Base de données - Praticien hospitalier

Illégalité d'une suppression d'un poste de PH
(jugement du 20 septembre 2017 du Tribunal administratif de Poitiers, n° 1400294 et 1600335)
Jonathan Quadéri

L’état financier moribond de certains établissements publics de santé est une réalité.

En pareil cas, la réglementation permet à leur directeur de prendre diverses mesures de retour à l’équilibre, au nombre desquelles figure notamment la suppression pure et simple de postes de médecins, pharmaciens, infirmiers(ières) et d’agents administratifs.

Pour mémoire, l'effectif du personnel de chaque hôpital, qu’il s’agisse d’emplois permanents ou temporaires, doit apparaître, par grade, qualification ou statut, en annexe de leur budget, dans un document dénommé “tableau prévisionnel des effectifs rémunérés” (cf. art. R. 6145-20 du code de la santé publique - CSP), communicable à toute personne qui en fait la demande (cf., par analogie, CADA, 2 février 2006, n° 20060660, et TA Rennes, 10 mars 2017, n° 1402167).

Plusieurs articles du CSP traitent de cette situation, peu connue ou maîtrisée, à la procédure encore plus complexe que celle des recrutements des praticiens hospitaliers (PH), aux aspects déjà nébuleux.

A l’égard d’une partie d’entre ces derniers, l’article R. 6152-274 du CSP prévoit « En cas de suppression de son poste, le praticien à temps partiel […] peut, selon son choix, soit être nommé sur un autre emploi, soit être placé en recherche d'affectation ou en disponibilité pour convenances personnelles, soit être licencié avec indemnité dans les conditions fixées à l'article R. 6152-273. » (choix parfois non satisfaisant et susceptible d’être davantage radical que dans l’hypothèse d’une transformation d’emploi à temps plein en temps partiel).

Une telle protection n’est cependant pas offerte à l’identique aux PH à temps plein.

A ceci s’ajoute le fait que, sans évoquer leur pouvoir de contrôle, y compris les directeurs généraux d’agences régionales de santé (ARS) ont voix en la matière, l’article L. 6131-5 dans le code précité explique quant à lui qu’ils peuvent, seuls, « demander à un établissement concerné par une opération de restructuration la suppression d'emplois » et, faute d’obtenir satisfaction, saisir directement le directeur général du Centre national de gestion pour « le placement en position de recherche d'affectation des praticiens hospitaliers titulaires concernés par la restructuration ».

Bien qu’il s’agisse d’un contentieux relativement rare, le Juge administratif valide fréquemment ces suppressions de postes, retenant généralement à cet effet les motifs économiques avancés par l’établissement de santé et/ou le sacro-saint “intérêt du service” qui a présidé à l’édiction de ses décisions, lequel prime sur celui de ses agents (cf., par exemple, CAA Nancy, 15 novembre 2007, n° 06NC01491).

Si, dans ce contexte, il s’avère parfois difficile de lutter, le jeu en vaut parfois la chandelle, en particulier lorsqu’un texte fait assurément obstacle, en droit, à la réduction d’effectif frappant directement le PH, comme l’illustre l’affaire récemment tranchée par le Tribunal administratif de Poitiers.

En l’espèce, un PH temps plein, pharmacien gérant de la pharmacie à usage intérieur d’un Centre hospitalier depuis 25 ans, s’est vu affecté, courant 2012, sur un poste de “praticien hygiéniste”, tout juste créé à cette époque, mais dont la suppression a été décidée seulement 18 mois plus tard, en septembre 2013.

Cette suppression a été réitérée chaque année, dans le budget de l’établissement avalisé par le Directeur général de l’ARS.

Son exécution était cependant conditionnée à un accord du Centre national de gestion qui n’a pas été donné la première fois.

Dans ces conditions, en décembre 2015, ce même praticien s’est de nouveau vu notifier une seconde mesure de suppression de son poste.

Comme la précédente, celle-ci était fondée sur des “raisons financières” (le coût dudit poste était évalué à plus de 140 000 € par an quand le Centre hospitalier présentait un déficit de 850 000 €), l’hôpital arguant entre autres que l’infirmière hygiéniste avait la capacité d’assurer seule l’ensemble de la fonction hygiène de l’établissement.

