Arrêt du 13 octobre 2021, Cour d’appel de Rennes
Très rares sont les décisions judiciaires ayant pour objet un contentieux entre gynécologue-obstétricien et parturiente au sujet d’une mort du fœtus in utero causée par une villite/intervillite chronique placentaire, imprévisible d’après les experts et découverte grâce à l’examen anatomo-pathologique. Voici quasi-intégralement l’arrêt très récent qui déboute les parents de leur action en responsabilité civile professionnelle fondée sur une prétendue faute du médecin en présence d’un très net ralentissement de la courbe de croissance de l’enfant in utero qui, d’après eux, aurait dû le conduire à une pise en charge particulière avec des échographies supplémentaires et mesure de la hauteur utérine. La Cour de Rennes entérine le rapport d’expertise étayé par les recommandations de sociétés savantes, de la Haute Autorité de Santé et des données du Centre de référence des agents tératogènes, et de diverses publications.
« Mme E Y a été suivie pour sa première grossesse par le docteur X, installé en activité libérale à la Polyclinique de xxx, à compter du 28 mai 2013.
Quatre échographies ont été réalisées les 12 juin, 21 août, 2 octobre et 6 novembre 2013.
Le 6 novembre 2013 a également lieu l’examen du huitième mois par le docteur X.
Au regard de l’inquiétude exprimée par Mme Y, deux autres examens ont été réalisés par le docteur X le 22 novembre et le 6 décembre 2013.
Lors du monitoring de contrôle prévu le 16 décembre 2013, le docteur X a décidé de pratiquer une césarienne en urgence au regard des anomalies sévères du rythme cardial fœtal.
L’enfant est né sans signe de vie.
Par ordonnance du 12 février 2015, le juge des référés a ordonné une expertise médicale de Mme Y, confiée au docteur K A, gynécologue-obstétricien, expert agrée près la Cour de cassation.
Après avoir bénéficié de l’aide du docteur M., sapiteur pédiatre, cet expert a déposé son rapport le 28 octobre 2015.
Il y exclut toute faute du docteur X, considérant que les soins et traitements prodigués ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science.
Par jugement du 15 mars 2018, le tribunal de grande instance de Nantes a :
— rejeté la demande de contre-expertise,
— mis hors de cause le docteur X et la Polyclinique de xxx,
— rejeté les demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné Mme Y et M. Z aux dépens,
— dit n’y avoir lieu à l’exécution provisoire.
Le 3 mai 2018, M. C Z et Mme E Y ont interjeté appel de cette décision et aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 25 février 2021, ils demandent à la cour de :
— infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
À titre principal,
— dire et juger que le docteur X a commis les fautes suivantes dans la prise en charge de la grossesse de Mme Y :
- Absence de suspicion d’un retard de croissance intra-utérin,
- Absence de mesure de la hauteur utérine,
- Absence de prescription d’une échographie supplémentaire,
- Absence de prescription d’un doppler et d’une surveillance renforcée du rythme cardiaque fœtale,
- Manquement à l’obligation d’information,
— dire et juger que ces manquements ont entraîné le décès du fœtus,
— condamner en conséquence le docteur X à verser à Mme Y et à M. Z les indemnités suivantes :
- Préjudice moral lié à la naissance d’un enfant mort-né : 50 000 euros pour chacun des parents, soit 100 000 euros pour les deux,
- Préjudice moral lié au défaut d’information : 15 000 euros chacun, soit 30 000 euros pour les deux,
- Déficit fonctionnel temporaire : 2 500 euros pour Mme Y,
- Souffrances endurées : 15 000 euros pour Mme Y,
- Préjudice esthétique : 1 500 euros pour Mme Y,
- Préjudice sexuel : 5 000 euros pour chacun, soit 10 000 euros pour les deux,
- Frais divers : 3 190 euros pour M. Z et Mme Y,
— condamner le docteur X aux dépens de l’instance,
— condamner le docteur X à payer aux requérants une indemnité de 5 100 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
À titre subsidiaire,
— constater que les requérants présentent une critique sérieuse et étayée du rapport du docteur A, dont les conclusions contraires à celle du professeur B., également expert judiciaire, semblent s’éloigner sur certains points des données acquises de la science révélées par les recommandations du Collège Nationale des Gynécologues et Obstétriciens Français,
