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Césariennes de confort : qui le décide, la parturiente ou le médecin ?
Isabelle Lucas-Baloup

Résumé :

Depuis que la Loi dite Kouchner a écarté le « paternalisme éclairé » du médecin, en vertu duquel il conseillait la parturiente avec autant sinon plus de conscience et de diligence que s’il s’agissait de sa propre fille, la patiente est souveraine pour prendre toutes décisions relatives à sa santé, après avoir été bien informée. C’est donc la « parturiente qui décide ». Pour autant, l’obstétricien n’est pas tenu de faire n’importe quoi. Après avoir évalué le bénéfice/risque, il peut parfaitement refuser de pratiquer une césarienne « de convenance », à condition d’en informer la femme en temps opportun pour lui permettre de mesurer les conséquences de son choix et, le cas échéant, de trouver un autre médecin avec lequel elle s’entendra sur la gestion de sa grossesse et de son accouchement…

Les textes légaux et réglementaires qui répondent à la question :

•Article L. 1111-4, CSP :
« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. […] »

« Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. […] »

•Article L. 1111-2, CSP :
« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. […] »

•Article L. 1110-1, CSP :
« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. […] »

•Article R. 4127-40, CSP :
« Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié. »

•Article 16-3, code civil :
« Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir. »

En l’état du droit français, depuis la loi du 4 mars 2002 qui a introduit au code de la santé publique les trois premiers articles ci-dessus, il est clair que la parturiente décide souverainement ce qui relève de son état de santé, après avoir été informée de l’évaluation du bénéfice/risque et des alternatives possibles.

L’obstétricien, quant à lui, après avoir satisfait à son obligation d’information telle qu’encadrée ci-dessus, en avoir soigneusement conservé la trace, éventuellement orienté la parturiente vers un confrère pour obtenir un second avis, peut refuser de pratiquer une césarienne qui exposerait la femme enceinte à un risque injustifié. Il est fondé alors à viser sa clause de conscience et refuser d’accoucher la parturiente, à condition de le décider en temps opportun pour permettre, s’il se dégage de sa mission, de transmettre le dossier au médecin désigné par la femme avec les informations utiles à la suite des soins (article R. 4127-47, CSP).

La jurisprudence :

La jurisprudence sanctionnant l’erreur d’indication, le refus fautif de prévoir une césarienne « dite de confort » dans la question qui m’est posée, est plus rare que celle relative aux fautes dans la réalisation de la césarienne, ou le retard à la décider ou la pratiquer en urgence, lorsque l’accouchement est commencé. Deux arrêts peuvent être cités :

•La cour d’appel de Paris a jugé, le 6 décembre 1995, que « la césarienne n’est jamais une opération de confort, puisqu’elle suppose une chirurgie à ventre ouvert, mais une complication pathologique de la grossesse » (cf. 7ème chambre, aff. n° 94/22016), dans un contentieux opposant la parturiente à sa compagnie d’assurance pour la prise en charge des frais supplémentaires induits par la césarienne.


•Pour la cour de Nîmes, le gynécologue-obstétricien engage sa responsabilité pénale dès lors qu’il a accepté de pratiquer un accouchement, intervenant normalement le 14 décembre, à une date qui avait la convenance des parents « pour favoriser la présence du père », le 2 décembre, alors qu’il ressort de l’expertise médicale que les conditions habituellement requises pour réaliser un accouchement de convenance n’étaient pas réunies en l’espèce. Condamnation du médecin à 4 mois de prison avec sursis, une amende de 1 000 €, 8 000 € à la mère et 6 000 € au père pour préjudice moral, l’enfant étant décédé le lendemain des suites d’une souffrance fœtale aiguë (cf. arrêt du 13 avril 2006, chambre des appels correctionnels, aff. n° 06/00394).
Je n’ai pas trouvé de décision judiciaire prononcée à la suite d’une action engagée par un enfant, après sa majorité, reprochant au praticien d’avoir accepté, pour sa naissance, à la demande d’un ou des deux parents, une césarienne de convenance, sans contre-indication d’un accouchement par voie basse, laquelle se serait néanmoins compliquée et aurait provoqué un préjudice corporel à l’enfant dont il demanderait - 18 ans plus tard - réparation. C’est néanmoins tout à fait possible et je ne puis que conseiller aux obstétriciens de conserver soigneusement les preuves de l’information qu’ils ont donnée aux parents à distance de l’accouchement, sur le bénéfice/risque en insistant sur les complications éventuelles.

