Raisons légitimes de ne pas effectuer le préavis avant rupture d’un contrat d’exercice libéral de la chirurgie

Titre complément
(Cour d’appel de Dijon, 1ère ch. civ., arrêt du 26 juin 2012, n° 11/01143)
Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu

Une clinique de Dijon reprochait à un orthopédiste de ne pas avoir respecté, avant de la quitter, le préavis de 24 mois auquel il était tenu conformément aux usages professionnels et lui réclamait 1 223 645 € en réparation de son manque à gagner causé par le départ brutal du chirurgien. Ce dernier plaidait que ladite clinique, dépendant désormais du groupe Générale de Santé, avait entrepris une réorganisation de l’activité de ses blocs opératoires, avait modifié, dans leurs jours et amplitude, les vacations de bloc du chirurgien, la direction prenant l’initiative de supprimer les dernières opérations de la journée pour éviter au personnel infirmier de terminer tard.

La Cour d’appel a analysé la situation et l’arrêt mentionne : « Attendu que s’il appartient à l’administration de l’établissement de s’assurer que le programme des interventions chirurgicales est compatible avec la présence des autres praticiens, notamment les médecins anesthésistes et avec les horaires du personnel soignant, ainsi que plus généralement avec la sécurité des patients, il revient néanmoins au chirurgien seul d’apprécier l’ordre et la durée de ses opérations ; que si elle avait constaté des dépassements importants et réitérés du seul fait du chirurgien, la Clinique aurait été autorisée à rompre son contrat sans respecter le préavis de 24 mois ; que parallèlement le chirurgien constatant le non-respect de ses prérogatives pouvait légitimement souhaité partir rapidement ».

La Cour observe que l’orthopédiste avait, dans sa lettre de résiliation, annoncé son départ à l’issue d’un préavis limité à trois mois, compte tenu des modifications substantielles dont il était victime, mais avait, pendant la tentative de conciliation, dont la Clinique avait retardé l’organisation, proposé de continuer à exercer quelques mois de plus à temps partiel, ce qu’il a fait. La direction a alors déprogrammé les patients et immédiatement enlevé le nom du chirurgien de tous les panneaux et plannings, la Cour retenant que « cette attitude, après plusieurs mois d’échanges quasi quotidiens de lettres de récriminations réciproques, révèle que la Clinique ne tenait pas à ce que la collaboration du chirurgien perdure […] ; la demande de dommages et intérêts de la Clinique n’est donc pas justifiée, d’autant qu’elle-même est au moins pour partie à l’origine du préjudice qu’elle invoque, du fait qu’elle n’a expressément formulé son désaccord que juste avant l’échéance et qu’elle était manifestement peu encline à la recherche d’un compromis et a exigé que le chirurgien s’en tienne à sa première proposition ».

En revanche, le chirurgien est débouté de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts à l’encontre de la Clinique en réparation des défaillances chroniques de celle-ci dont la fourniture des moyens et la réduction des vacations avaient limité l’activité de l’orthopédiste.

Cette décision est conforme à la jurisprudence habituelle : le délai de préavis doit être respecté sauf circonstances d’une particulière gravité dont la preuve incombe à l’auteur de la réduction unilatérale de la durée. Il ne suffit pas d’affirmer pour démontrer. En l’espèce, l’orthopédiste prouvait l’intrusion de la direction dans l’organisation de ses plannings et la suppression de plusieurs malades en fin de journée ainsi que le changement sans l’accord du praticien de ses vacations hebdomadaires. La Cour a donc parfaitement jugé que le chirurgien avait des raisons légitimes de ne pas effectuer le préavis d’usage de 24 mois et qu’il n’a pas commis de faute dans les conditions de la rupture de son contrat avec la Clinique.

Source
La lettre du Cabinet - Septembre 2012