Toutefois, par un jugement devenu définitif, nos 1400294 et 1600335, du 20 septembre 2017, la juridiction administrative de Poitiers a considéré à juste titre que, ce faisant, le Directeur de l’hôpital a commis une erreur de droit, « la cellule d’hygiène hospitalière du centre hospitalier […] ne compte que deux postes, l’un de pharmacien et l’autre d’infirmier », « la suppression du seul poste de praticien hospitalier en son sein a donc pour effet de priver l’équipe opérationnelle d’hygiène de cet établissement de tout personnel médical ou pharmaceutique », tandis que l’article R. 6111-7 du CSP impose que « l’équipe opérationnelle d’hygiène doit se composer non seulement de personnel infirmier mais également de personnel soit médical soit pharmaceutique ».

On imagine aisément que, à quelques années de la retraite, la perte de son emploi par un PH peut avoir des répercussions importantes, tant d’un point de vue financier que psychologique.

Ce procès, engagé début 2014, a été long. Pour autant, 3 ans plus tard, la fin de carrière de cet agent semble lui être assurée et le Cabinet, qui l’a assisté depuis la survenue de ce litige, s’en réjouit.

La Lettre du Cabinet - Janvier 2018


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PH et congés maladie
Jonathan Quadéri

    Régulièrement interrogé sur la réglementation applicable aux praticiens hospitaliers (PH) en arrêt maladie et, tout particulièrement, sur l’interprétation (ou l’articulation) à donner aux dispositions des articles R. 6152-36 à -44 du code de la santé publique (CSP), voici, d’une manière générale (chaque affaire ayant ses particularités) et sans pouvoir être exhaustif, quelques règles ou principes qui leur sont rappelés par le Cabinet en la matière :

 

-  Qu’est-ce que le « comité médical » ?

Instance départementale, non permanente, placée auprès de chaque préfet, rendant un avis « sur l'aptitude physique et mentale » d’un PH, ainsi que « sur toute question d'ordre médical », pour l'application des dispositions de son statut.

 

 Qui peut le saisir ?

Le directeur de l'établissement, après avis du président de la CME, ou le directeur général de l’ARS, voire celui du CNG.

 

-  Comment est-il composé ?

3 membres du personnel enseignant et hospitalier désignés, pour chaque dossier, par arrêté du préfet sur proposition du directeur général l’ARS.

 

-  La procédure est-elle contradictoire ?

Oui, le PH est entendu, peut être assisté par un ou plusieurs médecins de son choix, qui ont accès au dossier constitué par le comité.

-  Quand est-il saisi ?

A différentes occasions mais toujours (d’après les textes, moins en pratique) pour reconnaitre le caractère grave et acquis d’une pathologie ouvrant droit à un congé de longue durée ou à l'issue de certaines périodes de congés réglementées (à 6 mois, 1 an, 3 ans maximum), en vue de leur prolongation ou de la réintégration du PH, de sa reprise de fonctions dans le cadre d’un mi-temps pour raison thérapeutique, voire, encore, de sa mise en disponibilité d'office pour raison médicale.

 

-  Durant ce type de congés, le PH conserve-t-il sa rémunération ?

Oui, mais seulement ses émoluments à hauteur de leur totalité pendant une période (de 3 mois à 5 ans maximum), puis de la moitié ensuite (de 9 mois à 2 ans maximum), jusqu’à épuisement des droits à congés.

 

-  Les droits à congés, d’une durée respective maximum d’1, 3 et 5 ans, des articles R. 6152-37, R. 6152-38 et R. 6152-39 et R. 6152-41 du CSP, sont-ils automatiquement reconstitués en cas de rechute ?

Non, un PH ne peut bénéficier d'un autre congé de longue maladie s'il n'a pas auparavant repris l'exercice de ses fonctions pendant 1 an, tandis qu’aucun droit à reconstitution n’est prévu pour les congés de maladie ordinaire, de longue durée et de maladie imputable au service ou d'accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion des fonctions, chaque période prise au titre de ces derniers congés, même non successives, pouvant être retenue pour apprécier la durée totale du congé (cf. CE, 8 juillet 1996, n° 139974).

 

-  La limite d’1 an de service à mi-temps pour raison thérapeutique de l’article R. 6152-43 du CSP est-elle reconstituée en cas de rechute ?

Non, elle vaut par affection ayant ouvert droit à un congé de longue maladie ou de longue durée, par accident de service ou par maladie contractée dans l'exercice des fonctions (sauf, par exemple, s’il y a préalablement eu consolidation des premiers troubles et que la rechute est regardée comme un nouvel accident de service, cf. CE, 1er décembre 2010, n° 332757).

