TVA sur les soins (suite)

Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu

La Lettre du Cabinet de décembre 2012 présentait, suite au rescrit du 27 septembre 2012 dans lequel Bercy annonçait soumettre à la TVA, à compter du 1er octobre 2012, tous les actes de médecine et de chirurgie esthétique non remboursés par l’assurance maladie, un argumentaire très motivé contestant vigoureusement la position de l’Administration fiscale, en rappelant le droit communautaire, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et le droit fiscal français. Un an plus tard, il est intéressant de faire à nouveau le point :

 

 

Droit communautaire :

 

   Rien de nouveau en 2013. L’article 132-1-(c) de la directive 2006/112/CE continue à exonérer « les prestations de soins à la personne effectuées dans le  cadre de l’exercice des professions médicales et paramédicales telles qu’elles sont définies par l’Etat membre concerné ».

 

 

 

Droit français :

 

   Aucune réforme n’est intervenue du code général des impôts, dont l’article 261, 4, 1° exonère clairement « les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées », sans la moindre discrimination selon la finalité thérapeutique ou pas de l’acte médical ou paramédical.

 

 

 

Jurisprudences intervenues en 2013 :

 

   Deux arrêts importants ont été rendus en 2013, un par la CJUE, l’autre par le Conseil d’Etat français :

 

Arrêt Skatteverket/PFC Clinic AB, 21 mars 2013, 3ème chambre de la CJUE, n° C-91/12 

 

   L’arrêt rendu par la Cour de Luxembourg affirme que l’article 132-1 (b) et (c) de la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA doit être interprété en ce sens que :

 

- « des prestations de services […] consistant en des opérations de chirurgie esthétique et des traitements à vocation esthétique relèvent des notions de « soins médicaux » ou de « soins à la personne », au sens de ce § 1, sous (b) et (c), lorsque ces prestations ont pour but de diagnostiquer, de soigner ou de guérir des maladies ou des anomalies de santé ou de protéger, de maintenir ou de rétablir la santé des personnes »,

 

- « les simples conceptions subjectives que la personne qui se soumet à une intervention à vocation esthétique se fait de celle-ci ne sont pas, par elles-mêmes, déterminantes aux fins de l’appréciation du point de savoir si cette intervention a un but thérapeutique »,

 

- « les circonstances que des prestations telles que celles en cause au principal soient fournies ou effectuées par un membre du corps médical habilité, ou que le but de telles prestations soit déterminé par un tel professionnel, sont de nature à influer sur l’appréciation de la question de savoir si des interventions telles que celles en cause au principal relèvent des notions de « soins médicaux » ou de « soins à la personne », au sens, respectivement, de l’article 132, paragraphe 1, sous (b) de la directive 2006/112 et de l’article 132, paragraphe 1, sous (c), de cette directive […]. »

 

 

 

   L’arrêt écarte en conséquence comme critère l’avis personnel du patient mais retient celui du médecin pour déterminer si l’acte relève des « soins médicaux » ou des « soins à la personne ».

 

   Dans ses considérants qui précèdent la solution ci-dessus, la Cour précise au § 29, que les prestations qui ont pour but de traiter ou de soigner des personnes qui ont besoin d’une intervention de nature esthétique peuvent être exonérées en relevant de « soins médicaux » ou de « soins à la personne » ; « en revanche, lorsque l’intervention répond à des fins purement cosmétiques, elle ne saurait relever de ces notions ». Mais on peut objecter au caractère limitatif de ce critère – par ailleurs non prévu par l’article 132 de la directive - qu’il existe dans ces interventions « purement cosmétiques » le traitement d’une souffrance, qui entraîne souvent des effets psychologiques, sociaux, professionnels majeurs dans la vie d’une personne obsédée par ce qu’elle considère relever d’une imperfection physique, dont l’appréciation diffère d’un individu à l’autre et pouvant conduire à un désastre mental que le chirurgien esthétique aide à soulager, à atténuer, dès lors que l’intervention ne présente pas un risque supérieur à l’intérêt envisagé ; personne ne se fait opérer par plaisir et les chirurgiens esthétiques expliquent immarcesciblement qu’il soignent l’âme en même temps que la pseudo- ou la vraie disgrâce de ceux qui ne sont pas en accord avec eux-mêmes, avec leur enveloppe corporelle ou l’idée qu’ils s’en font. Il y a en conséquence derrière la plupart des interventions « purement cosmétiques » un soin médical à la personne dont la dimension thérapeutique doit être affirmée et qui conduit dès lors à l’exonération de TVA.

