Redevance et coût de la permanence des soins

Titre complément
(arrêt Cour de Paris, Pôle 2, 2ème ch., 7 juin 2018, n° 16/13180)
Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu

   Voici un arrêt bien intéressant à plus d’un titre. Le conflit oppose une clinique psychiatrique à un médecin psychiatre, mais certains alinéas de la décision de la Cour de Paris concernent tout aussi bien les cliniques médico-chirurgicales et les autres médecins spécialistes :

 

Délais de prescription de la demande de remboursement : 5 ou 30 ans ?

      L’arrêt analyse d’abord la recevabilité de l’action engagée pour obtenir le remboursement de redevances que le médecin prétendait excessives par rapport au coût des services mis à disposition par la clinique, prescription par 5 ans (comme le revendiquait la clinique) ou 30 ans (comme s’en prévalait le médecin) ?

   La prescription dite « extinctive » s’entend d’un délai au-delà duquel un justiciable ne peut plus agir valablement pour défendre ses droits. Avant une réforme introduite par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, le délai était de 30 ans lorsque le demandeur et le défendeur étaient liés par un contrat, par exemple un contrat d’exercice libéral de la médecine entre un praticien et un établissement de santé privé. La réforme a réduit de 30 ans à 5 ans ce délai, qui court à compter du jour où le créancier a connu les faits lui permettant d’exercer le droit, dans un article 2224 du code civil ainsi libellé : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

   La loi s’applique dès sa promulgation mais des dispositions transitoires ont été prévues :

  • quand une instance a été introduite avant l’entrée en vigueur de la loi, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne : donc si l’assignation pour réclamer une redevance excessive a été introduite avant le 19 juin 2008, la période sur laquelle on calcule la redevance indue à rembourser demeure de 30 ans ;
  • en l’absence de procédure engagée avant la réforme, la durée totale du délai de prescription ne peut dépasser la durée prévue par la loi antérieure, c’est-à-dire 30 ans, calculée depuis les actes concernés. Dès lors, quand la prescription a été réduite de 30 à 5 ans, on compute les 5 ans à compter du 19 juin 2008, mais le délai total ne peut pas excéder 30 ans. Exemple : Une action se prescrit par 30 ans à compter du 30 avril 2006 ; le délai aurait dû expirer le 30 avril 2036. En exécution de la nouvelle loi, c’est un nouveau délai de 5 ans qui a commencé à courir à compter du 19 juin 2008 et de ce fait la prescription sera acquise le 19 juin 2013.

   La Cour rappelle, dans cet arrêt du 7 juin 2018, que l’action en répétition de redevances indûment prélevées au regard du contrat d’exercice libéral conclu entre une clinique et un médecin ne constitue par une action en répétition de loyers, de fermages ou de charges locatives (comme le soutenait la Clinique) de sorte qu’une telle action était prescrite par 30 ans antérieurement à l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription intervenue par la loi du 17 juin 2008 ayant réduit à 5 ans la prescription de droit commun. Il en résulte que l’action engagée par le médecin, par assignation du 17 juin 2013 soit moins de 5 ans après la loi nouvelle, portant sur des redevances versées par lui pendant les années 1989 à 2004 n’était pas prescrite au jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et est recevable.

   Le médecin avait également formulé une demande en paiement au titre du coût de la permanence médicale qu’il avait assurée au sein de la Clinique, alors que la loi de l’époque ne l’imposait pas. La Cour juge que « le coût de la permanence médicale se calculant annuellement et comprenant la rémunération de vacations effectuées par périodicités, nuit, jour férié ou dimanche, la demande en paiement est soumise à la prescription de l’article 2227 du code civil qui s’applique aux actions en paiement « généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts » et confirme sur ce point le jugement qui avait justement retenu que l’action du psychiatre relevait de la prescription trentenaire prévue à l’article 2262 ancien du code civil, ce délai étant applicable aux actions de nature contractuelle ou quasi-contractuelle.

