Cession de contrat de médecin entre établissements de santé non acceptée par le praticien : résiliation imputable à la Clinique d’origine

Titre complément
(Cour d’appel Angers, 1ère ch. A, arrêt du 5 juillet 2011)
Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu

La « restructuration de l’offre de soins » conduit certains acteurs, propriétaires de cliniques privées, à s’en débarrasser en les cédant à diverses autres structures, groupements de coopération sanitaire voire hôpitaux publics. La présente affaire montre, s’il en était besoin, que ces solutions n’exonèrent pas les cliniques privées de leurs obligations à l’égard de ceux des médecins libéraux titulaires de contrats d’exercice n’ayant pas expressément accepté le transfert :

Une Clinique avait concédé à un anesthésiste un contrat d’exercice privilégié à durée indéterminée, sans indemnité en cas de rupture, mais avec obligation de respecter un délai de préavis dont la durée variait en fonction de celle d’exécution du contrat. La clinique vend ses biens, ses équipements, plateaux techniques et autorisations ainsi que « son activité médicale » à un centre hospitalier intercommunal. L’acte de cession comporte une clause précisant : « Contrat des praticiens : l’acquéreur fera son affaire personnelle de l’ensemble des contrats conclus entre les praticiens et le vendeur. L’acquéreur s’engage à prendre en charge les conséquences, y compris financières, de l’éventuel refus de l’un des praticiens ». En exécution de cette clause, l’hôpital propose à l’anesthésiste un « contrat d’autorisation à intervenir dans les structures d’hospitalisation spécifiques », offre de contracter que l’anesthésiste refuse, considérant que les règles qui lui étaient imposées n’étaient pas acceptables. Aucune conciliation n’étant intervenue, l’anesthésiste assigne la Clinique en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et obtient un jugement condamnant cette dernière pour rupture par son fait exclusif du contrat d’exercice privilégié à lui payer environ 500 000 €, l’hôpital public étant tenu au paiement en application de la stipulation pour autrui contenue dans le contrat de cession.

Une contestation de la compétence des tribunaux judiciaires est élevée par l’hôpital, qui se termine par un arrêt du Tribunal des conflits qui juge que la convention de cession était un contrat de droit privé, relevant de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. L’affaire revient en conséquence devant la Cour d’appel d’Angers dont l’arrêt mérite d’être cité par extraits :

« I) Sur l’imputabilité de la rupture du contrat d’exercice privilégié « Attendu que le contrat d’exercice privilégié qui liait le médecin à la Clinique depuis 1977 s’est trouvé automatiquement résilié en 1997, date à laquelle le centre hospitalier intercommunal, structure publique, a repris, à titre exclusif, l’activité médicale de cet établissement de santé privé ; que le centre hospitalier soutient que cette rupture serait imputable au praticien qui aurait refusé de conclure le contrat d’autorisation à intervenir dans les structures d’hospitalisation spécifiques […] alors que ce contrat lui laissait la faculté d’exercer librement son art au sein d’une clinique ouverte, et dans le strict respect des conditions de son contrat d’exercice privilégié ; qu’il admet que la valeur nominale des redevances perçues sur les honoraires des médecins était plus élevée que dans le cadre du contrat d’exercice libéral, mais affirme que ce désavantage aurait été compensé par la disparition de certaines dépenses (frais de secrétariat, de formation, de déplacement, d’aides opératoires, d’achat de matériel) qui, dans le secteur privé, restent à la charge du praticien ; […] ,

« Mais attendu que, au-delà de la question des redevances perçues sur les honoraires du praticien lesquelles passaient de 10 % à un minimum de 20 %, pouvant aller jusqu’à 60 % selon le barème prévu par l’article R. 714-37 du code de la santé publique alors applicable, et dont l’augmentation se trouvait partiellement compensée par le transfert de certaines charges de fonctionnement vers l’établissement de santé public, force est de constater qu’aucune disposition légale ou conventionnelle ne contraignait l’anesthésiste à exercer son art dans une structure de clinique ouverte qui, bien que préservant la liberté de choix du patient et la liberté d’exercice des praticiens qui acceptent d’y intervenir, reste soumise aux contraintes de gestion du service public hospitalier ;

« Que, dès lors, chacun des praticiens libéraux exerçant au sein de la Clinique demeurait libre de ne pas accepter le contrat de collaboration qui lui était proposé par le centre hospitalier et que l’anesthésiste ne peut se voir imputer comme une faute d’avoir décliner l’offre de contracter, ni celle plus avantageuse, annoncée par l’ARH ; […] Attendu que le jugement ne peut donc qu’être confirmé en ce qu’il a jugé que la rupture du contrat d’exercice privilégié de l’anesthésiste incombait exclusivement non pas au centre hospitalier au sein duquel ce praticien n’a jamais exercé son art, mais à la clinique qui, en vendant l’ensemble de ses biens immobiliers, des matériels, équipements et plateaux techniques servant à son exploitation ainsi que l’exclusivité de son activité médicale, s’est placée dans l’impossibilité absolue de poursuivre l’exécution de ses engagements envers son co-contractant ;

