Suicide d’un gynécologue-obstétricien mis en cause par une patiente

Auteur(s)
Isabelle Lucas-Baloup
Contenu
Le 1er octobre, un gynécologue-obstétricien âgé de 60 ans, mis en cause après une hystérectomie compliquée par des lésions de l’appareil urinaire, s’est suicidé par pendaison. La Clinique de Montbéliard dans laquelle il exerçait a publiquement témoigné qu’il avait exercé depuis 30 ans sans incident et « dénoncé l’acharnement médiatique à son encontre comme l’irresponsabilité de certains journalistes locaux »[1]
 

 

Sur l’ensemble des morts de médecins par an, 14 % auraient pour cause un suicide[2], contre 5,6 % dans la population française en général. Certains plus publics que d’autres : évidemment quand, le 1er avril, le médecin d’une émission dite de téléréalité écrit, avant de se donner la mort : « Ces derniers jours mon nom a été sali dans les médias. Des accusations et supputations injustes ont été proférées à mon encontre […]. Je n’oserai plus croiser un regard en France sans me poser la question de savoir s’il est rempli de méfiance envers moi. Reconstruire cette réputation détruite me serait insupportable, c’est donc mon seul choix possible », le PDG de TF1 défraie la chronique en laissant à leur conscience les auteurs des propos anonymes tenus sur les circonstances du décès quelques jours plus tôt d’un candidat de Koh-Lanta « ainsi que ceux qui les ont colportés avant même que toute la lumière ait été faite sur ce drame » intervenu au Cambodge le premier jour de tournage.  

 

Quand un urgentiste désespéré du CHU de Rouen, âgé de 28 ans, se jette du onzième étage, le quotidien local se contente de rapporter les commentaires du Parquet « Le décès ne pose aucune difficulté sur le plan judiciaire » et de signaler « La victime aurait laissé un courrier expliquant son geste »[3]. Idem pour un urgentiste de 43 ans à Lannion (Côtes d’Armor) ou un anesthésiste de Montpellier ayant reconnu « une erreur médicale »[4].

 

Personnellement, je n’oublierai jamais cette absorption d’une dose létale par un de mes clients gynécologue le jour de sa libération après deux mois de « préventive » pour suspicion d’attouchements sur une jeune fille venue le consulter à l’insu de ses parents pour obtenir une IVG. Et - comble de la frustration pour l’avocat - le décès de l’accusé met fin à l’action publique puisqu’on ne peut pas poursuivre un mort, donc impossible d’obtenir un non-lieu ou une relaxe, impossible de démontrer que les fautes invoquées ne sont pas constituées, au moins pour que les enfants de l’accusé puissent assortir leur deuil d’une restauration de l’honneur et la probité du de cujus volontairement disparu.

 

En effet, si dans certains cas la presse s’avère quasi silencieuse sur les faits, dans d’autres affaires c’est le contraire et on invente à l’envi ce qui est loin d’être établi.

 

Le suicide éteint alors l’action publique mais pas l’action médiatique, ni malheureusement l’immarcescible bêtise de ceux qui perdurent sans la moindre éthique journalistique dans une confusion intolérable entre présomption d’innocence et présomption de culpabilité, allant jusqu’à affirmer que « le suicide prouve la faute ».

 

Sur ce terrain, la presse et la justice se rejoignent trop souvent dans une démarche de broyeurs de réputation. Des petits Outreau chez les médecins il y en a trop. De pleines pages de commérages commençant par « D’après la famille de la victime », se poursuivant par « De source judiciaire sûre » et se terminant par « Le Docteur … contacté par la rédaction a refusé de s’exprimer préférant se retrancher derrière le secret professionnel ». Oui, bien sûr, car de source sûre le secret médical lie le praticien mais pas les parties civiles, qui peuvent décrire leur propre vérité et se faire photographier en tenue de victimologie. En revanche, si le médecin parle il commet une infraction que le juge pénal, le juge ordinal et le juge civil lui reprocheront à coup d’indécentes sanctions et sans excuse de provocation.

 

Plusieurs années plus tard, parfois dix ou douze, un lecteur attentif lira quelques lignes au milieu de la rubrique « Faits divers », visant – preuve éclatante de l’objectivité de la presse - un jugement le plus souvent considéré comme une offense à la victime, censé restaurer dans son honneur, mais sans conviction et parfois avec désinvolture, le médecin dont l’incompétence, la négligence, les carences avaient fait la Une de l’actualité, les gros titres en couleur, les appels à manifester, à boycotter, à marginaliser le spécialiste pour l’empêcher de récidiver dans l’atteinte insupportable à la santé d’autrui, pour qu’enfin « çà n’arrive plus aux autres, pas à la mère, pas à la fille » du lecteur dont on connait la propension naturelle à s’assimiler naturellement à la patiente plutôt qu’à l’ignoble docteur. Et les mêmes journalistes ou leurs successeurs de se livrer encore à un commentaire sur l’impéritie des experts judiciaires qui ont soutenu leur confrère et sur « l’angélisme ambiant qui fait la part belle aux délinquants » du côté des magistrats que Madame Taubira conduit inconsciemment à se tromper de débat compassionnel.

