Infection nosocomiale et cause étrangère

Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu

Aux termes de l'article L. 1142-1.-I., 2ème alinéa du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, et sous réserve des dispositions de l'article L. 1142-1-1, créé par la loi n° 2002-1577 du 30 décembre 2002, les établissements et services sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales " sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ".
Avant la loi Kouchner, l'infection nosocomiale engageait déjà la responsabilité de l'établissement et des médecins intervenus dans le cadre d'une obligation de sécurité de résultat, dont les établissements ne pouvaient s'exonérer que par la preuve d'une cause étrangère (article 1147, code civil), laquelle doit présenter habituellement les caractères de la force majeure : imprévisibilité, irrésistibilité ou évitabilité, extériorité.
La preuve de l'absence de faute commise par un établissement de santé dans sa démarche de lutte contre le risque d'infection nosocomiale et de ses efforts de prévention ne modifie en rien l'engagement de sa responsabilité et son obligation à indemniser dès lors que l'incapacité permanente du malade est inférieure ou égale à 25%. Au-delà, c'est l'ONIAM qui paie, avec une possible action récursoire contre les professionnels et/ou établissements de santé " en cas de faute établie à l'origine du dommage " (art. L. 1142-21, 2è alinéa, code de la santé publique).
Dans une excellente étude intitulée " Une analyse de l'obligation de sécurité à l'épreuve de la cause étrangère ", publiée au Recueil Dalloz, le Professeur Fabrice Defferrard conclut : " La preuve de la cause étrangère n'est pas expressément interdite dans son principe, mais elle n'est jamais accueillie en pratique", s'agissant particulièrement d'atteintes à l'intégrité physique ou à la santé.
La jurisprudence devrait-elle dès lors modifier la définition de la cause étrangère, ce que certains ont cru discerner dans un arrêt rendu le 10 juin 1998 par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, admettant qu'une " maladie irrésistible constitue un événement de force majeure bien que n'étant pas extérieure au malade " ? L'espèce s'avérait très particulière, puisque la force majeure était invoquée par une élève préparant dans une école privée un CAP de coiffure ayant arrêté, malgré une clause con-traire du contrat jugée abusive par l'arrêt, le paiement de ses mensualités de scolarité dès lors que, tombée malade, elle a cessé les cours, ce qui a été considéré comme un cas de force majeure exonératoire de l'obligation de payer, bien que l'évènement n'était pas " extérieur " à la demanderesse.
Les décisions postérieures n'ont pas réglé le problème en matière d'infection nosocomiale et la question demeure posée sur l'effet de la prévisibilité de la cause étrangère.
Le droit français actuel de l'infection nosocomiale relève de la caricature juridique, procédant de plusieurs années de maltraitance d'un sujet sur lequel le souci de favoriser l'intérêt supérieur des patients et de leur éviter la charge de la preuve, et celle de procédures parfois longues et compliquées, a con-duit à la contamination du droit de la responsabilité médicale par le droit à l'indemnisation.
Il est urgent de réformer le droit de l'infection nosocomiale, ou de modifier la définition de la " cause étrangère ", puisqu'elle ne constitue pas une cause exonératoire admise, en pratique, en cette matière où néanmoins l'exonération (en l'absence de faute) serait légitime, en droit, ce qui ne signifie pas que le patient ne serait pas indemnisé, et motivante pour les équipes soignantes !

Source
Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Juillet 2005