Base de données - Recommandations

Dispositifs médicaux et COMEDIMS
Isabelle Lucas-Baloup

Certains des nouveaux produits au service de l’hygiène, objet du dossier de HMH dans le présent numéro, donnent lieu à avis et recommandations de la Commission du médicament et des dispositifs médicaux stériles (COMEDIMS) prévue aux articles R. 5126-48 à -53 du code de la santé publique, modifiés par le décret n° 2006-550 du 15 mai 2006.
Si la gérance de la pharmacie à usage intérieur (PUI) est chargée de mener ou de participer à toute action d’information sur les « matériels, produits ou objets, ainsi qu’à toute action de promotion et d’évaluation de leur bon usage, de contribuer à leur évaluation et de concourir à la […] matériovigilance et à toute action de sécurisation du circuit du médicament et des dispositifs médicaux stériles » (article L. 5126-5 du CSP), la COMEDIMS doit participer par ses avis à l’élaboration :
- de la liste des dispositifs médicaux stériles dont l’utilisation est préconisée dans l’établissement,
- des recommandations en matière de prescription et de bon usage des dispositifs médicaux stériles.
Elle se réunit au moins trois fois par an et élabore un rapport annuel d’activité.
Dans les établissements publics de santé, ce rapport est transmis au directeur de l’Agence Régionale de l’Hospitalisation. Dans les établissements de santé privés, il est communiqué à la commission, ou à la conférence médicale, au directeur de l’établissement ainsi qu’au conseil d’administration ou à l’organe qualifié qui en tient lieu.
Une COMEDIMS doit exister y compris dans les établissements de chirurgie esthétique.
Des comités locaux pour chaque site ou plusieurs d’entre eux peuvent être constitués, pour chaque hôpital ou groupe hospitalier qui en dépendent.
Dans les établissements publics de santé, la sous-commission chargée du médicament et des dispositifs médicaux stériles est composée dans les conditions prévues à l’article R. 6144-30-5.
Dans les établissements de santé privés, la composition de la COMEDIMS et des éventuels comités locaux, leur organisation et leurs règles de fonctionnement ainsi que les modalités de désignation de leurs membres et la durée de leur mandat sont définis par l’organe qualifié de l’établissement de santé, après avis du Président de la commission médicale ou de la conférence médicale, dans les conditions mentionnées à l’article R. 5126-51 du CSP.
Les groupements de coopération sanitaire autorisés à gérer une pharmacie à usage intérieur pour le compte de leurs membres ainsi que les syndicats inter-hospitaliers doivent également créer une COMEDIMS.

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Septembre-octobre 2008
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Hygiène et normes opposables
Isabelle Lucas-Baloup

L’état de l’art, en pratique quoditienne
L’état de l’art sur un sujet scientifique ou médical se compose d’une masse d’informations existant à une époque donnée. Chaque professionnel reçoit, de ses professeurs, de ses maîtres, une première approche théorique, pendant ses études, qu’il complètera par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment. Le professionnel développera sans arrêt ses compétences en lisant les revues spécialisées, françaises et internationales, en participant aux congrès professionnels de la discipline concernée, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires, prendra connaissance et expérimentera les recommandations émanant des sociétés savantes, des organismes parapublics, des agences et, en exerçant régulièrement lui-même, opérera des options de protocole, des choix de gestes relevant de sa spécialité, ce qui lui permettra, individuellement, d’en évaluer l’opportunité et l’efficacité à court, moyen et long terme.
L’état de l’art est apprécié et mis en œuvre subjectivement par le praticien médical ou paramédical, par l’ingénieur biomédical, par les cadres des établissements de santé quelle que soit leur spécialité, en fonction de leur propre connaissance de la question concernée.
Si le professionnel a été performant dans sa démarche de recherche des données relatives au sujet, sa connaissance acquise est très proche de l’état de l’art objectif sur la question concernée, qui inclut une somme exhaustive d’informations, ou très proche de l’exhaustivité.


L’état de l’art, en droit
En droit, l’état de l’art est essentiellement observé à l’occasion des procès en responsabilité civile, administrative et pénale, impliquant des établissements de santé ou des professionnels intervenus.
Pour la Cour de cassation, depuis le célèbre arrêt Mercier (Cassation 20 mai 1936), l’état de l’art opposable est constitué des « données acquises de la science », notion reprise par les codes de déontologie médicale respectivement en 1955, en 1979 puis en 1995.
Par un arrêt du 6 juin 2000, les Hauts magistrats ont rejeté un moyen de pourvoi se référant à la « notion erronée de données actuelles de la science » pour réaffirmer que l’obligation qui pèse sur le médecin consiste à donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science. Ce débat qui a néanmoins duré plus de soixante ans sur le choix entre « données acquises » et « données actuelles » de la science traduit combien il est délicat de définir les limites de l’état de l’art opposable.
La loi Kouchner, le 4 mars 2002, a introduit la notion nouvelle de « connais-sances médicales avérées ». Ainsi, aujourd’hui, en application de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, « toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. » En hygiène tout particulièrement le professionnel est débiteur de cette obligation d’assurer aux patients la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées.

La garantie de la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées
Nulle part, en droit français, la méthodologie permettant de définir les connaissances médicales avérées n’est décrite. La pratique du contentieux de la responsabilité médicale révèle que la conscience professionnelle de l’expert, sa formation, sa culture, son expérience personnelle et le soin qu’il apporte à la recherche documentaire, à la revue de littérature scientifique permettant la rédaction d’un rapport pertinent, ne suffisent pas à obtenir la certitude que le malade, l’établissement public ou privé de soins critiqué et le juge seront parfaitement informés sur l’état des connaissances médicales avérées. Comment dès lors se prémunir contre l’évaluation subjective, incomplète, maladroite, manquant de nuance ou de fondement scientifique, d’un sujet que l’expert est susceptible de mal maîtriser malgré l’obligation générale de compétence, de conscience, d’objectivité et d’impartialité à laquelle il est tenu.
Si la plupart des experts procède à des analyses et conclusions irréprochables, certains rapports révèlent néanmoins de vraies imperfections que les seules poursuites disciplinaires et sanctions qu’ils encourent ne permettent pas systématiquement d’éviter. La liste des experts ayant écrit des conclusions contestables, voire de véritables bêtises, est plus longue que celle des experts sanctionnés... Peu importe que, statistiquement, les affirmations contestables soient moins nombreuses que les conclusions dûment fondées sur l’état de l’art : pour le patient en demande, ou l’hygiéniste en défense, un défaut dans l’évaluation expertale d’un comportement médical ou paramédical constitue un manquement inacceptable et difficile à faire écarter par les juges scientifiquement incompétents dans la discipline technique, scientifique, médicale, pour laquelle ils ont justement ordonné une expertise.

L’état de l’art, en jurisprudence
Lorsque l’expert fournit une opinion, elle ne lie pas le juge, titulaire d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits. Le jugement doit faire la part des choses, entre le fait et le droit. Aussi, le juge saisi devrait-il s’impliquer plus souvent dans le contrôle des sources d’informations dont l’expert a tenu compte pour rédiger les conclusions de son rapport. Il n’est pas sans intérêt d’observer certaines motivations de la jurisprudence pour retenir ou écarter des éléments contribuant à la définition de l’état de l’art opposable :
La Cour de Bordeaux a ainsi jugé (par arrêt du 18 février 2003) : « Des études postérieures aux faits, émanant exclusivement de services très spécialisés de centres hospitaliers, dont la diffusion et la connaissance par les praticiens devraient être relativement confidentielles, effectuées à partir d’observations limitées à quelques cas, ne sauraient constituer des règles de l’art consacrées par la pratique. [...] Ces données acquises ne recouvrent que des règles de l’art consacrées par la pratique. »
La Cour de Versailles sanctionne régulièrement le praticien dont le comportement viole des « recommandations » de sociétés savantes (cf. notamment arrêt du 27 juin 1996). Mais « l’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation d’un médecin, dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles », juge la Cour de Rennes (le 8 octobre 2003).
La référence aux données de la littérature médicale est fréquemment retenue comme critère permettant d’inclure ou d’exclure un acte de l’état de l’art. Par exemple, la Cour de Besançon a écarté (par décision du 8 juin 2005) la responsabilité d’un praticien à l’occasion d’un accident « rarissime puisque l’expert n’a trouvé aucune publication identique dans la littérature. » En revanche, la Cour administrative d’appel de Paris retenait (le 12 juin 1995) la responsabilité de l’AP-HP, en raison du fait que le risque de prescription de produits sanguins concentrés non chauffés en juin 1983 constituait un risque de transmission du VIH par voie de transfusion sanguine chez les personnes atteintes d’hémophilie, dès lors qu’il ressortait du dossier « qu’à partir du mois de janvier 1983 et de façon de plus en plus précise au fil du temps, des revues médicales spécialisées françaises et étrangères, notamment le New England Journal of Medecine, The Lancet, la Lettre de la Prévention, la Revue française de transfusion et d’immuno-hématologie, en ont informé les milieux médicaux ».
La Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sur le même fondement (par arrêt du 16 décembre 2003) une action à l’encontre des Hospices Civils de Lyon lancée par une patiente qui ne produisait, à l’appui de ses affirmations critiques « aucune étude permettant de conclure que l’association de X + Y améliorait le pronostic de survie du patient » en cas de cancer du poumon.
Enfin, la Cour de cassation, dans son célèbre arrêt du 6 juin 2000 susvisé, écartant les données actuelles de la science pour retenir les données acquises, a ouvert la voie vers la prise en considération obligatoire des publications scientifiques, dans un arrêt dans lequel elle affirme clairement : « Il est raisonnable de ne fonder une condamnation que sur l’absence de prise en compte de connaissances médicales datant de plusieurs années, ayant fait l’objet de publications dans différents pays, étant utilisées dans de nombreux centres publics ou privés, étant prises en charge par les organismes de sécurité sociale et, si possible, ayant été validées par des conférences de consensus ». Ce faisant, elle écartait des travaux récents de spécialistes américains invoqués contre un médecin qui n’en avait pas tenu compte.
Le Conseil d’Etat en revanche a annulé en 2001 une décision du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) ayant sanctionné un confrère « en se fondant uniquement sur l’absence d’expérimentation en France, sans rechercher quelle était l’opinion de la communauté scientifique internationale ». Il était reproché au CNOM de n’avoir pas examiné l’ensemble des données scientifiques propres à établir sa conviction (Conseil d’Etat, 19 octobre 2001).
Devant les tribunaux, chaque partie fait valoir le résultat de sa propre recherche documentaire en ne sélectionnant que ce qui est favorable à son argumentation en demande ou en défense. Le problème est que les magistrats ne sont pas formés pour évaluer la pertinence des différents articles invoqués par les antagonistes, qui auront chacun interrogé leurs banques de données préférées (Medline, Healthstar, Embase, Pascal, Cochrane Database, etc.), outre celles spécifiques à la discipline concernée.
Les magistrats peuvent être aussi sensibles à une position émise dans un résumé de congrès, un document gouvernemental, une étude non publiée mais émanant de l’équipe connue d’un CHU, un rapport ou tout autre document non conventionnel : c’est ce qu’on appelle la « littérature grise », dont la prévalence jurisprudentielle constitue un danger en l’absence d’évaluation préalable par le juge de la pertinence des sources ainsi retenues.