C’est un beau sujet qui, dans une approche éthique mais aussi très pratique, implique une réflexion sur les motivations, parfois irrationnelles, de la mère, lorsqu’elle s’éloigne du conseil de son praticien et sur les concours utiles pour faire évoluer son opinion (consultation d’un psychiatre ou d’un psychologue, en raison d’une peur pathologique de l’accouchement, ou encore du médecin de famille, d’un autre spécialiste, etc.).

Gynéco Online - Décembre 2010
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Comment responsabiliser les patientes qui ne respectent pas les recommandations ?
(arrêt Cour administrative d’appel de Douai, 18 décembre 2018, n° 16DA02538)
Isabelle Lucas-Baloup

   Cet arrêt est particulièrement intéressant car il sanctionne le comportement de la parturiente (obèse + diabète) qui n’a pas respecté les « consignes d’hygiène alimentaire et d’activité physique » pendant sa grossesse, l’exposant ainsi au risque rencontré de complication de son accouchement. Elle recherche la responsabilité des soignants (l’hôpital). La Cour de Douai lui répond : vous êtes personnellement responsable de 50% de perte de chance d’éviter la paralysie du plexus brachial de votre enfant.

  

   Au-delà du cas spécifique, c’est évidemment un sujet éthique de fond qui est abordé : peut-on, faut-il, responsabiliser par la voie judiciaire la population dûment informée des risques de son comportement à l’égard de son état de santé mais qui demeure inefficace à corriger ses mauvaises habitudes ?

 

 

1.         L’arrêt d’espèce :

 

   Le 10 avril 2012, Mme B.. a accouché de son 3ème enfant au CH de Valenciennes. Dystocie des épaules, pas d’anoxie cérébrale mais paralysie obstétricale du plexus brachial.

   Par un jugement du 9 novembre 2016, le tribunal administratif de Lille a estimé que le dommage était partiellement imputable à la réalisation par la sage-femme d’une manœuvre contre-indiquée de rotation paradoxale de la tête fœtale par la sage-femme et a retenu la responsabilité du CH à hauteur de 40% du dommage, avec une provision sur indemnités jusqu’à la consolidation à la fin de la croissance de l’enfant. Les parents, l’hôpital et la CPAM font appel.

 

   L’arrêt expose :

 

« En ce qui concerne les fautes imputables à l’établissement :

« En premier lieu, il résulte de l’expertise diligentée par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CRCI) et de celle réalisée à la demande de l’assureur de Mme B… que la dystocie des épaules est imprévisible, sauf dans les cas de diabète maternel associé à une macrosomie, c’est-à-dire un poids excessif du fœtus, les risques de macrosomie étant eux-mêmes fonction de l’obésité de la mère et multipliés par deux ou trois lorsque s’y ajoute une prise de poids significative en cours de grossesse. En l’espèce, Mme B… souffrait d’obésité morbide, avait pris environ 30 kg au cours de sa grossesse et souffrait d’un diabète maternel. Elle présentait ainsi des facteurs de risques permettant de craindre une macrosomie fœtale et, si celle-ci était avérée, de survenance d’une dystocie des épaules lors de l’accouchement. Toutefois, l’échographie fœtale réalisée le 6 avril 2012 avait permis d’évaluer le poids du fœtus à 4 080 grammes, alors que Mme B… avait mis au monde sans aucune difficulté, deux ans auparavant et dans un contexte pondéral analogue, un enfant dont le poids était de 4 030 grammes. Si I… présentait en réalité à la naissance un poids de 5 080 grammes, cette différence s’explique par la marge d’erreur très importante qui affectait l’examen échographique. Compte tenu de ces éléments, les experts s’accordent à considérer qu’aucun motif sérieux n’imposait d’envisager une césarienne, geste qui présente, en outre, un caractère de dangerosité accru en cas d’obésité maternelle. Il s’ensuit que M. E… et Mme B… ne sont pas fondés à soutenir que l’absence de recours à une césarienne, qui aurait selon eux permis d’éviter la survenance de la paralysie obstétricale du plexus brachial de leur fils survenue lors de l’accouchement par voie basse, était constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Valenciennes.

