Redevance : quelques précisions jurisprudentielles

Auteur(s)
Bertrand Vorms
Contenu

La redevance n'est licite qu'à la condition que les dépenses, qui en constituent la contrepartie, correspondent, tant par leur nature que par leur coût, à un service rendu au médecin et qu'elles ne soient pas couvertes par les tarifs versés par les caisses d'assurance maladie (notamment Cass. civ. 1ère, 5 novembre 1996, RD sanit. soc. 1997. 338).
Cette position de la Haute juridiction, fondée sur l'article L. 4113-5 du code de la santé publique, n'a pas tari le contentieux, nombre de questions restant en suspens :

1. Quid de la distinction coût du service/valeur du service ?

Le 20 mai 2003 (Cass. civ. 1ère, 20 mai 2003, Juris-Data n° 019207), la Cour de cassation s'est prononcée sur la question de la légitimité de la répercussion, sur les médecins, du coût d'une prestation estimée, par expertise judiciaire, excessive au regard de sa valeur : une clinique mettait à la disposition de radiologues l'intégralité des matériels qu'elle-même louait auprès de deux sociétés. Les médecins payaient une redevance à leurs yeux trop élevée (75 % de l'intégralité de leurs honoraires, initialement, ramenée à 50 % de ceux générés par l'activité d'échographie) et avaient obtenu la désignation d'un expert-comptable, chargé de s'assurer que le montant payé était en adéquation avec le coût des prestations fournies.
L'établissement produisait, comme justificatifs, les factures réglées par lui. L'expert, ayant constaté que les sociétés loueuses étaient animées par le couple propriétaire de la clinique, et qu'elles lui refacturaient, annuellement, plus d'un tiers de la valeur d'achat des matériels, conduisant à leur amortissement sur 3 ans, a considéré que la valeur du service était manifestement surévaluée. La juridiction de première instance, puis la Cour d'appel, ont alors condamné la clinique à rembourser aux radiologues l'excédent.
La Cour de cassation censure cette décision, en reprochant aux juges du fond d'avoir retenu des motifs "qui ne prennent pas en compte les montants établis des loyers supportés par la clinique pour mettre le matériel radiologique à la disposition des praticiens, alors que la redevance n'est indue qu'autant qu'elle excède le coût réel des dépenses effectivement engagées".
Que doit-on en conclure : que les juges, saisis sur le fondement de l'action en répétition de l'indu, n'ont pas à se prononcer sur le caractère légitime ou non des dépenses supportées par la clinique dès lors qu'elle en justifie.

2. Une redevance sous-évaluée est-elle possible ?

Un établissement de santé s'était engagé à mettre à la disposition d'un médecin des moyens, en contrepartie d'une redevance maximale de 10 % des honoraires. Croyant pouvoir s'appuyer sur la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la nécessité d'aligner la redevance sur le coût réel des services, la clinique avait facturé des montants excédant le plafond convenu.
Le praticien l'a assignée en résiliation de son contrat, aux fins d'obtenir des dommages et intérêts, arguant d'une violation d'une de ses clauses essentielles, ce dont il fut débouté.
La clinique avait, quant à elle, demandé aux juges du fond de lui donner raison, puisqu'elle démontrait supporter, pour le compte du médecin, des dépenses supérieures aux prévisions contractuelles. La Cour d'appel de Rennes ne lui ayant pas donné satisfaction, elle a saisi la Cour de cassation, qui a rejeté son pourvoi par arrêt du 20 mai 2003 (Cass. 1ère civ., 20 mai 2003, Juris-Data n° 019030), en soulignant que :
"Si, en dérogation de l'article L. 4113-5 du code de la santé publique, dont le but est la protection du médecin contre l'atteinte à la rémunération de son activité, le partage de ses honoraires avec une personne ne remplissant pas les conditions requises pour l'exercice de sa profession est permis, dans la seule mesure où la redevance ainsi réclamée correspond exclusivement, par sa nature et son coût, à un service rendu au praticien, la volonté des parties leur permet néanmoins de convenir d'un prix inférieur." La Haute juridiction semble donc redonner ses pleins pouvoirs à l'autonomie de la volonté des parties. Son raisonnement ne peut être critiqué dès lors que, manifestement, elle n'était saisie que sur le fondement de l'article L. 4113-5 du code de la santé publique, protecteur de l'indépendance du praticien. Les dirigeants des cliniques pourront s'en désoler, cette décision renforçant le déséquilibre existant dans leurs rapports avec les médecins, puisque :
- si la redevance est surévaluée, le praticien a la faculté de demander sa réduction, alors que, si elle est sous-évaluée, la clinique ne peut, aux termes de cet arrêt, arguer de la nécessaire adéquation de la redevance au coût des services rendus, pour exiger sa réévaluation ;
- le délai de prescription de l'action en remboursement du médecin est de 30 ans, alors que la clinique, si elle réunit les conditions juridiques pour imposer une augmentation, ne peut réclamer un complément que sur une période maximum de cinq ans (art. 2277 du code civil).
Relevons, néanmoins, qu'il n'est pas certain que la décision de la Cour de cassation aurait été identique si elle avait été saisie sur le fondement de l'article L. 4113-6 du code de la santé publique, qui interdit le fait, pour tout médecin, de recevoir "des avantages en nature en espèce, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale", même s'il n'existe pas de jurisprudence publiée sur cette question.

