Base de données - Biopsie

Cancer du col de l’utérus : quelques jurisprudences
Isabelle Lucas-Baloup
Cour d’appel d’Agen 1ère chambre, arrêt du 28 juin 2006 :

 

C’est le plus souvent un retard de diagnostic ayant entraîné une perte de chance d’obtenir une guérison plus facilement, voire d’éviter la mort, que les jurisprudences publiées analysent, après expertise.

 

Dans l’arrêt ci-dessus, la Cour d’appel a retenu ce qui suit, pour confirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Marmande ayant condamné le gynécologue obstétricien :

 

Les pièces régulièrement communiquées démontrent que Mme D. était cliente du Docteur R., gynécologue, depuis 1992. Elle l’avait consulté au mois de février 1998 pour des saignements et des douleurs pelviennes ; au mois d’août 1998 un cancer avancé du col de l’utérus était détecté et la patiente était prise en charge par le Centre Reegaud à Toulouse où une intervention était pratiquée. Madame D. avait saisi le juge des référés pour qu’une expertise soit diligentée, reprochant au Docteur R. un retard de diagnostic.

 

La Cour d’appel mentionne :
 

 

« Attendu que, s’il est incontestable que le gynécologue n’est pas à l’origine de la maladie développée par Mme D., c’est par de justes motifs que le Tribunal a caractérisé la faute par ce dernier commise ; qu’il est en effet établi par les pièces versées aux débats :

 

 -        que le Dr. R. suivait Mme D. sur le plan gynécologique, son médecin traitant ne la suivant pas dans ce domaine,

 

-        qu’à la suite du frottis cervico-vaginal par lui pratiqué le 17 septembre 1994, le résultat de cette analyse indiquait, le 19 septembre 1994 ²métaplasie cervico fonctionnelle avec dystrophie due à des cellules lysées, faire biopsie sous coloscopie²,

 

-        que malgré ses recommandations, le Dr R., qui était destinataire de ce compte rendu, ne démontre pas avoir fortement conseillé à sa cliente de pratiquer cet examen complémentaire et qu’il n’a d’ailleurs même pas communiqué ce résultat au médecin traitant de sa patiente,

 

-        qu’aucun examen complémentaire n’était pratiqué lors des consultations suivantes de juillet 1995, novembre 1995, août 1996 après accouchement par césarienne,

 

-        que si une échographie était réalisée en février 1998, aucune analyse n’était pratiquée.
 

 

« Qu’ainsi, en s’abstenant de surveiller étroitement une patiente ayant depuis 1994 une analyse alarmante et sans avoir pratiqué les examens supplémentaires conseillés par son confrère qui auraient permis soit d’écarter toute suspicion soit de traiter une maladie débutante, le Dr R. a commis une faute ayant entrainé un préjudice pour Mme D. et ses proches ;

 

« Que le jugement sera donc confirmé sur ce point sans qu’il soit besoin d’une nouvelle mesure d’instruction, les rapports déposés étant suffisants pour éclairer la Cour ;

 

« Sur le préjudice :

 

« Attendu que la faute caractérisée du Dr. R. constitue exactement une perte de chance de Mme D. d’obtenir une guérison de sa maladie ou, à tout le moins, de prolongation de sa vie ; que cette perte de chance, compte tenu des éléments du dossier, sera fixée à 80 % en raison de l’âge de Mme D. et du fait qu’un cancer dépisté précocement a plus de chance de guérison ; que 20 % des sommes alloués resteront à la charge de Mme D. et de ses ayants droit ; »

 

Le médecin est donc condamné au paiement de la réparation de 80 % des préjudices subis par Mme D.
 

 

Cour d’appel de Rennes, arrêt du 3 mars 2010 :

 

La Cour d’appel de Rennes mentionne dans son arrêt :
 

 

« Mlle L. née en 1965, consultait régulièrement le Dr R., gynécologue.

 

« Celle-ci a pratiqué le 3 septembre 2001 un frottis cervico-vaginal qui a été soumis à l’analyse du Dr G. qui l’interprétait en concluant soit à une inflammation dans un contexte régénératif, soit à une dysplasie légère vraie (lésion de bas grade), soit une lésion intra-épithéliale plus évoluée et recommandait des examens complémentaires consistant en une colposcopie et une biopsie.

 

« La biopsie du col utérin pratiquée le 12 octobre 2001 portant sur une zone blanche à contours nets, peu étendue, révélait une banale lésion de dysplasie légère sans lésion virale formellement identifiée.

 

 « Le 11 mars 2002, un nouveau frottis était effectué et transmis à un laboratoire spécialisé de Bordeaux qui montrait des lésions virales à Papillomavirus (HPV) et une dysplasie moyenne et concluait à la nécessité de faire des biopsies multifocales.

