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Quitter l’hôpital public pour le secteur privé : une liberté sous contrôle
Anne Boyer
Crise de confiance de l’hôpital, accroissement continu des tâches administratives, manque de moyens et contraintes budgétaires, gardes à répétition, recherche d’une meilleure rémunération, etc. : autant de raisons qui peuvent expliquer qu’un médecin décide de délaisser l’hôpital public pour le secteur privé.
S’il existe une liberté de choix du praticien entre exercice public ou privé, cette liberté est relative car très encadrée. Ce passage est parfois un « parcours du combattant », la direction de l’établissement ayant les moyens de retenir l’intéressé.
Afin de quitter le service public hospitalier pour intégrer, définitivement ou non, le secteur libéral, deux options sont possibles : être placé en disponibilité pour convenances personnelles ou démissionner. Il convient de bien comprendre les enjeux d’une telle décision et d’en appréhender les conséquences sur le nouveau « statut » du médecin devenu libéral.
La disponibilité pour convenances personnelles
En premier lieu, le praticien hospitalier (PH) - pour quitter l’hôpital - peut demander que lui soit accordée une disponibilité pour convenances personnelles.

Définition
Rappelons tout d’abord que la disponibilité est la position administrative d’un agent qui quitte temporairement son administration d’origine et a vocation à la retrouver à l’issue de la disponibilité.
Cette position est réglementée par les articles R. 6152-62 à R. 6152-69 du code de la santé publique (CSP) pour les praticiens hospitaliers temps plein et les articles R. 6152-242 à R. 6152-246 du CSP pour les PH temps partiel.
Demande
Pour y être admis, tout PH doit :
avoir validé sa période probatoire (nomination à titre permanent),
prendre l’attache de son directeur d’établissement préalablement à toute demande afin de l’en informer et de s’entendre sur une date de départ,
adresser au directeur général du Centre national de gestion (CNG) sa demande sous couvert du directeur de l’établissement.
Effets, durée
Le PH en disponibilité cesse de bénéficier des émoluments fixés au 1° des articles R. 6152-23 et R. 6152-220 du CSP, ainsi que de ses droits à avancement.
Pour le reste, il n’est plus soumis aux règles posées par son statut.
La durée de la disponibilité pour convenances personnelles varie selon que le praticien exerce à temps plein ou à temps partiel :
Pour les PH temps plein : 3 ans maximum renouvelables pour la même durée dans la limite d’une durée de 10 années pour l’ensemble de la carrière du praticien,
Pour les PH temps partiel : la durée ne peut excéder un an renouvelable pour la même durée dans une limite de 10 ans sur l’ensemble de la carrière.
Une disponibilité conditionnée
La difficulté vient du fait que les articles R. 6152-245 et -246 du CSP prévoient que la disponibilité pour convenances personnelles (comme tous les cas de disponibilité accordés sous réserve des nécessités de service fixés au point II de l’article R. 6152-245 du CSP) n’est pas de droit et peut être accordée par la Directrice générale du CNG après avis du Président de la Commission médicale d’établissement, du chef de pôle et du directeur du centre hospitalier « sous réserve des nécessités du service ». Ces avis doivent être motivés en cas de refus.
La mise en disponibilité relève ensuite du pouvoir d’appréciation de la Directrice générale du CNG en fonction de ces trois avis motivés. Si l’autorité décisionnaire n’est pas liée par ces avis locaux, il est cependant rare qu’elle ne les suive pas. En cas de refus, sa décision doit bien entendu être fondée sur une motivation détaillée.
Le risque est effectivement qu’un refus soit opposé au demandeur et justifié par le fait que son départ compromettrait le bon fonctionnement du service et mettrait en péril l’intérêt du service public hospitalier et, plus précisément, la continuité de la prise en charge de telle ou telle spécialité médicale.