 

« En second lieu, il résulte de l’instruction et il est constant que la dystocie des épaules a été diagnostiquée à neuf heures cinquante. La sage-femme a aussitôt procédé à une tentative de manœuvre dite de Mac Roberts, comportant une hyper-flexion des cuisses de la parturiente et l’exercice d’une importante pression sus-pubienne, sans obtenir l’expulsion du fœtus. L’extraction a été réalisée à neuf heure cinquante-cinq grâce à une manœuvre dite de Jacquemier, consistant à dégager le bras postérieur de l’enfant, d’abord tentée par l’obstétricien seul, puis réussie avec l’aide d’une infirmière. L’ensemble de ces manœuvres, qui ont abouti à la naissance d’un enfant exempt d’anoxie cérébrale, relève d’une prise en charge conforme aux règles de l’art. Toutefois, le partogramme renseigné par la sage-femme comporte également, après le relevé de l’échec de la manœuvre de Mac Roberts, l’indication “essai rotation paradoxale”. Il en résulte que la sage-femme a tenté de réaliser ce geste, qui a en outre été décrit avec précision par M. E… durant les opérations d’expertise. Cette circonstance n’est pas contredite par l’instruction. En particulier, elle n’est pas démentie par l’absence de stigmates sur la tête du nouveau-né dès lors que ceux-ci, selon les experts désignés par la CRCI, sont inconstamment signalés dans l’observation néonatologique. Selon les deux rapports d’expertise, un tel geste, susceptible en cas de dystocie des épaules de provoquer des dilacérations voire un arrachement des racines du plexus brachial, était très dangereux pour le fœtus et formellement contrindiqué. Sa réalisation revêt, par suite, et malgré le contexte d’urgence dans lequel il est intervenu, le caractère d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Valenciennes. »

 

« En ce qui concerne le lien de causalité :

« Il résulte des deux rapports d’expertise que des lésions du plexus brachial étaient constituées avant même l’identification d’une dystocie des épaules, en raison du phénomène d’étirement du plexus brachial par propulsion fœtale entravée lors des efforts d’expulsion, principale cause des paralysies obstétricales du plexus brachial, et qu’elles ont vraisemblablement été aggravées par la réalisation fautive d’une rotation paradoxale de la tête fœtale. L’expert missionné par l’assureur souligne la difficulté d’évaluer la perte de chance d’éviter le dommage résultant de cette manœuvre, estimant que celle-ci peut raisonnablement être qualifiée d’importante, “à hauteur d’environ 50 %”. Compte tenu, toutefois, des conditions dans lesquelles le geste fautif a été réalisé, en particulier de la rapidité avec laquelle l’expulsion du fœtus a pu être obtenue à compter du moment où la dystocie a été diagnostiquée, il y a lieu d’évaluer à 30 % la part prise par la manœuvre de rotation de la tête fœtale dans la constitution des lésions dont I… E… est atteint.

 

« Toutefois, il résulte du rapport des experts désignés par la CRCI qu’une prise de poids de 14 kg multiplie par 2 à 3 l’incidence de la macrosomie chez la patiente obèse. Selon les indications figurant dans ce rapport, corroborées par celles données par l’expert désigné par l’assureur de la famille, la macrosomie associée au diabète maternel, dont Mme B… était atteinte, est un facteur aggravant du risque de dystocie des épaules, dont la paralysie obstétricale du plexus brachial est une complication classique. Selon l’expert désigné par l’assureur de la famille, l’importance du poids du fœtus accroît également le risque de constitution, avant le constat de la dystocie, d’un phénomène de propulsion fœtale entravée. La non observance par Mme B… des consignes d’hygiène alimentaire et d’activité physique, en favorisant une prise de poids d’environ 30 kg au cours de la grossesse et en multipliant ainsi le risque de macrosomie du fœtus, avait entraîné une perte de chance d’éviter la paralysie obstétricale du plexus brachial associée dans le cas de I… E… à la dystocie des épaules, ainsi que ses complications. Il y a lieu dévaluer à 50% cette perte de chance initiale, à raison de laquelle la responsabilité du centre hospitalier de Valenciennes ne saurait être engagée.

 

« Il résulte de ce qui a été dit aux trois points précédents que la part des préjudices dont l’indemnisation doit être mise à la charge du centre hospitalier de Valenciennes s’établit à 15%. »

 

 

2.         Responsabiliser la population par la voie judiciaire ?

 

   Depuis quelques années la jurisprudence évolue vers une prise en considération du comportement de la personne qui recherche la responsabilité des soignants et hôpitaux dans des cas où elle a elle-même contribué à créer son propre préjudice. Du point de vue de la responsabilité des soignants, on ne peut que saluer ces jurisprudences et regretter qu’elles ne soient pas suffisamment diffusées dans le grand public.

   Mais, plus généralement, notamment en éthique médicale, responsabiliser les patients pose le problème de la qualité de la prévention et de la gestion des risques en politique de santé publique et de l’information de la population sur les risques encourus.

     En ce qui concerne l’estimation des probabilités de survenue de risques, les médecins sont considérés en général comme les experts, les personnes les mieux informées, en particulier par les études épidémiologiques et autres publications auxquelles ils ont accès dans leurs spécialités respectives. Mais les études portent sur une collectivité, le médecin s’adresse à un être humain singulier ce qui, déjà, rend difficile l’évaluation du risque individuel.

