux à les indemniser des préjudices subis tant par leur fille que par eux-mêmes et leurs autres enfants. La CPAM du Bas-Rhin demandait le remboursement de ses débours à hauteur de 464 000 €.

 

Sur le fondement rappelé de l’article L. 114-5 susvisé, la Cour d’appel de Nancy considère premièrement que le régime de responsabilité de l’espèce concerne des faits intervenus postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002.

 

En deuxième lieu le handicap dont l’enfant est atteinte a une origine génétique et ne résulte pas d’un acte médical. Dès lors les époux KG ne sont pas fondés à demander pour eux et pour leur fille handicapée la réparation du préjudice résultant de la naissance de celle-ci et des charges particulières découlant de son handicap tout au long de la vie de l’enfant.

 

En troisième lieu, l’arrêt souligne qu’il résulte de l’instruction et notamment d’un rapport expertise ordonnée en première instance qu’après avoir constaté, à la suite d’une échographie réalisée à 25 semaines d’aménorrhée, un retard de croissance et une faible mobilité du fœtus, les praticiens des Hôpitaux Civils de Colmar et des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg ont fait procéder à un bilan de recherche des signes biologiques d’une pathologie vasculaire du placenta, de pathologies infectieuses et d’anomalies chromosomiques ou génétiques, susceptibles d’expliquer ce retard de développement. L’expert a estimé que ces médecins, prenant en compte les facteurs de risque présentés par Mme KG avaient rempli leur obligation de moyen, permettant à la patiente de bénéficier d’examens conformes aux données acquises de la science médicale. En particulier, les examens de doppler, qui permettent de déceler l’existence d’une maladie vasculaire du placenta, se sont avérés normaux. Des examens spécialisés ont confirmé que le caryotype ne présentait aucune anomalie et ont permis d’écarter l’hypothèse d’une délétion au locus du chromosome 4, cause recensée d’hypotrophie sévère selon l’expert. Les recherches effectuées n’ont par ailleurs mis en évidence aucune infection virale qui aurait pu se trouver à l’origine du retard de développement et de la faible mobilité du fœtus. Si les praticiens des deux établissements hospitaliers n’ont pas décelé de malformation du fœtus, malgré une mauvaise position des membres visible sur les échographies qu’ils ont réalisées, il ressort du rapport d’expertise que la réduction du liquide amniotique, observée chez la patiente, et l’immobilité du fœtus ont eu pour effet d’accentuer l’imprécision habituelle des images échographiques. Le centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, consulté par les médecins de l’Hôpital Hautepierre de Strasbourg, a estimé, dans son avis du 6 septembre 2002, que le bilan cytogénétique et infectieux de Mme KG ne permettait pas d’expliquer le retard de croissance du fœtus et recommandait une surveillance hebdomadaire de la patiente. Si l’expert indique que l’immobilisme du fœtus et son retard de croissance sévère, inférieur au 3ème centile, révèlent en tant que tels un risque de maladie grave chez l’enfant, il précise que les médecins des deux hôpitaux se sont trouvés confrontés à un dossier complexe, d’interprétation particulièrement difficile, et dans lequel aucun élément ne permettait d’orienter avec certitude un diagnostic vers une malformation du fœtus.

 

Eu égard à l’ensemble de ces éléments, les praticiens des deux hôpitaux ont pu estimer que l’enfant à naître ne présentait pas d’affection de nature à provoquer un handicap. Dans ces conditions, les deux hôpitaux n’ont commis aucune faute caractérisée au sens des dispositions précitées de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles en ne parvenant pas à diagnostiquer le handicap dont l’enfant était atteint.

 

En conséquence, les époux KG ne peuvent utilement se prévaloir de la circonstance qu’aucune information appropriée ne leur aurait été délivrée, dans les conditions prévues par les articles R. 2131-16 et suivants du code de la santé publique, sur le risque de malformation présenté par leur enfant à naître, pour engager la responsabilité de ces établissements sanitaires.