 

-  Qu’en est-il en cas d’épuisement de ces droits et d’impossibilité de reprendre les fonctions ?

Décision de placement du PH en disponibilité d’office pour raison de santé prononcée par le CNG.

 

-  Durant cette période de mise en disponibilité d’office, un PH peut-t-il bénéficier de l’allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE) ?

Théoriquement oui, s’agissant d’une situation constitutive d’une perte involontaire d’emploi, la difficulté résidant toutefois dans la réunion de certaines des autres conditions d’attribution de l’ARE, requises par la réglementation en vigueur (cf. circulaire n° NOR/BCRF1033362C du 21 février 2011).

La Lettre du Cabinet - Août 2016


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Praticiens hospitaliers : indemnisation, carrière et discipline
Jonathan Quaderi

Pour mémoire, les 12 et 23 mai 2011, ont été respectivement publiés deux textes mis à la signature du ministre chargé de la Santé, l’un sous forme d’une note d’information relative à la situation des professionnels placés en disponibilité d’office à l’issue d’une période de recherche d’affectation, traitant de l’indemnisation de la perte involontaire d’emploi, l’autre, constituant un arrêté modifiant celui du 17 octobre 2001, relatif à l’activité exercée par un praticien hospitalier dans plusieurs établissements. Il ressort, notamment, de la lecture de ces mesures que, d’une part, l’indemnisation due au titre de la perte d’emploi involontaire visée à l’article L. 5424-1 du code du travail doit être supportée par l’établissement, « dernier employeur », et non par le CNG, bien que l’intéressé soit placé directement sous l’autorité de l’instance de gestion. D’autre part, le toilettage de l’arrêté de 2001 intègre les mesures qui résultent de la loi HPST, en modifiant, par exemple, l’article 8 préexistant, dont le quatrième alinéa est rédigé dorénavant ainsi qu’il suit : « Lorsque les établissements parties à la convention [établie en vue de répartir l’activité d’un praticien entre deux ou plusieurs établissements] fusionnent ou constituent un groupement de coopération sanitaire érigé en établissement public de santé, le praticien qui partageait son activité entre des sites géographiques distincts et percevait [l’indemnité (et non « l’activité »)] susmentionnée en conserve le bénéfice pendant une période de douze mois à compter de la date de création du nouvel établissement. »
En ce qui concerne la carrière des praticiens hospitaliers, plus particulièrement lorsque ceux-ci entendent démissionner de leurs fonctions pour exercer en secteur privé, leur attention doit être attirée sur la mise en œuvre effective, depuis la fin de l’année dernière, du principe de non concurrence introduit à l’article L. 6152-5-1 du code de la santé publique par la loi du 21 juillet 2009. En effet, si ce texte ne trouve toujours pas, à ce jour, de décret d’application, il n’en demeure pas moins que la commission de déontologie, créée par l’article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, a, à plusieurs reprises, été saisie « pour rendre un avis sur la compatibilité avec les fonctions précédentes de l’agent, de toute activité lucrative, salariée ou non, dans un organisme ou une entreprise privée ou dans une entreprise publique exerçant son activité conformément aux règles de droit privé dans un secteur concurrentiel ou d’une activité libérale que souhaite exercer l’agent pendant un délai de trois ans suivant la cessation de ses fonctions ». A ce titre, c’est donc uniquement en vertu du dernier alinéa de l’article R. 6152-97, modifié par le décret statutaire du 29 septembre 2010, que « sont applicables [aux] praticiens démissionnaires [prévoyant] d’exercer une activité salariée ou à titre libéral les dispositions de l’article 87 [visées ci-dessus] ». Manifestement, ladite commission considère incompatible de ce chef la volonté d’un praticien hospitalier de s’installer, pour y exercer une activité identique, dans une clinique située à seulement quelques kilomètres de l’hôpital de départ.
Enfin, chacun sait désormais que le directeur général du Centre National de Gestion est compétent pour suspendre, à titre conservatoire et dans l’intérêt du service, un praticien hospitalier, prérogative que lui confère notamment l’article R. 6152-77 du code de la santé publique. Une telle décision fait nécessairement grief et peut, en conséquence, être soumise à la censure du juge administratif, y compris par voie de référé, aux fins qu’il en suspende, en urgence, l’exécution. Cependant, l’opportunité d’entreprendre cette dernière démarche doit être appréciée rigoureusement car les chances d’obtenir satisfaction sont très souvent réduites.
C’est ce qu’a pu constater Monsieur A. à la lumière de l’arrêt n° 346338 rendu à son encontre par le Conseil d’Etat, le 11 juillet 2011, rédigé en ces termes : « en jugeant que Monsieur A. justifiait de l’existence d’une situation d’urgence, tenant d’une part à la perte de ses rémunérations accessoires et des revenus tirés de sa clientèle privée et d’autre part à l’atteinte portée à sa réputation et au maintien de ses qualifications, alors que la mesure de suspension n’avait pas privé l’intéressé de son traitement principal de praticien hospitalier à plein temps et que l’administration avait fait valoir que l’intérêt public justifiait que ce praticien soit, pour la sécurité des patients et le bon fonctionnement du service, momentanément éloigné de celui-ci, le juge des référés a entaché sa décision de dénaturation et d’erreur de droit ».
La suspension du praticien a donc été maintenue.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2011


