Base de données - Gestation pour autrui

Condamnation de la France dans le dossier « gestation pour autrui » (CEDH, 5ème section, 26 juin 2014, n° 65192/11)
Isabelle Lucas-Baloup

   La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), siégeant à Strasbourg, vient de prononcer un arrêt condamnant la position de la France au regard de son refus de transcrire sur les actes d’état civil les naissances issues d’une gestation pour autrui autorisée à l’étranger, dans les circonstances ci-après :

   En raison de l’infertilité de l’épouse et après avoir vainement tenté des fécondations in vitro avec leurs propres gamètes, Sylvie et Dominique M. décident d’avoir recours à la fécondation in vitro avec les gamètes de Dominique et un ovule issu d’un don, en vue de l’implantation des embryons fécondés dans l’utérus d’une autre femme. A cette fin ils se rendent en Californie où ces modalités sont prévues par la loi, et concluent une convention de gestation pour autrui (GPA), la mère-porteuse n’étant pas « rémunérée » mais seulement « défrayée ». Des jumelles naissent le 25 octobre 2000 et un jugement de la Cour suprême de Californie décrète que les enfants auront Dominique M. pour « père génétique » et Sylvie M. pour « mère légale ». Mais le Consulat français de Los Angeles saisi par Dominique M. pour la transcription des actes de naissance sur les registres de l’état civil français et l’inscription des enfants sur son passeport afin de pouvoir rentrer en France avec elles, refuse, suspectant un cas de gestation pour autrui, et transmet le dossier au Parquet.

 

   Au terme d’une procédure longue décrite dans la décision accessible intégralement sur le site de la CEDH, il est statué, dans un arrêt du 6 avril 2011 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, sur l’indisponibilité de l’état des personnes, « principe essentiel du droit français », et sur l’interdiction de faire produire effet, au regard de la filiation, à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 (« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. ») et 16-9 (« Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public. ») du code civil français. La Cour de cassation considère que le jugement californien est contraire à la conception française de l’ordre public international, juge que l’interdiction de reconnaître la filiation maternelle et paternelle ne porte pas atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants au sens de l’article 8 de la Convention, non plus qu’à leur intérêt supérieur garanti par l’article 3 §1 de la convention internationale des droits de l’enfant.

 

   La CEDH, saisie conjointement par les époux M. et par les jumelles, ressortissantes américaines, souligne « l’absence de consensus » sur la GPA et que « le recours à la GPA suscite de délicates interrogations d’ordre éthique » en rappelant que « chaque fois que la situation d’un enfant est en cause, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer ».

 

   L’arrêt de la Cour de Strasbourg du 26 juin 2014 considère que le défaut de reconnaissance en droit français du lien de filiation affecte nécessairement la vie familiale et engendre des difficultés concrètes, notamment au regard de l’obtention de la nationalité française par les enfants, tout en estimant que la Cour de cassation ménage un « juste équilibre entre les intérêts des requérants et ceux de l’Etat, pour autant que cela concerne leur droit au respect de leur vie familiale ».

 

   Quant au respect de leur vie privée, la CEDH considère que la France porte atteinte à l’identité des jumelles au sein de la société française, dès lors que la nationalité constitue un élément de l’identité des personnes, et ce en violation de l’article 8 de la Convention.

 

   L’arrêt accorde aux requérants 5 000 € pour préjudice moral et 15 000 € pour frais de procédure.

 

   Le droit français doit prendre en considération cette décision dans l’avenir et modifier sa position au regard de la gestation pour autrui.
La Lettre du Cabinet - Septembre 2014


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Gestation pour autrui : du « law-shopping » privé d’effet
(Cour de cassation : 1ère ch. civ., arrêt du 6 avril 2011)
Gaëtan de Revel

L’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel en droit français, interdit la conclusion de convention de mère porteuse en France, notamment en application de l’article 16-7 du code civil : « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».
Un couple de ressortissants français a conclu en octobre 2000 un contrat de gestation pour le compte d’autrui dans l’Etat du Minnesota aux Etats-Unis avec une mère porteuse, les gamètes étant ceux de l’époux et d’une donneuse anonyme. Un an plus tard, le 27 octobre 2001, l’enfant naissait au pays de l’Oncle Sam. Dans la foulée deux jugements reconnaissaient l’époux français comme père biologique, lui confiaient la garde de l’enfant et confirmaient la renonciation par la mère porteuse de tout droit parental. Le 1er novembre 2001, le couple était officiellement parents aux yeux de l’Etat du Minnesota de l’enfant né cinq jours plus tôt.
De retour en France, ils obtiennent du juge des tutelles un acte notarié constatant la possession d’état d’enfant légitime à leur égard mais le ministère public refuse d’en faire mention à l’état civil. Ils engagent donc en action en transcription de l’acte notarié et, subsidiairement, en établissement de la filiation paternelle de l’enfant par la possession d’état.
La Cour d’appel (Douai, 14 septembre 2009) rejette leurs demandes et est approuvée par la Cour de cassation : « il est contraire au principe de l’indisponibilité des personnes, principe essentiel en droit français, de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, nulle d’une nullité d’ordre public, aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil ».
Pourtant la Haute juridiction précise que ce rejet, qui ne porte pas atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant – valeur cardinale protégée par la Convention de New-York – ne prive pas non plus l’enfant de la filiation maternelle et paternelle que le droit de l’Etat du Minnesota lui reconnait ni ne l’empêche de vivre avec le couple en France. Il est donc bien l’enfant de ses parents, mais du point de vue américain seulement.
Hasard du calendrier, le même jour au Sénat, en première lecture du projet de loi relatif à la bioéthique, les sages se prononçaient contre la pratique de la gestation pour autrui suivant la position de la commission des affaires sociales de la Haute assemblée.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2011


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