Base de données - Liberté de prescription

Covid-19, hydroxychloroquine et prescription hors AMM
Isabelle Lucas-Baloup

« Moi si j’attrape le virus j’veux le traitement du professeur marseillais, pas vous Maître ? ». Voilà comment, en achetant dimanche matin mon poisson pour la semaine, j’ai pris conscience que les controverses scientifiques n’agitent plus seulement la communauté médicale dans les revues à comité de lecture et les congrès spécialisés des sociétés savantes. Là où avant le débat portait sur l’intérêt d’écailler la daurade, aujourd’hui on prend position, c’est nouveau, sur la qualité des prescriptions d’une sommité internationale en microbiologie ; chacun y va de son commentaire et se positionne radicalement.

   Mine de rien, on passerait de l’evidence based medecine à la prescription populaire. Le Président de la République se déplace lui-même pour rencontrer in situ le Professeur Raoult. Les réseaux sociaux non confinés, qui ont remplacé le café du commerce fermé pour état d’urgence sanitaire, s’enflamment, le vocabulaire aussi, comme souvent dans une caricature binaire : « remède miracle » ou « fake news ». Les journalistes opposent dans des « éditions spéciales » l’expérience sur le terrain en région PACA incarnée par un savant échevelé et atypique qui caractérise brutalement le droit de chacun à choisir son traitement, à l’élégance de la mise en œuvre maîtrisée d’essais randomisés en double aveugle versus placebo au CHU d’Angers et à l’AP-HP, donc au nord de la Loire, où on pratique des études qui prennent du temps, dans le respect immarcescible des recommandations et contraintes réglementaires. Bref, une fois de plus la France « en guerre » est coupée en deux.

Au cœur de cette polémique singulière, il peut être utile au médecin de ville d’apprécier juridiquement s’il peut ou s’il doit, ou pas, prescrire un traitement médical précoce du covid-19 associant hydroxychloroquine et azithromicyne, ou l’association lopinavir/ritonavir en l’état des publications légales, réglementaires et médico-scientifiques.

Liberté de prescription du médecin :

La liberté de prescription est consacrée par tous les codes de déontologie (« logos » discours et « déontos » ce qu’il faut faire) médicale depuis 1947. L’article 8 du dernier d’entre eux (décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004) prévoyait : « Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. ». Le principe demeure sous l’article R. 4127-8 du code de la santé publique, mais un peu modifié puisqu’il est ajouté parmi les limites, après la loi : « et compte tenu des données acquises de la science », un concept que la jurisprudence doit définir au regard du droit des patients à recevoir des soins « les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées » comme il est écrit à l’article L.1110-5 du même code depuis la Loi Kouchner (2002). Mais revenons à la liberté de prescription : l’article L.162-2 du code de la sécurité sociale rappelle qu’elle relève des principes déontologiques « fondamentaux », au même titre que le libre choix du médecin par le malade, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade et la liberté d’installation du médecin.

Comme la France est le pays des Libertés, affirmées par les parlementaires mais très vite encadrées par les ministères, sont apparues rapidement « les restrictions au principe de la liberté de prescription, dans l’intérêt de la santé publique », par voie de décrets dans une démarche vivement contestée par la communauté médicale que le Conseil d’Etat a néanmoins validée dans un arrêt Syndicat des médecins d’Aix du 16 février 1996.

La liberté de prescription a ainsi été écartée notamment pour les médicaments soumis à la réglementation des substances vénéneuses, puis pour les médicaments soumis à prescription restreinte.

Aucun texte n’interdisait purement et simplement à un médecin de prescrire un médicament en dehors du champ de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par l’AFSSAPS, devenue l’ANSM, dans les conditions des article L. 5121-8 et R. 5142-20 à -29 du code de la santé publique, prévoyant aussi des autorisations temporaires d’utilisation délivrées par l’Agence, pour effectuer des prescriptions hors AMM - ATU dites « de cohorte » ou de « pré-AMM » - lorsque le laboratoire invoquait des résultats d’essais thérapeutiques laissant présumer fortement l’efficacité et la sécurité du médicament. Des ATU dites « nominatives » permettaient par ailleurs aux médecins d’obtenir à leur demande une autorisation pour des malades nommément désignés et de prescrire un médicament sans AMM en cas de maladie grave ou rare lorsqu’il n’existait pas de traitement approprié, mais « sous la responsabilité du médecin traitant » (article L. 5121-12, CSP). Une procédure particulière était également prévue pour utiliser des médicaments en cours d’essais cliniques dans le cadre de la recherche biomédicale (décret n° 90-872 du 27 septembre 1990). Mais ces procédures d’ATU ne sont pas applicables à des médicaments ayant déjà reçu une AMM dans une ou d’autres indication(s).

C’est dans ce contexte légal et réglementaire que les médecins ont développé des prescriptions en dehors des AMM, en exposant leur responsabilité civile, pénale et disciplinaire dès que le traitement s’avère discutable à l’égard du patient, soit qu’il lui ait été proposé comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé insuffisamment éprouvé (article R. 4127-39 CSP) en lui faisant alors courir un risque injustifié (article R. 4127-40), soit qu’il ait été prescrit en dehors des fameuses « données acquises » de la science (article R. 4127-32). Jusqu’en 2011, la prescription hors AMM relevait de la liberté de prescription et n’était pas expressément autorisée sans être pour autant interdite.