Il faut bien comprendre que les « nécessités du service » sont une notion dont le juge administratif fait une appréciation très extensive et qui ne sont pas contraires à la liberté d’entreprendre parce que justifiées par l’intérêt général qui s’attache au bon fonctionnement des établissements publics de santé (CE, 3 juin 2013, nos 344595, 344622, 344623 et 344624).
De plus, la commission de déontologie de la fonction publique (ins-taurée par l’article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques) peut être saisie par le directeur de l’établissement lorsqu’un PH l’informe de son souhait d’exercer dans le privé (article L. 6152-4 du CSP instauré par la loi HPST). Si sa saisine n’est pas obligatoire pour les agents souhaitant intégrer le secteur privé, il ne faut pas cependant oublier cette possibilité offerte à l’établissement.
Solliciter une disponibilité pour convenances personnelles n’est donc pas une simple formalité dans la mesure où les textes donnent au directeur de l’établissement les moyens de contraindre le PH à rester en poste ou, au moins, à retarder son départ.
Par la suite, la réglementation impose de déclarer le poste vacant une fois seulement que la disponibilité supérieure à six mois a été accordée et prononcée par le Directeur général du CNG (article R. 6152-246 du CSP).
Renouvellement
Le PH doit, deux mois avant le terme de la disponibilité, faire part de ses intentions au CNG, de renouveler ou non la disponibilité, avec copie à son établissement d’affectation.
A défaut de manifester ses intentions à l’issue de sa disponibilité et après mise en demeure par le CNG et information des risques qu’il encourt, le PH est radié des cadres (PH à temps plein) ou licencié (PH à temps partiel).
Réintégration
Par la suite, la réintégration est de droit sur le poste précédemment occupé si la demande intervient avant l’achèvement des six mois du détachement ou de la disponibilité en cours, quelle que soit la durée initiale accordée au PH. Le praticien doit en faire la demande au moins deux mois à l’avance, simultanément au directeur de son établissement et au Directeur général du CNG.
Attention : le droit à être réintégré ne signifie pas que le PH retrouvera obligatoirement le même poste. Le juge administratif a eu l’occasion de le préciser :
« […] Ce droit ne saurait cependant faire obstacle au pouvoir général d’organisation du service dont dispose le directeur et n’implique, par ailleurs, pas l’exercice de fonctions identiques à celles précédemment exercées avant la mise en disponibilité. Ainsi, malgré la modification substantielle apportée aux conditions matérielles d’exercice des fonctions d’un praticien hospitalier en raison de la réorganisation de son ancien service, opérée dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme dite de la « nouvelle gouvernance », dans les établissements publics de santé, intervenue pendant sa disponibilité, la réintégration de ce praticien hospitalier sur son poste budgétaire et dans des fonctions correspondant à sa spécialité ne méconnaît pas ses droits » (TA Amiens, 10 mars 2011, n° 0900190).
Ce sont, là encore, les « nécessités du service » qui seront invoquées et justifieront que le PH retrouve ou non son ancien poste.
L’agent qui sollicite sa réintégration de manière anticipée ou au terme de sa disponibilité et qui se voit opposer un refus de réintégration par son administration faute de poste vacant, doit être regardé comme involontairement privé d’emploi au sens de la réglementation de l’assurance chômage. Cette situation ouvre droit à la perception d’allocations chômage (CE, 30 novembre 2002, n° 216912).

La démission
En second lieu, le PH souhaitant intégrer le secteur privé peut envisager de démissionner de l’hôpital.

