Base de données - Lien de causalité

Lien de causalité non démontré : pas de condamnation de l’ophtalmologiste, après 15 ans de procédure
(Arrêt Cour d’appel de Nancy, 1ère chambre, 28 octobre 2010, n° 10/02676, 06/03250)
Isabelle Lucas-Baloup

Intervention opératoire en août 1994, en cabinet de ville, sur une petite fille de 2 ans victime d’un strabisme intermittent à partir de l’âge de 4 mois. Ecoulement postopératoire de l’œil G, traitement par Maxidrol®, ablation des fils sans relever aucune anomalie. En octobre 1994, resserrement de la pupille de l’œil G avec un changement de couleur, diagnostic d’un décollement rétinien complet, suivi de la perte complète de la vision de cet œil. Le Tribunal de Strasbourg relève que « la perte de l’œil G est vraisemblablement due à une perforation sclérale passée inaperçue » et condamne le chirurgien. Sur appel du chirurgien le Dr K., la Cour de Colmar n’a réformé le jugement que sur le montant des condamnations prononcées au profit de la patiente pour rejeter les demandes faites par ses parents à titre personnel, au motif que ces derniers n’étaient pas partie à l’instance en cette qualité. Cet arrêt a été cassé et annulé par la Cour de cassation en 2006, en ce qui concerne la responsabilité du Dr K. à indemniser les conséquences dommageables de l’intervention. Pour se prononcer ainsi la Cour de cassation a énoncé que la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1147 du code civil, « en s’abstenant de caractériser le lien de causalité entre la perforation sclérale ayant entraîné la perte de l’œil et une faute retenue à l’encontre du praticien ». Désignée comme juridiction de renvoi, la Cour de Nancy confirme la mise hors de cause de l’ophtalmologiste en statuant ainsi :
« Alors que la victime supporte la charge, et donc le risque, de la preuve, quant au lien de cause à effet entre l’intervention incriminée et le préjudice corporel dont elle poursuit la réparation, force est de constater que le premier expert judiciaire n’a pas formellement caractérisé l’existence d’une causalité, présentée au contraire comme une simple éventualité. Cette position n’est pas sérieusement contredite par le deuxième collège d’experts, qui se borne à affirmer, sans s’en expliquer, (…), que « l’origine de la perte de l’œil G est liée à l’atrophie postopératoire de l’œil sans que l’origine soit bien certaine : soit une inflammation, soit une perforation méconnue au cours de l’intervention du globe ; aucune certitude ne pouvant être donnée sur cette origine ». Aussi, par voie de réformation du jugement, la patiente sera déboutée de ses demandes. »
L’ophtalmologiste, qui a opéré l’enfant à 2 ans en 1994, a donc subi une procédure, lancée par une assignation en référé en 1995, qui a duré 15 ans avant que l’enfant et ses parents soient déboutés en octobre 2010…

SAFIR - Avril 2011


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Responsabilité pénale des médecins : le lien de causalité entre la faute et le dommage non démontré conduit à la relaxe
(Cassation criminelle, 22 mars et 5 avril 2005)
Isabelle Lucas-Baloup

La revue Droit Pénal (juillet-août 2005) vient de publier deux arrêts récents de la Cour de cassation avec un commentaire du Doyen Michel Véron qui insistent à bon escient sur un élément incontournable de la responsabilité pénale pour homicide ou blessures involontaires : celui de la certitude du lien de causalité entre les fautes imputées au médecin et le dommage subi par la victime.
Dans la première affaire, après une intervention chirurgicale (cancer du côlon, ablation de la tumeur), les experts avaient constaté un certain nombre d'anomalies au cours des soins et du suivi médical, qui, prises isolément, n'auraient pas été de nature à entraîner la mort mais qui ont abouti à une complication postopératoire fatale (septicémie), dont la prise en charge a été tardive et inadaptée, les chances de survie de la patiente s'en trouvant amoindries. Le chirurgien était donc relaxé du chef d'homicide involontaire puisque, si la patiente avait été privée d'une chance de survie, il n'existait pas de relation certaine de causalité entre son décès et les anomalies médicales constatées.
Dans la seconde affaire, un patient de 41 ans est admis aux urgences d'un hôpital pour hémorragie digestive aiguë. Il subit une fibroscopie gastrique révélant un ulcère au niveau du 2ème duodénum et est immédiatement vu par les chirurgiens qui décident de ne pas intervenir immédiatement et de poursuive la réanimation. Ils continuent à temporiser puis l'état s'aggravant décident d'intervenir. Le malade présente alors un arrêt cardio-respiratoire. Il est "récupéré" puis opéré mais ne reprendra pas connaissance et décède quelques semaines plus tard. Les experts et contre-experts se sont accordés pour conclure qu'une décision chirurgicale aurait dû être prise au vu des résultats de l'endoscopie et que, si l'hémorragie avait été arrêtée plus tôt, le choc cardio-respiratoire aurait pu être évité. Le gastro-entérologue et les chirurgiens sont condamnés en raison de "fautes essentielles et déterminantes qui ont directement causé le décès, dû à l'état d'hypoxémie ayant provoqué l'arrêt cardio-respiratoire à l'origine d'une décérébration irréversible, le processus mortel étant engagé avant même la décision de procéder à l'intervention chirurgicale".
Ce sont deux bonnes illustrations de la réforme du code pénal opérée par la loi du 10 juillet 2000 qui distingue désormais selon que :
- le prévenu a causé directement le dommage : une simple faute d'imprudence ou de négligence suffit, ainsi qu'en cas de simple manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou par un décret,
- ou a seulement créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage : l'article 121-3 du code pénal exige alors une faute "caractérisée" ou la "violation manifestement délibérée" de l'obligation légale ou réglementaire.
Il nous est agréable de citer le Professeur Véron soulignant que "La loi opère une distinction relative à la nature de la faute en exigeant une faute plus grave en cas de causalité indirecte qu'en cas de causalité directe. Mais cette distinction ne se retrouve pas lorsqu'il s'agit d'apprécier les conséquences des fautes commises. Dans un cas comme dans l'autre la responsabilité pénale ne peut être retenue que si les fautes des prévenus ont une relation de causalité certaine avec le dommage, que celle-ci soit directe ou indirecte. En matière pénale, on ne peut se contenter de probabilités ou de possibilités. Il faut des certitudes et la relaxe s'impose en cas de doute."
La défense des médecins poursuivis pénalement doit développer impérativement ces causes de relaxe, après avoir exigé que la mission des experts les conduise à ventiler, dans leurs rapports, les causes et les effets.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2005


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