Plusieurs lois ont successivement modifié le régime des prescriptions hors AMM : la loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, intervenue dans le contexte de l’affaire du Médiator, a d’abord développé des charges opposables aux laboratoires qui doivent contribuer au bon usage des médicaments qu’ils commercialisent en veillant à ce qu’ils soient prescrits conformément à leur autorisation (AMM, ATU, AIP, enregistrement ou RTU), en prenant toutes les mesures d’information vis-à-vis des prescripteurs et en informant l’ANSM lorsqu’ils constatent des prescriptions non conformes au bon usage de leurs spécialités.

Aujourd’hui, après notamment l’entrée en vigueur de l’article 65 de la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale, le médecin doit observer, pour prescrire à un patient un médicament hors AMM, l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique rédigé dans les termes ci-après :

« I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l’absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, sous réserve qu’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l’utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d’utilisation. Lorsqu’une telle recommandation temporaire d’utilisation a été établie, la spécialité peut faire l’objet d’une prescription dans l’indication ou les conditions d’utilisation correspondantes dès lors que le prescripteur juge qu’elle répond aux besoins du patient. La circonstance qu’il existe par ailleurs une spécialité ayant fait l’objet, dans cette même indication, d’une autorisation de mise sur le marché, dès lors qu’elle ne répondrait pas aux besoins du patient, ne fait pas obstacle à une telle prescription.

   En l’absence de recommandation temporaire d’utilisation dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l’objet d’une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu’en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou d’une autorisation temporaire d’utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique de son patient. 

« II.- Les recommandations temporaires d’utilisation mentionnées au I sont établies pour une durée maximale de trois ans, renouvelable. Elles sont mises à la disposition des prescripteurs par le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché ou par l’entreprise qui assure l’exploitation de la spécialité concernée.

« III.- Le prescripteur informe le patient que la prescription de la spécialité pharmaceutique n’est pas conforme à son autorisation de mise sur le marché, le cas échéant, de l’existence d’une recommandation temporaire d’utilisation, des risques  encourus et des contraintes et des bénéfices susceptibles d’être apportés par le médicament et porte sur l’ordonnance la mention : « Prescription hors autorisation de mise sur le marché » ou, le cas échéant, « Prescription sous recommandation temporaire d’utilisation ».

   Il informe le patient sur les conditions de prise en charge, par l’assurance maladie, de la spécialité pharmaceutique prescrite dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées.

   Il motive sa prescription dans le dossier médical du patient, sauf lorsqu’il existe une autre spécialité comparable disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou lorsqu’il existe suffisamment de recul sur les conditions d’utilisation de cette spécialité dans cette indication.

« IV.- Les recommandations temporaires d’utilisation mentionnées au I sont établies après information du titulaire de l’autorisation sur le marché. 

   Les recommandations temporaires d’utilisation sont élaborées dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat. Concernant les maladies rares, l’Agence visée à l’article L. 5311-1 élabore les recommandations temporaires d’utilisation en s’appuyant notamment sur les travaux des professionnels de santé prenant en charge ces pathologies et, le cas échéant, les résultats des essais thérapeutiques et les protocoles nationaux de diagnostics et de soins.

   Ces recommandations sont assorties d’un protocole de suivi des patients, qui précise les conditions de recueil des informations concernant l’efficacité, les effets indésirables et les conditions réelles d’utilisation de la spécialité par le titulaire de l’autorisation de mise sur le marché ou l’entreprise qui l’exploite. Le protocole peut comporter l’engagement, par le titulaire de l’autorisation, de déposer dans un délai déterminé une demande de modification de cette autorisation. Il peut être dérogé à l’obligation d’un protocole de suivi des patients prévue au présent alinéa lorsqu’il existe une autre spécialité comparable disposant d’une autorisation de mise sur le marché ou lorsqu’il existe suffisamment de recul sur les conditions d’utilisation de cette spécialité dans cette indication.

« V.- Le ministre chargé de la santé ou le ministre chargé de la sécurité sociale peut saisir l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d’une demande d’élaboration d’une recommandation temporaire d’utilisation. »

 

Schématiquement, on peut résumer ainsi les conditions de prescription hors AMM :

Principe :  La prescription d’une spécialité pharmaceutique doit être conforme à son AMM ou ATU.

Dérogations : La prescription non conforme à l’AMM est possible :

1er cas : RTU publiée par l’ANSM dans l’indication :

  • en l’absence de spécialité (disposant d’une AMM ou ATU dans l’indication ou les conditions d’utilisation considérées)
    • de même principe actif,
    • de même dosage,
    • et de même forme pharmaceutique,
  • et si le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique et son patient.

 

2ème cas : pas de RTU publiée par l’ANSM dans l’indication :

  • en l’absence d’alternative médicamenteuse appropriée,
  • il faut que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l’état clinique et son patient.

En l’absence de RTU, le prescripteur supporte donc la charge de la preuve des données acquises de la science qui l’ont conduit à juger « indispensable » cette prescription dans l’intérêt du patient.

 

Les recommandations temporaires d’utilisation (RTU) :

L’article R. 5121-76-1 du code de la santé publique prévoit que les RTU sont élaborées par l’ANSM lorsque deux conditions sont réunies :

  • l’existence d’un besoin thérapeutique dans l’indication concernée,
  • et un rapport bénéfice/risque du médicament présumé favorable.

Les RTU, très peu nombreuses, sont publiées sur le site de l’ANSM, qui ne mentionne l’existence d’aucune à la date de rédaction de cette note (14 avril 2020) pour le traitement du covid-19.