Etapes
Elle se déroule en trois étapes :
le PH présente sa démission au Directeur général du CNG en respectant un préavis de 3 mois (présenter sa demande au moins 3 mois avant la date envisagée de son départ).
le CNG notifie sa décision dans un délai de 30 jours à réception de la demande (arrêté notifié au praticien demandeur ou acceptation implicite),
tout en acceptant la démission, le Directeur général du CNG peut demander au praticien de continuer d’exercer ses fonctions pendant une durée maximale de 6 mois à compter de la date de réception de la demande de démission dans l’attente du remplacement du praticien démissionnaire.
Il est donc clair que démissionner de son poste ne permettra pas toujours de quitter l’hôpital rapidement et d’intégrer le privé à la date espérée puisque la direction peut retenir le PH six mois jusqu’à son remplacement. Là encore, le pouvoir exorbitant de l’administration s’explique par la satisfaction de l’intérêt général et la continuité du service public hospitalier.
Saisine facultative de la Commission de déontologie
Par ailleurs, les articles L. 6152-5-1 et R. 6152-97 du CSP prévoient que la Commission de déontologie est compétente pour se prononcer sur la situation des PH démissionnaires au même titre que tout agent public qui envisage d’exercer une activité dans le secteur privé et dans le secteur public concurrentiel.
La Commission de déontologie peut rendre un avis sur la compatibilité de l'activité que se propose d'exercer le démissionnaire dans le privé avec les fonctions précédemment exercées, et ce afin d'éviter que l’activité envisagée par le praticien constitue une prise illégale d’intérêt ou qu’elle soit de nature à porter « atteinte à la dignité des fonctions précédemment exercées » ou tout « risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service ».
Si sa saisine - dans les deux ans suivant la démission - est facultative, il ne faut pas négliger la possibilité qu’a la Commission de déontologie d’émettre un avis d’incompatibilité empêchant le PH démissionnaire d’exercer une activité privée si le bon fonctionnement du service et l’offre de soins publique s’en trouvent, selon elle, entachés (exemple : interdiction d’exercer pendant trois ans dans une clinique de la même commune, Avis n° 11A0457 du 16 mars 2011). Il faut bien comprendre que les avis d’incompatibilité lient la décision de l’administration, contrairement aux avis de comptabilité qui laissent le choix de la décision à l’administration.
En conséquence, une décision qui doit être réfléchie et des risques bien évalués.
Démissionner est évidemment une décision définitive qui empêche tout retour au secteur public, contrairement à une mise en disponibilité. Une telle option présente donc un risque qu’il faut bien évaluer.
Ainsi et en l’état actuel du droit, il est clair que le statut de PH lie ce dernier à l’hôpital pour une durée parfois méconnue, la réglementation permettant effectivement à l’établissement de le retenir, soit en avançant le motif général des « nécessités du service » dans le cadre de la demande de mise en disponibilité, soit en retardant son départ de peut-être sept mois en cas de démission.
Enfin, une fois que le praticien a pesé le pour et le contre des options offertes à lui pour quitter le public et que l’une ou l’autre a été validée par son administration d’affectation ou d’origine, son installation dans le secteur privé est libre.
S’il est en position de disponibilité, le PH n’est plus soumis aux règles imposées par son statut. Il est donc libéré de toute sujétion administrative.
NB : les décrets d’application sur une éventuelle clause de non-concurrence des praticiens souhaitant intégrer le privé n’ont jamais été publiés depuis leur annonce par la loi HPST de juillet 2009, en se fondant sur l’évidente liberté d’entreprendre.
Pour conclure, en fin de carrière, le PH ayant exercé à la fois en public et en privé percevra la somme des pensions pour lesquelles il a accumulé des droits dans les différents régimes de base et complémentaires auxquels il a été affilié, chacun des deux régimes prenant en considération le nombre de trimestres validés chez lui pour évaluer le montant de la retraite. Notons que, pour avoir droit à une pension de la fonction publique, il faut y avoir travaillé au minimum deux ans (quinze ans avant la réforme de 2010). En-dessous de cette durée, l’ex-administration est tenue de procéder au rétablissement de ces deux années au régime général d’assurance vieillesse de la sécurité sociale.


Voir tableau dans La Lettre du Cabinet - Septembre 2015La Lettre du Cabinet - Septembre 2015


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