 

La Cour administrative d’appel de Nancy confirme en conséquence le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg qui a rejeté les demandes tant des parents que de la CPAM du Bas-Rhin.
Gynéco-Online - Avril 2014


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Diagnostic Gynécologie obstétrique Information du patient

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L’HPV dans la jurisprudence (retard au diagnostic, faute de l’anapath)
Isabelle Lucas-Baloup

Résumé :

Exemple d’action judiciaire gagnée par la famille d’une patiente de 38 ans, pour retard de diagnostic à l’encontre de l’anapath.
Gynécologue et chirurgien non condamnés.

Arrêt Cour d’appel de Rennes, 3 mars 2010 :

La Cour présente dans sa décision l’évolution chronologique suivante :

- 3 septembre 2001 : F 37 ans, frottis cervico-vaginal, interprétation par anapath : « soit une inflammation dans un contexte régénératif, soit une dysplasie légère vraie (lésion de bas grade), soit une lésion intra-épithéliale plus évoluée », recommande examens complémentaires colposcopie et biopsie,
- 12 octobre 2001, biopsie du col utérin portant sur une zone blanche à contours nets, peu étendue, révèle une banale lésion de dysplasie légère sans lésion virale formellement identifiée,
- 11 mars 2002, frottis montre des lésions virales à Papillomavirus et une dysplasie moyenne et conclut à la nécessité de faire des biopsies multifocales,
- 16 mai 2002, biopsies révèlent un ectropion péri-orificiel du col sans caractère suspect,
- 3 juillet 2002, CS pour métrorragies abondantes depuis 2-3 mois,
- 9 juillet 2002, tumeur irrégulière au toucher de la cloison recto-vaginale découverte et biopsiée ; prolifération maligne à type de carcinome épidermoïde infiltrant bien différencié non kératinisant
- 23 juillet 2002, hystérectomie totale avec annextomie bilatérale élargie à la cloison recto-vaginale et au vagin avec colpectomie partielle, l’examen de la tumeur montre bien un carcinome épidermoïde bien différencié mature.
- 8 août 2002, le radiothérapeute constate le caractère insuffisant de l’exérèse, reprise le 29 août, nodules cancéreux prélevés sur le mésentère,
- chimiothérapie, radiothérapie et curiethérapie jusqu’à fin décembre 2002,
- 9 janvier 2003, volumineux nodules de carcinome péritonéal et un nodule métastasique hépatique mis en évidence, traitements,
- décès le 20 mai 2003 d’un cancer primaire du vagin (38 ans).

TGI de Saint-Brieuc, jugement du 10 juin 2008 :
- « Il résulte de l’expertise que les conclusions de l’analyse pratiquée sur le prélèvement du 3 septembre 2001 ne sont pas alarmantes alors que l’interprétation est ambiguë et incomplète et en outre inexacte. Le retard de diagnostic est en grande partie attribuable à ce compte-rendu qui ne soulignait pas le contexte de haut risque cancéreux. », condamnation du médecin anapath à payer dommages-intérêts à la famille de la patiente décédée,
- en revanche, pas de faute retenue à l’encontre de la gynécologue médicale qui a procédé à des investigations plus poussées après le 13 mars 2002. « S’il y a eu faute dans la prise en charge thérapeutique en juillet 2002, elle n’est pas en lien de causalité avec la perte de chance déjà constituée à ce moment ».
- appel de l’anapath.

Arrêt du 3 mars 2010, 7ème chambre Cour de Rennes :

