Médecins poursuivis pour abus sexuels

Titre complément
(Cassation, 19 janvier et 16 mars 2005)
Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu

Les condamnations se multiplient, mais on n'en parle pas beaucoup. Tant mieux. Aucun praticien ne se trouve pourtant à l'abri d'une plainte et la jurisprudence publiée prouve qu'elles ne finissent pas toujours par une ordonnance de non-lieu. Si les gynécologues et sexologues sont particulièrement visés, ils ne sont pas les seuls, les orthopédistes, les urgentistes et généralistes se trouvent en bonne place au palmarès des spécialités à risque (à quand le classement du Point ou de Science et Avenir ?).
Début 2005, la Cour de cassation a ainsi jugé deux affaires : les Hauts magistrats ont confirmé la condamnation pour agression sexuelle à 9 mois de prison avec sursis et 2 000 € d'amende prononcée par la cour d'appel de Lyon d'un praticien "ayant usé de surprise pour caresser, sans gants, le sexe du patient, jusqu'à provoquer une éjaculation, en agissant sous le prétexte fallacieux de réaliser un acte de sexologie médicale" dans le cadre d'une "thérapeutique comportementale impliquant les techniques du "stop and go" et du "squeeze" pour prévenir l'éjaculation précoce (Cassation, chambre criminelle, 16 mars 2005). Le médecin affirmait avoir prévenu et obtenu le consentement du patient, qui le contestait pendant le procès. L'arrêt ajoute à titre de peines complémentaires 5 ans d'interdiction d'exercer la sexologie médicale et autant d'interdiction des droits civiques.
Un confrère généraliste n'a pas convaincu non plus la Haute juridiction en tentant d'expliquer son examen des seins à l'occasion d'une consultation pour une éventuelle cystite "dans le but de savoir dans quelle période du cycle se trouvait la patiente" ; la cour écarte aussi ce qu'elle qualifie "tergiversations sur les diligences concernant la pathologie hémorroïdaire qui suffisent à établir qu'en dépit de ses dénégations obstinées il a été l'auteur des faits qui lui sont reprochés en profitant de la fragilisation d'A… pour lui imposer des attouchements à connotation sexuelle" : un an d'interdiction d'exercer la médecine (19 janvier 2005), malgré les attestations favorables de confrères dont il avait assuré les remplacements, leur contenu n'étant pas "incompatible avec un moment d'égarement isolé" lit-on dans l'arrêt.
"Le pluriel à l'homme ne vaut rien" chantait Brassens et des faits peu agressifs, mais dénoncés à quatre reprises par des adolescents hospitalisés dans le même service, valent au chirurgien orthopédique qui les a opérés une grave peine de 2 ans d'emprisonnement dont 18 mois avec sursis et mise à l'épreuve, pour avoir pendant sa visite "caressé le torse, pincé le bout des seins et prolongé ses caresses jusqu'au pénis" du 1er patient, "caressé le pied non opéré et remonté sa main le long de la cuisse" du 2ème, "caressé du genou jusqu'à l'aine en passant sa main sur le drap et caressé l'autre cuisse à même la peau ainsi que le ventre" du 3ème, et recherché des ganglions sur la personne du 4ème par des palpations à la périphérie des parties sexuelles qui n'avaient pas emporté la confiance des experts et magistrats de la cour de Besançon (23 janvier 2003).
Le fait, pour un médecin militaire chargé de procéder aux visites médicales d'aptitude des recrues, de pratiquer "des palpations mammaires et des touchers dans la zone urogénitale pour déceler une incapacité à servir", était contesté par le praticien devant les magistrats à l'encontre d'une peine de 3 ans de prison dont 2 avec sursis et 5 ans d'interdiction d'exercer prononcée par la cour de Limoges, mais la Cour de cassation le déclare coupable d'agressions sexuelles aggravées pour avoir "donné libre cours à ses pulsions sexuelles par des actes dépassant largement le cadre de simples fautes professionnelles" (23 juin 2004).
En prononçant 4 ans d'emprisonnement, dont 2 avec sursis (il en reste donc 2 fermes vous comptez bien) et 5 ans d'interdiction, la cour d'Aix n'avait pas non plus badiné avec l'honneur d'une patiente à laquelle un urgentiste avait pratiqué une injection de valium et de calcibronat, non pas "pour traiter l'hypertension", traitement dont l'anormalité a été démontrée, mais pour "l'affaiblir aux fins de se livrer sur elle à des attouchements sexuels". Les 47 attestations de bonne moralité n'ont pas permis au confrère d'éviter cette sanction avec "mandat de dépôt", c'est-à-dire qu'il a rejoint sa cellule le jour même du prononcé de l'arrêt (27 octobre 2004). La cour de Grenoble a rejeté l'argumentation d'un autre urgentiste tendant à mettre sur le compte d'une erreur de diagnostic la pratique d'un toucher vaginal et rectal d'une patiente venue consulter pour douleurs abdominales (10 novembre 2004).
