(arrêt Cour de cassation, soc., 19 mars 2025, n° 23-19.154)
Qui n’a jamais rencontré un manipulateur sachant parfaitement se présenter comme une victime ?
Le droit de la preuve, l’égalité des armes pendant le procès et le principe du contradictoire, éléments fondamentaux du « procès équitable » au sens de l’article 6. §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, censés assurer un « juste équilibre » entre les parties dans des conditions qui ne placent quiconque dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires, viennent d’être singulièrement atteints par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation rendu le 19 mars 2025 qu’il convient de lire exactement pour ne pas être tenté de le dénaturer :
« Si, en principe, le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, il peut néanmoins prendre en considération des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par la partie qui les produit, lorsque sont versés aux débats d’autres éléments aux fins de corroborer ces témoignages et de permettre au juge d’en analyser la crédibilité et la pertinence.
« En l’absence de tels éléments, il appartient au juge, dans un procès civil, d’apprécier si la production d’un témoignage dont l’identité de son auteur n’est pas portée à la connaissance de celui à qui ce témoignage est opposé, porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le principe d’égalité des armes et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »
Sur ce fondement, la chambre sociale de la Cour de cassation admet, dans cet arrêt, que le juge prenne en considération des constats d’huissier (désormais commissaire de justice) contenant cinq témoignages anonymisés « afin de protéger leurs auteurs », dont l’identité était connue de l’employeur et de l’huissier qui avait recueilli ces témoignages, mais qui est cachée à la partie à laquelle ils sont opposés, sous réserve que le juge procède à un contrôle de proportionnalité et la Cour de cassation se réserve de contrôler le contrôle.
Cette décision est intervenue dans une affaire de droit du travail opposant un employeur à un salarié accusé d’une « attitude irrespectueuse voire agressive tant verbalement que physiquement envers ses collègues ».
Nul doute que d’autres plaideurs hors les conseils de prud’hommes invoqueront cet arrêt pour opacifier d’autres dossiers judiciaires manquant de preuves, et que la transparence des débats et la qualité des décisions vont en souffrir.
Isabelle LUCAS-BALOUP

