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Surveillance en SSPI et responsabilités encourues (Cour de Cassation, 1ère ch. civ., 10 décembre 2014)
Isabelle Lucas-Baloup
Il convient de s’arrêter un instant sur cet arrêt important de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi de la Polyclinique du Bois devenue HPM, en confirmant l’arrêt de la Cour de Douai qui l’avait condamnée, in solidum avec l’anesthésiste-réanimateur chargé d’un enfant de 3 ans ayant subi une adénoïdectomie, sous Sévorane, le rapport d’expertise concluant que l’enfant était encore fortement sous l’emprise du Sévorane, en dépression respiratoire, lors de son admission en salle de surveillance post-interventionnelle, et qu’il a présenté un laryngospasme aigu responsable de l’arrêt cardiaque, les experts ajoutant que si l’anesthésiste (qui plaidait avoir été surchargé devant remplacer au pied levé un confrère en plus de son propre programme) avait autorisé le transfert en SSPI qu’une fois le réveil complet constaté, ceci n’aurait probablement pas empêché le laryngospasme de survenir, mais qu’il aurait été reconnu et pris en charge plus vite et plus efficacement au bloc.
La partie intéressante du débat consistait à définir de qui l’infirmière en SSPI – en l’espèce employée et payée par la Clinique - était la préposée. L’anesthésiste, bien que n’étant pas son employeur en droit du travail, en était-il pendant le réveil du patient son commettant occasionnel, et donc responsable de sa faute à la place de la Clinique ?
La Cour de cassation n’écarte pas la responsabilité de la Clinique, employeur de l’IDE, en rappelant les dispositions de l’article D. 712-49 devenu D. 6124-101 du CSP, qui pourtant ne règlent pas la question :
« Les patients admis dans une SSPI sont pris en charge par un ou plusieurs agents paramédicaux (…), affectés exclusivement à cette salle pendant sa durée d’utilisation et dont le nombre est fonction du nombre de patients présents. (…).
« Le personnel paramédical est placé sous la responsabilité médicale d’un médecin anesthésiste réanimateur qui intervient sans délai. (…). » et statue ainsi : « Attendu qu’en ayant retenu que si l’anesthésiste avait été imprudent en autorisant le transfert de l’enfant en SSPI avant son réveil complet, l’infirmière présente dans cette salle aurait dû, compte tenu de cette circonstance et de la fréquence du risque de laryngospasme chez le jeune enfant, prendre toutes les précautions nécessaires pour assurer une surveillance maximale par monitorage, et ne pas se contenter d’un saturomètre, la cour d’appel, faisant l’exacte application de l’article D. 712-49 du CSP alors en vigueur devenu D. 6124-101 du même code, attribuant la prise en charge des patients admis dans une SSPI à un ou plusieurs agents paramédicaux spécialement formés, à charge pour eux de prévenir, en cas de besoin, le médecin anesthésiste réanimateur, lequel doit pouvoir intervenir sans délai pour réaliser les actes relevant de sa compétence, a décidé à bon droit que le lien de préposition résultant du contrat de travail conclu entre la Clinique et l’infirmière n’avait pas été transféré à l’anesthésiste ; rejette le pourvoi de la Clinique. »
Ce faisant, la Cour de cassation reconnaît l’indépendance de l’IADE par rapport au MAR et considère que la surveillance du patient en SSPI relève de la compétence propre de l’IADE, devant permettre d’évaluer les signes de réveil, reconnaître les accidents susceptibles de se produire et mettre en œuvre sans délai les gestes techniques indispensables, à charge de prévenir le médecin anesthésiste en cas de difficulté.
Il faut néanmoins admettre que l’article R. 4311-12 (issu du décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004 fixant les compétences des infirmiers) manque de précision sur les « gestes techniques » qui relèvent de la compétence propre de l’IADE en SSPI (« En salle de SSPI, il assure les actes relevant des techniques d’anesthésie citées (…) et est habilité à la prise en charge de la douleur postopératoire relevant des mêmes techniques. »). L’article R. 4311-14 ajoute : « En cas d'urgence et en dehors de la mise en œuvre du protocole, l'infirmier ou l'infirmière décide des gestes à pratiquer en attendant que puisse intervenir un médecin. »
Pour autant, la responsabilité du MAR ne s’arrête pas à la porte de la salle d’opération et la Cour de cassation, dans un arrêt énormément rappelé et commenté, a jugé, le 11 décembre 1984, que « le contrôle de l’anesthésiste-réanimateur doit se poursuivre, après le réveil du malade, jusqu’à reprise complète des fonctions vitales et notamment du transit intestinal ; pour les actes exécutés pendant cette phase dangereuse, l’infirmière agit sous l’autorité de l’anesthésiste et aux risques et périls de celui-ci ». La surveillance continue post-interventionnelle « se poursuit jusqu’au retour et au maintien de l’autonomie respiratoire du patient, de son équilibre circulatoire et de sa récupération neurologique », précise l’article D. 6124-97 du CSP.