 

Prescription de l’hydroxychloroquine (Plaquenil)

et de l’association lopinavir/ritonavir (Karetra) :

Le Parlement, par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 dite d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 a ajouté au code de la santé publique un chapitre « Etat d’urgence sanitaire » puis a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de covid-19 pour une durée de deux mois (article 4).

Trois décrets n° 2020-293 du 23 mars, n° 2020-314 du 25 mars et n° 2020-337 du 26 mars 2020 sont intervenus, au visa de cette loi, pour aboutir à une version consolidée de l’article 12-2 du premier d’entre eux ainsi rédigée :

« Par dérogation à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique, l'hydroxychloroquine et l'association lopinavir/ritonavir peuvent être prescrits, dispensés et administrés sous la responsabilité d'un médecin aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. Ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe.

Les médicaments mentionnés au premier alinéa sont fournis, achetés, utilisés et pris en charge par les établissements de santé conformément à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique.

Ils sont vendus au public et au détail par les pharmacies à usage intérieur autorisées et pris en charge conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 162-17 du code de la sécurité sociale. Le cas échéant, ces dispensations donnent lieu à remboursement ou prise en charge dans ce cadre sans participation de l'assuré en application des dispositions de l'article R. 160-8 du même code. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est chargée, pour ces médicaments, d'élaborer un protocole d'utilisation thérapeutique à l'attention des professionnels de santé et d'établir les modalités d'une information adaptée à l'attention des patients.

Le recueil d'informations concernant les effets indésirables et leur transmission au centre régional de pharmacovigilance territorialement compétent sont assurés par le professionnel de santé prenant en charge le patient dans le cadre des dispositions réglementaires en vigueur pour les médicaments bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché.

La spécialité pharmaceutique PLAQUENIL©, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, et les préparations à base d'hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d'officine que dans le cadre d'une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin. […] »

 

Disponibles uniquement sur prescription médicale :

  • l’hydroxychloroquine (commercialisée depuis 60 ans en France sous le nom de Plaquenil, laboratoire Sanofi Aventis) est indiquée, dans le cadre de son AMM, dans le traitement de certaines maladies articulaires d’origine inflammatoire, telles que la polyarthrite rhumatoïde, du lupus et en prévention des lucites (allergies au soleil). Elle est différente de la Nivaquine (à base de chloroquine, laboratoire Sanofi Aventis) indiquée dans le traitement et la prévention du paludisme, dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, de certaines formes du lupus et des lucites ;
  • l’association fixe lopinavir/ritonavir (disponible en spécialité de référence Kaletra du laboratoire Abbvie et son générique Mylan) est indiquée, dans le cadre de son AMM, dans le traitement de l’infection à VIH-1, chez l’adulte et le jeune enfant dans le cadre de multithérapies antirétrovirales.

 

L’article 12.2 susvisé du décret du 23 mars 2020, dans sa version consolidée, vise pour ces médicaments prescrits pour soigner les patients covid-19 un protocole d'utilisation thérapeutique à l'attention des professionnels de santé établi par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

Deux protocoles d’utilisation thérapeutique ont donc été publiés par l’ANSM le 30 mars 2020, disponibles sur le site de l’Agence (www.ansm.sante.fr), le premier concernant « hydroxychloroquine et infection par le coronavirus SARS-CoV-2 (maladie covid-19) », le second « lopinavir/ritonavir et infection par le coronavirus SARS-CoV-2 (maladie covid-19) ».

Le Haut Conseil de la Santé Publique a communiqué son avis le 23 mars 2020 (disponible sur le site www.hcsp.fr). En ce qui concerne l’étude menée au sein de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille (Pr Raoult), il souligne qu’il s’agit d’une étude observationnelle sur 26 patients hospitalisés pour covid-19 et que « ses résultats doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l’étude, incluant en partie des patients asymptomatiques, de l’absence de bras témoin, du critère de jugement uniquement virologique (pas de données cliniques). Ils ne permettent pas de conclure à l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine ou de l’association hydroxychloroquine + azithromycine, mais demandent à être confirmés (ou infirmés) ». Ces faiblesses justifient, en raison du « très faible niveau de preuve de l’étude », la poursuite de la recherche clinique.

   Le Conseil d’Etat a statué, après la publication du décret du 23 mars 2020, en référé, sur une demande d’injonction au Gouvernement de saisir sans délai l’ANSM en vue de l’élaboration d’une recommandation temporaire d’utilisation destinée à permettre la prescription, y compris sans admission à l’hôpital autrement, le cas échéant, qu’en ambulatoire, de la spécialité Plaquenil aux patients manifestant des symptômes d’atteinte par le covid-19 sans attendre le développement d’une détresse respiratoire.