- « Si l’anapath a recommandé, en septembre 2001, des examens complémentaires appropriés, elle n’a pas donné les éléments de description portant notamment sur diverses anomalies de cellules et sur une infection à Papillomavirus ; elle est restée hésitante sur les conclusions alors que la conclusion aurait dû être « dysplasie de haut grade selon la classification de Béthesda de 2001 et probable infection par Papillomavirus », contexte de haut risque cancéreux ; au contraire les anomalies signalées étaient soit légères soit modérées, en sorte que la gynécologue médicale n’a pas été perturbée par les résultats relativement rassurants de a biopsie et n’a pas poursuivi ses recherches. »
- « C’est à raison que le jugement a dit que l’erreur ainsi caractérisée ne constitue pas seulement une inexactitude de diagnostic mais une faute constituant un exercice non conforme aux données actuelles de la médecine. »
- « Considérant que le cancer primitif du vagin est une tumeur extrêmement rare en général et ne se retrouve que dans 7% des cas chez les femmes de moins de 40 ans ; en l’absence d’alerte suffisante donnée par le compte rendu de septembre 2001, on ne peut reprocher à la gynécologue médicale de ne pas avoir recherché un tel cancer qui ne pouvait être soupçonné. »
- « En outre en raison de son siège en haut et en arrière de la paroi vaginale, la lame postérieure du speculum cache la lésion. »
- « Le résultat du 13 mars 2002, moins inquiétant que celui du 10 septembre 2001, a conduit la gynécologue à procéder à des examens complémentaires portant sur le col de l’utérus. Compte tenu de la rareté de la pathologie présentée par la patiente, cette erreur de diagnostic ne peut être considérée comme fautive au regard des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé. »
- « Si la prise en charge de la patiente après le 12 juillet 2002 parait avoir été inadéquate, il n’est pas suffisamment établi qu’elle a contribué à l’aggravation de la perte de chance dès lors que l’expert indique que le traitement n’était pas nécessairement chirurgical, que l’insuffisance de la chirurgie a été reprise et surtout qu’aucune critique n’est apportée aux traitements dispensés sous forme de radiothérapie externe, curiethérapie et chimiothérapie. »
- « Le retard au diagnostic a entraîné une perte de chance de 50%. »
- dommages-intérêts à la famille, et la Cour déboute l’action en garantie lancée par l’anapath contre la gynécologue et le chirurgien.

Gynéco Online - Novembre 2011
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Quand la carence en ophtalmologistes disponibles ne permet pas de diagnostiquer dans les délais utiles une rétinopathie diabétique : défaut de surveillance, responsabilité
(Arrêt Cour d’appel de Versailles, 3ème chambre,14 mai 2010, n° 09-00646)
Isabelle Lucas-Baloup