De la littérature grise au rapport d’expertise,
en passant par l’évidence scientifique
En oncologie, les SOR, élaborés depuis 1993 par la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, sont définis par leur degré de fiabilité : Standard, Option ou Recommandation. La FNCLCC souligne que les SOR sont un guide et non un mécanisme d’évaluation. Ils peuvent être qualifiés d’usages reconnus ou encore de bonnes pratiques en cancérologie. Décrivant les conduites les plus communément admises, ils n’ont pas de valeur absolue et ne sont pas exclusifs d’autres usages. Il s’agit d’une aide à la décision pour le praticien qui s’y réfère. Ils sont d’un usage facultatif, ne présentant aucun caractère obligatoire et ne sont assortis d’aucune sanction. Les SOR doivent présenter six qualités essentielles qui conditionnent leur pertinence : les informations y figurant doivent être sérieuses, exactes, fiables, complètes, actuelles et sécurisées, déclare la FNCLCC.
L’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES), avant la Haute Autorité de Santé (HAS), a publié un Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, en janvier 2000, que l’on trouve sur le site de cette dernière. Des grilles de lecture y sont proposées ainsi qu’une méthodologie pour l’analyse de la documentation obtenue et l’élaboration des recomman-dations.
Le niveau de preuve d’une étude (fort niveau de preuve, niveau intermédiaire ou faible niveau de preuve) en permet la classification. L’évidence scientifique est appréciée lors de la synthèse des résultats de l’ensemble des études sélectionnées s’appuyant sur :
- l’existence de données de la littérature pour répondre aux questions posées,
- le niveau de preuve des études disponibles,
- la cohérence de leurs résultats.
Si les résultats sont tous cohérents entre eux, des conclusions peuvent facilement être formulées. En cas de divergence des résultats, il appartient aux experts de pondérer les études en fonction de leur niveau de preuve, de leur nombre et, pour des études de même niveau de preuve, en fonction de leur puissance. La HAS, comme avant elle plusieurs auteurs que la place manque ici pour citer, propose ainsi d’apprécier la force des recommandations en fonction :
- du niveau d’évidence scientifique,
- de l’interprétation des experts.
L’évaluation des recommandations avant leur publication met ainsi en œuvre des instruments de « gradation » de leur pertinence, mais les publications imposent d’opérer des nuances que la jurisprudence ne prend pas systématiquement en considération.
Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des « connaissances médicales avérées », devrait donc respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition de recommandations objets d’une évaluation, d’une gradation et d’une mise à jour périodique.
Pourtant, il ne serait pas raisonnable de requérir d’un expert judiciaire, nommé pour donner un avis technique, scientifique, sur un comportement argué de faute à l’occasion d’un acte de diagnostic, de soin ou de traitement, d’emprunter les voies conseillées par la Haute Autorité de Santé pour la rédaction des recommandations de bonne pratique, ou alors il faudrait arrêter de sous-payer leurs travaux afin de leur donner les moyens d’y consacrer le temps opportun.

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Juillet-août 2007
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Infections nosocomiales et responsabilités juridiques
Isabelle Lucas-Baloup

Chapitre extrait de l'ouvrage "Guide pour la Prévention des Infections Nosocomiales en Réanimation" sous la direction du Docteur Jean Carlet.

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L'état de l'art en médecine
Isabelle Lucas-Baloup

L’état de l’art, en pratique quoditienne
L’état de l’art sur un sujet scientifique ou médical se compose d’une masse d’informations existant à une époque donnée. Chaque professionnel reçoit, de ses professeurs, de ses maîtres, une première approche théorique, pendant ses études, qu’il complètera par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment. Le professionnel développera sans arrêt ses compétences en lisant les revues spécialisées, françaises et internationales, en participant aux congrès professionnels de la discipline concernée, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires, prendra connaissance et expérimentera les recommandations émanant des sociétés savantes, des organismes parapublics, des agences et, en exerçant régulièrement lui-même, opérera des options de protocole, des choix de gestes relevant de sa spécialité, ce qui lui permettra, individuellement, d’en évaluer l’opportunité et l’efficacité à court, moyen et long terme.
L’état de l’art est apprécié et mis en œuvre subjectivement par le praticien médical ou paramédical, par l’ingénieur biomédical, par les cadres des établissements de santé quelle que soit leur spécialité, en fonction de leur propre connaissance de la question concernée.
Si le professionnel a été performant dans sa démarche de recherche des données relatives au sujet, sa connaissance acquise est très proche de l’état de l’art objectif sur la question concernée, qui inclut une somme exhaustive d’informations, ou très proche de l’exhaustivité.


L’état de l’art, en droit
En droit, l’état de l’art est essentiellement observé à l’occasion des procès en responsabilité civile, administrative et pénale, impliquant des établissements de santé ou des professionnels intervenus.
Pour la Cour de cassation, depuis le célèbre arrêt Mercier (Cassation 20 mai 1936), l’état de l’art opposable est constitué des « données acquises de la science », notion reprise par les codes de déontologie médicale respectivement en 1955, en 1979 puis en 1995.
Par un arrêt du 6 juin 2000, les Hauts magistrats ont rejeté un moyen de pourvoi se référant à la « notion erronée de données actuelles de la science » pour réaffirmer que l’obligation qui pèse sur le médecin consiste à donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science. Ce débat qui a néanmoins duré plus de soixante ans sur le choix entre « données acquises » et « données actuelles » de la science traduit combien il est délicat de définir les limites de l’état de l’art opposable.
La loi Kouchner, le 4 mars 2002, a introduit la notion nouvelle de « connais-sances médicales avérées ». Ainsi, aujourd’hui, en application de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, « toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. » En hygiène tout particulièrement le professionnel est débiteur de cette obligation d’assurer aux patients la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées.

La garantie de la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées
Nulle part, en droit français, la méthodologie permettant de définir les connaissances médicales avérées n’est décrite. La pratique du contentieux de la responsabilité médicale révèle que la conscience professionnelle de l’expert, sa formation, sa culture, son expérience personnelle et le soin qu’il apporte à la recherche documentaire, à la revue de littérature scientifique permettant la rédaction d’un rapport pertinent, ne suffisent pas à obtenir la certitude que le malade, l’établissement public ou privé de soins critiqué et le juge seront parfaitement informés sur l’état des connaissances médicales avérées. Comment dès lors se prémunir contre l’évaluation subjective, incomplète, maladroite, manquant de nuance ou de fondement scientifique, d’un sujet que l’expert est susceptible de mal maîtriser malgré l’obligation générale de compétence, de conscience, d’objectivité et d’impartialité à laquelle il est tenu.
Si la plupart des experts procède à des analyses et conclusions irréprochables, certains rapports révèlent néanmoins de vraies imperfections que les seules poursuites disciplinaires et sanctions qu’ils encourent ne permettent pas systématiquement d’éviter. La liste des experts ayant écrit des conclusions contestables, voire de véritables bêtises, est plus longue que celle des experts sanctionnés... Peu importe que, statistiquement, les affirmations contestables soient moins nombreuses que les conclusions dûment fondées sur l’état de l’art : pour le patient en demande, ou l’hygiéniste en défense, un défaut dans l’évaluation expertale d’un comportement médical ou paramédical constitue un manquement inacceptable et difficile à faire écarter par les juges scientifiquement incompétents dans la discipline technique, scientifique, médicale, pour laquelle ils ont justement ordonné une expertise.

L’état de l’art, en jurisprudence
Lorsque l’expert fournit une opinion, elle ne lie pas le juge, titulaire d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits. Le jugement doit faire la part des choses, entre le fait et le droit. Aussi, le juge saisi devrait-il s’impliquer plus souvent dans le contrôle des sources d’informations dont l’expert a tenu compte pour rédiger les conclusions de son rapport. Il n’est pas sans intérêt d’observer certaines motivations de la jurisprudence pour retenir ou écarter des éléments contribuant à la définition de l’état de l’art opposable :
La Cour de Bordeaux a ainsi jugé (par arrêt du 18 février 2003) : « Des études postérieures aux faits, émanant exclusivement de services très spécialisés de centres hospitaliers, dont la diffusion et la connaissance par les praticiens devraient être relativement confidentielles, effectuées à partir d’observations limitées à quelques cas, ne sauraient constituer des règles de l’art consacrées par la pratique. [...] Ces données acquises ne recouvrent que des règles de l’art consacrées par la pratique. »
La Cour de Versailles sanctionne régulièrement le praticien dont le comportement viole des « recommandations » de sociétés savantes (cf. notamment arrêt du 27 juin 1996). Mais « l’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation d’un médecin, dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles », juge la Cour de Rennes (le 8 octobre 2003).
La référence aux données de la littérature médicale est fréquemment retenue comme critère permettant d’inclure ou d’exclure un acte de l’état de l’art. Par exemple, la Cour de Besançon a écarté (par décision du 8 juin 2005) la responsabilité d’un praticien à l’occasion d’un accident « rarissime puisque l’expert n’a trouvé aucune publication identique dans la littérature. » En revanche, la Cour administrative d’appel de Paris retenait (le 12 juin 1995) la responsabilité de l’AP-HP, en raison du fait que le risque de prescription de produits sanguins concentrés non chauffés en juin 1983 constituait un risque de transmission du VIH par voie de transfusion sanguine chez les personnes atteintes d’hémophilie, dès lors qu’il ressortait du dossier « qu’à partir du mois de janvier 1983 et de façon de plus en plus précise au fil du temps, des revues médicales spécialisées françaises et étrangères, notamment le New England Journal of Medecine, The Lancet, la Lettre de la Prévention, la Revue française de transfusion et d’immuno-hématologie, en ont informé les milieux médicaux ».
La Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté sur le même fondement (par arrêt du 16 décembre 2003) une action à l’encontre des Hospices Civils de Lyon lancée par une patiente qui ne produisait, à l’appui de ses affirmations critiques « aucune étude permettant de conclure que l’association de X + Y améliorait le pronostic de survie du patient » en cas de cancer du poumon.
Enfin, la Cour de cassation, dans son célèbre arrêt du 6 juin 2000 susvisé, écartant les données actuelles de la science pour retenir les données acquises, a ouvert la voie vers la prise en considération obligatoire des publications scientifiques, dans un arrêt dans lequel elle affirme clairement : « Il est raisonnable de ne fonder une condamnation que sur l’absence de prise en compte de connaissances médicales datant de plusieurs années, ayant fait l’objet de publications dans différents pays, étant utilisées dans de nombreux centres publics ou privés, étant prises en charge par les organismes de sécurité sociale et, si possible, ayant été validées par des conférences de consensus ». Ce faisant, elle écartait des travaux récents de spécialistes américains invoqués contre un médecin qui n’en avait pas tenu compte.
Le Conseil d’Etat en revanche a annulé en 2001 une décision du Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) ayant sanctionné un confrère « en se fondant uniquement sur l’absence d’expérimentation en France, sans rechercher quelle était l’opinion de la communauté scientifique internationale ». Il était reproché au CNOM de n’avoir pas examiné l’ensemble des données scientifiques propres à établir sa conviction (Conseil d’Etat, 19 octobre 2001).
Devant les tribunaux, chaque partie fait valoir le résultat de sa propre recherche documentaire en ne sélectionnant que ce qui est favorable à son argumentation en demande ou en défense. Le problème est que les magistrats ne sont pas formés pour évaluer la pertinence des différents articles invoqués par les antagonistes, qui auront chacun interrogé leurs banques de données préférées (Medline, Healthstar, Embase, Pascal, Cochrane Database, etc.), outre celles spécifiques à la discipline concernée.
Les magistrats peuvent être aussi sensibles à une position émise dans un résumé de congrès, un document gouvernemental, une étude non publiée mais émanant de l’équipe connue d’un CHU, un rapport ou tout autre document non conventionnel : c’est ce qu’on appelle la « littérature grise », dont la prévalence jurisprudentielle constitue un danger en l’absence d’évaluation préalable par le juge de la pertinence des sources ainsi retenues.

De la littérature grise au rapport d’expertise,
en passant par l’évidence scientifique
En oncologie, les SOR, élaborés depuis 1993 par la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, sont définis par leur degré de fiabilité : Standard, Option ou Recommandation. La FNCLCC souligne que les SOR sont un guide et non un mécanisme d’évaluation. Ils peuvent être qualifiés d’usages reconnus ou encore de bonnes pratiques en cancérologie. Décrivant les conduites les plus communément admises, ils n’ont pas de valeur absolue et ne sont pas exclusifs d’autres usages. Il s’agit d’une aide à la décision pour le praticien qui s’y réfère. Ils sont d’un usage facultatif, ne présentant aucun caractère obligatoire et ne sont assortis d’aucune sanction. Les SOR doivent présenter six qualités essentielles qui conditionnent leur pertinence : les informations y figurant doivent être sérieuses, exactes, fiables, complètes, actuelles et sécurisées, déclare la FNCLCC.
L’Agence Nationale d’Accréditation et d’Evaluation en Santé (ANAES), avant la Haute Autorité de Santé (HAS), a publié un Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, en janvier 2000, que l’on trouve sur le site de cette dernière. Des grilles de lecture y sont proposées ainsi qu’une méthodologie pour l’analyse de la documentation obtenue et l’élaboration des recomman-dations.
Le niveau de preuve d’une étude (fort niveau de preuve, niveau intermédiaire ou faible niveau de preuve) en permet la classification. L’évidence scientifique est appréciée lors de la synthèse des résultats de l’ensemble des études sélectionnées s’appuyant sur :
- l’existence de données de la littérature pour répondre aux questions posées,
- le niveau de preuve des études disponibles,
- la cohérence de leurs résultats.
Si les résultats sont tous cohérents entre eux, des conclusions peuvent facilement être formulées. En cas de divergence des résultats, il appartient aux experts de pondérer les études en fonction de leur niveau de preuve, de leur nombre et, pour des études de même niveau de preuve, en fonction de leur puissance. La HAS, comme avant elle plusieurs auteurs que la place manque ici pour citer, propose ainsi d’apprécier la force des recommandations en fonction :
- du niveau d’évidence scientifique,
- de l’interprétation des experts.
L’évaluation des recommandations avant leur publication met ainsi en œuvre des instruments de « gradation » de leur pertinence, mais les publications imposent d’opérer des nuances que la jurisprudence ne prend pas systématiquement en considération.
Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des « connaissances médicales avérées », devrait donc respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition de recommandations objets d’une évaluation, d’une gradation et d’une mise à jour périodique.
Pourtant, il ne serait pas raisonnable de requérir d’un expert judiciaire, nommé pour donner un avis technique, scientifique, sur un comportement argué de faute à l’occasion d’un acte de diagnostic, de soin ou de traitement, d’emprunter les voies conseillées par la Haute Autorité de Santé pour la rédaction des recommandations de bonne pratique, ou alors il faudrait arrêter de sous-payer leurs travaux afin de leur donner les moyens d’y consacrer le temps opportun.