   Par une ordonnance de référé du 28 mars 2020 (n° 439765), le Conseil d’Etat a jugé « qu’il résulte de l’instruction que les études à ce jour disponibles souffrent d’insuffisances méthodologiques.  En particulier, l’étude observationnelle menée à l’institut hospitalo-universitaire de Marseille, qui a permis de constater une diminution ou une disparition de la charge virale pour 13 patients après six jours de traitement, portait sur 26 patients, dont 6 n’ont pas été analysés – 3 ayant été admis en réanimation, un étant décédé et 2 ayant arrêté le traitement dont un en raison d’effets indésirables – et ne comportait pas de groupe témoin comparable. L’existence d’une différence significative n’a pas été confirmée par les résultats, très récemment diffusés, d’une autre étude, réalisée en Chine du 6 au 25 février 2020 et portant sur 30 patients hospitalisés présentant une forme modérée de la maladie, qui relève que 13 des 15 patients auxquels était administré de l’hydroxychloroquine avaient une charge virale négative au 7ème jour, pour 14 des 15 patients du groupe témoin. En outre, ces études ne permettent pas de conclure à l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine. Or, l’essai clinique européen « Discovery », dont les premiers résultats seront connus dans une dizaine de jours et qui doit inclure, ainsi que l’a indiqué à l’audience le représentant du ministre des solidarités et de la santé, des patients pour lesquels le traitement est initié suffisamment tôt pour apprécier l’incidence de la molécule sur l’évolution de la maladie, permettra de recueillir des résultats plus significatifs. […]. »

Le Conseil d’Etat conclut : « Par les décrets des 25 et 26 mars 2020, le Premier ministre a permis la prescription de l’hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19 pris en charge dans un établissement de santé, sous la responsabilité du médecin prescripteur et dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la Santé Publique, notamment quant au développement de la pathologie. Il a en revanche limité l’usage de la spécialité pharmaceutique en médecine de ville, en interdisant sa dispensation en pharmacie d’officine en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché. De telles mesures, entrant dans le champ des dispositions de l’article L. 3131-5 du code de la santé publique et conformes aux préconisations du Haut Conseil de Santé Publique, à défaut de « données acquises de la science » à ce jour, sont susceptibles d’évolution dans des délais très rapides, conformément aux déclarations du ministre des solidarités et de la santé, au vu des premiers résultats de l’essai clinique européen. Dans ces conditions, le choix de ces mesures ne peut être regardé, en l’état de l’instruction, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et au droit de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu’appréciés par le médecin. […] Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions des requérants tendant à ce que le juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonne la suspension de l’exécution de l’article 12-2 du décret du 23 mars 2020, enjoigne au ministre chargé de la santé de saisir l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d’une demande d’élaboration à très bref délai d’une recommandation temporaire d’utilisation destinée à sécuriser l’usage du Plaquenil en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché et enjoigne au gouvernement de prendre les mesures nécessaires à la production et à la constitution de stocks d’hydroxychloroquine et d’azithromycine doivent être rejetées.»

Dès lors, à la date du 14 avril 2020 de rédaction de la présente note, les textes habituels, rappelés supra, qui gouvernent en France la prescription des médicaments et la faculté pour le médecin, en vertu de sa liberté de prescription encadrée mais réelle, de sortir du cadre stricto sensu de l’AMM, même en l’absence de RTU (recommandation temporaire d’utilisation), sont écartés grâce à la capacité conférée au gouvernement par la loi ayant déclaré l’état d’urgence sanitaire. Les dispositions nouvelles imposées par voie de décrets, réglementent la prescription de l’hydroxychloroquine (Plaquenil) et l’association lopinavir/ritonavir (Karetra) sans viser expressément les textes relatifs aux :

  • médicaments réservés à l’usage hospitalier (articles R. 5121-82 et suiv. du CSP),
  • médicaments à prescription hospitalière (articles R. 5121-84 et suiv. du CSP),
  • médicaments à prescription initiale hospitalière (articles R. 5121-87 et suiv. du CSP),
  • médicaments à prescription réservée à certains médecins spécialistes (articles R. 5121-90 et suiv. du CSP),
  • médicaments nécessitant une surveillance particulière pendant le traitement (articles R. 5121-93 et suiv. du CSP),

mais l’article 12-2 sus-commenté produit les effets d’un tel classement…

   Le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, vient donc de juger que le critère des « données acquises de la science » fait défaut à ce jour. Or, en l’absence de RTU, le prescripteur a la charge de la preuve des données acquises de la science qui l’ont conduit à juger « indispensable » cette prescription.

  Il faut donc convenir que le médecin de ville qui prescrit aujourd’hui du Plaquenil et/ou du Kaletra pour le traitement du covid-19 en dehors du cadre réglementaire qui vient d’être décrit s’expose dangereusement à la mise en cause de sa responsabilité professionnelle (civile, pénale et disciplinaire). Le débat juridique pour ceux qui ce faisant invoquent « l’intérêt supérieur du patient » n’est pas gagné, dès lors que le paternalisme éclairé en vertu duquel un patient demandait à son médecin « prescrivez pour moi comme vous le feriez pour votre propre mère » est écarté clairement par une conception du devoir de précaution élargie bien au-delà du primum non nocere.

   Mais j’ai bien évidemment épargné à mon poissonnier tous ces détails sordides et, un peu, angoissants, il s’agit de mesures provisoires, n’est-pas ?  

Gynéco-Online - 14 avril 2020
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Limite à la liberté de prescription : le médicament de référence
(Cour de cassation, 1ère ch. civ., arrêt du 14 octobre 2010)
Isabelle Lucas-Baloup

Un médecin généraliste, après avoir examiné un nourrisson de six semaines, lui prescrit de la Catalgine à 0,10 g. Lorsque les parents de l’enfant se font délivrer les médicaments sur présentation de l’ordonnance, le pharmacien leur remet de la Catalgine à 0,50 g au lieu de 0,10 g. Cette erreur de dosage provoque une intoxication salicylée chez le jeune patient.


Les juges de première instance condamnent bien normalement le pharmacien à raison de 90 % du préjudice de l’enfant mais retiennent également la responsabilité des parents à hauteur de 10 %, ces derniers n’ayant pas vérifié que le médicament était conforme à l’ordonnance du généraliste.

