Base de données - Directive 2011/24/UE

GPA et AMP : soupçons/condamnations (les circulaires incohérentes)
Isabelle Lucas-Baloup

Le 21 décembre 2012, une instruction du ministère de la Santé, intitulée « risques encourus par les praticiens français qui donneraient suite aux sollicitations de cliniques dont les pratiques en matière de don de gamètes ne sont pas conformes à la législation nationale », a été adressée aux directeurs des Agences Régionales de Santé (ARS) et au Président de l’Ordre national des médecins pour leur demander de mettre en garde particulièrement les gynécologues contre le risque de condamnation pénale qu’ils encourent (5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende) en visant le délit réprimant la violation de dispositions générales et particulières du code de la santé publique sur l’assistance médicale à la procréation (AMP, articles 511-15 et suivants du code pénal). L’instruction précise :

« En France, le don de gamètes est anonyme et gratuit.
« Actuellement, l’offre de don d’ovocytes en France est insuffisante pour couvrir les besoins nationaux. Le nombre de couples français qui se rendent à l’étranger en vue d’assistance médicale à la procréation avec don d’ovocytes (en particulier en Espagne) ne cesse d’augmenter. Ces soins reçus à l’étranger ne sont pas toujours conformes à la législation française (rémunération du don d’ovocytes, double don de gamètes,…).
« La situation tend à s’aggraver […]. »

M. Jean-Yves Grall, directeur général de la santé, ajoute que, selon un rapport de l’IGAS de février 2011 « 1 800 à 3 600 femmes françaises auraient ainsi eu recours à un don d’ovocytes à l’étranger en 2009, chiffres qui ne cessent de progresser. »


Le 25 janvier 2013, une circulaire du ministère de la Justice, intitulée « délivrance des certificats de nationalité – convention de mère porteuse », a été adressée aux procureurs et aux tribunaux d’instance pour que soient délivrés des certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant.
M. Laurent Vallée, directeur des affaires civiles et du sceau, précise que le soupçon du recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui (GPA) « ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de CNF dès lors que les actes de l’état civil local attestent du lien de filiation avec un Français ».

Pourtant, en France, aujourd’hui :

- l’assistance médicale à la procréation avec dons d’ovocytes est autorisée par l’article L. 2142-1 du code de la santé publique, mais les activités cliniques et biologiques d’AMP relatives aux gamètes en vue de don ne peuvent être pratiquées que dans des établissements de santé publics ou privés à but non lucratif, avec des délais extraordinairement longs en raison de la procédure et faute de donneuses d’ovocytes (lourdeur du protocole, multiples interventions et examens, sans rémunération des donneuses anonymes difficiles en conséquence à motiver),

- la convention de gestation pour le compte d’autrui est totalement et expressément interdite, par l’article 16-7 du code civil.

En résumé, en application de ces deux textes très récents émanant du même Gouvernement, il est recommandé par un ministère de poursuivre pénalement des gynécologues qui participeraient à une activité totalement autorisée en France, mais organisée et réservée à certains hôpitaux qui n’interviennent qu’avec des délais importants dans le cadre d’une pénurie de donneuses, alors qu’il est recommandé par un autre ministère de faciliter la reconnaissance des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger, pourtant fermement prohibée en France. 

--> On réprime ce qui est autorisé, on tolère ce qui est formellement interdit.

Lorsqu’on observe la jurisprudence française relevant des deux situations, les recommandations apparaissent encore plus incohérentes : 

* en effet, les caisses d’assurance maladie prennent en charge une FIV avec don d’ovocytes pratiquée sur une assurée sociale française dans une clinique de Barcelone (arrêt n° 91/10 du 3 mars 2010, Cour d’appel de Rennes, chambre de la Sécurité Sociale), ce qui est prévu par l’article R. 332-3 du code de la sécurité sociale et conforme à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (nombreuses affaires jugées concernant la libre circulation des patients dans l’Union Européenne), 

--> donc la CPAM prend en charge la FIV à Barcelone, mais le gynécologue français est susceptible d’être – selon l’instruction critiquée - condamné pénalement s’il pratique un « acte préparatoire », tel une consultation, une prescription de médicaments, la surveillance par échographie encadrant l’acte technique d’implantation de l’embryon chez la receveuse qui sera pratiquée ailleurs, en toute légalité, dans le territoire de l’Union Européenne aux frais de la CPAM du domicile de l’assurée sociale ! 

* en effet également la Cour de cassation refuse, contrairement à la circulaire dite Taubira du 25 janvier 2013, que soit transcrit un acte de naissance établi en exécution d’une décision étrangère, fondé sur la contrariété à l’ordre public international français lorsque celle-ci comporte « des dispositions qui heurtent des principes essentiels du droit français ; qu’en l’état du droit positif, il est contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil. »
(Cour de cassation, chambre civile 1, arrêt du 6 avril 2011).

Les applications jurisprudentielles sont fréquentes : voir un des derniers arrêts prononcé le 8 janvier 2013 par la Cour d’appel de Rennes, ayant refusé une demande de transcription des actes de naissance de jumeaux du fait d’indices sérieux faisant présumer que leur naissance en Ukraine, à l’Hôpital de Kharkov qui dispose d’une maternité spécialisée dans la médecine reproductive, était intervenue dans le cadre d’une gestation pour autrui (pas de résidence en Ukraine, pas de projet professionnel, les parents ne parlent pas l’ukrainien, n’avaient jamais eu d’enfant mais engagé des démarches en vue d’une adoption, et enfin la mère, au moment de remplir la demande de transcription dans les locaux de l’ambassade, avait oublié la date de naissance des jumeaux). 

-->  des soupçons, que des soupçons !...

Heureusement, le 25 octobre 2013, la France, comme les autres Etats membres de l’UE, doit avoir transcrit en droit interne la Directive 2011/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 relative à l’application des droits des patients en matière de soins transfrontaliers.

Gynéco Online - Février 2013


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