 

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Juillet-Août 2007
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Le microbe : une res nullius ?
Le microbe : une res nullius cause étrangère ?
Isabelle Lucas-Baloup

Depuis 3,5 milliards d'années, notre planète est occupée par des bactéries. L'homme a beau réfléchir sur l'ordre souverain de la nature et la théorie des équilibres ponctués, développer la génétique et la biologie moléculaire, le débat n'est pas près de s'épuiser, chez les scientifiques, les microbiologistes et les paléontologistes, sur le pouvoir et l'évolution des microbes .
A l'hôpital, public ou privé, les hygiénistes analysent l'eau, l'air, les surfaces, prélèvent sans répit, traquent, de l'endoscope au syphon des éviers de blocs opératoires, ces micro-organismes qui contaminent les patients, et parfois les soignants .
En droit, la loi du 1er juillet 1998 oblige tous les établissements de santé à organiser en leur sein " la lutte contre les infections nosocomiales et autres infections iatrogènes ", comme avant elle divers textes réglementaires et recommandations d'origines variées qu'il n'est pas utile ici de rappeler. Mais, singulièrement, jamais les bactéries, virus et champignons ne font l'objet d'une définition juridique autonome. En droit de l'infection, les microbes n'existent pas. Ils évoluent dans une discrétion juridique absolue. Les complications qu'ils génèrent s'apprécient au regard des responsabilités encourues, par présomption d'une faute de l'homme, d'un dysfonctionnement dans le service, d'une défaillance, d'une incompétence, d'une négligence, ou encore d'un manquement à une obligation de sécurité de résultat dont sont rendus débiteurs tout à la fois les soignants et les établissements de santé, tant par la Cour de cassation que par le Conseil d'Etat .
Pourtant, les choses ne vont pas de soi. Ou plus exactement ces choses-là, puisque c'en sont, posent, en droit, quelques problèmes de définitions.


I - Le microbe, une res nullius

Si les travaux de Pasteur avaient précédé ceux de Sieyès, peut-être la discussion eût-elle été engagée plus rapidement sur la place des microbes dans notre ordonnancement juridique.


Le microbe, animal ou chose ?

Ces bactéries, virus et champignons, c'est-à-dire les éléments les plus nombreux de notre environnement, souffrent singulièrement d'une crise d'identité qui perdure plus d'un siècle après la rédaction du code civil. Dans la summa divisio, ce sont des " biens meubles ", des corps qui, par leur nature, peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère, décrits à l'article 528 du code civil, que le législateur vient de modifier après qu'il ait été reproché à la définition initiale de ne distinguer l'animal des autres meubles que par le critère de mobilité autonome , d'une part, et d'occulter sa qualité d' " être vivant " , " doté de sensibilité ", d'autre part. Les avocats de tout poil de la cause animale s'en étaient d'autant plus émus qu'une première loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature affirmait que tout animal est " un être sensible " , avant que la Déclaration des Droits de l'Animal ne lui reconnaisse, à l'Unesco, le 15 octobre 1978, " des droits particuliers ". Il était en conséquence dans l'ordre logique des choses (ou plutôt des animaux ?) que la loi du 6 janvier 1999 réformât l'article 528.
Malheureusement, et bien que fréquentant chaque jour des millions de micro-organismes, l'auteur de ces lignes n'a aucune opinion scientifiquement sérieuse sur la définition de la sensibilité des choses et, par voie de conséquence, sur la pertinence d'une distinction animal/microbe/chose fondée sur les critères qui ont présidé à la récente réforme de l'article 528 (distinction animal/chose). L'étymologie, empruntée au Dictionnaire Historique de la Langue Française (animal : " du latin animalis, être vivant mobile, doté du souffle vital [ …] opposé à " homo ", homme, mais normalement il inclut l'espèce humaine et exclut toujours les plantes.[…] L'évolution des connaissances, s'agissant des êtres vivants moins évolués, compromet l'opposition conceptuelle animal/végétal "), n'aide guère à la décision. La trilogie classique homme/animal/chose s'est vue promue depuis quelques années au cœur de problématiques passionnantes pour la résolution desquelles on ne peut limiter le débat à des considérations strictement juridiques. La Cour Suprême des Etats Unis n'a rejeté que par une courte majorité de quatre juges contre trois une action engagée au nom de séquoias centenaires que la société Walt Disney voulait remplacer par une station de sports d'hiver, dans la Mineral King Valley. Chaque jour se posent, dans le monde, des questions éthiques, sociologiques, philosophiques, techniques et par voie de conséquence juridiques sur les implications de l'intervention humaine dans la nature, jusques et y compris sur le corps humain, conduisant à envisager les conditions de brevetabilité de la matière biologique de celui-ci ou encourageant à légiférer régulièrement en droit de la santé, en bioéthique et biotechnologies , ce que dénoncent avec un talent qu'ils qualifient " impertinence " certains de nos plus éminents médecins et juristes .

Si on exclut du débat toute préoccupation d'ordre moral, affectif ou syndical sur la relation de l'homme à l'animal, aucun argument dirimant ne contraint à écarter " par nature ", en tout cas par une stricte application du code civil, certains microbes du règne animal. A tout le moins peut-on convenir qu'ils s'en rapprochent dans la mesure où, par exemple, les bactéries et les champignons sont des êtres vivants considérés par l'homme de l'art comme ayant une existence autonome : les bactéries se construisent et se multiplient grâce à l'utilisation de substances naturelles inertes et de l'énergie solaire ; beaucoup d'entre elles jouissent d'un système de locomotion qui leur permet d'évoluer dans leur environnement proche, tel le mucus digestif ou le mucus pharyngonasal, et de se déplacer de cellule en cellule ou d'une zone à l'autre ; aux fins de survivre et proliférer, les bactéries disposent d'un ensemble de moyens pour s'adapter vite et pratiquement à toutes les situations (par ex. résister à la méticiline ou à d'autres antibiotiques) ; cette adaptabilité leur tiendrait lieu de ce que nous appelons " intelligence " dans une mesure infiniment plus performante que la plupart des hommes et des animaux ; enfin, il existerait un continuum entre les différentes espèces bactériennes, dont certaines échangeraient du matériel génétique au cours de phénomènes qui pourraient ressembler à la sexualité des animaux (et donc des hommes) si bien que, lorsqu'un juriste confère avec un bactériologiste des qualités d'autonomie et d'intelligence qui président à la distinction entre un animal et un autre bien meuble, le classement des bactéries dans la deuxième catégorie ne va pas de soi en s'en tenant strictement aux définitions du droit. Il est subséquemment tentant de se demander si le microbe est ou non dangereux, dans les termes du code rural modifié par la loi du 6 janvier 1999 attribuant au maire des responsabilités dans la prévention du danger. A l'instar d'un animal, domestique ou sauvage, un micro-organisme peut s'avérer, on le sait, selon les circonstances et l'environnement, utile ou nuisible et seulement une très faible minorité des bactéries (environ 3%) provoquerait des maladies chez l'homme .
Mais ce débat présente-t-il un intérêt pratique, en l'état du droit positif français, dès lors que les animaux, distingués aujourd'hui d'autres " corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre ", restent des biens meubles, par leur nature, tous ensemble soumis aux dispositions du chapitre II " Des meubles " du Titre I " De la distinction des biens " du Livre Deuxième de notre code civil, c'est-à-dire notamment à celles concernant l'exercice du droit de propriété sur les choses ? Quel peut-être le fondement de cet ostracisme récurrent et encombrant qui conduit à refuser au staphylocoque doré l'intégralité du bénéfice de son statut ? Qui est son propriétaire, puisque toute chose est l'objet d'un droit de propriété ? et bien sûr d'évoquer sans désemparer les rapports du droit de propriété et de la garde de la chose : qui est le maître du staphylocoque doré ? qui en est le gardien ? qui est gardien de la chose ? voire de l'animal, entendez du staphylocoque, pas de l'infection, pas du bloc opératoire, ce qui relève d'une autre question !
La réponse est certainement plurielle, comme pour les autres choses au statut desquelles le juriste s'est intéressé.

"Microbes en liberté naturelle
cherchent propriétaires"

Le " bon père de famille " au comportement raisonnable, celui qui se reconnaît volontiers maître de mille choses, n'a jamais songé à s'affirmer propriétaire de microbes qu'il ne connaît pas, qu'il ne voit pas, qu'il ne maîtrise pas, contrairement à son pitbull, et dont il bénéficie de l'action utile sans en prendre réellement conscience dans son environnement personnel, souvent intime (sauf lorsque son gastro-entérologue lui recommande de consommer des yaourts pour " reconstituer sa flore intestinale "). Point d'usus, d'abusus ni de fructus dans cette relation là !
Les bactéries et les virus "en liberté naturelle", faute de propriétaires, entrent manifestement dans la catégorie des res nullius, des choses qui n'ont jamais eu de maître, qui s'avèrent vierges d'appropriation, avec toutes conséquences de droit, notamment l'application de l'article 539 du code civil : " Tous les biens vacants et sans maître […] appartiennent au domaine public." et 713 du même code : " Les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à l'Etat ". On cherche vainement en effet en vertu de quel argument ces dispositions ne s'appliqueraient qu'à certaines catégories (plus " nobles " ?) de biens meubles ou immeubles, là où le code ne distingue pas. Il incombe à l'Etat de prendre la mesure de sa responsabilité encourue du chef de ces res nullius qui peuvent contaminer plusieurs victimes, comme l'inondation peut noyer ou l'invasion d'insectes détruire un champ de maïs.
Le fait que le microbe soit, dans la vie quotidienne, le plus souvent invisible ne modifie en rien son statut sur ce point ; dans le droit positif des biens meubles " la matérialité des choses ne cesse pas aux frontières de l'invisible, de l'inaudible et de l'impalpable " , ce qui permet la condamnation pénale du voleur d'électricité, considérée comme une chose, au titre des articles 311-1 et suivants du code pénal.
En revanche, la question se pose de savoir si le microbe relève de la catégorie des " choses communes " visées à l'article 714 du code civil, comme l'air, la lumière du soleil ou l'eau de mer, ce qui autoriserait l'homme à en jouir " conformément aux lois de police ", et par voie de conséquence en évaluant lui-même - et sous sa seule responsabilité ? - le bénéfice/risque de cet usage… L'Etat, on y revient, devrait alors, en application du code civil, entrer en voie de réglementation, comme il en a l'obligation, pour organiser les rapports de l'homme et des bactéries, virus et autres champignons qui " appartiendraient à la communauté humaine " .
En tout état de cause, notre droit actuel fait obligation à l'Etat de ne pas s'intéresser qu'au risque sériel , aux catastrophes nationales qui concernent un grand nombre de personnes, mais également au préjudice individuel causé par cette chose sans maître : le microbe en liberté naturelle, qui relève de son domaine aux termes des articles 539, 713, voire 714.
L'application stricte du code civil n'ayant jamais eu lieu en cette matière, l'évoquer provoque habituellement des ricanements de ceux qui préféreraient, à défaut de propriétaires, trouver implicitement à chaque microbe, particulièrement s'il s'avère potentiellement dangereux en raison de son environnement, un gardien.