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Indemnisation Praticien hospitalier

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Protection fonctionnelle à l’hôpital : application, sous réserve, de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 aux agents de la fonction publique hospitalière
(Conseil d’Etat, 26 juillet 2011, n° 336114)
Jonathan Quaderi

En raison, notamment, de trois arrêts rendus par le Conseil d’Etat en matière de protection fonctionnelle, afférents au personnel médical et non médical exerçant dans les établissements publics de santé, il apparaît nécessaire de rappeler brièvement les principes qui s’en sont dégagés.
S’agissant des praticiens hospitaliers, dans une première affaire jugée par un arrêt n° 319062 du 14 janvier 2011, dans le cadre de laquelle Madame A., titulaire du certificat d’études spécialisées d’anatomie et de cytologie pathologique humaine et lauréate du concours de praticien hospitalier, contestait la décision du directeur général d’un CHU lui refusant la protection juridique prévue par les dispositions de l’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors, la Haute juridiction administrative a expressément jugé que, dans la mesure où en l’absence de renvoi visant les praticiens hospitaliers mentionnés à l’article L. 6152-1 du code de la santé publique à la disposition dont s’agit, celle-ci ne leur est pas applicable. Par suite, « le Tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que Madame A. ne pouvait se prévaloir des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 [et], après avoir relevé par une argumentation souveraine non arguée de dénaturation que les agissements du Professeur C. que dénonce la requérante constituaient des mesures prises par ce dernier dans l’exercice de son pouvoir hiérarchique, […] [ni] inexactement qualifié ces faits en en déduisant qu’à supposer qu’en vertu d’un principe général du droit, tout agent public victime de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages doive être protégé par son employeur, ces actes ne constituaient pas de telles atteintes et n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant les conclusions de Madame A. tendant à l’annulation des décisions lui refusant cette protection ».
S’agissant du personnel hospitalier, autre que ceux mentionnés supra, susceptible de pouvoir bénéficier de la protection fonctionnelle prévue à l’article 11 de la loi de 1983, le Conseil d’Etat a, sur ce point, précisé, les 8 juin et 26 juillet derniers, aux termes d’arrêts n° 312700 et 336114, que la protection fonctionnelle « s’applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions […], [et doit être accordée] lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions ». Le juge poursuit en rappelant que, du chef de ce principe général du droit, « il incombe à la collectivité publique dont […] dépend [l’intéressé] de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans une mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales, sauf s’il a commis une faute personnelle, et, à moins qu’un motif d’intérêt général ne s’y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l’objet. » Dans la seconde décision, la Haute juridiction a illustré, au regard des pièces qui lui étaient soumises, l’exception, en considérant que « Madame A. entretenait des relations extrêmement difficiles avec les agents et les médecins du centre hospitalier […], que l’existence d’un climat gravement et durablement conflictuel au sein du service, qui résultait au moins pour partie du comportement de l’intéressée, que la poursuite de l’action en diffamation engagée par celle-ci ne pouvait qu’aggraver, et qui était susceptible d’avoir une incidence sur la qualité des soins assurés dans l’établissement, constituait un motif d’intérêt général sur lequel le directeur du centre hospitalier a pu légalement se fonder pour refuser que l’établissement prenne en charge les frais de procédure et d’avocat supportés par Madame A. dans l’action en diffamation ».
Aucune règle n’étant figée, directeurs d’établissement et agents sont, dans ces conditions, invités à apprécier de manière éclairée les situations auxquelles ils sont confrontés.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2011