« II) Sur la sanction du non respect du délai de préavis

« Attendu qu’aucune des parties ne conteste que cette rupture unilatérale n’a pas été précédée du délai de préavis de deux ans auquel l’anesthésiste pouvait prétendre en application de l’article 10 de son contrat d’exercice privilégié ; que, d’ailleurs, les négociations sur la cession de la clinique sont demeurées confidentielles jusqu’au 1er juillet 1997, date à laquelle une réunion d’information a été tenue avec l’ensemble des médecins libéraux et a permis d’évoquer toutes les possibilités de rapprochement entre la clinique et l’hôpital […]

« Qu’il s’ensuit que le délai de préavis n’a pu, au mieux, courir qu’à compter du 2 septembre 1997, date à laquelle l’anesthésiste a reçu le projet de contrat d’intervention dans la clinique ouverte que l’hôpital avait reçu l’autorisation de créer et a pu opter, en connaissance de cause, sur sa collaboration avec cette structure de santé ; que le praticien a donc disposé d’un préavis effectif d’un mois au lieu des 24 mois auxquels les avantages acquis de son contrat d’exercice privilégié lui permettaient de prétendre ;

« Attendu que ce contrat ne stipulant pas les modalités de calcul de l’indemnité compensatrice de préavis, il appartient au juge d’en chiffrer le montant, en considération du préjudice qui en a résulté pour l’anesthésiste ;

« Que, pour fixer cette indemnité compensatrice à la somme de 499 136,22 €, les premiers juges ont retenu qu’elle devait réparer la perte de revenus des deux années d’activités supplémentaires que l’anesthésiste aurait été en droit d’exercer au sein de la clinique, perte calculée d’après les recettes déclarées fiscalement par l’intéressé au titre des années 1995 et 1996 ; qu’il convient en outre de rappeler que la cession de la clinique a permis à l’hôpital de reprendre, sans régler de droit de présentation, la patientèle d’un praticien anesthésiste qui exerçait depuis plus de vingt ans dans une structure chirurgicale et gynéco-obstétricale qui, constituant la seule maternité privée de la Mayenne, générait en 1996 un chiffre d’affaires de 30 MF ; qu’en outre l’anesthésiste justifie avoir été contraint, pour reprendre son activité de médecin anesthésiste au sein d’une nouvelle clinique après trois mois d’interruption, de conclure un contrat de succession emportant le versement d’un droit de présentation au praticien auquel il succédait, ainsi qu’un nouveau contrat d’exercice libéral qui ne reprenait pas les avantages acquis de son précédent contrat ; qu’il en a nécessairement résulté, pour lui, un préjudice financier dont le Tribunal a justement estimé la réparation ;

« Que le jugement sera donc également confirmé en ce qu’il a chiffré l’indemnité réparatrice de la rupture abusive du contrat d’exercice privilégié de l’anesthésiste à la somme de 499 136,22 € ;

« III) Sur le débiteur de cette indemnité

« Attendu qu’aux termes de la clause intitulée « contrats des praticiens » figurant dans l’acte de cession conclu entre la clinique et le centre hospitalier intercommunal, il était convenu que : "A compter du 1er octobre 1997, l’acquéreur fera son affaire personnelle de l’ensemble des contrats conclus entre les praticiens et le vendeur. […] L’acquéreur s’engage à prendre en charge les conséquences, y compris financières, de l’éventuel refus de l’un des praticiens." […]

« Qu’il ressort clairement que le cessionnaire, personne morale de droit public, s’engageait à tout mettre en œuvre pour assurer la pérennité de l’entité cédée et pour faciliter la "reprise" des contrats d’exercice liant la clinique aux praticiens, en créant à cette fin une clinique ouverte ; […]. »

La Cour d’Angers condamne en conséquence l’hôpital à payer l’indemnité compensatrice de rupture sans préavis, outre 8 000 € au titre des frais judiciaires exposés par l’anesthésiste pour faire valoir ses droits.

Un arrêt à faire lire à un certain nombre de gestionnaires d’établissements tentés d’imposer, à faible coût, actuellement présentées comme « inéluctables » ou « incontournables » des cessions de contrat d’exercice libéral à des structures publiques qui modifient substantiellement les conditions initiales acceptées par les praticiens, non tenus d’accepter, malgré certaines affirmations contraires, ce changement d’encadrement contractuel qui s’accompagne, en raison des nouvelles dispositions de la loi HPST, d’une disparition du paiement à l’acte des honoraires, l’hôpital public ou le GCS optant pour l’échelle tarifaire dite publique conformément aux dispositions de l’article L. 6133-8 du code de la santé publique, règle lui-même les honoraires des médecins libéraux, le plus souvent en réduisant leur capacité à facturer des honoraires complémentaires s’ils sont inscrits en secteur 2…

Source
La lettre du Cabinet - Septembre 2012