" Germes pathogènes cherchent gardiens "

Res nullius dans l'absolu du droit positif, le microbe perd-il sa nature juridique à proximité d'un patient, en même temps qu'il change de dénomination et devient un " germe ", brutalement caractérisé par son action nuisible uniquement ? Chaque étudiant en médecine apprend que l'homme est un réservoir de micro-organismes potentiellement pathogènes dans certaines circonstances et l'infection endogène se définit comme celle acquise à partir de la propre flore du patient. On observe que la " flore " en microbiologie (à distinguer de la liste des espèces végétales de l'ordre botanique) est constituée de " l'ensemble des micro-organismes vivant, à l'état normal ou pathologique, sur les tissus ou dans les cavités naturelles de l'organisme ", ce qui implique immédiatement de la considérer collectivement, et non plus bactérie par bactérie, virus par virus, etc.
Le microbe devient " risque infectieux ", notion qui apparaît alors dans un certain nombre de textes réglementaires comme une somme de " micro-organismes viables ou leurs toxines, dont on sait ou dont on a de bonnes raisons de croire qu'en raison de leur nature, de leur quantité ou de leur métabolisme, ils causent la maladie chez l'homme ou chez d'autres organismes vivants ", ainsi que définit ce risque l'article R.44-1 du code de la santé publique relatif aux déchets d'activités de soins. Le " micro-organisme " lui-même n'a pas fait l'objet de nombreuses définitions et on remarque celle de la directive n° 98-81/CE du Conseil du 26 octobre 1998 : " toute entité microbiologique, cellulaire ou non, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique, y compris les virus, les viroïdes et les cultures de cellules végétales et animales ".
Si le virus (plus facilement que la bactérie) peut être contesté comme " être vivant " à part entière, dans la phase d'éclipse de sa vie à l'intérieur d'une cellule du corps humain pendant laquelle il n'est plus visible au microscope que par les altérations qu'il peut engendrer, on se demande s'il ne constitue pas alors une partie intégrante de la cellule. Notre corps renferme d'ailleurs dix fois plus de bactéries que de cellules humaines, soit cent mille milliards de microbes dits commensaux, parfaitement adaptés à l'individu, qui l'utilisent comme source d'alimentation et de chaleur sans lui nuire, parfois en produisant des vitamines : les micro-organismes présents dans le tube digestif sont la seule source de vitamine K indispensable à l'homme puisque intervenant dans la synthèse de certains facteurs impliqués dans la coagulation, etc.
Puisqu'il y remplit " une fonction nécessaire à la vie " , le microbe ne devient-il pas lui-même un " élément du corps humain ", voire " une personne par destination ", ce que les magistrats reconnaissent à d'autres éléments, par une fiction juridique qui tient compte, de plus en plus, que le corps humain comprend des choses d'origine et de nature diverses ? On y intègre des tissus, des greffons, des prothèses devenant des organes artificiels, qui relèveront, une fois implantés, du statut particulier du corps de l'homme défini aux articles 16 et suivants du code civil et L. 665-10 et suivants du code de la santé publique (une juridiction a refusé sur ce fondement à un chirurgien-dentiste la récupération d'un dentier resté impayé par le patient).
L'homme est-il le gardien de ce que contient son corps ? Est-il responsable des micro-organismes installés dans ses propres cellules, ce qui impliquerait qu'il exerce sur la chose un pouvoir de surveillance et de contrôle ? Doit-on condamner sur le fondement de l'article 1384 1er alinéa le visiteur qui éternue, dans la chambre d'un ami hospitalisé, en expulsant des microbes susceptibles de le contaminer ? Faut-il aussi condamner la maman de l'enfant qui postillonne sur son voisin dans le salon d'attente du cabinet du médecin, et le clown qui, en faisant sourire de chambre en chambre dans le service d'oncologie pédiatrique, manuporte sans le savoir, sans le vouloir, des centaines de bactéries, certaines pathogènes ? La réponse est encore plurielle !
Le microbe est une chose que son porteur ne garde pas facilement, dans tous les sens de l'acception du verbe " garder ", et particulièrement dans sa définition juridique. Il y a peu de corpus et d'animus domini dans cette relation-là et manifestement le " bon père de famille " n'en est ni le propriétaire, ni le gardien. A l'impossible, nul n'est tenu. Sauf les médecins ! puisqu'au travers de cette obligation de sécurité de résultat dont ils sont débiteurs depuis les arrêts de la Cour de cassation du 29 juin 1999 op. cit. (qui a jugé des interventions ayant eu lieu dix ans plus tôt, à une époque où la traçabilité des actes n'était pas ce qu'elle est devenue), les soignants et les établissements de santé sont présumés capables de maîtriser totalement le risque infectieux, sinon de l'indemniser, en dehors désormais de toute recherche d'une faute, puisque ce n'est plus l'objet du débat en droit.
Seule une cause étrangère serait alors susceptible d'intervenir à leur décharge, ce qui conduit à se demander si, justement, la res nullius ne serait pas elle-même une cause extérieure au contrat médical, dont elle vient compliquer l'exécution.


II- Le microbe, une cause étrangère

Le développement du droit prétorien de l'obligation de sécurité de résultat dans les contrats verbaux, inauguré en 1911 pour faciliter l'indemnisation du voyageur victime d'un accident de transport, interpelle et il est singulier que son irruption dans le contrat de soins ne motive pas plus de protestations chez les médecins, parmi les patients, qui en seront immanquablement les victimes à très court terme, et chez les parlementaires, tellement défaillants il est vrai dans le vote de la loi sur la réparation des accidents sanitaires d'origine non fautive ! D'excellentes plumes ont décrit dans le passé combien cette jurisprudence est artificielle et injuste . Mise en œuvre dans le cadre du risque infectieux elle méprise la réalité scientifique, elle dénature l'objet du contrat et conduira à une sélection des malades, guidée par les assureurs de responsabilité professionnelle des soignants et des établissements de santé. Mais surtout cette jurisprudence omet de considérer que le microbe, res nullius, souvent insurmontable, parfois produit par le patient lui-même, peut constituer une cause étrangère à l'objet du contrat.
L'impossible limite

" Tout s'emmêle. Je ne sais plus où est la limite. J'y pense constamment. Où est-elle ? La devancer, l'accepter, la renier, la comprendre. A la limite on vit, à la limite on meurt, à la limite on n'existe pas". Dans ses Carnets d'un chirurgien , le professeur Maurice Mimoun a planté le décor.
Dans leurs rapports annuels, publications, recommandations, les sociétés savantes en hygiène hospitalière, les organismes techniques et spécifiques, le Comité Technique National de Lutte contre les Infections Nosocomiales (le C.T.I.N.), les structures inter-régionales (les C-C.L.I.N.) et bien d'autres organisations et associations, notamment de spécialistes, développent les outils épidémiologiques qui permettront l'identification et la mise en œuvre des protocoles de prévention. Pourtant si staphylocoques, klebsielles, Acinetobacter, Pseudomonas et autres, sont solidement implantés à l'hôpital, une étude américaine de grande envergure (senic project) a montré que 30% des infections nosocomiales sont théoriquement évitables, 10% d'entre elles le seraient effectivement aux Etats-Unis . Pas un congrès d'hygiène n'a lieu aujourd'hui sans qu'il soit répété que si " l'infection n'est pas une fatalité, pour autant le risque zéro n'existe pas " et que toute contamination, favorisée par des techniques plus invasives, dans le cadre de nouvelles stratégies thérapeutiques sur des malades plus jeunes, plus âgés, plus vulnérables, parfois immunodéprimés, qu'on ne soignait pas tous autrefois, ne relève pas, par nature, d'une origine fautive.
Les protocoles de bonnes pratiques, les normes et recommandations de toute nature, les formations ad hoc, les publications mieux accessibles , les structures de vigilances internes aux établissements, la traçabilité des actes, les contrôles de qualité, l'émergence de nouveaux métiers en hygiène, comme les procédures d'évaluation en vue de l'accréditation, conduisent évidemment les acteurs de soins à une prise de conscience généralisée du risque infectieux, qui n'est pas nouvelle pour tout le monde , mais aussi à une meilleure connaissance des limites de l'efficacité de la prévention du risque.
Sur quel fondement, dès lors, imposer juridiquement une obligation de sécurité de résultat, en présence d'un état de l'art scientifique, médical, hospitalier qui ne permet que de réduire le risque sans jamais garantir une évitabilité totale de l'infection, dite nosocomiale ? L'absence de définition juridique de celle-ci a sans doute favorisé l'installation jurisprudentielle de cette impossible obligation.


Une nosocomialité à géométrie variable

Le débiteur d'une obligation de sécurité de résultat doit au moins savoir sur quoi elle porte. La Cour de cassation, pas encore à ce jour saisie de la question, n'a pas précisé ce qu'elle entend par " infection nosocomiale ". On peut s'interroger sur le point de savoir s'il s'agit d'ailleurs d'une définition qui relève de la compétence des magistrats ou de celle des experts que les juges du premier degré désignent systématiquement dans les affaires de responsabilité médicale, ou bien des sociétés savantes, ou encore qui devrait émaner du domaine réglementaire, des autorités de tutelle ou des agence de sécurité sanitaire et institut de veille récemment créés pour orienter les démarches de santé publique. Le problème devient brutalement d'actualité, il l'était moins avant le revirement de jurisprudence de la première chambre, au temps des arrêts Pougheon, Matsoukis, Clinique Bouchard ou Clinique Belledonne .

L'infection " nosocomiale ", du latin nosocomium (hôpital) et du grec nosos, (maladie) et komein (soigner), est couramment définie comme " toute infection contractée à l'hôpital ", ce qui révèle un critère géographique prédominant. La
Recommandation n° R (84) 20 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la prévention des infections hospitalières, adoptée le 25 octobre 1984, donne, dans son Annexe " Stratégie pour la prévention ", les indications suivantes :
" Définitions :
a. Infection hospitalière : toute maladie contractée à l'hôpital, due à des micro-organismes, cliniquement et/ou microbiologiquement reconnaissables, qui affecte soit le malade du fait de son admission à l'hôpital ou des soins qu'il y a reçus, en tant que patient hospitalisé ou en traitement ambulatoire, soit le personnel hospitalier, du fait de son activité, que les symptômes de la maladie apparaissent ou non pendant que l'intéressé se trouve à l'hôpital.
b. Infection : multiplication de micro-organismes avec :
- sur le plan local : envahissement des structures saines d'emblée ou en cours d'évolution ;
- sur le plan régional : présence de lymphangites et d'adénopathies ;
- sur le plan général : existence de bactériémies ou d'une septicémie avec ou sans métastases septiques.
Afin d'éviter toute ambiguïté linguistique, les définitions retenues sont les suivantes :
c. Contamination : processus entraînant la présence de micro-organismes pathogènes ou potentiellement nocifs sur le matériel ou la personne.
d. Inoculation : introduction de micro-organismes susceptibles de se multiplier dans les tissus, notion microbiologique et non clinique.
e. Colonisation : multiplication localisée de germes qui peut dériver d'une contamination ou d'une inoculation, sans la réaction tissulaire et qui devient partie de la flore du sujet. "

Dans sa circulaire n° 263 du 13 octobre 1988 " relative à l'organisation de la surveillance et de la prévention des infections nosocomiales ", Claude Evin, ministre de la Santé, reprend la définition donnée par l'Organisation Mondiale de la Santé, en 1978, dans les termes suivants :
" Par infection nosocomiale, on entend :
- toute maladie provoquée par des micro-organismes,
- contractée dans un établissement de soins par tout patient après son admission, soit pour hospitalisation, soit pour y recevoir des soins ambulatoires,
- que les symptômes apparaissent lors du séjour à l'hôpital ou après,
- que l'infection soit reconnaissable aux plans clinique ou microbiologique, données sérologiques comprises, ou encore les deux à la fois.
Ces caractéristiques concernent aussi les personnels hospitaliers en raison de leurs activités. "

Le docteur Jean Carlet, président du C.T.I.N., en introduisant un ouvrage collectif de référence intitulé " Les infections nosocomiales et leur prévention " , souligne qu'il est " important de bien distinguer deux catégories d'infections nosocomiales : d'une part les infections exogènes qui sont dues à des germes transmis aux malades, parfois par voie aérienne, mais plus souvent par les mains et qui peuvent ainsi coloniser un site initialement stérile (site opératoire), et d'autre part, les infections endogènes où le malade s'infecte avec ses propres bactéries, modifiées ou non par une antibiothérapie. Certaines infections sont secondairement endogènes des bactéries transmises par voie exogène (souvent manuportées) pouvant s'installer silencieusement dans la flore du patient receveur. Tout doit être mis en œuvre pour éviter la survenue des unes comme des autres. C'est cependant vers les infections exogènes que porte essentiellement la stratégie préventive visant à éviter la transmission des germes, en particulier multirésistants. La prévention des infections endogènes doit certes être recherchée, mais son efficacité est plus aléatoire. De nombreux micro-organismes différents peuvent entraîner une infection nosocomiale, en dehors des bactéries. C'est le cas des champignons et des virus. L'infection nosocomiale virale risque d'être un problème important dans le futur proche. "
Le Conseil Supérieur d'Hygiène de France a publié Cent Recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales et en donne une définition qui tient compte d'un délai d'acquisition, chez le patient hospitalisé, de 48 heures après l'admission, que reprendra le ministère de la Santé sur son site internet (www.sante.gouv.fr).