— dire et juger que ce rapport apparaît insuffisant pour éclairer la cour sur la conformité des soins du docteur X,
— dire et juger qu’une mesure de contre-expertise est nécessaire pour arbitrer le débat médico-légal existant,
— désigner tel expert qu’il plaira avec une mission identique à la première,
— déclarer la mesure opposable aux parties mise en cause, en ce comprise la Polyclinique de xxx, dont la présence à l’expertise et aux débats s’avère indispensable,
— débouter en conséquence la Polyclinique de xxx de sa demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 6 septembre 2018, M. G X demande à la cour de :
— le recevoir en ses écritures les disant bien fondées,
À titre principal :
— confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nantes le 15 mars 2018,
Et partant,
— débouter Mme Y et M. Z de l’intégralité de leurs demandes dirigées à son encontre,
— condamner Mme Y et M. Z à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner Mme Y et M. Z aux entiers dépens de la procédure en ce compris les frais d’expertise,
À titre subsidiaire :
— réduire les sommes sollicitées Mme Y et M. Z à de plus justes proportions.
Par dernières conclusions notifiées le 24 octobre 2018, la Polyclinique de xxx demande à la cour de :
— déclarer irrecevable la demande de contre-expertise,
— dire que l’opposabilité d’une mesure de contre-expertise à l’établissement de soins n’est ni justifiée
ni fondée et la rejeter,
— homologuer le rapport d’expertise du docteur A,
— débouter Mme Y et M. Z de l’intégralité de leurs demandes,
— condamner les mêmes à lui verser la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 20 mai 2021.
La Compagnie d’assurances n’a pas constitué avocat dans le délai prescrit. La déclaration d’appel ainsi que les conclusions d’appelants ont été signifiées à personne habilitée le 31 juillet 2018.
La CPAM de Nantes n’a pas constitué avocat dans le délai prescrit. La déclaration d’appel ainsi que les conclusions d’appelants ont été signifiées à personne habilitée le 6 août 2018.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Au soutien de leur appel, M. Z et Mme Y expliquent que le très net ralentissement de la courbe de croissance de l’enfant aurait dû alerter le docteur X.
Ils estiment que ce défaut de diagnostic de ce retard de croissance in utero a empêché une prise en charge adéquate.
Ils entendent se fonder sur les recommandations du Collège National de Gynécologie qui obligent à qualifier de retard de croissance intra-utérin au vu du seul déclin de la courbe de croissance même en l’absence d’un petit poids pour l’âge.
Ils considèrent qu’une surveillance particulière (notamment par des échographies supplémentaires) aurait dû être mise en place par le médecin.
Les appelants signalent que les trois échographies d’août, d’octobre et de novembre 2013 mettent en évidence un infléchissement de la croissance du fœtus.
Ils indiquent que le défaut de diagnostic du retard de croissance in utero résulte également dans le fait que le docteur X a cessé de mesurer la hauteur utérine au mois de novembre alors que cette mesure peut constituer des signaux d’alerte dans le diagnostic du retard de croissance intra-utérin.
Ils déplorent le refus du docteur X de pratiquer une échographie le 6 décembre 2013, qui aurait permis de déterminer des anomalies alarmantes, ainsi qu’une surveillance du rythme cardiaque du fœtus insuffisante.
M. Z et Mme Y signalent l’absence d’information sur le retard de croissance in utérin.
À titre subsidiaire, ils demandent une contre-expertise si la cour n’était pas suffisamment éclairée par leurs pièces.
En réponse, M. B conteste le principe de sa responsabilité en estimant n’avoir commis aucun manquement dans la prise en charge de la parturiente.
Il s’oppose à la demande de contre-expertise.
La Polyclinique de xxx signale que la demande de contre-expertise, en ce qu’elle est dirigée contre elle, ne s’accompagne d’aucune conclusion sur sa responsabilité et qu’ainsi la demande de contre-expertise est irrecevable.