 

Au fond, sur la permanence médicale

   L’arrêt rappelle qu’aux termes de l’article D. 6124-472 du code de la santé publique tel que résultant du décret du 29 mars 1956, il était prévu qu’un médecin ou un interne devait se trouver en permanence dans les maisons de santé pour maladie mentale, de sorte qu’il appartenait aux établissements psychiatriques et à leurs médecins de mettre en place une permanence médicale qui pouvait être assurée par des médecins généralistes ou des internes en médecine, a fortiori également par des médecins psychiatres. Ce texte a été modifié par un décret du 7 novembre 2006 qui prévoit qu’un médecin qualifié en psychiatrie doit se trouver en permanence dans l’établissement, sauf la possibilité pour l’établissement de solliciter une dérogation auprès de l’ARS pour mettre en place une astreinte psychiatrique et une prise en charge médicale des pathologies somatiques, mais cette disposition nouvelle n’est pas applicable en l’espèce puisque le médecin concerné avait quitté la clinique depuis le 1er septembre 2004. Au sein de cette Clinique, la permanence médicale avait toujours été assurée par un médecin psychiatre, avant même la modification apportée par le décret de 2006, les praticiens ayant, dans le cadre d’une société de fait existant entre eux, assumé, soit personnellement, soit financièrement, les gardes sur place de nuits, de dimanches et de jours fériés. Même si les contrats conclus entre la Clinique et les psychiatres y exerçant prévoyaient que les médecins devaient « assurer la continuité des soins et répondre en permanence à toute astreinte de garde et d’urgence », l’arrêt confirme la position du jugement de première instance « ayant justement analysé ces stipulations contractuelles en retenant qu’elles visent à assurer « la continuité des soins », obligation rappelée à l’article R. 4127-47 du CSP comme répondant au suivi du patient, différente de celle de la « permanence des soins » et que le système d’astreinte de garde et d’urgence diffère d’un système de permanence sur place du praticien en ce qu’il ne lui impose pas de présence physique dans l’établissement en dehors des heures et jours ouvrablesDès lors elles ne s’entendent pas comme imposant au psychiatre contractant d’assurer la permanence médicale des nuits, dimanches et jours fériés imposée par le décret de 1956. Au demeurant, le Dr X. expose à bon droit que, même si les stipulations contractuelles devaient être interprétées comme mettant à sa charge la permanence médicale au sein de l’établissement, ces dispositions seraient nulles et de nul effet au regard de l’intégration du coût de la permanence médicale dans le prix de journée versé à la clinique et de l’application de l’article L. 4113-5 du CSP. »

   La Cour ajoute : « Par ailleurs, c’est en vain que la Clinique prétend que la permanence médicale incomberait aux médecins comme relevant de leur obligation de délivrance des soins médicaux et serait incluse dans l’honoraire de surveillance servi aux praticiens en application de l’article 20 de la NGAP. En effet, l’acte correspondant aux honoraires de surveillance est un acte individualisé, effectif, répondant à une nécessité thérapeutique et ne peut être assimilé à une permanence médicale assurée sur l’ensemble des malades d’un établissement. La surveillance médicale visée à l’article 20 de la NGAP consiste pour le médecin à surveiller régulièrement l’état de santé du malade et non à assurer la surveillance médicale de celui-ci à tout instant de la journée et de la nuit et les honoraires forfaitaires de surveillance versés aux psychiatres exerçant à titre libéral ne recouvrent nullement la surveillance médicale nocturne des malades qui relève de la seule responsabilité de l’établissement de soins et donc le coût est inclus dans le prix de journée. »

   Le médecin est bien fondé à calculer son indemnisation en se fondant sur le montant des honoraires de garde, affectés d’un coefficient d’érosion monétaire pour la période de 1989 à 1993 et d’un coefficient de revalorisation de 20% à partir de juillet 2002, à raison de la revalorisation des honoraires médicaux intervenue en juin 2002. L’indemnisation du médecin doit être égale à son appauvrissement de sorte que la Clinique est condamnée à lui verser 275 912 €.

 

Chambre de garde

   La Clinique est condamnée à rembourser au médecin la redevance qu’elle lui a fait supporter pour mise à disposition d’une chambre de garde de 23 m2.

 

Redevance forfaitaire de 10% excessive

   La Cour rappelle à la Clinique qu’ « Au regard de l’article L. 4113-5 du code de la santé publique, un établissement de santé ne peut réclamer au médecin exerçant dans ses locaux que le coût des prestations effectivement fournies de sorte que le praticien est fondé à demander la révision du taux de la redevance à un niveau qui la rende égale au coût des prestations effectivement assurées par l’établissement à son profit. »

   L’arrêt expose que la Clinique ne produisait pas de justificatifs des sommes facturées et « se contentait d’affirmer qu’elle a appliqué le taux contractuel de 10% alors qu’il lui incombe de prouver que le montant des redevances correspond à des prestations effectivement fournies. »

   C’est donc en parfaite conformité avec la jurisprudence de la Cour de cassation que la Cour de Paris condamne la Clinique également sur ce point, à rembourser au médecin la redevance payée à la hauteur de la partie non justifiée.

    Là encore le principe n’est pas cantonné aux redevances payées par les médecins psychiatres.

Source
La Lettre du Cabinet - Septembre 2018