Il est néanmoins certain que la définition - qui devra être juridiquement opposable - ne peut se limiter à une considération aussi simple, voire simpliste, compte tenu du cadre imposé par la Cour de cassation d'une obligation de sécurité de résultat à la charge des établissements et des soignants ! Quelques exemples illustrent cette incomplétude : dans le Guide de définition des Infections nosocomiales , le professeur Gilles Brücker annonce " L'infection est extraordinairement protéiforme dans ses aspects cliniques et microbiologiques et le caractère nosocomial peut être également difficile à retenir suivant les périodes de latence ou d'incubation. Ainsi, pour chaque localisation, plusieurs définitions sont nécessaires pour rendre compte de cette diversité ", avant d'en proposer 75 pages retenues au niveau international par les C.D.C. (Centers for Disease Control), au niveau national par le C.S.H.P.F. (Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France) et par une conférence de consensus de Toronto pour les patients en moyen et long séjour ! En ce qui concerne les infections nosocomiales virales, le professeur B. Pozzetto expose le caractère particulier de la définition en soulignant que l'infection peut se déclarer après la sortie du sujet de l'hôpital ou être asymptomatique, étant observé que certains virus peuvent persister dans le milieu extérieur pendant des durées extrêmement variables, de quelques minutes à plusieurs années. Le professeur Gilles Beaucaire recommande d'apprécier la possibilité du lien causal entre hospitalisation et infection en tenant compte d'un délai de 30 jours pour les infections de plaie opératoire et d'une année s'il y a mise en place d'un matériel étranger (une prothèse par ex.), de leur côté P. Veyssier et Y. Domart, dans leur ouvrage " Infections nosocomiales " visent des délais de plusieurs années après une transplantation tissulaire ou une injection d'hormone de croissance d'origine humaine avant la survenue d'une maladie de Creutzfeld-Jakob " à l'évidence nosocomiale ".

Les choses ne vont pas de soi, disions-nous plus haut, les définitions de la nosocomialité non plus. Peut-on fonder un droit jurisprudentiel qui implique la condamnation automatique de l'établissement et des soignants en cas d'infection nosocomiale, sans s'entendre préalablement sur une définition opposable à tous de celle-ci ? En l'état de l'obligation de sécurité de résultat affirmée sans encadrement du contenu du risque infectieux concerné, il est à craindre un développement important de précautions juridiques tendant à limiter l'objet du contrat médical.
Le microbe hors contrat


Le contrat verbal présente le danger, en cas de conflit, de l'indétermination de son contenu, qui permettra à chacune des parties d'y introduire les éléments " substantiels " qui auront prétendument conduit à son consentement. Dans un établissement de santé, la mission de soin est complexe et relève de compétences multiples : le chirurgien orthopédique qui prescrit puis implante une prothèse de hanche agit avec le concours d'un anesthésiste-réanimateur (lui-même souvent assisté d'un infirmier spécialisé en anesthésie), d'aide-opératoires, mais aussi, en décalage avec l'intervention elle-même, d'un chef de bloc qui a organisé l'opération et vérifié la disponibilité des implants, d'un infirmier spécialisé dans la stérilisation du matériel ancillaire, d'un pharmacien responsable des dispositifs médicaux, d'aide-soignants et agents qui ont nettoyé la salle entre deux interventions, selon des protocoles validés par le comité de lutte contre l'infection nosocomiale, un laboratoire surveillant par prélèvements réguliers l'air, l'eau et les surfaces de celle-ci, un ingénieur procédant à la maintenance du flux laminaire, du scialitique etc. Si le patient entretient un rapport privilégié avec le chirurgien qu'il a rencontré dans le colloque singulier de son cabinet, c'est toute une équipe pluridisciplinaire qui prend en charge, directement ou indirectement, l'environnement favorable à une intervention réussie, chacun étant responsable personnellement - et pénalement - de l'accomplissement des tâches qui lui incombent, selon une distribution abondamment commentée .
Il entre incontestablement dans les obligations du médecin de prendre toutes mesures pour éviter une complication infectieuse, tant en raison des dispositions de l'article 71 du code de déontologie , que de son obligation de moyens de dispenser des soins consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données actuelles ou acquises de la science, dans sa spécialité. De même, le malade hospitalisé dans un service de cancérologie ou de réanimation, dans lequel le taux de prévalence des infections est traditionnellement élevé, y séjournera après une évaluation du bénéfice/risque conduite avec la mise en œuvre du principe de la " raison proportionnée " favorisée par une information du médecin dans les conditions de l'article 35 du code de déontologie .
Le contrat qui se forme ainsi entre le patient, le médecin et l'établissement de soins, relève du droit commun des conventions, défini à l'article 1108 du code civil, qui exige notamment un consentement réciproque et un objet certain. Les meilleurs efforts diligentés par le personnel médical et paramédical conduiront à un résultat qui ne peut exclure l'aléa thérapeutique, c'est-à-dire une complication, un effet indésirable, non produit directement par une faute des soignants, éventuellement une infection post-opératoire. Introduire dans ce contrat une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne le défaut de complication infectieuse ajoute à la volonté des parties qui n'ont pas - sauf hypothèses exceptionnelles - contracté spécifiquement et automatiquement sur la prise en charge de ce risque. Lorsque, dans un service dans lequel les patients sont exposés particulièrement, tel un service de grands brûlés, de réanimation, d'oncologie, la contamination constitue statistiquement un risque prévisible et non exceptionnel. Quand le patient en est informé, ou sa famille s'il est inconscient, et qu'un accord intervient néanmoins pour l'hospitalisation dans le service concerné, l'obligation de sécurité de résultat ne doit-elle pas être écartée au profit d'une obligation de moyens mieux indiquée et en tout cas plus conforme au contenu du contrat conclu avant l'admission du patient ?
A défaut par la Cour de cassation d'atténuer dans de prochains arrêts la rigueur de sa jurisprudence inaugurée le 29 juin 1999, on imagine facilement le développement d'une contractualisation écrite, redoutée déjà après les arrêts récents sur la preuve de l'information, formalisme qui serait encouragé par les principales compagnies d'assurance de la responsabilité des soignants et des établissements, aux fins d'exclure expressément du contrat médical le risque nosocomial dans l'hypothèse où l'infection n'a pas été produite par une faute du personnel médical ou paramédical, ladite faute conduisant sinon à leur condamnation en application de l'article 1147 du code civil. En présence d'un contrat écrit excluant la garantie du risque nosocomial d'origine non fautive, qui tiendra lieu de loi entre les parties, aucun texte d'ordre public actuellement en vigueur ne permettrait au juge d'opposer aux soignants une telle obligation de sécurité de résultat.
Des exclusions formelles de cette nature existent déjà : l'arrêté du 24 juillet 1996 , qui précise la nature des examens à réaliser avant une greffe d'organe pour la détection des marqueurs biologiques de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH 1 et VIH 2) et celui de l'hépatite C, autorise des dérogations à ce contrôle en cas d'urgence de greffe de cœur, de foie ou de poumon et après en avoir informé le receveur potentiel ou sa famille, si celui-ci n'est pas en état de recevoir cette information.
Lorsqu'on connaît le montant d'indemnisations déjà consenties par certaines juridictions en réparation d'une contamination par le virus de l'hépatite C (2,5 millions de francs) et l'augmentation du nombre de contentieux de ce type, on imagine aisément les précautions susceptibles d'être diligentées - et les investigations préopératoires multipliées - aux fins d'identifier une bactérie préexistante, utile dans le cadre de la plaidoirie prévisible du caractère " endogène " de l'infection, ou du renversement de la présomption d'imputabilité, d'une part, d'une sélection des patients à risques, récusables, d'autre part, comme il est déjà fait dans la quasi-intégralité des hôpitaux privés d'Amérique du Nord.

Reste que, dans le cadre de l'obligation de sécurité de résultat récemment affirmée, le microbe, res nullius, lui-même pourrait être considéré comme une cause étrangère exonératoire de responsabilité.

Le droit du contrat contaminé
par le droit à la réparation

Il est devenu difficile, dans un certain nombre d'hypothèses, pour le praticien du droit civil, de distinguer avec discernement et une relative confiance dans son analyse, les limites respectives de la responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle du fait des choses, à la lumière de la jurisprudence. Le droit médical n'est pas le seul espace où s'exprime cette angoisse. Un restaurateur prépare et sert à un consommateur un turbot-sauce-hollandaise, conformément aux normes de l'art culinaire. Le client tombe malade parce qu'un bacille botulinique, parfaitement indécelable en cuisine, occupait le poisson. La Cour de Poitiers condamne le restaurateur , sur le fondement d'une " obligation contractuelle de sécurité sous-jacente à tout contrat de restauration, le client entendant non seulement faire un repas comestible, mais encore ne point être empoisonné par les aliments absorbés ", en ajoutant : " la présence dans des aliments, de ce vice ou d'un analogue, ou encore de substances toxiques dont le monde moderne use largement, polluant tant les mers que les continents, ne saurait présenter le caractère d'imprévisibilité requis par les articles 1147 et 1148 du code civil, et cela est si vrai que les restaurateurs prennent soin de s'assurer contre de pareilles éventualités qui font partie des risques inhérents à leur profession ". L'arrêt provoqua un commentaire du professeur Gérard Mémeteau sur la capacité des professionnels "à combattre avec succès les puissances malignes " dans le cadre d'une obligation de sécurité qui " n'est pas nécessairement une obligation de résultat : elle peut aussi bien être une obligation de moyens, une obligation de prudence et de diligence […]. Il n'est pas satisfaisant de voir un principe adopté dans le seul but de permettre l'indemnisation des victimes ", lignes qu'on relit avec bonheur à l'occasion du sujet qui nous occupe … trente ans plus tard !

La cause étrangère, événement non imputable au défendeur, ainsi qu'aux personnes et aux choses dont il répond, de nature à l'exonérer de tout ou partie de la responsabilité qui pèse sur lui, recouvre une grande variété de faits et particulièrement des événements qualifiés traditionnellement de " cas fortuit " ou " cas de force majeure " . Dans une récente " Analyse de l'obligation de sécurité à l'épreuve de la cause étrangère ", Fabrice Defferrard décrit " la recherche des éléments constitutifs de l'obligation de sécurité entreprise à l'aune des conditions traditionnelles de la cause étrangère - extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité (inévitabilité) - de l'événement ", pour observer, en conclusion qu' " en matière d'atteintes à l'intégrité physique ou à la santé, la jurisprudence ne veut pas qu'une cause libératoire puisse, en pratique, triompher aux dépens de la victime. Cette volonté prétorienne a pour conséquence de modifier de facto le régime de l'obligation de sécurité de résultat […] que nous choisirons de nommer obligation de sécurité de quasi-garantie. La preuve de la cause étrangère n'est pas expressément interdite dans son principe, mais elle n'est jamais accueillie en pratique". Ce pertinent commentaire, apprécié au regard du risque nosocomial, montre, s'il en était besoin, l'acuité du problème posé aux médecins et établissements de soins et à leurs assureurs, depuis le 29 juin 1999 !

Ne peut-on espérer faire prospérer néanmoins cette idée que le microbe, res nullius, n'est pas l'objet du contrat conclu (verbalement et sans doute par écrit prochainement) avec le patient ? Son autonomie et son indépendance rendent sa présence prévisible certes, mais la 1ère chambre de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de marginaliser l'imprévisibilité pour privilégier l'inévitabilité de l'événement extérieur à la chose du débiteur. " En matière de responsabilité, il [le débiteur] mérite l'exonération dès lors que l'on ne saurait blâmer son comportement face à l'événement " écrivait le professeur Paul-Henri Antonmattei dans une étude passionnante intitulée " Ouragan sur la force majeure " , commentant l'arrêt op. cit. du 9 mars 1994.
Le microbe n'est pas plus la chose du contrat qu'il n'est utilisé par le soignant pour exécuter celui-ci.
Les intérêts du patient sont par ailleurs sauvegardés dès lors que, si l'infection provient d'un produit ou d'un implant, les dispositions nouvelles du code civil (art. 1686-1 et suiv.) , applicables aux produits de santé, le protègent s'il " n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ", dans le cadre d'une responsabilité, objective, sans faute, du producteur ou du distributeur, c'est-à-dire de l'établissement de santé, voire du médecin, qui peuvent agir à l'encontre du fabricant le cas échéant. La 1ère chambre de la Cour de cassation a conscience des limites possibles de l'obligation de sécurité et d'assistance dont les médecins sont débiteurs. Dans une décision non encore publiée, prononcée le 9 novembre 1999 (arrêt dame Morisot, n° 1719 P), elle a jugé que " s'il est exact que le contrat formé entre le patient et son médecin met à la charge de ce dernier, sans préjudice de son recours en garantie, une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les matériels qu'il utilise pour l'exécution d'un acte médical d'investigation ou de soins, encore faut-il que le patient démontre qu'ils sont à l'origine de son dommage ; que la cour d'appel, statuant par motifs propres ou adoptés, a constaté que la table d'examen, dont Mme Morisot avait pris l'initiative de descendre sans l'autorisation du médecin, ne présentait aucune anomalie ; que c'est par une appréciation souveraine tirée de ces constatations que la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a retenu que ce matériel n'était pas à l'origine du dommage subi par Mme Morisot ".
La victime, dans certains cas, cèle elle-même au praticien un risque d'infection endogène qu'elle connaît et va concourir ainsi à la production de son propre dommage, en privant le médecin d'être en mesure de multiplier les précautions adaptées. L'information doit être bilatérale.