Pour l’établissement, les opérations diligentées par l’expert sont régulières. Il fait état des compétences de l’expert et juge qu’il a répondu aux questions des parties et a tenu compte des observations du Collège Nationale des Gynécologues et Obstétriciens Français et des recommandations de la Haute Autorité de Santé.
La polyclinique remarque qu’aucun manquement n’est allégué à son encontre.
— Sur la responsabilité médicale :
Au visa de l’article L 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins, ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
Le médecin est tenu d’une obligation de moyen.
Le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF) indique que le retard de croissance intra utérine correspond à un petit poids pour l’âge gestationnel, soit un poids inférieur au 10e percentile associé à des arguments en faveur d’un défaut de croissance pathologique tel qu’un arrêt ou un infléchissement de la croissance de manière longitudinale, ou une hauteur utérine insuffisante.
Selon l’expert, l’échographie à 22 semaines d’aménorrhée (SA) permet de dépister les retards de croissance intra utérine sévères et l’échographie à 32 SA les retards de croissance intra utérine modérés et tardifs.
Dans le cas présent, il résulte du dossier que :
— pour l’échographie du 21 août 2013 à 22 SA : le périmètre abdominal était de 182,5 mm (65e percentile) et le poids fœtal estimé à 505 gr (50e percentile),
— pour l’échographie du 2 octobre 2013 à 28 SA : le périmètre abdominal était de 234,8 mm (50e percentile) et le poids fœtal estimé à 1 246 g,
— pour l’échographie du 6 novembre 2013 à 33 SA : le périmètre abdominal était de 267,6 mm (15e percentile) et le poids fœtal estimé à […].
La norme de référence pour un petit poids pour l’âge gestationnel est un poids au 10e percentile.
La comparaison des mesures notées lors des échographies ne met pas en évidence un retard de croissance intra utérine.
De ces échographies, aucun signe d’alerte n’est perceptible.
Ces échographies sont restées dans la norme.
Les appelants entendent se prévaloir de l’avis du professeur B. qui estime qu’une échographie s’imposait au regard de l’évolution de la courbe de croissance entre 27 SA et 33 SA. Ils considèrent qu’il y a un ralentissement manifeste de la courbe de croissance. Or les résultats des échographies sont dans la norme, comme l’a indiqué l’expert judiciaire et la hauteur utérine était normale en novembre ainsi que les autres données.
Les recommandations du CNGOF expliquent : 'les courbes de poids de naissance ne sont pas adaptées à un repérage du retard de croissance intra utérine. Le dépistage échographique du retard de croissance intra utérine est faible avec une sensibilité de 22 % en France. L’estimation du poids fœtal par l’échographie ne dépasse pas une fiabilité de plus ou moins 20 %. Ainsi, pour 5 % des patientes, l’écart poids fœtal estimé et le poids réel est de 20%'.
Une autre étude montre que seulement 21 % des enfants nés avec un faible poids de naissance ont été diagnostiqués pendant la grossesse.
Il ne peut être reproché à M. X de ne pas avoir suspecté un retard de croissance intra utérine.
De l’avis de l’expert, le retard de croissance in utero peut être suspecté si la hauteur utérine est insuffisante étant précisé que la mesure de la hauteur utérine ne détecte que la moitié des retards de croissance in utero.
Concernant la mesure de la hauteur utérine, cette dernière était de :
— 15 cm (soit normale) le 18 juillet 2013, au 4e mois,
— 19 cm (soit normale) le 21 août 2013, au 5e mois
— 27 cm (soit proche de la norme qui est à 28 cm) le 10 octobre 2013, à 29,4 SA
— 29 cm (soit normale) le 6 novembre 2013 à 33,5 SA (8e mois).
Les recommandations du CNGOF demandent une échographie supplémentaire dans l’hypothèse d’une mesure anormale.
Dans le cas présent, cette mesure est normale.
