Faut-il signer les nouveaux contrats avant ou après le 1er octobre 2016 ?

Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu

    Les médecins et autres professionnels de santé ou pas, les établissements de santé doivent-ils se précipiter pour une signature des nouveaux contrats et/ou d’éventuels avenants aux contrats anciens avant le 1er octobre prochain, ou au contraire prolonger la négociation pour différer l’adoption des nouveaux contrats après cette date ? Les parties le décideront en prenant en considération les forces et les faiblesses de leur position au regard du droit nouveau.

    Le 1er octobre 2016 entre en vigueur l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. De nombreux colloques, formations et publications ont expliqué aux professionnels du droit les dispositions du nouveau Livre III du code civil, qui succède à celui de 1804, qui avait peu évolué depuis les remarquables travaux de Cambacérès, Tronchet, Bigot de Préameneu, Maleville et Portalis et la loi du 30 ventôse an XII. Le format de la présente Lettre du Cabinet ne permet pas une analyse exhaustive de la réforme, dont l’apport est majeur tant pour la négociation (article 1112) et la conclusion du contrat (article 1113), que son exécution et sa résiliation (articles 1224 et suivants), ou encore la cession du contrat (article 1216), la force majeure (article 1218) et tant de dispositions nouvelles souvent issues de la jurisprudence de la Cour de cassation.
   L’urgence est de décider si, en septembre, il convient ou non de signer des contrats qui ne seront pas soumis à la loi nouvelle, ou au contraire de se hâter de ne rien faire. Pour vous aider dans l’éventuelle procrastination contractuelle sur laquelle vous hésitez, voici quelques points de repère sur les dispositions transitoires de l’article 9 de l’ordonnance, qui, c’est maintenant une tradition que le Gouvernement français s’attache à respecter, n’a pas tout prévu :
 
Ø Les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne, sauf certaines dispositions relatives à l’action interrogatoire en matière :
 
-   de pacte de préférence (article 1123), qui peut être bien utile en cas de cession de parts dans un cabinet de groupe ou de cessions d’actions d’établissements de santé lorsque les conventions actuelles le prévoient et qu’existe une incertitude sur la volonté des titulaires du droit ;
 
-   d’habilitation du représentant d’une partie au contrat en cours de conclusion (article 1158) : la signature du directeur régional d’un groupe de cliniques engage-t-elle un établissement dans lequel il n’a aucun pouvoir publié au RCS ?
 
-   de purge du contrat de ses vices potentiels (article 1183) : une partie peut demander à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion, par exemple la nullité pour vice du consentement d’un contrat signé avec un médecin qui s’avère non titulaire de la spécialité pour laquelle le contrat a été adopté.
 
Ø Les contrats signés à compter du 1er octobre 2016 seront soumis au droit nouveau. Il est fréquent que les professionnels de santé signent des contrats qu’ils ne datent pas en même temps, laissant au dernier des cocontractants le soin de mentionner la date opposable. Bien évidemment, il faudra oublier ce genre de pratiques aux alentours du 1er octobre 2016, aux fins d’éviter un débat sur les dispositions applicables. Ne pas hésiter à enregistrer le contrat pour lui donner date certaine, particulièrement si les parties veulent le soumettre au droit antérieur au 1er octobre.
 
Ø L’article 9, qui gouverne l’application dans le temps de l’ordonnance, ne prévoit rien sur le sort des contrats conclus avant le 1er octobre 2016 mais qui feront l’objet d’avenants postérieurs, contenant des modifications du contrat principal, substantielles ou non. Les avenants seront-ils soumis au droit ancien qui régit le contrat principal, ou seront-ils considérés comme des contrats nouveaux conclus postérieurement et de ce chef soumis au code civil réformé, ce qui conduirait à la situation confuse d’avoir deux régimes juridiques pour une situation contractuelle unique ? Attendons la jurisprudence, les commentateurs n’étant pas unanimes.
 
Ø Les dispositions nouvelles sur la fixation unilatérale du prix dans les contrats cadre et les prestations de service (articles 1164 et 1165 nouveaux), à charge d’en motiver le montant en cas de contestation, contribueront à la modification du paysage contractuel notamment dans la relation médecins libéraux/cliniques lorsqu’il s’agit de définir la juste redevance.
 
Ø En ce qui concerne le renouvellement, après le 1er octobre 2016, de contrats signés avant cette date, il emportera application du droit nouveau, que le renouvellement soit tacite ou exprès, dès lors que le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat.
 
A ce titre, les parties peuvent conclure, avant le 1er octobre 2016, un nouveau contrat sans attendre la date de renouvellement si elle est postérieure au 1er octobre, afin d’éviter, si elles le souhaitent, l’application du droit nouveau qui les expose beaucoup plus qu’avant aux pouvoirs du juge qui, en vertu de l’article 1195 nouveau peut, en cas de changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rendant l’exécution excessivement onéreuse pour une partie « procéder à son adaptation » et, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, « réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe » : c’est tout le droit actuel de la redevance payée par les médecins aux cliniques privées qui sera modifié par la réforme, qui met à néant la célèbre jurisprudence Canal de Craponne (arrêt du 6 mars 1876) écartant la théorie de l’imprévision et contraignant une Clinique ayant signé un contrat d’exercice libéral prévoyant 2 % de redevance en servant des prestations de services pour un coût réel d’environ 25 % des recettes du médecin (instrumentiste + secrétaire + locaux de consultation par exemple) à continuer l’exécution « excessivement onéreuse » du contrat sans pouvoir le modifier pendant la durée contractuelle.
 
Ø D’après une partie de la doctrine, en cas de cession après le 1er octobre 2016 d’un contrat signé antérieurement, l’acte de cession est soumis à la réforme alors que le contrat initial demeure soumis au droit ancien : ainsi l’exclusivité consentie à l’origine à la faveur d’un chirurgien perdure lorsque la Clinique agrée son successeur si le contrat était cessible.
 
Ø Il en irait de même pour la prorogation de la durée d’un contrat, dont le terme est reporté mais qui demeure soumis au droit en vigueur à la date de sa conclusion initiale : ainsi les contrats prévus jusqu’à l’âge de 65 ans du praticien, mais prorogés lorsque la Clinique et le professionnel libéral s’accordent sur un exercice prolongé d’année en année par exemple.
 
   Le 6 juillet 2016, le Premier ministre a déposé, sur le bureau de l’Assemblée Nationale, un projet de Loi ratifiant l’ordonnance du 10 février 2016 pour lui donner valeur législative. A défaut d’être ratifiée, l’ordonnance dégénèrera en un acte administratif réglementaire présentant une valeur inférieure à la loi et pouvant être soumis à un recours pour excès de pouvoir. A la date de publication de la présente Lettre du Cabinet, le projet de loi de ratification n’était pas encore inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale. Le Parlement peut modifier le texte de l’ordonnance à l’occasion du débat sur sa ratification. Wait and see.
 

 

Source
La Lettre du Cabinet - Août 2016
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