En tout état de cause, les établissements et soignants n'échappent pas à leur responsabilité dès lors qu'une faute est établie, à leur encontre, éventuellement par présomption, dans leurs diligences de prévention du risque infectieux, lesquelles devraient s'apprécier à la lumière du possible, et non de l'économiquement inconcevable en l'état de la maîtrise des dépenses de santé (on peut souvent faire mieux mais à quel prix ?), et surtout des caractéristiques de chaque malade en termes de sévérité de la pathologie sous-jacente et d'activité thérapeutique, en particulier des procédures invasives utilisées.

A une époque où la transparence s'installe à l'hôpital, où les autorités de tutelle ont perçu que la lutte contre les infections nosocomiales constitue un formidable enjeu de santé publique, parce qu'une gigantesque cause de mortalité (10.000 morts/an) et de complications postopératoires (environ 800.000 malades/an), où les professionnels médicaux et paramédicaux se forment et multiplient leurs efforts de prévention de ce risque, il est regrettable qu'ils soient, directement ou au travers des établissements de santé dans lesquels ils interviennent, tenus responsables de tous les microbes, alors qu'ils ne peuvent - en toute raison proportionnée - accepter et assumer un devoir de totale maîtrise de ceux-ci. Il n'est pas nouveau que les Hauts Magistrats expriment, par une jurisprudence audacieuse, l'impérieuse nécessité d'aider les victimes. Il est urgent que les parlementaires légifèrent en matière de réparation des accidents sanitaires d'origine non fautive et on comprend mal que le " Rapport sur le droit de la responsabilité et de l'indemnisation applicable à l'aléa thérapeutique ", prévu à l'article 14 de la loi du 19 mai 1998 pour être déposé sur le bureau des deux assemblées avant le 31 décembre suivant, ne soit pas encore rédigé. Le droit évolue moins vite que les infections nosocomiales !

Revue générale de droit médical n° 2 - Décembre 1999
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Pratiques médicales "recommandées" ?
(arrêt du 25 octobre 2017 du Conseil d'Etat, n° 397722)
Mathilde Darricau

Le Conseil d’Etat rappelle, dans un arrêt récent, la portée des recommandations de la Haute Autorité de Santé.

Une mère a engagé la responsabilité d’un centre municipal de santé qui n’a pas décelé, durant sa grossesse, la trisomie 21 de son enfant. Aucune malformation anatomique du fœtus n’avait été révélée par les examens échographiques pratiqués. Par ailleurs, aucun précédent pathologique ou génétique n’était à signaler, si bien que le risque de l’existence d’une trisomie 21 était très faible.

Cependant, le centre municipal de santé n’avait pas prescrit à la mère d’analyse des facteurs sériques dans le sang. L’expert mandaté en début de procédure a relevé qu’un tel examen fait partie de la bonne pratique médicale. Toutefois, cette dernière ne constitue pas une pratique recommandée, notamment par la HAS, dont la méconnaissance devrait être regardée comme un manquement à une obligation professionnelle.

Le Conseil d’Etat, confirmant la position de la cour administrative d’appel, a ainsi estimé que l’absence de mise en œuvre de cette bonne pratique médicale n’établit pas l’existence d’une faute caractérisée au sens de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles.

Cet arrêt de la Haute cour administrative est ainsi l’occasion de rappeler aux professionnels de santé l’importance de se tenir informés des pratiques médicales recommandées, en particulier par la HAS, et de les mettre en œuvre. Leur responsabilité est en effet susceptible d’être engagée si, en manquant à l’une d’entre elles, ils sont à l’origine du préjudice subi par un patient. 

La Lettre du Cabinet - Janvier 2018


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Bonnes pratiques Recommandations

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Recommandation de bonne pratique HAS sur la césarienne programmée à terme (janv. 2012) Quelle opposabilité en cas de procédure judiciaire ?
Isabelle Lucas-Baloup

Les recommandations de bonne pratique (RBP) interpellent les professionnels concernés, qui y trouvent souvent, à leur première lecture, matière à évoquer divers cas de leur expérience personnelle à l’occasion desquels ils considèrent avoir eu raison de ne pas mettre en œuvre ce qui est aujourd’hui « recommandé », ou (?) « imposé »… La HAS vient de publier, en janvier 2012, ses Recommandations sur les indications de réalisation d’une césarienne programmée. Doivent-elles être respectées à la lettre, ou le gynécologue-obstétricien conserve-t-il une marge de liberté dans sa prise en charge de la parturiente ?

Sur quels fondements interviennent ces recommandations ?

La Haute Autorité de Santé est une autorité publique indépendante à caractère scientifique dotée de la personnalité morale chargée notamment d’élaborer des guides de bon usage des soins et des recommandations de bonne pratique, de procéder à leur diffusion, de contribuer à l’information des professionnels de santé et du public dans ces domaines, et d’établir et mettre en œuvre des procédures d’accréditation des professionnels de santé (articles L. 161-37 et suivants et R. 161-72 du code de la sécurité sociale).

Au titre de sa mission d’accréditation des médecins exerçant en établissements de santé, la Haute Autorité de Santé est chargée (par l’article L. 1414-3-3 du code de la santé publique) d’élaborer, avec les professionnels et les organismes concernés, selon des méthodes scientifiquement reconnues, ou de valider, des référentiels de qualité des soins et de pratiques professionnelles, de diffuser ces référentiels et de favoriser leur utilisation par tout moyen approprié et d’organiser la procédure d’accréditation des médecins ou des équipes médicales au regard des référentiels de qualité des soins et des pratiques professionnelles en veillant à la validation des méthodes et à la cohérence des initiatives relatives à l’amélioration de la qualité dans le domaine de la prise en charge des patients.

En l’espèce, la HAS a été saisie par la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) pour élaborer une recommandation de bonne pratique sur le thème des indications de réalisation d’une césarienne programmée, visant à répondre aux questions suivantes : 

- quelles sont les indications de la césarienne programmée ? 

- quelles sont les informations à transmettre à la femme enceinte lorsqu’une césarienne programmée est envisagée ?

Les recommandations sont à lire sur le site de la HAS (www.has-sante.fr).


Les Recommandations de bonne pratique clinique sur les
« Indications de la césarienne programme à terme » publiées en janvier 2012 par la Haute Autorité de Santé :

Les indications de la césarienne programmée sont les suivantes :

- utérus cicatriciel,
- grossesse gémellaire,
- présentation par le siège,
- macrosomie,
- transmissions mère-enfant d’infections maternelles,
- et quatre autres indications (à discuter au cas par cas, en particulier : défaut de placentation, malformations fœtales et fœtopathies, antécédents et pathologies maternelles intercurrentes et problèmes périnéaux).

La HAS rappelle qu’un médecin peut décliner la réalisation d’une césarienne sur demande, à condition d’orienter la patiente vers un de ses confrères, en rappelant que la demande maternelle n’est pas en soi une indication à la césarienne et qu’il est recommandé de rechercher les raisons spécifiques à cette requête, de les discuter et de les rapporter dans le dossier médical.

Une deuxième partie des recommandations est consacrée aux informations à transmettre à la femme enceinte lorsqu’une césarienne programmée est envisagée et un document d’information destiné aux femmes enceintes est proposé en annexe des recommandations.

La définition de la césarienne programmée retenue dans ces recommandations est la césarienne programmée à terme (après 37 semaines d’aménorrhée), non liée à une situation d’urgence apparaissant en dehors du travail ou au cours du travail.

Sont exclues du champ de ces recommandations :

- les indications d’une césarienne programmée avant terme (< 37 SA) ;
- les indications d’une césarienne liée à une situation d’urgence apparaissant avant le travail ou au cours du travail.

Une césarienne programmée peut être réalisée en urgence antérieurement au terme initialement prévu.


Pertinence et opposabilité des RBP :

Les RBP sont normalement des synthèses de l’état de l’art et des données de la science à un temps donné, élaborées selon une méthode résumée dans l’argumentaire scientifique qui les accompagne et décrites dans le guide méthodologique de la HAS disponible sur son site à la rubrique « Elaboration de recommandations de bonne pratique, Méthode Recommandations pour la pratique clinique ».

La Haute Autorité de Santé a publié, en décembre 2010, un guide méthodologique d’élaboration des RBP, qu’on trouve également sur son site, décrivant le déroulement de l’élaboration d’une RBP :
- constitution du groupe de travail et du groupe de lecture,
- phase de revue systématique et de synthèse de la littérature,
- rédaction de la version initiale des recommandations,
- phase de lecture,
- phase de finalisation.

La pertinence d’une recommandation dépend du niveau de preuve scientifique fourni par la littérature classée en niveaux (le niveau 1 étant le plus fort, le niveau 4 traduisant des études comportant des biais importants) qui conduisent à donner aux recommandations un grade de pertinence :

- grade A : preuve scientifique établie,
- grade B : présomption scientifique,
- grade C : faible niveau de preuve.


Comme tout médecin, un gynécologue-obstétricien « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » en application de l’article R. 4127-32 du code de la santé publique (ancien article 32 du code de déontologie médicale).

Devant le juge, le débat a eu lieu sur le thème « données acquises de la science » versus « données actuelles de la science » : dans un arrêt du 6 juin 2000, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a rappelé que l’obligation pesant sur un médecin est de donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date des soins et qu’il n’y a pas lieu de se référer à la « notion erronée de données actuelles », laquelle est inopérante.

C’est également le sens de la loi Kouchner qui a introduit un nouvel article L. 1110-5 dans le code de la santé publique visant les « thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées ».

L’état de l’art au moment du soin litigieux devra prendre en considération, en conséquence, diverses sources et, en pratique quotidienne, le médecin doit tenir compte d’une masse d’informations communiquées non seulement par ses professeurs, ses maîtres, pendant ses études, complétées par les connaissances acquises pendant les stages réalisés en milieu hospitalier notamment, mais également ses lectures des revues spécialisées, françaises et internationales, ce qu’il a retenu de ses participations aux congrès professionnels dans sa discipline, aux colloques y afférents, aux séminaires de formation professionnelle continue, aux enseignements post-universitaires ayant pour objet de divulguer les recommandations émanant des organismes parapublics et agences (Haute Autorité de Santé mais également Institut national du Cancer, Conseil supérieur de l’Hygiène Publique de France, Afssaps devenue l’Ansm pour les dispositifs médicaux et les médicaments, Comité Technique National des Infections Nosocomiales et des Infections Liées aux Soins en hygiène, etc.) mais aussi des recommandations émanant des sociétés savantes.
Mais cette obligation est à mettre en œuvre en tenant compte également des dispositions de l’article R. 4127-8 du même code : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. […] Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

Dès lors, en cas de mise en cause de sa responsabilité professionnelle, le médecin devra convaincre ses pairs, systématiquement nommés pour conduire une expertise de sa prescription ou de ses choix et gestes pour le patient concerné. On passe alors de l’état de l’art médical à l’art judiciaire :

Quelle opposabilité en cas de procédure judiciaire :

L’état de l’art médical, en jurisprudence, est une notion très protéiforme.

Dans un monde parfait, on pourrait imaginer que l’état de l’art est une notion objective. Dans la réalité des hôpitaux et des palais de justice, chacun vient avec sa vérité, ses sources de ses banques de données préférées et l’évidence scientifique manque parfois d’évidence juridique.