Il a été interjeté appel de cette décision. La Cour infirme le jugement dans toutes ses modalités et ne retient aucune responsabilité des parents mais conclut à celle du pharmacien pour 60 % et celle du médecin pour 40 %.


Cette décision est confirmée par la Cour de cassation qui énonce que le produit administré ne constituait plus depuis plusieurs années, au moment des faits, le médicament de référence et de première intention chez un nourrisson, tandis que d’autres principes actifs, tel le Paracétamol, offraient la même efficacité et présentaient moins d’inconvénients.


Elle en déduit que « le principe de liberté de prescription ne trouvant application que dans le respect du droit de toute personne à recevoir les soins appropriés à son âge et à son état, conformes aux données acquises de la science et ne lui faisant pas courir de risque disproportionné par rapport au bénéfice escompté, le médecin généraliste avait manqué à son obligation contractuelle de moyens ».

La Lettre du Cabinet - Décembre 2010
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Produits visqueux en chirurgie de la cataracte : liberté de prescription et risques professionnels
Isabelle Lucas-Baloup

La liberté de prescription de l’ophtalmologiste constitue un principe essentiel garanti par le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale. Plutôt que rédiger des commentaires, permettez-moi de rappeler les textes en vigueur qui établissent d’une manière on ne peut plus claire cette liberté encadrée mais sans cesse réaffirmée :


1. La liberté de prescription de l’ophtalmologiste :

- Article R. 4127-8, code de la santé publique (CSP) :

« Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.
« Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.
« Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

- Article L. 5123-7, CSP :

« Afin d’éviter le gaspillage des médicaments et sans porter atteinte à la liberté des prescriptions médicales, des modalités particulières peuvent être fixées par décret pour la délivrance des médicaments aux bénéficiaires d’un régime d’assurance maladie et aux bénéficiaires de l’aide sociale. »

- Article D. 5232-5, CSP :

« Le prestataire de services et le distributeur de matériels prennent en charge la personne malade ou présentant une incapacité ou un handicap avec la même conscience sans discrimination et sans chercher à exploiter sa confiance en vue d’un avantage personnel ou financier.

« Il leur est interdit toute pratique qui risquerait de compromettre l’indépendance de l’équipe médicale en charge de la personne malade ou handicapée vis-à-vis de sa liberté de prescription. »


- Article L. 162-2, code de la sécurité sociale :

« Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur. » 

-->  La liberté de prescription constitue un principe fondamental.


2. L’intérêt du patient et de la santé publique :

La liberté de prescription s’exerce en tenant compte notamment de l’efficacité du produit, de la sécurité sanitaire au regard de l’état de l’art et du coût du produit à qualité équivalente.

Deux dispositions du code de la santé publique l’organisent, le code de la sécurité sociale l’encadre :

- Article L. 1110-5, CSP, alinéa 1er :

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés, de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. »

- Article R. 4127-32, CSP :

« Le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science. » 

--> L’intérêt supérieur du patient gouverne la prescription, dont la qualité est appréciée par rapport à l’état de l’art (les « connaissances médicales avérées » de la Loi Kouchner ou les « données acquises de la science » du code de déontologie).


- Article L. 162-2-1, CSS :

« Les médecins sont tenus, dans tous les actes et prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins. »

Si l’UNCAM a été habilitée par le législateur à établir et proposer un contrat type comportant des engagements individualisés sur l’activité des médecins conventionnés, notamment en matière de prescriptions médicamenteuses, contenant des objectifs quantifiés en matière de prescriptions moins onéreuses à l’efficacité comparable, sous réserve qu’elles soient conformes aux données actuelles de la science, l’adhésion au contrat est laissée à la libre décision du praticien (article L. 162-12-21, CSS et article 2 décision du 9 mars 2009 de l’UNCAM), ainsi que vient de le juger le Conseil d’Etat dans un arrêt n° 329069 du 7 avril 2011.

Il a été également déjà jugé que si les partenaires conventionnels peuvent instituer des obligations individuelles ou collectives portant sur l’activité des médecins conventionnés en matière de prescriptions médicamenteuses, ces obligations ne sauraient avoir pour effet de retirer aux médecins ayant adhéré à la convention leur liberté de prescription. Pas plus les avenants à la convention ne sauraient avoir légalement pour effet d’étendre la portée du droit reconnu aux pharmaciens par l’article L. 5125-23 du CSP de substituer à une spécialité prescrite (médicament ou autre produit) une spécialité du même groupe générique (arrêt Conseil d’Etat, n° 261746, 1er octobre 2004). 

--> Ainsi, les dispositions tarifaires ne peuvent pas non plus avoir pour effet de constituer des atteintes à la liberté de prescription du médecin.


3. Responsabilités encourues :

Lorsqu’il a évalué le bénéfice/risque du traitement qu’il propose, dans le cadre de sa liberté de prescription, dans l’intérêt supérieur du patient, après s’être assuré du consentement de ce dernier (dans les conditions prévues à l’article L. 1111-2 du CSP), le chirurgien engage sa responsabilité, comme tout professionnel, mais uniquement s’il a commis une faute (de diagnostic, de traitement, une maladresse, une négligence, etc.) :

- Article L. 1142-1, CSP, alinéa 1er :

« I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. »


--> La jurisprudence définit la faute de l’ophtalmologiste, en appréciant son comportement le plus souvent après expertise. Le chirurgien doit donc prévoir d’apporter la preuve de la qualité de son geste, de son choix, de sa prescription dans l’intérêt du patient.