 

L’épuisement émotionnel du médecin agressé, diffamé, déchiré, démystifié par les allégations mensongères publiées à son encontre, sans possibilité de répliquer autrement qu’en prouvant la qualité de son intervention - c’est-à-dire en attendant la fin des expertises et le prononcé des décisions judiciaires subséquentes - le conduit à considérer le suicide comme une solution immédiate rationnelle. Le médecin en souffrance s’isole, refuse l’assistance de ses collègues, constate son impuissance à se rétablir socialement et le risque se développe vite d’un passage à l’acte réussi.

 

Le médecin suicidaire n’est pas un malade comme les autres.

 

 Il ne se suicide pas comme un agriculteur victime de la politique agricole commune qui se pend dans sa grange ou comme le 23ème agent de France Télécom mettant fin à ses jours sur son lieu de travail en 18 mois. Ces gestes désespérés terrifiants devraient conduire systématiquement à une autopsie du suicide, qui n’a jamais lieu lorsque c’est le médecin lui-même qui a conduit à l’irréparable. Pas de « cellule psychologique » pour sa famille, pas de « débrayage » dans la profession, juste un peu de compassion et, sur le plan matériel que gère souvent l’avocat dans ces cas-là pour la veuve et les orphelins : pas d’indemnité pour se retourner, se réorganiser, car le suicide exclut l’obligation de payer dans les contrats d’assurance que le médecin avait souscrits au sein de son cabinet libéral.

 

Le suicide communique donc un message qui ne sert strictement à rien d’utile dans le contexte contemporain, c’est le suicide comptant pour rien, dans l’indifférence et le silence. Seuls les proches et la famille du praticien en subissent les conséquences, les pires des conséquences.

 

Tout médecin peut commettre un jour une erreur et cette erreur peut provoquer des conséquences majeures. Il est responsable de ses actes. Si l’erreur est démontrée, la victime et/ou ses ayants droit, seront indemnisés dans le cadre de l’assurance obligatoire qui couvre la responsabilité du professionnel libéral. Il n’est pas question de minimiser ici la souffrance des victimes, directes et indirectes, qui doivent être entendues, respectées et indemnisées puisque leurs préjudices subis ne peuvent souvent pas être réparés autrement.

 

Mais il est urgent de respecter également celui qui est accusé tant que sa faute n’est pas démontrée. Il est criminel d’annoncer publiquement son impéritie sur le seul fondement de déclarations faites avec l’émotion de ceux qui souffrent, envers lesquels la presse commet un choix immédiat : celui qui pleure a raison, parce qu’humainement et en première intention on a tous envie d’aider et de soulager celui qui pleure, plutôt que celui qui est accusé par celui qui pleure d’être l’auteur du drame qui fait pleurer.

 

Il relève du devoir de la presse de communiquer sur ces faits avec un discernement tout particulier, dès lors je le répète que le médecin accusé n’est pas autorisé à répondre à une interview, à se justifier, à produire son dossier, dans ce débat médiatique qui ne prend en considération alors que la seule position à charge. Plus tard, si le tribunal saisi a analysé les rapports d’expertise et qu’il est acquis que le médecin a démérité, qu’il s’est révélé incompétent ou négligent, alors mais seulement à ce moment-là les sanctions doivent l’atteindre : indemnisation des victimes, obligation de retourner dans un CHU ou à la Faculté pour perfectionner ses connaissances et sa pratique, voire suspension du droit d’exercer si l’erreur est en l’espèce une faute grave déontologiquement non admissible.

 

Mais de grâce MM. les journalistes, laissez au temps judiciaire le soin d’accomplir sa mission, d’enquêter, d’instruire, de débattre à armes égales et de juger, avant que de clouer au pilori celui qui s’est peut-être trompé en pratiquant son métier, peut-être pas.

 

Que le jugement de relaxe soit annoncé avec la même publicité que les propos diffamatoires furent publiés !

 

Sinon, les statistiques de suicides dans la catégorie socio-professionnelle des médecins français continueront à évoluer dans l’indifférence générale et la seule souffrance de la famille des disparus laquelle n’éteint malheureusement pas la souffrance des victimes des erreurs médicales si bien qu’en cette matière on ne trouve qu’un seul gagnant : la presse manquant de rigueur, de prudence, de discernement, celle qui sait que le médecin diffamé ne peut pas répondre immédiatement, celle qui préfère courir le risque d’un suicide plutôt que de perdre une occasion de vendre du papier. J’en ai vu tant depuis trente ans que j’en suis le témoin agacé, bien que soulagée que lorsque j’ai craint ce passage à l’acte par certains médecins particulièrement discrédités de la manière la plus inéquitable et scandaleuse qui soit, ils aient courageusement fait un autre choix que celui de succomber face à l’opprobre et l’ignominie.

 

Le médecin peut tuer. Le journaliste aussi. Ce n’est pas nouveau. Mais le premier, lorsqu’il ne se suicide pas, est poursuivi et jugé. Force est de constater et regretter qu’il est rare qu’en cette matière la presse soit sanctionnée à l’aune de la gravité de ses propres erreurs.


[1] cf.www.lequotidiendumedecin.fr.

[2] cf. Bulletin Ordre des médecins, n° 1 sept-oct. 2008, p. 26 : « 14% des décès des médecins libéraux en activité ont pour cause le suicide ».

[3] cf. www.paris-normandie.fr/actu/un-medecin-urgentiste-se-suicide-du-11-eme-etage/.

[4] cf.le.figaro.fr/flash-actu/.
Source
Gynéco-Online - Novembre 2013