On trouve alors des motivations de jugements et d’arrêts retenant ou écartant une pratique au bénéfice de commentaires variés. Quelques exemples :

- la Cour de Rennes a jugé, dans un arrêt du 8 octobre 2003 : « L’absence de consensus franc de la communauté médicale » ne peut conduire à la condamnation du médecin dès lors que sa décision « correspond aux pratiques médicales actuelles » ;

- « L’absence de consensus scientifique » ne permet pas la condamnation du médecin, a jugé la Cour de cassation le 25 novembre 2010 ;

- la Cour de Douai a pris en considération, dans un arrêt du 2 février 2006, les « recommandations du jury d’une conférence de consensus » pour condamner un médecin ;

- la Cour de Toulouse a visé, par arrêt du 18 janvier 2010, la violation du respect « des recommandations consensuelles » ;

- un médecin a été condamné par la Cour de Rouen, le 17 mars 2010, l’arrêt retenant qu’il « ne pouvait ignorer les recommandations de la Haute Autorité de Santé » ;

Bien sûr, les juridictions d’une manière constante visent « la littérature médicale », « la doctrine médicale diffusée et disponible », et les « études que le médecin ne pouvait ignorer en sa qualité de spécialiste ».

Une bonne décision doit être motivée, qu’elle soit médicale ou judiciaire. Il est regrettable que certains rapports d’expertise procèdent par affirmations péremptoires et ne citent pas les « recommandations professionnelles » qu’ils visent parfois sans en préciser l’auteur, la date, et surtout sans égard à la gradation de leur pertinence.

Il sera utile aux gynécologues-obstétriciens d’observer, à ce titre, le classement de ses recommandations par la HAS sur les indications de la césarienne programmée à terme : essentiellement de grade « C », donc de faible niveau de preuve, permettant aux praticiens une discussion scientifique au cas par cas, plus facile que pour les Recommandations de grade « A ».

Dans le cadre de la pratique de l’expertise judiciaire, la détermination de l’état de l’art, fondée sur une analyse des connaissances médicales avérées, devrait utilement respecter, dans la sélection des résultats de la recherche documentaire effectuée, une méthodologie rigoureuse qui pourrait s’inspirer de celle de l’analyse de la littérature en vue de la définition des recommandations.

Les experts nommés n’en ont pas toujours la compétence et, lorsqu’ils l’ont, certaines affaires et le niveau de rémunération qui leur est réservé, ne permettent pas systématiquement de se livrer à une méthodologie expertale et une analyse des publications et recommandations tracées, prouvées, mises à la disposition des parties et de la juridiction devant statuer.

C’est la raison pour laquelle il ne suffira pas à un gynécologue-obstétricien de critiquer par principe la recommandation en matière d’indication de la césarienne programmée mais il devra motiver son choix, le défendre par une analyse du bénéfice/risque pour cette patiente à cette date-là dans les conditions contemporaines à l’accouchement, avec discernement et références médicales à l’appui.

Une chose est certaine, le médecin devra, pendant l’expertise, être actif à la défense de ses choix thérapeutiques, avoir recherché lui-même les données expliquant sa prescription ou son geste, connaître parfaitement son dossier et se faire aider le cas échéant de confrères de sa discipline.

A noter : le Tribunal n’est jamais lié par les constatations du technicien qu’il a nommé et les conclusions d’un rapport d’expertise peuvent être écartées par un magistrat, en application de l’article 246 du code de procédure civile.

En conséquence, le débat demeure ouvert et possible, même après l’expertise contradictoire, même en présence de Recommandations de bonne pratique clinique de la Haute Autorité de Santé.

Gynéco Online - Mai 2012
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Responsabilité encourue à l’occasion d’un drilling ovarien
Isabelle Lucas-Baloup

Pas de responsabilité sans faute, en droit médical français, depuis la loi Kouchner. Le chirurgien, tenu à une obligation de moyens et non de résultat, n’aura donc pas à indemniser la patiente si ses interventions sont conformes aux données acquises de la science, ce qu’un collège d’experts déterminera. En l’absence de faute, la patiente peut tenter de faire indemniser son préjudice par l’ONIAM, sous certaines conditions.

Pas de responsabilité sans faute à l’occasion du traitement d’une patiente infertile présentant un SOPK :

Depuis la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 (loi dite Kouchner) applicable rétroactivement à compter du 5 septembre 2001 :

Les médecins et établissements de santé, publics, PSPH ou privés, ne sont responsables qu’en cas de faute (article L. 1142-1 du code de la santé publique) ;

En l’absence de faute, la patiente peut obtenir réparation auprès de l’ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux, 36 avenue du Général de Gaulle, 93175 Bagnolet cedex, www.oniam.fr) , au titre de la solidarité nationale, à la triple condition :

- que son préjudice soit directement imputable, sans faute du chirurgien, à un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale,
- qu’il constitue une conséquence anormale au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci,
- et présente un caractère de gravité apprécié en termes de perte de capacités fonctionnelles et de conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant compte notamment du taux d’incapacité permanente (>24 %) ou de la durée de l’incapacité temporaire de travail (au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois - article D. 1142-1 du CSP) .

Les tribunaux sont compétents en droit, mais pas sur l’état de l’art en options thérapeutiques pour le traitement de l’infertilité chez une patiente présentant un SOPK. Les magistrats vont donc classiquement :

- nommer un collège d’experts aux fins de les informer sur les données médicales avérées,

- analyser la situation, au vu des conclusions du rapport, et distribuer les responsabilités encourues, en prenant en considération la demande de la patiente, ou de ses ayants cause si elle est décédée, étant observé que la personne a « le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. » (article L. 1110-5 du CSP), 

- rechercher toutes recommandations de bonnes pratiques dans l’hyper-spécialité concernée (HAS, sociétés savantes, publications, conférences de consensus, etc.), susceptibles d’influencer la distribution des responsabilités.

Responsabilité du chirurgien en cas de complications consécutives à un drilling ovarien chez une patiente présentant un SOPK :

Au titre de l’indication, il appartient au chirurgien de justifier l’opportunité de son intervention. Il doit « élaborer son diagnostic avec le plus grand soin » (article R. 4127-33 du CSP) et assurer personnellement à la patiente des « soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » (article R. 4127-32 du CSP). Les juges retiendront, si les parties les invoquent et communiquent, les données de l’état de l’art publié sur la place de la chirurgie dans le SOPK. Ainsi, dès lors que les recommandations de la Haute Autorité de Santé publiées en juin 2008 sur la « Multiperforation de l’ovaire par cœlioscopie ou par culdoscopie (drilling ovarien) » mentionnent comme indication : « prise en charge de l’infertilité par anovulation dans le cadre d’un syndrome des ovaires polykystiques en cas d’échec au citrate de clomifène », une prise en charge chirurgicale sans avoir pratiqué préalablement une induction de l’ovulation par citrate de clomifène, traitement de première intention pendant 6 cycles à dose adéquate, pourra être considérée comme fautive, sauf évidemment si le chirurgien établit la pertinence des causes de cette indication apparemment en violation de la recommandation de la HAS. Il convient en effet de souligner qu’en tout état de cause le chirurgien demeure « libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance » dans les limites fixées par la loi (article R. 4127-8 du CSP), qui n’affirme à aucun moment que les recommandations de la HAS seraient impératives. On lit dans certaines publications scientifiques sur la place de la chirurgie dans le SOPK que le drilling ovarien en première intention serait une « indication à débattre ». En conséquence, ce débat peut avoir lieu devant les magistrats saisis. D’autres contre-indications sont susceptibles d’être retenues, ce sont les experts qui évalueront si elles constituaient en l’espèce, pour la patiente concernée et non en général, un obstacle dirimant ou non.

Au titre de la pratique du geste opératoire, le chirurgien est susceptible de commettre une maladresse, une erreur, une imprudence que le tribunal peut qualifier « faute » engageant sa responsabilité : choix d’une mauvaise technique, ou voie d’abord, accident électrique qui aurait pu être évité par la mise à distance des ovaires des organes de voisinage, etc. Là encore la HAS a recommandé une formation du chirurgien à la technique de la multiperforation ovarienne reposant sur une courbe d’apprentissage fixée à 5 procédures sans tenir compte de l’abord et, pour l’apprentissage des voies d’abord, une expérience de 30 procédures de cœlioscopie et 15 en fertiloscopie. Un lien de causalité pourrait être retenu, en cas de complication peropératoire apparaissant sans respect de cette contrainte, entre l’inexpérience de l’opérateur et le dommage causé. L’anesthésie peut également provoquer une complication, imputable à l’anesthésiste-réanimateur et non au chirurgien, sauf circonstances particulières (par exemple mauvaise communication entre les deux spécialistes d’éléments de nature à modifier le protocole). 

Les complications postopératoires, telles les séquelles adhérentielles, pouvaient-elles être évitées ? C’est la question que se poseront les juges pour retenir ou non la responsabilité de l’opérateur, la patiente étant en droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité au regard des connaissances médicales avérées (article  L. 1110-5 du CSP). Bien évidemment, en l’absence de faute, le seul échec de conception après drilling ovarien ne saurait engager la responsabilité de l’opérateur, tenu à une obligation de moyens et non de résultat.

En l’absence de faute, la patiente victime d’une complication du drilling ovarien devra établir l’anormalité des conséquences de l’intervention sur son état pour pouvoir saisir l’ONIAM de la réparation d’un dommage relevant éventuellement de l’aléa thérapeutique, dans les conditions exposées au premier § de cette note. L’information préopératoire que lui aura donnée le chirurgien constituera alors un élément majeur d’appréciation pour le tribunal.


Devoir d’information et modalités pratiques

L’information de la patiente doit porter, en application de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique sur : « les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». 

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressée, « par tous moyens » (article L. 1111-2, 7ème alinéa). Les moyens de preuve étant, en droit français, l’écrit, le témoignage, l’aveu, les présomptions et le serment, il est évident que le mode le plus efficace est le document écrit qui trace l’information, d’une part, le consentement de la patiente, d’autre part. Pour autant, l’écrit n’est pas obligatoire puisque le code de la santé publique prévoit qu’en cette matière la preuve peut être apportée « par tous moyens ».

En ce qui concerne le contenu de l’information, la question récurrente porte sur la quantité et la qualité des précisions : le chirurgien doit présenter une description de l’acte opératoire qu’il envisage suffisamment complète pour permettre à la patiente de donner un consentement parfaitement éclairé par les informations reçues. C’est un exercice très difficile que de rédiger un document de cette nature et ce sont souvent les sociétés savantes qui s’y emploient dans l’intérêt des médecins de la spécialité. Il convient de soumettre à la patiente un tableau objectif et quasi-complet des bénéfices/risques de l’intervention envisagée, qui ne pourra cependant pas être exhaustif, sauf à être trop long ou trop scientifique, donc inefficace car vraisemblablement non compris et déstabilisateur. La patiente le plus souvent « fait confiance » au conseil de son chirurgien et adoptera sa recommandation qui deviendra sa propre décision ; si tout se passe bien c’est suffisant, mais en cas de complication et à défaut de traces permettant d’établir sur quoi a porté l’information - et donc le consentement – les parties seront opposées en fait, le consentement sera affirmé « vicié » par une information incomplète ou prétendument « uniquement favorable à l’acte proposé, sans réserves et sans informations sur les alternatives thérapeutiques », affirmera la demanderesse à l’indemnisation. Dès lors que la preuve contraire incombe au chirurgien, s’il est défaillant dans cette démarche, le dossier se complique à son égard. De l’aléa thérapeutique nous passons à l’aléa judiciaire, avec son cortège de preuves par présomptions… comment fait-il d’habitude, etc. La magistrature s’est féminisée et je témoigne aves mes trente années d’expérience en droit de la santé que les juges réfléchissent plus volontiers en s’assimilant à « la victime » plutôt qu’au chirurgien auteur direct ou indirect d’une complication chirurgicale… La prudence conduit donc à faire signer un document écrit, la loi ne l’impose pas. 

Enfin, l’information sur les « autres solutions possibles » requiert parfois le concours d’un consultant fiviste vers lequel le chirurgien invitera la patiente à se diriger afin qu’elle soit certaine d’avoir ainsi reçu une information complète, en droit conforme aux dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique. 

La relation entre l’information et l’indemnisation au titre de l’aléa thérapeutique, si le préjudice est grave sans avoir pour origine une faute du chirurgien, a été soulignée supra, au regard de la normalité ou de l’anormalité des conséquences. 

