Un praticien peut-il être condamné à payer un contrat publicitaire ?

Titre complément
(arrêt du 6 février 2019, Cour de cassation, 1èrech., n° 17-20.463)
Auteur(s)
Mylène Bernardon
Contenu

  La Cour de cassation a jugé qu’un ostéopathe n’était pas tenu de payer le prix de la publication « d’un encart afin d’informer le public de son activité » qu’il avait pourtant commandé. Par arrêt du 6 février 2019, elle considère que le contrat conclu par un praticien à des fins publicitaires « est nul en raison du caractère illicite de son objet », dès lors que les règles déontologiques auxquelles il est soumis prohibent toute forme de publicité.

   Cette décision est intéressante dans la mesure où, à l’occasion des derniers arrêts qu’elle avait publiés, la Haute Cour refusait d’opposer les règles déontologiques aux tiers, jugeant implicitement qu’elles n’étaient pas d’ordre public (cf. en ce sens : Civ. 3ème, 26 avril 2017, n° 16-14.036 et Civ. 1ère, 9 juin 2017, n° 16-17.298). Autrement dit, on comprenait que les règles déontologiques n’avaient pas vocation à protéger le praticien contre les tiers, mais exclusivement l’inverse. Suivant ce raisonnement, le prestataire sollicité n’aurait pas à alerter son client sur ses propres obligations déontologiques, au risque d’en être sanctionné en cas d’omission. 

   Quoi qu’il en soit, le 6 février 2019, la Cour de cassation semble avoir opéré un revirement de jurisprudence en offrant aux professionnels la faculté d’être protégés par leurs propres règles déontologiques.

   Toutefois, la portée de cet arrêt doit être nuancée puisqu’elle y a procédé à l’occasion d’une affaire ayant trait à l’épineuse interdiction de la publicité. Pour mémoire, comme il avait été exposé dans la Lettre du Cabinet de septembre 2018, le Conseil d’Etat s’était prononcé en faveur de la libéralisation de la publicité des professionnels de santé, étant observé que depuis plusieurs années celle-ci parait inéluctable au regard des exigences du droit de l’Union européenne et des décisions rendues par la Cour de Justice de l’UE qui juge notamment :

- le 5 avril 2011 que les directives européennes s’opposent « à une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d’une profession réglementée […] d’effectuer des actes de démarchage »,

- le 4 mai 2017 que la directive sur le commerce électronique « s’oppose à une législation nationale […] qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires en tant que celle-ci interdit toute forme de communications commerciales par voie électronique, y compris au moyen d’un site Internet créé par un dentiste » et que « l’article 56 TFUE […] s’oppose à une législation nationale […] qui interdit de manière générale et absolue toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires ».

   La Cour de cassation a-t-elle souhaité attirer l’attention sur ce sujet pour contraindre les instances à intervenir plus rapidement ? Au regard des faits de l’espèce, cela est probable, puisqu’ils concernent un ostéopathe, dont le statut de « profes-sionnel de santé » n’est pas reconnu par les dispositions du code de la santé publique, qui, par extension, ne consacrent aucune règle déontologique le concernant. Contrairement aux professionnels de santé, les multiples courants et doctrines qui composent leur discipline empêchent les ostéopathes de se doter d’un code de déontologie qui leur serait propre. Plusieurs organisations syndicales ont, certes, proposé divers projets mais aucun d’entre eux n’a jamais été adopté unanimement par la profession et encore moins entériné par décret.

   Ainsi, la Cour de cassation a vraisemblablement désiré interpeller en affirmant que « l'article 21 du code de déontologie des professionnels de l'ostéopathie [rendait illicite le contrat tendant] à l'insertion d'encarts publicitaires » pour faire échapper le praticien au paiement de la prestation de publicité dont il avait bénéficié. La Haute Cour a déjà opéré de façon similaire notamment avant l’adoption de la loi Kouchner du 4 mars 2002 en rendant l’arrêt Perruche (Cass., Assemblée Plénière, 17 novembre 2000, n° 99-13.701).

   Espérons que cette décision aura l’écho qu’elle mérite pour que les actuels travaux de réformation des codes de déontologie français des médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes, infirmiers et autres
professionnels de santé aboutissent à l’autorisation d’une publicité encadrée.

Source
La Lettre du Cabinet - Décembre 2019