En janvier 2002, le Dr G. pratique des examens de fonds d’œil qui ne révèlent pas de pathologie particulière, et notamment aucun signe de rétinopathie diabétique ou hypertensive, l’acuité visuelle étant par ailleurs normale de loin. Le patient affirme avoir subi des troubles visuels en mai 2002, qui auraient cessé pour se manifester à nouveau en novembre 2002 mais que, ne pouvant obtenir un rendez-vous du Dr G. avant mai 2003, il s’était adressé à son médecin traitant, lequel l’avait dirigé vers un autre ophtalmologiste qui diagnostiquait, en février 2003, une rétinopathie diabétique œdémateuse proliférante bilatérale, compliquée d’une hémorragie du vitré à G.
Le patient saisit la commission régionale d’indemnisation des victimes (CRCI), qui désigna un expert, lequel retient que « le diabète mal équilibré, sa durée et les problèmes tensionnels devaient faire craindre un développement de la maladie et inciter à une surveillance accrue » et conclut à une perte de chance dont le Dr G. est à l’origine de 50% d’éviter le dommage. L’assureur de l’ophtalmologiste refuse de payer, l’affaire arrive devant le tribunal de grande instance de Nanterre qui juge, le 5 septembre 2008, que le « Dr G. n’a pas exercé une surveillance adaptée à l’état de son patient et que ce défaut de surveillance est à l’origine pour le patient d’une perte de chance à hauteur de 50% d’éviter les complications qu’il a présentées à la suite du développement d’une rétinopathie diabétique », et ordonne des dommages-intérêts.
Appel du médecin et de son assureur, qui conduit à l’arrêt rapporté qui retient, en mai 2010 :
« Considérant que le Docteur E. expert a conclu comme suit :
« - l’hypertension artérielle et le diabète mal équilibré constituaient des facteurs favorisant l’apparition de la rétinopathie, cause majeure de cécité,
« - la rétinopathie est une complication quasi constante du diabète au bout d’un certain temps, qui est de 10 ans à 67%,
« - en l’espèce, toutes les conditions étaient réunies, déséquilibre glycémique et tensionnel, durée du diabète, pour développer cette rétinopathie, et il est probable qu’elle était présente à l’état minime en janvier 2002,
« -lorsqu’une le diagnostic d’un diabète est posé, un bilan ophtalmologique est recommandé, qui comprend, outre l’acuité visuelle et l’examen du fond de l’œil, la mesure de la pression et l’examen du cristallin, une fois par an, et une fois par semestre ou trimestre en cas de rétinopathie modérée ou sévère,
« - ces deux derniers examens (pression et cristallin) n’ont pas été pratiqués par le Dr G. en janvier 2002, mais cela est sans incidence sur la rétinopathie, car l’acuité était bonne et aucun traitement n’étant indiqué, hors une surveillance du fond de l’œil tous les 12 ou 6 mois,
« - cependant le nombre trop faible de médecins de cette spécialité ne permet pas de proposer un tel suivi aux patients,
« - la baisse de l’hémoglobine glyquée au mois de mai 2002, reflet des sauts glycémiques, a aggravé de façon importante la rétinopathie, situation qui nécessitait une surveillance accrue du fond de l’œil, surveillance qui n’a pas eu lieu malgré les signes oculaires présentés aux mois de mai, puis octobre/novembre 2002, qui signalaient une hémorragie du vitré secondaire, (…)
« - c’est dans l’intervalle de 11 mois, d’avril 2002 à avril 2003, où M. N. n’a pas pu obtenir de rendez-vous de son ophtalmologue habituel, que se sont amplifiées les lésions constatées au mois de février 2003, le dommage est directement lié à un défaut de prévention et de surveillance de l’équilibre glycémique, par absence de rendez-vous, dans la mesure où cette surveillance aurait permis la prévention par traitement au laser,
« - le retard au diagnostic est à l’origine d’une perte de chance d’éviter les séquelles qu’il présente, une bonne surveillance lui donnant 75% de chances de les éviter. »
Au vu de ce rapport, la Cour de Versailles confirme le jugement de Nanterre en soulignant : « Que la surcharge des cabinets ne constitue pas une excuse, ainsi que l’oppose à bon droit l’ONIAM, le médecin devant réserver les cas d’urgence ». 

-->  Il est toujours très difficile pour un médecin d’apporter la preuve qu’il a recommandé un suivi et une surveillance régulière. On sait qu’un ophtalmologiste, même si son cahier de rendez-vous est encombré à plusieurs mois, réserve des créneaux libres pour les urgences, encore faut-il qu’il puisse en justifier pendant le procès ! Tracer la demande de rendez-vous non satisfaite implique une organisation performante du secrétariat téléphonique, qui n’existe pas dans tous les cabinets. Des actions correctives peuvent améliorer ce suivi et permettre la preuve de l’absence de demande ou de l’absence de l’indication de l’urgence par le patient, lorsqu’un rendez-vous n’a pas été accordé immédiatement par la secrétaire du cabinet.

SAFIR - Avril 2011
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Tumeur de l’utérus : deuxième avis
(arrêt Cour de cassation, 1ère ch. civ., 30 avril 2014, n° 13-14288)
Isabelle Lucas-Baloup
   Brigitte X consulte en 2002 un gynécologue, le Dr Y, afin d’obtenir un deuxième avis, à la suite d’une suspicion de léiomyosarcome avancée par un autre gynécologue le Dr Z lequel a recommandé une hystérectomie. Cette intervention a été retardée par la patiente jusqu’en 2004 au vu du diagnostic erroné moins sévère du Dr Y après des résultats différents d’anatomopathologie.

 

   La patiente étant décédée en 2009, son époux lance une procédure contre le Dr Y pour avoir été à tort rassurant sur l’absence de pathologie suspecte, en arguant d’une perte de chance de guérison ou à tout le moins de chance de retarder l’issue fatale due à un sarcome avec métastases pulmonaires après chimiothérapie intensive et plusieurs interventions chirurgicales.

