Biologie médicale : pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre (Cons. Constitutionnel., 5 décembre 2014, n° 2014-434 QPC)

Auteur(s)
Jonathan Quadéri
Contenu
Saisi par le Conseil d’Etat (arrêt n° 382500 du 1er octobre 2014) de la question de la conformité à la Constitution de l'article L. 6211-21 du code de la santé publique (CSP), le Conseil Constitutionnel, après avoir écarté chacun des arguments soutenus à l’effet contraire par une société de laboratoires de biologie médicale (LBM) évincée d’un marché de prestations par un hôpital adjudicateur (celui-ci ayant préféré se tourner vers un autre établissement de santé public pour ce faire), a répondu par l’affirmative aux termes d’une décision concise n° 2014-434 QPC, le 5 décembre 2014.
Pour mémoire, ledit article, créé en 2010 dans le cadre de la réforme de la biologie médicale et modifié à deux reprises en 2011 et 2013, n’avait encore jamais été soumis à l’analyse des Sages du Palais-Royal.
Dans sa version actuelle, ce texte prévoit que les examens sont obligatoirement facturés au tarif « sécu », « sous réserve des coopérations […] menées entre des établissements de santé » et des contrats signés entre plusieurs LBM « situés sur un même territoire de santé […], en vue de la mutualisation de moyens ».
Selon la société requérante, cette rédaction, qui interdit effectivement les remises sur le prix des examens réalisés par un laboratoire prestataire de services pour un autre LBM ou pour un établissement de santé, apportait une restriction non justifiée à la liberté de fixation de leurs tarifs et portait atteinte à l’objectif de bon emploi des deniers publics ainsi qu’au principe d’égalité devant la loi, seuls les laboratoires intégrés à des établissements de santé et ceux ayant conclu des contrats de coopération se trouvant exclus du champ de l’interdiction précitée.
Mais, d’après le Conseil Constitutionnel, il n’en est rien, le Législateur peut tout à fait régler « de façon différente des situations différentes » et/ou apporter à certaines libertés des limitations justifiées par l’intérêt général, pour peu que « la différence de traitement soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » et qu’il n’en résulte pas « d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ».
Tel est manifestement bien le cas de l’article L. 6211-21 du CSP et trois paragraphes ont suffi pour expliquer, notamment, que la priorité donnée au développement des LBM intégrés aux établissements de santé, afin de maintenir des compétences dans ces structures et sur l’ensemble du territoire, poursuit « un but d’intérêt général » et que les règles de tarification y afférentes, en rapport direct avec l’objet de la loi, « n’entraînent pas une atteinte à la liberté d’entreprendre disproportionnée ».
Le Conseil Constitutionnel a aussi rappelé que « l’objectif à valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics ne peut, en lui-même, être invoqué à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité », qu’aucun autre droit garanti par la Constitution n’a été méconnu en l’espèce et qu’il ne peut « substituer son appréciation à celle du Législateur sur le choix de poursuivre de tels objectifs plutôt que de favoriser la concurrence par les prix dans ce secteur ».
En conséquence, à l’exclusion de certains dispositifs au nombre très limité, les LBM privés ne pouvant plus proposer à d’autres acteurs de santé, en particulier aux hôpitaux, des ristournes sur leurs prestations (comme cela existait couramment sous l’ancienne réglementation et se pratique encore aujourd’hui pour la fourniture de médicaments et de matériels) - ce qui constitue un frein sérieux et regrettable à la concurrence -, l’avenir est assurément tourné en la matière vers les coopérations. A l’inverse, l’impossibilité pour les candidats de se démarquer par le coût compétitif de leurs services va très probablement les conduire à se détourner des appels d’offre ou marchés publics, qu’on recensera en nombre moins important dans les années futures, compte tenu de ce qui précède.
Ceci étant, se posent alors divers problèmes complexes et non encore résolus d’application des règles du CSP, voire également de tarification, comme en atteste la lecture de l’exposé des motifs de l’article 50 du projet de loi relatif à la santé du 15 octobre 2014 (non modifié ensuite), indiquant qu’en l’état, pour les activités biologiques d’assistance médicale à la procréation, « la constitution d’un GCS ayant pour objet l’exploitation d’un LBM […] impose qu’il soit d’une part autorisé à pratiquer ces activités et d’autre part qu’il soit érigé en établissement de santé […], ce qui n’apparaît pas opportun ».
La décision n° 2014-434 QPC est selon nous regrettable car intervenant principalement au détriment des LBM privés, lesquels, déjà confrontés à exposer de lourds investissements pour se mettre en conformité avec l’obligation de certification imposée par le Législateur, n’avaient pas besoin, en sus, de se voir quasiment exclus du mécanisme des marchés publics, possibilité de recettes non négligeables et, pour certains, significatives.
Reste à espérer que, pour un rétablissement relatif du jeu de la concurrence, toutes les mesures nécessaires au bon fonctionnement de ces coopérations soient prises rapidement, et non dans trois ans, période qui s’était écoulée entre la publication de l’ordonnance portant réforme de la biologie médicale et sa ratification dans le courant de l’année 2013.
Source
La Lettre du Cabinet - Septembre 2015