   Toute la population en France aujourd’hui a entendu les principaux messages de santé publique sur le risque pour la santé de consommer de l’alcool, de fumer du tabac ou d’autres produits, ou encore sur les risques multiples de l’obésité sur la santé humaine, pour ne reprendre que ces exemples majeurs. Pour autant, l’information reçue ne conduit manifestement pas à éradiquer complètement les risques concernés.

   Chacun ne tire donc pas un parti suffisant des informations largement diffusées pour améliorer sa santé ou pour éviter certains risques clairement énoncés.    

   Grâce au colloque singulier, le médecin va compléter l’information grand public et tenter de l’appliquer à son patient, en passant du risque général à l’évaluation des risques individuels.

   En application du code de la santé publique, le médecin est débiteur à cet égard d’une obligation de quasi-résultat dans la preuve de la qualité et de la quantité d’information communiquée à son patient :

 

  • Article L. 1110-1 : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible. »
  • Article L. 1111-2 : « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.  (…)

 

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.

 

Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel.

La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission. (…)

 

Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l'information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé.

 

En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. (…). »

 

   Compte tenu du nombre impressionnant de colloques et publications déjà intervenus sur la question de tenter de déterminer si les médecins ont suffisamment de disponibilité, à l’hôpital ou en exercice libéral, pour se livrer à l’information exhaustive requise par l’article L. 1110-1 « sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus », je n’insiste pas.

 

   Mais la question de la preuve devient substantielle quand, comme dans cet arrêt du 18 décembre 2018, la Cour d’appel fixe la responsabilité de la parturiente à hauteur de 50% du préjudice subi notamment par l’enfant, en retenant comme lien de causalité « la non observance par Mme B.. des consignes d’hygiène alimentaire et d’activité physique, en favorisant une prise de poids d’environ 30 kg au cours de la grossesse et en multipliant ainsi le risque de macrosomie du fœtus, entrainant une perte de chance d’éviter la paralysie obstétricale du plexus brachial associée à la dystocie des épaules ainsi que ses complications. »

   On ignore si Mme B... saisira le Conseil d’Etat à l’encontre de cette décision très récente, et on y sera attentif, mais la violation d’une recommandation de comportement implique évidemment, en droit, la preuve de l’information effective sur le contenu de la recommandation violée et sur ses conséquences et risques fréquents ou graves preuve à la charge du médecin (article L. 1110-1), ou sinon la preuve d’une présomption d’information opposable, ici il faudrait démontrer une information de santé publique que Mme B.. ne pourrait ignorer, pour justifier que son comportement puisse constituer un fait matériel susceptible de la rendre personnellement responsable de 50% de la perte de chance d’accoucher sans la complication de paralysie du plexus brachial de l’enfant, objet du contentieux.

   Dans les principes de mise en œuvre de la responsabilité de chacun à l’occasion de l’apparition d’un dommage, les soignants et établissements de santé, mais également les caisses d’assurance maladie, ne peuvent qu’être satisfaits de voir engager même partiellement la responsabilité personnelle du sujet dont le comportement a favorisé l’apparition de la complication. Mais la rigueur du droit français des obligations ne pourra se contenter de l’affirmation, comme en l’espèce : « il résulte du rapport des experts désignés par la CRCI que …», sans que les éléments permettant d’évaluer « à 50% cette perte de chance initiale » soient énoncés dans l’arrêt avec précision.

   Il va en effet immanquablement s’ouvrir une évolution délicate de la jurisprudence sur le périmètre de l’information opposable, opposable aux soignants c’est devenu classique, mais désormais également opposable aux patients, dont les juges et avant eux les experts vérifieront la compliance personnelle aux recommandations reçues. Nous connaissions la « compliance », la conformité d’une opération avec les règles qui lui sont applicables afin d’en garantir l’efficacité, la compliance aux règles juridiques, fiscales, comptables, financières, toujours précédée d’une étude de faisabilité écrite qui décrit les modes opératoires possibles d’une opération économique par exemple.

   Chacun va découvrir prochainement les effets de l’absence de compliance de son comportement personnel avec les recommandations de santé publique, avec pour sanction l’absence de prise en charge du coût économique provoqué par l’infraction aux règles dites opposables. La société française s’est déjà interrogée sur la prise en charge coûteuse de faits « imputables à faute » aux citoyens : pour ne prendre qu’un exemple, les lois Montagne 1 et 2 permettent la facturation des moyens de secours mis en œuvre souvent en hélicoptère pour sauver des skieurs victimes d’avalanches s’étant mis en danger « hors-pistes ».