 

   Deux rapports d’expertise établissent que l’indication d’une hystérectomie aurait dû être posée début 2003 et qu’il n’y a pas eu de réunion de concertation pluridisciplinaire qui n’existait pas à l’époque à Vichy. L’un des experts avait conclu qu’en cas de discordance des avis, il appartenait nécessairement au Dr Y de retenir le prélèvement donnant le diagnostic le plus sévère par principe de prudence.

 

   Le Dr Y mis en cause par le veuf soutenait que cette position rendrait au final inutile la consultation d’un second médecin et que le Dr D, anatomopathologiste, avait écarté en janvier et février 2003 la suspicion initiale de sarcome faite fin 2002 après avoir demandé des colorations spéciales, soulignant que les examens ultérieurs, notamment ceux des tissus après les interventions d’octobre et novembre 2004, n’ont pas démontré de signe flagrant de malignité et qu’enfin Brigitte X était suivie par un médecin traitant à même de prendre le rôle de coordonnateur si nécessaire. Lors de la découverte du nodule en novembre 2004, le Dr Y a orienté la patiente sur le Dr B, radiologue spécialisé en pneumologie pour qu’il lui donne son avis, mais la patiente ne l’a pas consulté immédiatement, ne prenant rendez-vous avec un autre radiologue qu’en décembre 2005 qui découvre le sarcome métastasique.

 

   La Cour d’appel de Riom avait débouté le veuf de son action en dommages intérêts contre le gynécologue ayant donné le 2ème avis, par un arrêt du 16 janvier 2013 (qui n’a pas été publié ce qui empêche de connaître le détail de l’évolution des faits dans cette très intéressante affaire, les arrêts de cassation étant très réduits évidemment dans leur exposé puisque la Cour suprême juge en droit et ne réapprécie pas les faits). Toujours est il que, par la décision commentée prononcée le 30 avril 2014, la Cour de cassation confirme l’arrêt de Riom et déboute le veuf de son pourvoi en jugeant que :

 

 

 

« Un médecin, tenu, par l’article R. 4127-5 du code de la santé publique, d’exercer sa profession en toute indépendance, ne saurait être lié par le diagnostic établi antérieurement par un confrère, mais doit apprécier, personnellement et sous sa responsabilité, le résultat des examens et investigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer de nouveaux conformément aux données acquises de la science. »

 

 

 

   L’arrêt de la Cour de Riom est donc confirmé en ce qu’il avait jugé que le Dr Y n’a pas commis de faute à l’origine du retard de traitement de Brigitte X et qu’il n’avait pas manqué de prudence et de diligence en ne privilégiant pas le prélèvement qui donnait le diagnostic le plus sévère, sans violer l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, qui prévoit, depuis la loi Kouchner, qu’il n’y a pas de responsabilité médicale sans faute en cette matière.

 

   Cet arrêt doit être signalé car la Cour de cassation est rarement saisie des responsabilités encourues en cas de deuxième avis médical, et la position de l’expert selon laquelle il convient, dans un souci de prudence, de s’aligner sur le diagnostic le plus sévère, peut conduire à la mise en œuvre abusive de ce qu’on qualifie, dans d’autres domaines, le devoir de précaution. En l’espèce, le 2ème avis, rassurant, était erroné, puisque les avis convergent sur le retard exposé au lancement des traitements. Mais il était utile que, sur des faits montrant l’erreur du deuxième consultant, la Cour de cassation réaffirme cependant la liberté d’appréciation dans le cadre du 2ème avis. Le détail des investigations conduites n’étant pas publié, il ne peut être commenté c’est dommage.

 

   Cette jurisprudence confirme la responsabilité autonome de chaque médecin dans le cadre de son exercice, en toute indépendance, avec la liberté de diagnostic et de prescription que le code de déontologie aujourd’hui codifié dans le code de la santé publique lui assure.
Gynéco Online - Juin 2014


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