Certains établissements tentent néanmoins de considérer que constituerait une faute la prescription d’un produit de santé non spécifiquement prévu en interne, le plus souvent la Commission du médicament et des dispositifs médicaux stériles (Comedims) prévue aux articles L. 5126-5 et R. 5126-48 du CSP, chargée d’établir la liste des « médicaments et dispositifs médicaux stériles dont l’utilisation est préconisée dans l’établissement » et des « recommandations en matière de prescription et de bon usage des médicaments et des dispositifs médicaux stériles ».

Mais, on le vérifie à la seule lecture des dispositions légales et réglementaires l’instituant, la Comedims n’a pas pour mission d’imposer : elle « préconise », elle « recommande », on est loin d’un pouvoir d’ordonner ou de décréter ce qui serait ou non autorisé dans l’établissement de santé, public ou privé.

--> Ainsi, le médecin a les moyens légaux et réglementaires de faire respecter par ses différents partenaires et interlocuteurs sa liberté de prescription. Cela crée, évidemment, à sa charge, une obligation de leur expliquer la qualité et la pertinence de ses choix de prescription.

Réalités Ophtalmologiques
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Quid de la liberté de prescription de l’obstétricien ?
Césarienne et dégressivité tarifaire

Isabelle Lucas-Baloup

L’évolution du nombre de césariennes est dans le collimateur des autorités de tutelle sanitaires et tarifaires depuis un bon nombre d’années. Du chef de la dégressivité tarifaire imposée quand un service d’obstétrique dépasse le taux fixé, les gynécologues-obstétriciens perdent-ils une partie de leur « liberté de prescription » ?

 

La césarienne dans le collimateur des autorités sanitaires et tarifaires :

 

On se souvient que, bien avant la tarification à l’activité (T2A), dans les années 1980-1990, les CPAM surveillaient le rapport accouchements/césariennes dans les services d’obstétrique pour réduire la prise en charge dans les établissements de santé.

Plus récemment, la Haute Autorité de Santé (HAS) a été saisie par la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), la Direction de la sécurité sociale (DSS) et la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), d’écarts de taux de recours constatés sur l’acte de césarienne programmée à terme et a publié :

  • des recommandations pour la pratique clinique « Indications de la césarienne programmée à terme » en 2012 : www.has-sante.fr,

  • et un Guide d’analyse et d’amélioration des pratiques, consultable sur le même site, qui propose des parcours types de femmes enceintes pouvant nécessiter une césarienne programmée en fonction des facteurs de risque (présentation par le siège, diabète gestationnel, etc.).

Une expérimentation pilote de ce guide a eu lieu, en 2013, avec appel à candidatures des professionnels et établissements de santé par l’intermédiaire des agences régionales de santé (ARS) et des réseaux de périnatalité.

 

La pertinence des soins :

 

Des outils et référentiels nationaux, puis régionaux, avec élaboration d’une démarche contractuelle ARS/Assurance Maladie/Etablissements de santé comportant des objectifs quantitatifs et qualitatifs à l’amélioration de la pertinence des soins ont été mis en œuvre (cf. description dans Rapport IGAS (2013-163R) « Evaluation de la gestion du risque maladie », mai 2014, www.igas.gouv.fr).

Le décret n° 2015-1510 du 19 novembre 2015 relatif à la promotion de la pertinence des actes, des prestations et des prescriptions en santé permet le ciblage d’établissements de santé grâce à des critères permettant de leur imposer des objectifs quantitatifs dans un contrat tripartite d’amélioration de la pertinence des soins (article R. 162-44-2 du code de la sécurité sociale). Une évaluation annuelle contrôle la réalisation des objectifs, avec sanctions possibles : soit procédure de mise sous accord préalable, soit sanction pécuniaire.

La pertinence des soins a été inscrite dans la déclinaison des orientations du Plan national de gestion du risque et d’efficience du système de soins (PNGDRESS) défini pour une durée de deux ans depuis la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé. Le PNGDRESS a pour objet de déterminer les actions et les objectifs prévus pour améliorer les performances du système de santé, de maîtriser l’évolution de dépenses conformément à l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ; il est signé entre l’Etat et l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM).

Localement, le Plan national se décline en un Plan régional (PRGDRESS) pluriannuel de gestion du risque et d’efficience du système de soins et fait l’objet d’une convention conclue entre le directeur général de l’ARS et les représentants des régimes d’assurance maladie, dont la finalité est annoncée comme : « développer le juste soin au juste coût dans le cadre d’une démarche continue d’amélioration de la qualité des soins, en accompagnant les offreurs de soins, les établissements et les professionnels de santé dans l’évolution de l’organisation des prises en charge, au cœur des transformations du système de santé. »

Ce plan d’actions régional est publié par chaque ARS et disponible sur son site web.

Si on prend, pour exemple, celui de la Région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA), on observe que l’acte de césarienne programmée à terme fait l’objet :

 

- en 2009 :

  • d’un taux national de           2,45
  • d’un taux régional PACA de 2,55

- en 2014 :

  • d’un taux national de           2,34
  • d’un taux régional PACA de 2,57

 

et donc d’un indice national (rapport entre le taux régional et le taux national) de 1,10 signifiant que le taux de recours à la césarienne programmée à terme pour la population de la région PACA est supérieur de 10% à celui observé au niveau national.