   Demain, il est probable que l’alcoolique verra réduite la prise en charge économique de son cancer du foie par sa caisse d’assurance maladie, parce que les messages sur les « repères en matière d’alcool » communiqués par l’agence Santé Publique France ont été visionnés par des milliers de youtubeurs qui, parfaitement alertés, auraient dû se mettre immédiatement à l’Evian. Peut-être les pouvoirs publics vont-ils  responsabiliser par un effet direct sur son portefeuille la ménagère qui continue à nourrir ses enfants avec des produits cancérigènes en les rendant obèses, sans prendre en considération le « nutri-score sur la face avant des produits nutritionnels », ni imposer à sa progéniture et à elle-même les 10 000 pas et 5 fruits et légumes recommandés, quels que soient en la matière sa situation socioprofessionnelle et son éventuel « contexte de restriction budgétaire » tout aussi respectable pourtant que celui subi par le ministère de la Santé. Il est probable également que la carte Vitale d’un retraité refusera la prise en charge des médicaments qu’il réclame faute d’avoir été vacciné contre la grippe malgré la campagne diffusée par le ministère de la santé et les émissions de Michel Cymès pour les téléspectateurs de France Télévision.

   On pourrait ainsi critiquer à l’envie la jurisprudence, les efforts des pouvoirs publics, la pratique des médecins et des établissements de soins, c’est facile. Ce qui l’est moins, en période de crise économique majeure de l’assurance maladie, c’est de déterminer avec discernement, lucidité, humanité et éthique, la définition du comportement « hors-pistes » au regard de ses effets sur la santé et des éventuelles sanctions à mettre en œuvre pour y remédier.

   On sait que skier ou marcher c’est bon pour la santé, que boire de l’alcool, fumer, manger des plats industriels sucrés et bourrés d’additifs chimiques, c’est mauvais qu’on soit enceinte, comme Mme B.., ou pas. Mais il faudra aux pouvoirs publics prohibitionnistes être beaucoup plus nuancés et pertinents pour justifier auprès de chacun la place du curseur qui définit les limites et les conséquences du hors-pistes. Avec toutes conséquences de droit, notamment sur le libre arbitre et sur la liberté des personnes à disposer d’elles-mêmes.

Gynéco-Online - février 2019


Mots clefs associés à cet article :
Accouchement Diabète Faute Obésité Parturiente

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Parturiente obèse et diabétique : aggravation du risque d'infection
Titre complément
Isabelle Lucas-Baloup

Sur appel d'un jugement du Tribunal de grande instance de Guingamp, la Cour d'appel de Rennes a confirmé la condamnation d'un gynécologue obstétricien dans les conditions suivantes : admise dans une clinique privée pour le déclenchement de son accouchement, la parturiente subit une césarienne. Le lendemain, elle se plaint de douleurs abdominales et présente le même jour un collapsus avec tension artérielle, sans fièvre. Elle est transférée à l'hôpital local et décède le surlendemain d'un choc septique lié à une septicémie à streptocoque A avec péritonite.

La Cour retient que le praticien qui suivait la parturiente connaissait ses problèmes d'obésité et de diabète gestationnel qui sont des facteurs d'aggravation du risque d'infection chez la femme enceinte, lesquels auraient dû conduire le médecin à mettre en place rapidement un traitement antibiotique.

Ce médecin est considéré comme ayant commis une erreur d'appréciation en diagnostiquant un coma diabétique alors que la patiente souffrait d'une infection. Cette erreur de diagnostic et ce manque de précaution ont entraîné un transfert tardif de la patiente vers l'hôpital de Saint-Brieuc. L'arrêt juge, comme le Tribunal, que la patiente a été privée d'une chance de guérison et de survie en raison de la faute de l'obstétricien, qui n'est condamné qu'à une réparation pour perte de chance évaluée à 50 % au motif que " l'entière réparation ne peut être mise à la charge du médecin puisqu'on ne peut savoir avec certitude quelle aurait été l'issue de l'acte médical si la faute n'avait pas été commise "…

Le préjudice économique subi par l'enfant, dont la mère est ainsi décédée, a été fixé à 20 % de la part de revenus de la mère affectée à l'enfant, en multipliant par le prix du franc de rente, en y ajoutant les frais d'obsèques et en déduisant le capital décès, ce qui aboutit à un préjudice indemnisé d'environ 15 000 €, outre 15 000 € de préjudice moral (Cour d'appel de Rennes, 5 février 2003, Juris-Data n° 210 899).

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier (HMH)
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