Responsabilité du Fiviste face à une complication de type hyperstimulation ovarienne chez une patiente qui ne s’est pas vu proposer le drilling ovarien avant la FIV :

Les mêmes textes de droit commun que ceux décrits pour la responsabilité du chirurgien s’appliquent au fiviste, au titre de l’indication, de la pratique du geste et des complications postopératoires, de leur diagnostic et leur traitement. 
Pour répondre plus précisément, mais en quelques mots seulement, à la responsabilité encourue par le fiviste, il est évident qu’une information adaptée doit avoir été communiquée à la patiente dès lors que le risque d’hyperstimulation ovarienne s’avère particulièrement élevé dans l’OPK et peut – exceptionnellement – menacer le pronostic vital. Au titre des indications et de l’analyse des facteurs de risques, comme au titre des doses de gonadotrophines, le fiviste doit être en mesure de justifier de ses décisions et protocoles, lesquels seront analysés par les experts en cas de complication et de procédure. Le diagnostic précoce de l’hyperstimulation ovarienne et la prise en charge par un traitement adapté constituent des éléments dont le tribunal tiendra compte pour définir si le fiviste est fautif ou non, à « low dose » ou plus lourdement !... 
L’absence de jurisprudence publiée conduit à penser que la responsabilité du fiviste est rarement recherchée.

Dialogue en Gynécologie - n° 4 - 2010
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Retard d’entrée en institution et maintien à domicile du patient Alzheimer : devoirs, droits et responsabilités
Isabelle Lucas-Baloup

Les responsabilités éventuellement encourues par les médecins et soignants impliqués dans le diagnostic, le traitement et le suivi d’un patient frappé par la maladie d’Alzheimer et/ou les pathologies « apparentées » (cf. Recomman-dations HAS et Plan Alzheimer 2008-2012) évoluent au fur et à mesure que l’état du patient a été diagnostiqué, que des prescriptions sont déjà intervenues, mais pas toujours exécutées, que l’entourage a été prévenu, qu’il est plus ou moins présent et capable de constituer une aide efficace permettant ou non le maintien à domicile.

Le diagnostic initial par le médecin traitant

La consultation, souvent pour une autre cause, d’un patient habituel du médecin traitant, ne conduit pas nécessairement ce dernier à diagnostiquer la pathologie dont il souffre. Ses parents ou amis, constatant des manques intermittents de lucidité, lui conseillent « de voir un spécialiste » ; la personne finit par consulter son généraliste mais ne lui expose pas toujours la réalité de son état. Dès lors, le médecin n’est pas enclin spontanément, face à un patient habituel qui ne présente aucun symptôme apparent au moment de la consultation, aucun signe visible de changement de comportement, à orienter l’entretien vers l’évaluation cognitive globale.

Si aucune manifestation de troubles de la mémoire, ou de l’orientation temporo-spatiale, du langage du patient ou autres signes ne permet au médecin traitant de diagnostiquer son état, sa responsabilité ne saurait être engagée, civilement, administrativement ou pénalement, même si le patient provoque ou subit un accident peu de temps après cette consultation qui aura porté sur autre chose. Il faut évidemment que le médecin généraliste enregistre par écrit, dans le dossier habituel de chacun de ses patients, l’objet de chacune des consultations. Je plaide encore souvent pour des médecins qui, défaillants dans la charge de cette preuve, soutiennent que leur rythme de travail et la salle d’attente saturée ne leur laissent pas le temps suffisant pour les précautions écrites. Une telle carence peut conduire à un engagement de la responsabilité si la famille soutient que le patient qui a subi un accident à proximité immédiate de la consultation médicale était venu pour que des dispositions soient prises pour le protéger, pour déclencher un traitement contre cette maladie que les proches ont diagnostiquée, contrairement au médecin consulté (pour autre chose). 

La responsabilité pour un retard de diagnostic est susceptible d’être engagée lorsque le patient ne vient pas consulter son médecin seul, mais accompagné d’un proche. Le risque est plus grand pour le praticien si l’accompagnant, pour diverses raisons, ne participe pas à l’entretien en toute transparence mais, craignant une recommandation (qu’il croit une « décision ») à court ou moyen terme d’hospitalisation ou d’orientation vers une institution, va collaborer avec la personne malade pour atténuer la présentation des symptômes, provoquer en conséquence une information a minima du médecin, afin de retarder le diagnostic, gagner du temps avant la prescription à intervenir d’une batterie d’examens et la crainte de « perdre la main » sur les décisions médicales que le couple redoute : hospitalisation, séparation, et souvent problèmes économiques considérés à ce moment-là comme insurmontables entraînés par une telle situation…

La responsabilité du médecin ne peut être engagée qu’en raison d’une faute dans les actes « de prévention, de diagnostic ou de soins » qu’il diligente, en application de l’article L. 1142-1-I. du code de la santé publique.

Encore une fois, les inscriptions dans le dossier du patient, pendant la consultation, sont des éléments majeurs pour la défense ultérieure d’un médecin traitant poursuivi pour retard au diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Il est donc indispensable que le praticien consacre à cet enregistrement, manuel ou informatique, le soin indispensable pendant chaque consultation quelle qu’en soit la cause étrangère à la pathologie objet de la consultation le jour J qui, à J+30, après un accident, sera requalifiée par la famille devenue hostile à celui qu’elle accusera d’avoir manqué à ses devoirs professionnels un mois plus tôt.
Si la loi dite Kouchner, du 4 mars 2002, a affirmé avec force le principe fondamental que « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé » (article L. 1111-2, CSP), il convient que les familles sachent que, pour permettre aux médecins et soignants en général de respecter ce droit, sa mise en œuvre impose l’obligation réciproque d’informer loyalement et complètement le médecin sur les signes relevant de la santé physique et mentale du patient, qui permettront à l’homme de l’art de ne pas retarder un diagnostic pertinent.

Au moment du diagnostic : les obligations du médecin en faveur du patient atteint par la maladie d’Alzheimer

Une fois le diagnostic réalisé, la relation du patient avec son médecin est encadrée par une multitude de textes légaux, réglementaires et déontologiques qui assurent des droits et créent des obligations dans les termes ci-après : 

Obligation d’informer le patient, y compris sur les risques en cas de refus du traitement ou de l’hospitalisation :

- article L. 1111-2 du code de la santé publique (CSP) :
« Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. [...]
« Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. « Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. [...]
« Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l'information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé.
« En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. » 

- article R. 4127-35 du CSP :
« Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. [...] »

Dans ses Recommandations de mars 2008, la Haute Autorité de Santé insiste sur l’intérêt d’annoncer le diagnostic précoce qui permet la mise en place immédiate de thérapeutiques, d’initiatives médico-sociales et d’un accompagnement à un stade paucisymptomatique où le malade communique encore avec ses proches, ce qui favorise aussi de prévenir l’épuisement familial par la mise en place progressive des aides et soutiens nécessaires.
L’annonce du diagnostic, dans ses modalités, est laissée à la diligence du médecin et les Recommandations de la HAS constituent un instrument d’aide, mais le praticien demeure seul apte à déterminer la meilleure façon de communiquer cette information, compte tenu des capacités cognitives de la personne, de son histoire de vie, de sa représentation de la maladie et de ses craintes. L’annonce peut se faire en coordination avec un ou plusieurs spécialistes intervenant aux mêmes fins.
En tout état de cause, le médecin doit établir la preuve, dont il sera débiteur en cas de procès, qu’il a donné cette information, en une ou plusieurs fois, seul ou accompagné d’autres soignants, à la personne, elle-même seule ou accompagnée.

Obligation de donner des soins qui « garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées » : 

- article L. 1110-5 du CSP :
« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. »


- article L. 1110-1 du CSP :
« Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d’assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible. » 

- article R. 4127-8 du CSP :
« Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. […] Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. » 

- article R. 4127-32 du CSP :
« […], le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétent. »

- article R. 4127-33 du CSP :
« Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés. »

Là encore, la trace de l’information sur les prescriptions et les mesures d’accompagnement à envisager doit demeurer au dossier médical. Le problème récurent est constitué, pour le praticien libéral particulièrement puisqu’il n’est en contact avec le patient que lorsque celui-ci revient en consultation, de vérifier que ses prescriptions, notamment d’examens et investigations, puis de traitements médicamenteux ou non, sont exécutées.
Selon qu’il s’agit d’un médecin de famille, ou non, il lui sera plus ou moins facile d’intervenir directement auprès de la personne, ou de ses proches, avec – juridiquement – le risque de violer le secret professionnel en alertant un tiers sur l’inquiétude médicale justifiée par une absence de retour du patient dans les délais convenus avec le médecin traitant.
Le risque médico-légal est ici très difficile à apprécier : à quel moment commence la violation du secret médical, à quel moment le praticien peut-il se voir confronté à une procédure ultérieure de manquement à l’obligation de porter secours ? Les soignants ne doivent pas oublier que les juges qui auront à statuer sur les griefs éventuellement argués à leur encontre seront sensibles à la manière dont le médecin traitant aura mesuré le bénéfice/risque de son action, ou de son omission d’intervention, gouvernée en permanence par « l’intérêt supérieur du patient ». Demander des nouvelles de la mère à sa fille qui vient pour une autre cause en consultation conduit rarement un médecin de famille devant les juges !

Maintien à domicile ou pas :
c’est le patient lucide qui décide 

- article L. 1111-4 du CSP :
« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
« Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical. […]
« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
« Lorsqu’une personne est hors d’état d’exprimer sa volonté
, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.
« Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. »

Ces dispositions légales président à toute décision à envisager sur les traitements mais, puisqu’il s’agit du sujet principal de cette note juridique, aussi sur l’opportunité du maintien à domicile ou de l’admission en institution. 

Le recours à une hospitalisation, complète ou ambulatoire, le transfert vers une institution ou la décision de maintien à domicile avec un environnement adapté et organisé, relèvent, au même titre que la décision sur les traitements, de la volonté du patient, conscient de sa qualité de vie envisageable, compte tenu de son état apprécié par le médecin traitant.
La décision est souvent difficile à provoquer, comme l’adhésion de la personne et de sa famille. Le suivi, piloté par le médecin traitant, sera le plus souvent pluridisciplinaire, en collaboration avec un neurologue, un gériatre ou un psychiatre, en fonction du contexte et des ressources disponibles. La HAS dans ses Recommandations propose divers instruments et protocoles de suivi, avec des fréquences pour la réévaluation médicale du patient, de l’aidant et de ses proches, mais aussi sociale et juridique. En effet, quand les qualités de discernement ne sont plus assurées, il faut recourir au droit pour protéger et soigner.

Instruments juridiques pour la protection et la contrainte

Si le patient est isolé, s’il refuse d’entrer en institution, si le médecin traitant observe l’altération, même épisodique, de ses facultés intellectuelles, l’empêchant de respecter les traitements et/ou les règles de vie acceptés pendant un moment de lucidité, il convient d’avoir recours aux instruments juridiques permettant la protection et autorisant la contrainte, dans l’intérêt supérieur de la personne malade.
Préventivement, la personne disposant encore de ses capacités intellectuelles a pu recourir au mandat de protection future, sorte de « testament de vie », issu de la loi du 5 mars 2007 entrée en vigueur le 1er janvier 2009, permettant de désigner à l’avance un tiers de confiance, qui aura pour mission de la représenter en cas d’altérations futures. Ce mandat prendra effet au jour où l’incapacité est médicalement constatée (article 477 du code civil).
Le patient atteint par la maladie d’Alzheimer, dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts en raison d’une altération médicalement constatée de ses facultés mentales empêchant l’expression de sa volonté, peut bénéficier de plusieurs mesures de protection juridique (article 425 du code civil) et être ainsi placé, par le juge :
- sous sauvegarde de justice (article 433 du code civil),
- sous curatelle s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut lui assurer une protection suffisante (article 440, alinéas 1 et 2, du code civil),
- sous tutelle, pour être représenté de manière continue dans les actes de la vie civile, si aucune des deux autres mesures ne peuvent lui assurer la protection nécessaire à son état (article 440, alinéas 3 et 4, du code civil).
Ce n’est pas l’objet de cette note de décrire ces différents régimes.

A condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin doit tenir compte des directives anticipées prévues aux articles L. 1111-11 et R. 1111-17 et -18 du code de la santé publique, indiquant les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie et concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles doivent être rédigées par un écrit daté et signé, sont renouvelables tous les trois ans et révocables à tout moment.

En savoir plus :

- Plan Alzheimer 2008-2012 ;
- Circulaire n°2009-195 du 6 juillet 2009 relative à la mise en œuvre du volet médico-social du plan Alzheimer et maladies apparentées 2008-2012 ;
- Recommandations professionnelles de la Haute Autorité de Santé « Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées », mars 2008 ;
- Recommandations du Ministère de la santé et des solidarités et du Ministère délégué à la Sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille « Alzheimer l’étique en questions », janvier 2007.

Revue Interface Médico-Juridique - Janvier 2010
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