 

 

La dégressivité tarifaire :

 

L’article R. 162-42-1-4 du CSS autorise des minorations tarifaires appliquées sur les activités produites au-delà des seuils fixés par les arrêtés ministériels. Le directeur de l’ARS fixe le montant des sommes à récupérer auprès de chaque établissement au titre de l’année considérée, le notifie au directeur de l’établissement qui peut présenter des observations pendant un mois, puis dispose d’un délai de deux mois pour payer, à défaut de quoi la caisse d’assurance maladie procède au recouvrement des sommes dues par retenue sur les prestations à venir (article R. 162-42-1-8 du CSS).

 

Par arrêté ministériel du 4 mars 2016, le taux de « césarienne pour grossesse unique » (racine du GHM : 14C08) a été fixé à 5% (valeur du seuil exprimée en taux d’évolution) pour l’année 2016 (comme pour 2015), avec une valeur de minoration tarifaire à 20%, appliquée sur l’activité produite au-delà du seuil (cf. J.O. 8 mars 2016).

Le mécanisme de calcul de la dégressivité tarifaire est compliqué et a été présenté par l’ATIH (Agence technique de l’information sur l’hospitalisation) dans une note d’information du 7 juillet 2016 (cf. www.atih.sante.fr).

Divers établissements de santé ont déjà fait l’objet d’arrêtés notifiant les sommes dues au titre de l’activité réalisée en prenant en considération l’évolution du nombre d’actes pendant les deux dernières années dans la racine 14C08 césarienne pour grossesse unique, eu égard au taux de déclenchement de 5% pour la racine concernée.

Des circonstances particulières peuvent être invoquées pour expliquer le taux d’augmentation, et les établissements de santé peuvent saisir le Tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale compétent d’un recours pour contester « la récupération » notifiée.

 

Effets sur les relations obstétriciens/établissements de santé privés :

 

Un établissement de santé privé au sein duquel les gynécologues-obstétriciens interviennent en vertu d’un contrat d’exercice libéral n’a aucun pouvoir hiérarchique sur les praticiens, qui jouissent d’une liberté de prescription et de décision médicale conférée par :

 

  • l’article R. 4127-8 du code de la santé publique :

     

    « Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. »

 

  • l’article L. 162-2 du code de la sécurité sociale :

     

    « Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur. »

 

Sous réserve de l’évaluation du bénéfice/risque par l’obstétricien, le choix de la parturiente est par ailleurs déterminant, compte tenu de :

 

  • l’article L. 1111-4 du code de la santé publique :

     

    « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.

    « Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. […]. »

 

Dès lors, la parturiente, parfaitement informée sur le bénéfice/risque par son gynécologue-obstétricien, est seule à décider si elle requiert une césarienne, ou pas, et le praticien, sauf circonstances particulières, est tenu de satisfaire à ce choix (cf. dans cette même rubrique : « Césarienne de confort, qui le décide, la parturiente ou le médecin ? mars 2013).

Mais le directeur d’établissement de santé, totalement incompétent pour s’en mêler, puisque la décision est prise unilatéralement par l’obstétricien et la parturiente, est susceptible d’être pénalisé par une procédure de dégressivité tarifaire, à l’issue de laquelle l’établissement de santé devra restituer à l’assurance maladie des sommes qui peuvent être importantes pourtant facturées dans des conditions respectant la T2A, si, dans le service, l’évolution du nombre de césariennes est atypique par rapport au taux fixé par arrêté opposable.

Dans le Rapport du Sénateur Jean-Marie Vanlerenberghe (n° 243, site Sénat), au nom de la commission des affaires sociales sur l’enquête de la Cour des comptes relative aux maternités, enregistré le 21 janvier 2015, il est fait état, en page 29, de données intéressantes et bien connues des professionnels et des établissements :

 

« Les difficultés de certains établissements à assurer une permanence des soins complète les conduisent parfois à mettre en place une programmation très avancée des accouchements sur des créneaux horaires compatibles avec l’activité des praticiens. Le taux plus élevé de césariennes résulterait ainsi de la nécessité de prévenir toute activité obstétricale tardive voire nocturne, son déclenchement intervenant dès lors que l’accouchement programmé risque de s’étendre au-delà de l’après-midi.

« La Haute Autorité de Santé a entrepris des actions pour maîtriser la technicité des soins. Elle a ainsi lancé une expérimentation pilote sur l’optimisation de la pertinence des césariennes programmées à terme, et publié à l’appui de cette démarche des recommandations de bonne pratique en janvier 2012. Certaines initiatives locales mises en œuvre dans les établissements ou dans le cadre des réseaux de périnatalité contribuent également à cet objectif. A Argenteuil, la pratique de la « chasse à l’indication » a conduit à publier régulièrement et à comparer les taux individuels de césariennes des médecins pendant leurs gardes. En conséquence, le taux de césarienne a baissé de 22,21% en 2010 à 20,61% en 2011 et à 17% en 2013. En Auvergne, l’action déterminée du réseau a contribué à une amélioration de la pratique médicale : les revues de césariennes organisées par le réseau a permis de voir leur taux de pertinence passer de 65,6% à 80,6% entre 2011 et 2013, et de 60% à 86,7% pour les maternités de type I. La part de césarienne de convenance parmi les césariennes non pertinentes est passée de 13 à 0%. […]