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Praticien hospitalier Protection fonctionnelle

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PUPH et discipline ordinale
(arrêt Conseil d'Etat, 13 avril 2018, n° 406887)
Gabin Attia

   « Comment qualifier au cours de la guerre entre Israël et Gaza la mort par bombardement classique de 22 membres d’une même famille ? S’agit-il d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité, d’un génocide ? » Telle est la question posée en 2012 à des étudiants en médecine de l’université Paris-Diderot par leur professeur, par ailleurs praticien hospitalier. Un tollé d’une telle ampleur s’ensuit que ce dernier fait l’objet non seulement d’une enquête administrative des instances académiques mais également, sur plainte du conseil départemental de la ville de Paris de l’Ordre des médecins, de poursuites disciplinaires devant la chambre disciplinaire de première instance d’Île-de-France de l’Ordre des médecins.

   Le conseil départemental soulève deux griefs qui tiennent d’une part à la formulation du sujet d’examen et, d’autre part, aux propos tenus par le PUPH dans une tribune diffusée sur internet en 2014.

   Il est sanctionné d’un blâme en première instance et perd en appel, au motif que, bien que le premier grief soit reconnu infondé, ce n’est pas le cas du second tenant au libellé du sujet d’examen lequel suffit à justifier la sanction prononcée.

   Mais le Conseil d’Etat censure ce raisonnement : les faits reprochés à un praticien hospitalier professeur des universités, lorsqu’ils se rapportent aux activités exercées en cette dernière qualité et qu’ils sont indétachables des activités universitaires, ne peuvent être valablement poursuivis devant les instances disciplinaires ordinales.

   Il ne s’agit pas nécessairement d’une solution intuitive car les instances disciplinaires répriment habituellement tout « acte de nature à déconsidérer la profession » au sens de l’article R. 4127-31 du code de la santé publique ; pourtant, le Conseil d’Etat considère en l’espèce que le grief soulevé par le conseil départemental est irrecevable.

   La solution est néanmoins nécessaire. Ce moyen ne peut être examiné puisqu’il a trait à « la connotation politique du libellé d’un sujet d’examen » : le Conseil d’Etat, au visa de la Constitution et de l’article L. 952-2 du code de l’éducation, préserve l’indépendance des professeurs d’université qui a valeur de principe fondamental reconnu par les lois de la République (Conseil constitutionnel, 20 janvier 1984, n° 83-165 DC) en sauvegardant le périmètre d’intervention de l’instance spéciale de l’article L. 952-22 du code de l’éducation.

   La liberté d’expression d’un professeur d’université ne peut donc être indirectement bridée par les juridictions de son ordre professionnel : praticien hospitalier ou non, ce qui se passe à l’Université reste à l’Université.

   Prudence toutefois, car les juridictions disciplinaires conservent une compétence de principe pour l’ensemble des faits commis par les praticiens professeurs, tant qu’ils sont détachables des fonctions universitaires et de nature à déconsidérer la profession.   

La Lettre du Cabinet - Septembre 2018


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Praticien hospitalier Procédure disciplinaire ordinale PUPH

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Quitter l’hôpital public pour le secteur privé : une liberté sous contrôle
Anne Boyer
Crise de confiance de l’hôpital, accroissement continu des tâches administratives, manque de moyens et contraintes budgétaires, gardes à répétition, recherche d’une meilleure rémunération, etc. : autant de raisons qui peuvent expliquer qu’un médecin décide de délaisser l’hôpital public pour le secteur privé.
S’il existe une liberté de choix du praticien entre exercice public ou privé, cette liberté est relative car très encadrée. Ce passage est parfois un « parcours du combattant », la direction de l’établissement ayant les moyens de retenir l’intéressé.
Afin de quitter le service public hospitalier pour intégrer, définitivement ou non, le secteur libéral, deux options sont possibles : être placé en disponibilité pour convenances personnelles ou démissionner. Il convient de bien comprendre les enjeux d’une telle décision et d’en appréhender les conséquences sur le nouveau « statut » du médecin devenu libéral.
La disponibilité pour convenances personnelles
En premier lieu, le praticien hospitalier (PH) - pour quitter l’hôpital - peut demander que lui soit accordée une disponibilité pour convenances personnelles.