 

   D’autant plus qu’au § 33, l’arrêt mentionne expressément que les problèmes de santé visés par les opérations exonérées au titre de l’article 132-1 (b) ou (c) de la directive TVA peuvent être d’ordre psychologique. Ceci n’est que l’application de sa jurisprudence habituelle en la matière (cf. arrêts Dornier, C-45/01, du 6 novembre 2003 et Solleveld, C-443/04, du 27 avril 2006, sur l’exonération de soins consentis par des psychothérapeutes en Allemagne et aux Pays-Bas).

 

   Or, dans l’affaire Dornier, la Cour a expressément écarté le critère de la prise en charge par l’assurance maladie pour décider s’il y avait lieu à exonération ou non de TVA sur des traitements psychothérapeutiques dispensés dans un service de consultations externes par une fondation à l’aide de psychologues diplômés salariés non médecins : «[…] la seule circonstance que le coût de ces prestations n’est pas entièrement assumé par les institutions d’assurance sociale ne justifie pas une différence de traitement entre prestataires en ce qui concerne l’assujettissement à la TVA » (cf. point 75 de l’arrêt, accessible sur http://curia.europa.eu/juris).

 

   Le raisonnement par analogie est permis et conduit à l’affirmation que les arrêts ci-dessus condamnent le critère retenu aujourd’hui par l’administration fiscale française lié à la prise en charge de l’acte par l’assurance maladie.

 

   D’ailleurs, M. Pierre Sargos, président de chambre à la Cour de cassation, auteur d’un commentaire de l’arrêt du 21 mars 2013, écrivait, au Dalloz 2013, p. 912 : « L’arrêt Skatteverket rend cette question [préjudicielle à la CJUE qu’il appelait de ses vœux dans une précédente chronique au Dalloz 2012, p. 2903] inutile car le critère de l’exonération de la TVA retenu par l’instruction ministérielle française du 27 septembre 2012 et fondé sur la prise en charge par l’assurance maladie est incompatible avec l’interprétation du juge européen. ». Merci, M. le Haut Conseiller, de prendre ainsi une position claire dans ce combat franco-français dans lequel un certain nombre de commentateurs moins pertinents dénaturent le droit et la jurisprudence communautaires… 

 

 

 

Arrêt du 5 juillet 2013, 8ème et 3èmesous -sections réunies du Conseil d’Etat

 

   Le 2ème arrêt de l’année 2013 est moins favorable à l’exonération puisqu’il a débouté de leurs requêtes en annulation pour excès de pouvoir plusieurs demandeurs, notamment des syndicats de dermatologues, de chirurgiens esthétiques, de médecine morpho-esthétique et anti-âge, contre le rescrit n° 2012/25 publié le 27 septembre 2012.

 

   L’arrêt affirme d’abord (point 5) « qu’en prévoyant que, lorsqu’ils ne poursuivent pas une finalité thérapeutique, les actes de médecine et de chirurgie esthétique sont assujettis à la TVA, la décision attaquée se borne à réitérer la loi, laquelle est conforme aux objectifs des directives ainsi interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne. » Mais le Conseil d’Etat n’explique pas où la loi française prévoirait cette « finalité thérapeutique ». La loi française c’est uniquement l’article 261, 4, 1° qui exonère purement et simplement « les soins dispensés aux personnes par les membres des professions médicales et paramédicales réglementées », sans la moindre discrimination selon le but thérapeutique ou pas de l’acte médical ou paramédical. Et il a été démontré que « l’interprétation des directives par la CJUE » ne conduit pas - loin s’en faut - à une notion de « finalité thérapeutique » qui exclurait de l’exonération les actes de chirurgie esthétique par nature (cf. sur cette notion, les arrêts concernés dans La Lettre du Cabinet de décembre 2012, p. 4 et suiv., arrêts qui n’utilisent la notion de « finalité thérapeutique » que pour refuser l’exonération à des prestations non médicales, telles que expertises et prestations accessoires et d’économie ménagère). Cette première affirmation de l’arrêt du Conseil d’Etat apparaît en conséquence extrêmement critiquable.

 

   Puis, en son point 6, l’arrêt français affirme « qu’en subordonnant le bénéfice de l’exonération de TVA des actes de médecine et de chirurgie esthétique à la condition qu’ils soient pris en charge totalement ou partiellement par l’assurance maladie, la décision attaquée explicite sans les méconnaître, pour les actes de chirurgie et de médecine esthétique, la portée des dispositions du 1° du 4 de l’article 261 du code général des impôts, lesquelles ne portent pas atteinte au principe de neutralité du système commun de TVA. ». Mais l’article 261, 4, 1° ne prévoit nullement cette condition ni ne l’autorise, pas plus que la jurisprudence communautaire qui a, au contraire, expressément écarté le critère de la prise en charge par l’assurance maladie dans l’affaire Dornier susvisée !