« Assez paradoxalement, les taux de césariennes sont plus élevés dans les maternités de type I, censées accueillir des grossesses physiologiques, que dans les établissements de niveau supérieur. Cette situation semble surtout liée au statut des établissements. Ainsi les maternités publiques de type I se caractérisent par des taux de césarienne relativement faibles, compris entre 9,5 et 18,5% en 2012, alors que dans les cliniques privées ces mêmes taux varient entre 19,5% et 23,3%. Face à ce constat, l’ARS a intégré dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM) de 6 établissements un objectif de taux maximal de césarienne de 20% à l’horizon 2017. »

 

Pour ceux que la répartition géographique du taux de césariennes intéresse, lire également l’Atlas des variations de pratiques médicales, édition 2016, pages 25 et suivantes, publié en novembre 2016 par l’IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé). On y remarque également :

 

« Avec un taux de recours moyen national de 18,7 pour 100 naissances en 2014, la France se situe nettement en dessous des pays comme l’Allemagne et l’Australie (plus de 30 pour 100 naissances). »

 

Revenons à nos directeurs d’établissements qui subissent un taux et/ou une évolution du taux de césariennes conduisant directement à des sanctions financières : peuvent-ils envisager d’introduire dans le contrat d’exercice libéral des gynécologues-obstétriciens des dispositions impératives leur imposant de ne pas dépasser le seuil (non encore fixé pour 2017) et de sanctionner la violation de cet engagement à l’encontre des médecins ? Ces derniers peuvent invoquer, pour s’opposer à toute contrainte quantitative, l’article R. 4127-83 II du CSP : « Un médecin ne peut accepter un contrat qui comporte une clause portant atteinte à son indépendance professionnelle ou à la qualité des soins, notamment si cette clause fait dépendre sa rémunération ou la durée de son engagement de critères de rendement ». L’ancien article R. 4127-92 (abrogé par décret n° 2012-694 du 7 mai 2012) prévoyait « des critères liés à la rentabilité de l’établissement » et pas des « critères de rendement ». De la sorte, faire supporter aux médecins la sanction financière fixée par l’ARS que doit payer la clinique privée à la caisse d’assurance maladie pour avoir dépassé ses obligations quantitatives en matière de césariennes, pourrait donner lieu à un avis défavorable de l’Ordre des médecins au moment de la communication du contrat d’exercice libéral. Or les pouvoirs de l’Ordre des médecins ont été renforcés par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009, dite HPST, qui a ajouté un dernier alinéa à l’article L. 4113-9 du CSP : « Les dispositions contractuelles incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver les contractants de leur indépendance professionnelle les rendent passibles des sanctions disciplinaires prévues à l'article L. 4124-6. ». Donc les médecins ne peuvent accepter de signer de tels engagements, qui les exposeraient à des sanctions disciplinaires (avertissement, blâme, suspension du droit d’exercer, radiation).

Par ailleurs, il est très difficile pour un établissement de santé de répartir équitablement la sanction financière fixée par l’ARS entre les praticiens de la spécialité ayant contribué à dépasser le taux autorisé. Dans une maternité privée au sein de laquelle exerce une équipe par exemple de 5 gynécologues-obstétriciens en site principal, mais dans laquelle viennent faire leurs accouchements une dizaine de médecins ayant leur cabinet en ville, répartir la sanction entre les obstétriciens défaillants dans le respect de l’obligation qui concerne la Clinique en termes de contrainte quantitative, si le contrat l’a prévu, relève du casse-tête chinois : il conviendrait de colliger le nombre de césariennes médecin par médecin, en vérifiant d’abord les critères fixés par la HAS, puis calculer des critères de répartition de la sanction financière entre tous, mais il est prévisible que tous contesteront la méthodologie et le principe de l’imputabilité.

La difficulté est beaucoup plus grande que celle de la mise en œuvre de clauses habituelles faisant supporter aux médecins libéraux les conséquences d’une répétition d’indus aux caisses en cas d’erreurs dans la codification d’actes non décelées par le médecin DIM.

 

On peut donc recommander, une fois encore, de développer l’intelligence relationnelle entre obstétriciens libéraux et directeurs d’établissements afin de maîtriser ensemble cette contrainte nouvelle, dont la violation conduit à de lourdes sanctions financières. Les statistiques d’activités quasiment en temps réel et leur diffusion en toute transparence au sein de la communauté médicale de chaque établissement doit permettre d’améliorer en amont l’information de tous les acteurs sur le terrain, afin de réduire si besoin, quand il est encore temps, le nombre de césariennes pour demeurer dans l’encadrement quantitatif réglementaire.

Dur-dur à expliquer aux parturientes qui accouchent en fin d’année… qui risquent de choisir, quand c’est localement possible, un autre établissement de santé n’ayant pas atteint voire dépassé le taux fatidique.

Pourront-elles alors en faire grief à leur gynécologue, qui a suivi la grossesse, mais qui se voit interdire par le chef d’établissement de pratiquer certaines césariennes soumises à contraintes quantitatives ? L’obstétricien qui a signé un contrat d’exercice exclusif, avec interdiction de pratiquer dans une autre clinique privée, pourra-t-il agir contre la Direction lui ayant refusé l’accès au bloc pour une césarienne hors quota, ce qui lui a fait perdre une patiente qu’il suivait, et donc les honoraires de l’accouchement avec césarienne qui a été diligenté par un confrère de l’hôpital public ou d’une maternité privée concurrente ?...

Les rapports entre la déontologie médicale, l’économie de la santé et les contrats d’exercice provoquent des problématiques nouvelles et nombreuses, qu’il ne serait pas idiot d’encadrer dans des limites quantitatives et qualitatives ad hoc.

Gynéco Online - Février 2017


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