Définition
Rappelons tout d’abord que la disponibilité est la position administrative d’un agent qui quitte temporairement son administration d’origine et a vocation à la retrouver à l’issue de la disponibilité.
Cette position est réglementée par les articles R. 6152-62 à R. 6152-69 du code de la santé publique (CSP) pour les praticiens hospitaliers temps plein et les articles R. 6152-242 à R. 6152-246 du CSP pour les PH temps partiel.
Demande
Pour y être admis, tout PH doit :
avoir validé sa période probatoire (nomination à titre permanent),
prendre l’attache de son directeur d’établissement préalablement à toute demande afin de l’en informer et de s’entendre sur une date de départ,
adresser au directeur général du Centre national de gestion (CNG) sa demande sous couvert du directeur de l’établissement.
Effets, durée
Le PH en disponibilité cesse de bénéficier des émoluments fixés au 1° des articles R. 6152-23 et R. 6152-220 du CSP, ainsi que de ses droits à avancement.
Pour le reste, il n’est plus soumis aux règles posées par son statut.
La durée de la disponibilité pour convenances personnelles varie selon que le praticien exerce à temps plein ou à temps partiel :
Pour les PH temps plein : 3 ans maximum renouvelables pour la même durée dans la limite d’une durée de 10 années pour l’ensemble de la carrière du praticien,
Pour les PH temps partiel : la durée ne peut excéder un an renouvelable pour la même durée dans une limite de 10 ans sur l’ensemble de la carrière.
Une disponibilité conditionnée
La difficulté vient du fait que les articles R. 6152-245 et -246 du CSP prévoient que la disponibilité pour convenances personnelles (comme tous les cas de disponibilité accordés sous réserve des nécessités de service fixés au point II de l’article R. 6152-245 du CSP) n’est pas de droit et peut être accordée par la Directrice générale du CNG après avis du Président de la Commission médicale d’établissement, du chef de pôle et du directeur du centre hospitalier « sous réserve des nécessités du service ». Ces avis doivent être motivés en cas de refus.
La mise en disponibilité relève ensuite du pouvoir d’appréciation de la Directrice générale du CNG en fonction de ces trois avis motivés. Si l’autorité décisionnaire n’est pas liée par ces avis locaux, il est cependant rare qu’elle ne les suive pas. En cas de refus, sa décision doit bien entendu être fondée sur une motivation détaillée.
Le risque est effectivement qu’un refus soit opposé au demandeur et justifié par le fait que son départ compromettrait le bon fonctionnement du service et mettrait en péril l’intérêt du service public hospitalier et, plus précisément, la continuité de la prise en charge de telle ou telle spécialité médicale.
Il faut bien comprendre que les « nécessités du service » sont une notion dont le juge administratif fait une appréciation très extensive et qui ne sont pas contraires à la liberté d’entreprendre parce que justifiées par l’intérêt général qui s’attache au bon fonctionnement des établissements publics de santé (CE, 3 juin 2013, nos 344595, 344622, 344623 et 344624).
De plus, la commission de déontologie de la fonction publique (ins-taurée par l’article 87 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques) peut être saisie par le directeur de l’établissement lorsqu’un PH l’informe de son souhait d’exercer dans le privé (article L. 6152-4 du CSP instauré par la loi HPST). Si sa saisine n’est pas obligatoire pour les agents souhaitant intégrer le secteur privé, il ne faut pas cependant oublier cette possibilité offerte à l’établissement.
Solliciter une disponibilité pour convenances personnelles n’est donc pas une simple formalité dans la mesure où les textes donnent au directeur de l’établissement les moyens de contraindre le PH à rester en poste ou, au moins, à retarder son départ.
Par la suite, la réglementation impose de déclarer le poste vacant une fois seulement que la disponibilité supérieure à six mois a été accordée et prononcée par le Directeur général du CNG (article R. 6152-246 du CSP).
Renouvellement
Le PH doit, deux mois avant le terme de la disponibilité, faire part de ses intentions au CNG, de renouveler ou non la disponibilité, avec copie à son établissement d’affectation.
A défaut de manifester ses intentions à l’issue de sa disponibilité et après mise en demeure par le CNG et information des risques qu’il encourt, le PH est radié des cadres (PH à temps plein) ou licencié (PH à temps partiel).
Réintégration
Par la suite, la réintégration est de droit sur le poste précédemment occupé si la demande intervient avant l’achèvement des six mois du détachement ou de la disponibilité en cours, quelle que soit la durée initiale accordée au PH. Le praticien doit en faire la demande au moins deux mois à l’avance, simultanément au directeur de son établissement et au Directeur général du CNG.
Attention : le droit à être réintégré ne signifie pas que le PH retrouvera obligatoirement le même poste. Le juge administratif a eu l’occasion de le préciser :
« […] Ce droit ne saurait cependant faire obstacle au pouvoir général d’organisation du service dont dispose le directeur et n’implique, par ailleurs, pas l’exercice de fonctions identiques à celles précédemment exercées avant la mise en disponibilité. Ainsi, malgré la modification substantielle apportée aux conditions matérielles d’exercice des fonctions d’un praticien hospitalier en raison de la réorganisation de son ancien service, opérée dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme dite de la « nouvelle gouvernance », dans les établissements publics de santé, intervenue pendant sa disponibilité, la réintégration de ce praticien hospitalier sur son poste budgétaire et dans des fonctions correspondant à sa spécialité ne méconnaît pas ses droits » (TA Amiens, 10 mars 2011, n° 0900190).
Ce sont, là encore, les « nécessités du service » qui seront invoquées et justifieront que le PH retrouve ou non son ancien poste.
L’agent qui sollicite sa réintégration de manière anticipée ou au terme de sa disponibilité et qui se voit opposer un refus de réintégration par son administration faute de poste vacant, doit être regardé comme involontairement privé d’emploi au sens de la réglementation de l’assurance chômage. Cette situation ouvre droit à la perception d’allocations chômage (CE, 30 novembre 2002, n° 216912).

