Le contrat d’exercice libéral d’un associé de SEL ne peut être individuel avec une clinique

(arrêt Cour de cassation, 1ère ch. civ., 25 septembre 2024, n° 23-12.540)

  Un professionnel de santé qui exerce au sein d’une SEL (ou d’une SCP même raisonnement) ne doit pas signer lui-même un contrat d’exercice libéral avec la clinique, l’hôpital privé ou le centre de santé. C’est la société d’exercice dont il relève qui conclut le contrat qui bénéficiera à ses membres.

  Plusieurs cours d’appel l’avaient déjà jugé, mais il était attendu un dossier permettant à la chambre civile de la Cour de cassation de rappeler à tous ceux qui le contestent, notamment certains groupes de cliniques, que le contrat doit être signé avec la SEL et pas individuellement avec tel ou tel associé. C’est fait, espérons gagner du temps désormais au moment de la négociation de ces contrats et souhaitons que les Ordres professionnels mettent rapidement à jour leurs modèles ou contrats-types d’exercice libéral.

Extraits de l’arrêt rapporté :

« Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 8 novembre 2022), le 15 novembre 2003 a été constituée la société d'exercice libéral Chirurgie orthopédique PR ayant pour objet l'exercice libéral de la profession de médecin au sein de la polyclinique, dirigée par la Société S. Le 30 octobre 2015, avec effet au 18 novembre 2015, à la suite de différentes cessions de parts sociales, M. F, chirurgien orthopédiste, est devenu associé de la société C. Le même jour, il a conclu avec la société S un contrat d'exercice professionnel individuel à durée indéterminée prévoyant une faculté de résiliation sous réserve du respect d'un préavis de six mois.

2. Le 29 janvier 2020, la société S a notifié à M. F la résiliation de son contrat d'exercice professionnel individuel en lui accordant le préavis contractuel.

3. Le 23 septembre 2020, soutenant que cette résiliation ne lui était pas opposable dès lors qu'il exerçait la médecine au sein de la polyclinique en vertu d'un contrat d'exercice verbal existant entre la société S et la société C dont il était associé et à laquelle la résiliation et un préavis de deux ans, selon les usages en vigueur, devaient être notifiés, M. F et la société C ont, après l'échec d'une médiation, assigné la société S en indemnisation pour non-respect du préavis de deux ans et en réparation d'un préjudice moral.

Examen du moyen

Sur le premier moyen, pris en sa première branche […]

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 4113-3, alinéa 1er, du code de la santé publique :

5. Selon ce texte, un associé ne peut exercer la profession de médecin qu'au sein d'une seule société d'exercice libéral de médecins et ne peut cumuler cette forme d'exercice avec l'exercice à titre individuel ou au sein d'une société civile professionnelle, excepté dans le cas où l'exercice de sa profession est lié à des techniques médicales nécessitant un regroupement ou un travail en équipe ou à l'acquisition d'équipements ou de matériels soumis à autorisation en vertu de l'article L. 6122-1 du code de la santé publique ou qui justifient des utilisations multiples.

6. Pour rejeter les demandes de M. F et de la société C et donner effet au contrat d'exercice professionnel individuel conclu le 18 novembre 2015 entre la société S et M. F, l'arrêt retient que la référence à l'article R. 4113-3 du code de la santé publique prohibant le cumul d'une activité individuelle avec l'exercice de cette même activité au sein d'une structure n'est pas de nature à justifier que les parties aient formalisé un contrat qui y aurait contrevenu, plutôt qu'un contrat avec la société C qui y aurait satisfait, et que, si la société S avait émis des factures à destination de la société C, cela ne contredisait pas un exercice professionnel fait à titre individuel par le médecin, une société d'exercice libéral ayant sa personnalité juridique propre et sa propre patientèle.

7. En statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses constatations sur l'objet social de la société C que M. F avait rejoint, sa personnalité morale et sa patientèle, faisant obstacle à la conclusion d'un contrat d'exercice individuel avec celui-ci, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

 

Portée et conséquences de la cassation

8. Tel que suggéré par les demandeurs au pourvoi, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt qui rejette les demandes de M. F et de la société C tendant à voir dire qu'il existait un contrat d'exercice professionnel liant la société S et la société C par substitution de plein droit au contrat d'exercice professionnel individuel de M. F, d'avoir dit régulière et valable la résiliation de ce contrat d'exercice individuel notifiée à M. F, que cette résiliation avait produit ses effets, que le contrat était résilié et que cette résiliation n'avait pas revêtu de caractère fautif entraîne la cassation des chefs de dispositif rejetant les demandes indemnitaires formées par M. F et par la société C.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société S tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions transmises le 29 juin 2022 par M. F et la SELARL, rejette la demande de résiliation du bail professionnel liant la société S avec la SELARL, l'arrêt rendu le 8 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Angers. »

Isabelle LUCAS-BALOUP