3. Que couvrent les tarifs alloués aux cliniques ? La question des recettes en atténuation :

La Cour d'appel de Montpellier, statuant comme juridiction de renvoi, après censure, par la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 5 novembre 1996 précité), de la décision qu'elle avait rendue le 31 mai 1994, s'est prononcée, par arrêt inédit et pour la première fois à notre connaissance, sur la question de ce qu'il est convenu d'appeler les "recettes en atténuation".
Dans ce litige, des anesthésistes-réanimateurs soutenaient que l'essentiel des prestations que leur fournissait la clinique étaient couvertes par les différents tarifs versés par les caisses d'assurance maladie. Ils en concluaient qu'elles ne pouvaient, dès lors, leur être refacturées. L'établissement, quant à lui, affirmait que les tarifs étant volontairement amputés, au moment de leur fixation, par les organismes sociaux, ils n'avaient pas vocation à l'indemniser, intégralement, du coût des services dont bénéficiaient les praticiens.
L'article R. 162-33 du code de la sécurité sociale prévoit, en effet, que :
"Les tarifs d'hospitalisation et de responsabilité doivent tenir compte du fait qu'une part des frais professionnels des praticiens et auxiliaires médicaux normalement couverte par les honoraires est supportée par l'établissement, notamment par la mise à la disposition de personnels, locaux et matériels".
Sur ce fondement, les autorités tarifaires considèrent qu'il appartient aux cliniques de percevoir des médecins une redevance pour parvenir à un équilibre budgétaire, les seuls tarifs alloués n'ayant pas vocation à le permettre. C'est ce qui ressortait de la circulaire de la CNAMTS du 14 septembre 1994, encore aujourd'hui, utilisée en cas de création d'un établissement. Cela apparaît, également, à la lecture de la circulaire ministérielle (DHOS/F3/2002/409) du 18 juillet 2002, relative aux fonds pour la modernisation des cliniques privées, en particulier de son annexe II.
En l'espèce, la longue expertise judiciaire a permis de constater que la caisse compétente avait pris en compte, pour la fixation des forfaits de l'établissement, des recettes devant provenir de la participation financière des praticiens "dans une proportion supérieure à celle appliquée aux anesthésistes par la clinique". La Cour a donc jugé que la redevance était légitime, quand bien même l'essentiel des prestations fournies par la clinique aux anesthésistes "sont comprises dans le forfait de salles d'opération et donc prises en charge par les organismes sociaux au titre des tarifs de responsabilité", en considérant que "cette prise en charge n'est pas totale, par application de la règle des recettes en atténuation".
Les organismes sociaux estiment, en effet, que la participation des médecins doit couvrir l'ensemble des frais supportés par l'établissement en leurs lieu et place, puisqu'ils sont déjà payés via leurs honoraires à ce titre. Les recettes attendues par l'établissement à cette fin doivent donc figurer à son budget.
Est-ce à dire que, systématiquement, les établissements de santé sont fondés à facturer aux médecins une redevance minimale de 10 % de leurs honoraires ? Cela constituerait, nous semble-t-il, une conclusion contestable. Encore faudra-t-il à la clinique démontrer qu'elle ne perçoit pas des sommes concourant à atteindre le seuil théorique de 10 % préconisé par la circulaire CNAM… qui n'a pas valeur législative.

Source
La Lettre du Cabinet - Janvier 2004
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