La démission
En second lieu, le PH souhaitant intégrer le secteur privé peut envisager de démissionner de l’hôpital.

Etapes
Elle se déroule en trois étapes :
le PH présente sa démission au Directeur général du CNG en respectant un préavis de 3 mois (présenter sa demande au moins 3 mois avant la date envisagée de son départ).
le CNG notifie sa décision dans un délai de 30 jours à réception de la demande (arrêté notifié au praticien demandeur ou acceptation implicite),
tout en acceptant la démission, le Directeur général du CNG peut demander au praticien de continuer d’exercer ses fonctions pendant une durée maximale de 6 mois à compter de la date de réception de la demande de démission dans l’attente du remplacement du praticien démissionnaire.
Il est donc clair que démissionner de son poste ne permettra pas toujours de quitter l’hôpital rapidement et d’intégrer le privé à la date espérée puisque la direction peut retenir le PH six mois jusqu’à son remplacement. Là encore, le pouvoir exorbitant de l’administration s’explique par la satisfaction de l’intérêt général et la continuité du service public hospitalier.
Saisine facultative de la Commission de déontologie
Par ailleurs, les articles L. 6152-5-1 et R. 6152-97 du CSP prévoient que la Commission de déontologie est compétente pour se prononcer sur la situation des PH démissionnaires au même titre que tout agent public qui envisage d’exercer une activité dans le secteur privé et dans le secteur public concurrentiel.
La Commission de déontologie peut rendre un avis sur la compatibilité de l'activité que se propose d'exercer le démissionnaire dans le privé avec les fonctions précédemment exercées, et ce afin d'éviter que l’activité envisagée par le praticien constitue une prise illégale d’intérêt ou qu’elle soit de nature à porter « atteinte à la dignité des fonctions précédemment exercées » ou tout « risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service ».
Si sa saisine - dans les deux ans suivant la démission - est facultative, il ne faut pas négliger la possibilité qu’a la Commission de déontologie d’émettre un avis d’incompatibilité empêchant le PH démissionnaire d’exercer une activité privée si le bon fonctionnement du service et l’offre de soins publique s’en trouvent, selon elle, entachés (exemple : interdiction d’exercer pendant trois ans dans une clinique de la même commune, Avis n° 11A0457 du 16 mars 2011). Il faut bien comprendre que les avis d’incompatibilité lient la décision de l’administration, contrairement aux avis de comptabilité qui laissent le choix de la décision à l’administration.
En conséquence, une décision qui doit être réfléchie et des risques bien évalués.
Démissionner est évidemment une décision définitive qui empêche tout retour au secteur public, contrairement à une mise en disponibilité. Une telle option présente donc un risque qu’il faut bien évaluer.
Ainsi et en l’état actuel du droit, il est clair que le statut de PH lie ce dernier à l’hôpital pour une durée parfois méconnue, la réglementation permettant effectivement à l’établissement de le retenir, soit en avançant le motif général des « nécessités du service » dans le cadre de la demande de mise en disponibilité, soit en retardant son départ de peut-être sept mois en cas de démission.
Enfin, une fois que le praticien a pesé le pour et le contre des options offertes à lui pour quitter le public et que l’une ou l’autre a été validée par son administration d’affectation ou d’origine, son installation dans le secteur privé est libre.
S’il est en position de disponibilité, le PH n’est plus soumis aux règles imposées par son statut. Il est donc libéré de toute sujétion administrative.
NB : les décrets d’application sur une éventuelle clause de non-concurrence des praticiens souhaitant intégrer le privé n’ont jamais été publiés depuis leur annonce par la loi HPST de juillet 2009, en se fondant sur l’évidente liberté d’entreprendre.
Pour conclure, en fin de carrière, le PH ayant exercé à la fois en public et en privé percevra la somme des pensions pour lesquelles il a accumulé des droits dans les différents régimes de base et complémentaires auxquels il a été affilié, chacun des deux régimes prenant en considération le nombre de trimestres validés chez lui pour évaluer le montant de la retraite. Notons que, pour avoir droit à une pension de la fonction publique, il faut y avoir travaillé au minimum deux ans (quinze ans avant la réforme de 2010). En-dessous de cette durée, l’ex-administration est tenue de procéder au rétablissement de ces deux années au régime général d’assurance vieillesse de la sécurité sociale.