L’échographie pratiquée le 6 novembre 2013 ne montrait aucun signe alarmant et l’enregistrement du rythme cardiaque fœtal est normal (tout comme celui du 12 novembre 2013). À cette date, la croissance fœtale, estimée échographiquement, est restée dans la normale au-dessus du 10e percentile.
L’absence de prescription d’un doppler ou l’absence de surveillance renforcée du rythme cardiaque fœtal ne peuvent être reprochées à M. X puisque la mesure de la hauteur utérine est normale et ne fait rien suspecter.
Si M. Z et Mme Y écrivent que la hauteur utérine 'était très certainement en deçà de la normale lors des consultations de décembre', ils émettent une supposition qui n’est corroborée par aucun document probant.
Contrairement aux écritures des appelants, l’expert judiciaire a pris en compte la mesure de la hauteur utérine même si leur interprétation des données médicales est différente.
Le fait pour l’expert judiciaire de préciser que la mesure de la hauteur utérine ne dépiste que la moitié des retards de croissance intra utérine est une donnée médicale et ne signifie aucunement que l’expert judiciaire n’avait aucun intérêt pour cette mesure.
Le col et le rythme cardiaque sont contrôlés le 22 novembre 2013 à 35 SA par la sage-femme qui constate un rythme normo oscillant, réactif, sans contraction.
Le premier fait alarmant a lieu le 16 décembre 2013, jour où Mme Y a déclaré ne plus sentir le bébé depuis le matin.
Des anomalies sévères du rythme cardiaque fœtal ont été soulignées.
M. X est intervenu immédiatement après l’appel de la sage-femme.
L’examen anatomo-pathologique de l’enfant effectué en mars 2014 a conclu à un poids de naissance au 5e percentile et à un placenta hypotrophe avec villite et intervillite chronique. Il est estimé que l’importance des lésions de la villite et d’intervillite chronique peut être responsable du décès fœtal. Le diagnostic de la villite et intervillite ne peut être effectué que sur un examen anatomo-pathologique du placenta. La villite et l’intervillite étaient imprévisibles selon l’expert.
Il ne peut être reproché de faute à M. X dans le suivi de la grossesse de Mme Y.
Le jugement critiqué est confirmé à ce titre.
Selon les dispositions de l’article L 1111-2 du code de la santé publique, toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposées, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.
M. Z et Mme Y ne peuvent reprocher à M. X l’absence d’information sur l’existence des risques graves liés à un retard de croissance intra-utérin, ce retard n’ayant pas été diagnostiqué et n’ayant pas lieu d’être diagnostiqué.
Le jugement est confirmé à ce titre.
— Sur la contre-expertise :
Une expertise a été ordonnée. L’expert est gynécologue-obstétricien, diplômé en réparation du dommage corporel, expert près la cour d’appel de Paris agréé près la Cour de cassation et expert national CNAMed, supposant ainsi des compétences avérées et certaines.
Les avis médicaux au soutien de la demande de contre-expertise sont antérieurs à l’expertise et l’expert y a répondu clairement.
L’expert s’est adjoint les compétences d’un sapiteur pédiatre. Il a procédé objectivement à l’analyse des données et du suivi médical de la grossesse de Mme Y en tenant compte des recommandations du CNGOF, de la Haute autorité de santé et des données du Centre de référence des agents tératogènes.
Il s’est appuyé également sur les recommandations du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français et sur des études médicales.
Il a répondu aux dires des appelants.
Ces différents éléments justifient qu’une contre-expertise ne soit pas ordonnée.
M. Z et Mme Y sont déboutés de leur demande (sans qu’il ne soit besoin de statuer sur la prétention tirée de l’irrecevabilité de la Polyclinique de xxx).
Le jugement critiqué est confirmé à ce titre.
— Sur les autres demandes :
Les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.
L’équité ne commande pas de faire application de l’article 700 du code de procédure civile. La Polyclinique de xxx et M. X sont déboutés de leur demande.
M. Z et Mme Y ayant succombé en leur appel supporteront les dépens de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe :
— Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
— Déboute la Polyclinique de xxx et M. X de leur demande en frais irrépétibles ;
— Condamne M. C Z et Mme L M aux dépens d’appel. »