Quand ils ne contestent pas la matérialité des faits (élément matériel du délit) les médecins plaident souvent que les plaignantes étaient consentantes (élément intentionnel du délit). Les magistrats évaluent alors la qualité des relations existant entre les parties, leur personnalité, la pathologie et le traitement proposé. "Le consentement", éclairé ou surpris, nourrit les chroniques de la jurisprudence en droit de la santé et on connaît la difficulté d'en établir la preuve, qui incombe au médecin en application de la loi du 4 mars 2002. Alors, dans la matière singulière étudiée, vous imaginez que le consentement n'est jamais écrit et qu'en tout état de cause il est contesté. C'est vainement qu'un médecin plaidait que "l'hypnose de deux patientes avait engendré un transfert qui leur avait fait interpréter de simples gestes thérapeutiques comme des actes à connotation sexuelle", même si "la personnalité hystérique combinée avec l'hypnose peut engendrer une augmentation de la capacité affabulatoire" de certaines malades (13 octobre 2004).
Pour la cour d'assises de la Gironde, seules l'anxiété, l'inhibition et la grande vulnérabilité d'une plaignante face à son médecin expliquent qu'elle n'ait pas protesté alors que le praticien "ne l'a pas surprise au cours d'un acte médical pour la pénétrer immédiatement, mais a quitté la pièce pour réapparaître complètement nu et lui a, d'abord, dans cet état, massé le dos". La Cour de Riom avait déjà (arrêt du 14 mars 2001) jugé que "ne saurait valoir consentement aux gestes pratiqués" le fait pour son médecin de se dérober aux yeux de la patiente en lui "posant un masque sur le visage pour camoufler des manipulations sur son propre sexe" avant de se livrer à "un toucher vaginal privé de tout caractère médical au profit de la recherche d'une jouissance personnelle" dont la matérialité "est confirmée par le fait que le médecin a accepté de discuter d'un dédommagement après avoir pris un temps de réflexion en retournant à son domicile pour chercher son chéquier".
Il est imprudent pour un psychothérapeute, qui a "fait allonger une jeune fille sur son canapé et posé les mains sur son ventre pour un exercice de respiration", de fermer la porte de son cabinet à clé "après les premiers attouchements sur les parties intimes du corps de la patiente" qui ont produit un "effet de sidération sur la victime qui ne témoigne néanmoins pas d'un consentement" pour la cour de Rennes, confirmée par la Cour de cassation (arrêt du 17 mars 2004).
L'absence de consentement du patient est parfois justifiée par le mobile de l'acte : ainsi, un médecin-expert nommé "pour procéder à l'expulsion de tout corps étranger" fut-il relaxé bien qu'ayant diligenté, avec l'aide de deux policiers, un toucher rectal "malgré les véhémentes protestations de la victime" sur une personne suspectée de trafic de stupéfiant après qu'un examen radiologique ait révélé la présence d'enveloppes en latex contenant de l'héroïne dans ses intestins (cf. I. Lucas-Baloup "La fellation est-elle, en droit français, une relation sexuelle ?", in Quotidien du Médecin, 28 janvier 1999, reproduit sur le site du cabinet www.lucas-baloup.com).
Evidemment, aucun médecin ne se sent personnellement concerné par les excès de certains confrères et chacun considère qu'il est bien normal que les auteurs d'agressions sexuelles commises à l'occasion de l'exercice de la médecine soient sévèrement condamnés. Il n'en demeure pas moins une augmentation récente de "dénonciations" fermement contestées par des praticiens dont la défense est rendue difficile en raison de ce que les faits invoqués ont prétendument eu lieu pendant le colloque singulier de la consultation ou de la visite, hors la présence de tiers. Ce risque, que le praticien le plus vertueux peut croiser dans sa vie professionnelle, ne pourrait être prévenu que par l'enregistrement de la consultation ou la présence d'un témoin : un autre praticien ou un(e) infirmier(ère), assistant(e),
externe, stagiaire, secrétaire, etc.. Sa présence suffira souvent à dissuader tel(le) patient(e) malveillant(e) en quête d'indemnisation.
Un conseil en cas de problème de cet ordre : un médecin innocent ne doit surtout pas s'avouer coupable après 20 heures de garde à vue avec l'espoir (voire la promesse d'un officier de police judiciaire) que cette reconnaissance du délit lui permettra de rentrer chez lui ! C'est malheureusement fréquent et difficile à nier ultérieurement. Comme l'offre mal maîtrisée d'indemniser la victime si elle ne saisit pas la justice. Repérer la patiente au comportement douteux afin d'être spécialement prudent en présence d'un sujet à risque, car il est rare que la plainte suive le premier rendez-vous. Mais comment éviter la pénible expérience récente d'un gastro-entérologue : une plainte déposée par une patiente américaine en vacances en Provence, ayant hurlé fort pendant un examen clinique pourtant très déontologique, sortie brutalement en pleurant du cabinet rejoindre, hystérique, son mari qui l'attendait dehors, pour se rendre directement à la gendarmerie et prétendre avoir été victime d'une tentative de viol dont la réparation demandée immédiatement par son avocat texan ne relève pas du dollar symbolique…

Source
La Lettre du Cabinet - Septembre 2005