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Hôpital public Liberté Praticien hospitalier Secteur privé

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Un PH à l’hôpital ne peut créer une SEL pour exercer en secteur privé dans le même hôpital
(arrêts Conseil d’Etat, 3 septembre 2007, n°s 295344, 295403 et 291887)
Isabelle Lucas-Baloup

Un médecin associé ne peut exercer qu’au sein d’une seule société d’exercice libéral et ne peut cumuler cette forme de pratique avec l’exercice à titre individuel ou au sein d’une société civile professionnelle, excepté dans le cas où l’exercice de sa profession est lié à des techniques médicales nécessitant un regroupement ou un travail en équipe ou à l’acquisition d’équipements ou de matériels soumis à l’autorisation en vertu de l’article L. 6122-1 ou qui justifient des utilisations multiples, prévoit en substance l’article R. 4113-3 du code de la santé publique, posant ainsi le principe du non-cumul de l’exercice au sein d’une SEL avec un exercice à titre individuel. Jusque là tout va bien, rien de nouveau.
Mais, le Conseil d’Etat vient de juger qu’il convient de comprendre par « exercice individuel » au sens de l’article R. 4113-3 « non pas exclusivement l’exercice libéral mais également l’exercice salarié d’un médecin dans un établissement de santé ».
Dans l’espèce concernée, un chirurgien spécialiste en urologie, qui exerçait dans un CHU en qualité de praticien hospitalier, chef de service d’urologie et de néphrologie, avait décidé de constituer une société d’exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) pour pratiquer en secteur privé dans l’hôpital, conformément au contrat d’activité libérale qu’il avait conclu avec le CHU. Il constitue sa société et en demande l’inscription au tableau de l’ordre départemental qui, comme l’ordre national, la lui refuse, au motif qu’il n’a pas démontré que l’intéressé entende mettre en œuvre des techniques médicales nécessitant un regroupement ou un travail en équipe ou procéder à l’acquisition d’équipements et de matériels soumis à autorisation, alors même qu’il dispose du concours des personnels et de l’usage des équipements de l’hôpital dans lequel il exerce ; que ce faisant il ne peut cumuler l’exercice au sein d’une société d’exercice libéral avec son exercice à titre individuel, juge le Conseil d’Etat.
En revanche, si les conditions de regroupement, travail en équipe, ou matériels soumis à autorisation, sont établies, le cumul est possible dans les deux sens : SEL + exercice individuel, ou exercice individuel + SEL, contrairement à la position adoptée jusqu’à présent par l’Ordre des médecins, vient de juger le Conseil d’Etat dans un deuxième arrêt (n° 291887) du 3 septembre 2007.
Compte tenu de cette dernière jurisprudence, de nombreuses situations, qui étaient jusqu’à présent bloquées par l’Ordre des médecins, vont pouvoir évoluer notamment au profit de radiologues exerçant sur plusieurs sites.

La Lettre du Cabinet - Janvier 2008
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