 

   Enfin, le Conseil d’Etat refuse aux demandeurs de poser une question préjudicielle à la Cour de Luxembourg, sans la moindre motivation. Or, l’article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) impose aux juridictions nationales « dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne » de saisir la CJUE, et ce n’est qu’à titre exceptionnel que la juridiction nationale peut s’en dispenser, lorsqu’elle constate que « la question n’est pas pertinente » ou que « la disposition communautaire en cause a déjà été l’objet d’une interprétation de la part de la Cour » ou encore que « l’application correcte du droit communautaire s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable » (cf. notamment Cour Européenne des Droits de l’Homme, arrêt Cilfit c/ Ministère de la santé, 283/81, Rec. 1982, p. 3415).

 

   Dans la mesure où le refus de saisir la CJUE à titre préjudiciel d’une question relative à l’application du droit communautaire a déjà été jugé comme emportant violation de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatif au droit à un procès équitable, il est vraisemblable, mais je n’ai pas l’information, que les demandeurs déboutés ont saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme, siégeant à Strasbourg, contre l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 juillet 2013, ce qui devait être régularisé dans les 6 mois et donc le 5 janvier 2014 au plus tard.

 

 

 

Droit dans les autres pays membres de l’UE :

 

   En cet état qui conduit à la perplexité plutôt qu’à la confiance dans nos institutions judiciaires et gouvernementales, il était utile d’observer le traitement fiscal réservé aux prestations médicales dans les autres pays de l’Union européenne. Mon cabinet s’est donc livré à des recherches en cette matière, qui conduisent, sauf réforme récente ou erreur car l’information n’est pas toujours facile à obtenir, au constat ci-après :

 

   En Allemagne, Espagne, Irlande et Pays-Bas, les soins médicaux sont exonérés de TVA mais pas les actes de chirurgie esthétique à finalité purement cosmétique qui sont soumis à un taux de :

 

- 19 % en Allemagne

 

- 21 % en Espagne

 

- 13,5 % en Irlande

 

- 21 % aux Pays-Bas.

 

 

 

   Mais, dans chacun de ces quatre Etats, le droit fiscal national prévoit expressément l’exception à l’exonération de TVA pour les actes de chirurgie esthétique. Ce qui n’est pas le cas en France, puisque l’article 261, 4, 1° du code général des impôts exonère les soins dispensés aux personnes par les médecins sans aucune discrimination selon le but thérapeutique de l’acte.

 

 

 

En conclusion :

 

   Les médecins concernés disposent de solides arguments pour lutter, en l’état du droit français et communautaire, contre la position nouvelle de l’administration fiscale, qui n’a aucun pouvoir pour ajouter unilatéralement des éléments à l’article 261, 4, 1° du code général des impôts, lequel n’a pas été réformé, ce qui relève exclusivement du pouvoir parlementaire.

 

   Le Conseil d’Etat a annulé, à plusieurs reprises, des instructions de l’Administration fiscale ajoutant des dispositions nouvelles au code général des impôts français ou contraires au droit communautaire : par exemple, par un arrêt du 17 mai 2000 (8ème et 3ème sous-sections réunies, n° 199 306), le Conseil d’Etat a annulé les dispositions d’une circulaire du ministre de l’économie aux termes desquelles, en matière de TVA dans les établissements de restauration rapide, l’instruction ne s’était pas bornée à expliciter des dispositions du code général des impôts « mais y avait ajouté des dispositions nouvelles, de caractère réglementaire, qu’aucun texte ne l’autorisait à édicter ». Autre exemple d’annulation de dispositions d’une instruction par le Conseil d’Etat : celle de la directrice de la législation fiscale ayant limité, en matière de TVA, l’exception des ventes destinées à être consommées sur place à celles qui sont réalisées au moyen d’appareils de distribution automatique, disposition restreignant le champ d’application de l’article 278 du CGI considérée illégale par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 27 février 2006 (8ème et 3ème sous-sections réunies, n° 280 590).

 

   En matière de TVA sur les soins médicaux, à l’identique des espèces qui viennent d’être citées, l’Administration fiscale restreint le champ d’application de l’exonération prévue par l’article 261, 4, 1°, du code général des impôts qui ne prévoit aucune discrimination selon que les soins sont ou non pris en charge par l’assurance maladie.

 

   Pour l’ensemble de ces raisons, je persiste à considérer que l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 juillet 2013 entre parmi ceux présentant « une rigueur scientifique pouvant appeler une déférente querelle », pour reprendre le très respectueux commentaire de M. le Professeur Mémeteau concernant une autre jurisprudence et qu’à l’occasion des contestations et réclamations qui vont avoir lieu, le débat continuera sur la pertinence du critère nouveau brutalement imposé par l’Administration française. 

 

 

Source
La Lettre du Cabinet - Janvier 2014