Dans ses Recommandations, l’Ordre national des médecins souligne que « Le réveil fait partie intégrante de l’anesthésie dont il constitue l’un des temps les plus périlleux. (…) Le suivi de l’opéré en salle de surveillance post-interventionnelle est réalisé sous la surveillance conjointe du chirurgien (ou du spécialiste concerné) et de l’anesthésiste-réanimateur. L’anesthésiste-réanimateur devra préciser par écrit la nature et le rythme des actes de soins et de surveillance ordonnés. (…). ». Mais elles n’ont pas été mises à jour depuis 2001 alors que les textes ont évolué. Idem pour les Recommandations de la Société Française d’Anesthésie et Réanimation (SFAR).
On doit trouver en SSPI en permanence au moins un IDE « formé à ce type de surveillance si possible infirmier anesthésiste » pour 5 postes occupés et « deux agents présents dont l’un est obligatoirement formé » à compter de 6 postes occupés (article D. 6124-101, CSP). On sait qu’en pratique ce n’est pas toujours le cas et qu’il relève de la responsabilité d’un anesthésiste de refuser de prendre en charge des « urgences » qui compromettraient sa disponibilité effective pour intervenir « sans délai » en SSPI en cas d’appel par l’IADE.
Le planning du bloc opératoire est établi conjointement par les opérateurs, les anesthésistes-réanimateurs concernés et le responsable de l’organisation du secteur opératoire (« chef de bloc » salarié de l’établissement de santé), prévoit l’article D. 6124-93 du CSP, qui ajoute qu’il doit être tenu compte à cette fin « des possibilités d’accueil en SSPI ». Une maîtrise performante de la programmation des interventions constitue un minimum au sein d’un établissement et le règlement intérieur du bloc peut prévoir des sanctions en cas de violation, non pas exceptionnelle et justifiée, mais chronique des horaires prévus (chirurgien constamment en retard ou ajoutant des malades inscrits la veille etc.). De même, la Direction des établissements de santé doit se donner les moyens (contractuels s’il s’agit d’un exercice libéral) d’obtenir en temps opportun le planning opératoire suggéré par les opérateurs et adopté en conseil ou commission de bloc, pour affecter le personnel paramédical adapté à la qualité et à la quantité des interventions programmées. A défaut, la responsabilité civile et pénale de chaque intervenant défaillant peut être engagée.
Faut-il rappeler également que le MAR et l’IADE ont, indépendamment de leur souci majeur et éthique de respecter l’intérêt supérieur du patient et de lui assurer la plus grande sécurité des soins, intérêt à s’entendre avec précision sur les protocoles et prescriptions à mettre en œuvre. Pour l’avoir négligé, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé, le 1er avril 2008, un arrêt de la Cour d’appel de Versailles ayant condamné un médecin anesthésiste-réanimateur à 12 mois de prison avec sursis pour avoir formulé une prescription non précise laissant une large place à l’interprétation « perf=GV », ce que l’IADE n’a pas appliqué comme « Garder la Veine » mais comme « perf de glucose à 5 % », ce qui a conduit à sa propre condamnation à 18 mois de prison avec sursis pour homicide involontaire, car elle avait l’obligation de demander au prescripteur un complément d’information si elle s’estimait insuffisamment éclairée (article R. 4312-29 CSP).
Agée de 3 ans comme le patient victime du premier arrêt commenté, la jeune Mélissa, hospitalisée pour une banale ablation des amygdales, est décédée d’un œdème cérébral par intoxication à l’eau provoquée par la perfusion de 2 poches de 500 ml de solution isotonique de sérum glucose à 5 %, en raison de la mauvaise communication entre l’anesthésiste et l’infirmière.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2015


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