 

« Ces biopsies étaient pratiquées le 16 mai 2002 et leur analyse concluait à un ectropion péri orificiel du col sans caractère suspect.
 

 

« Le 3 juillet 2002 Mlle L. consultait le Dr R. pour des métrorragies abondantes depuis deux à trois mois. Un nouveau rendez-vous était pris pour le 9 juillet au cours duquel une tumeur irrégulière au toucher de la cloison recto-vaginale était découverte et biopsiée. Elle montrait le 12 juillet une prolifération maligne à type de carcinome épidermoïde infiltrant, bien différencié, non kératinisant.

 

« Le 23 juillet, le Dr N. pratiquait une hystérectomie totale avec annextomie bilatérale élargie à la cloison recto-vaginale et au vagin avec colpectomie partielle.
 

 

« L’examen de la tumeur montrait bien un carcinome épidermoïde bien différencié mature.

 

« Le radiothérapeute qui voyait Melle L. en consultation le 8 août 2002 constatait le caractère insuffisant de l’exérèse qui était donc reprise par le Dr N. le 29 août. A cette occasion des nodules étaient prélevés sur le mésentère dont il était établi le 5 septembre 2002 qu’ils étaient cancéreux.
 

 

« Un traitement par chimiothérapie, radiothérapie et curiethérapie était mis en place jusqu’à la fin du mois de décembre 2002.
 

 

« Cependant dès le 9 janvier 2003 un volumineux nodule de carcinome péritonéal et un nodule métastasique hépatique étaient mis en évidence.

 

« Malgré les traitements mis en place, l’évolution était défavorable et Mlle L. décédait le 20 mai 2003 d’un cancer primaire du vagin.

 

« Après le dépôt d’un rapport d’expertise, la famille de Mlle L. a recherché la responsabilité des Drs G. et R. pour retard au diagnostic du cancer dont elle était atteinte.

 

« Ces médecins ont demandé la garantie du Dr N.

 

« Par jugement du 10 juin 2008, le Tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a dit qu’il résulte de l’expertise que les conclusions de l’analyse pratiquée sur le prélèvement du 3 septembre 2001 ne sont pas alarmantes alors que l’interprétation est ambiguë et incomplète et en outre inexacte ; que le retard de diagnostic est en grande partie attribuable à ce compte rendu qui ne soulignait pas le contexte de haut risque cancéreux.

 

 « Il n’a en revanche pas retenu de faute à l’encontre du Dr R. qui a procédé à des investigations plus poussées après le 13 mars 2002 ; que s’il y a eu une faute dans la prise en charge thérapeutique en juillet 2002, celle-ci n’est pas en lien de causalité avec la perte de chance déjà constituée à ce moment.

 

« Pour cette même raison, il a débouté le Dr G. de sa garantie à l’encontre du Dr. N.

 

« Il a condamné le Dr G. à payer des sommes à titre de dommages et intérêts aux parents et aux sœurs de Melle L.
 

 

« Le Dr G. a fait appel de cette décision.

 

« La famille a fait appel incident.

 

« Les autres parties ont conclu globalement à la confirmation du jugement. »

 

 La Cour, en visant l’article L. 1141-1 du code de la santé publique, qui dispose que les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables de leurs actes en cas de faute, retient :

 

« Considérant que, si le Dr G. a recommandé le 10 septembre 2001 des examens complémentaires appropriés, elle n’a pas donné les éléments de description portant notamment sur diverses anomalies de cellules et sur une infection à Papillomavirus ; qu’elle est restée hésitante sur les conclusions alors que la conclusion aurait dû être dysplasie de haut grade selon la classification de Béthesda de 2001 et probable infection par Papillomavirus, contexte de haut risque cancéreux ; qu’au contraire les anomalies signalées soit légères soit modérées, en sorte que le Dr R. n’a pas été perturbée par les résultats relativement rassurant de la biopsie et n’a pas poursuivi ses recherches ;

 

« Que c’est à raison que le premier juge a dit que l’erreur ainsi caractérisée ne constitue pas seulement une inexactitude de diagnostic mais une faute constituant un exercice non conforme aux données actuelles de la médecine ;
 

 

« Considérant que le cancer primitif du vagin est une tumeur extrêmement rare en générale et en se retrouve que dans 7 % des cas chez les femmes de moins de quarante ans ;

 

« Qu’en l’absence d’alerte suffisante donnée par le compte rendu du 10 septembre 2001, on ne peut reprocher au Dr R. de ne pas avoir recherché un tel cancer qui ne pouvait être soupçonné ;
 

 

« Qu’en outre en raison de son siège en haut et en arrière de la paroi vaginale, la lame postérieure du spéculum cache la lésion ;
 

 

« Considérant que le résultat du 13 mars 2002, moins inquiétant que celui du 10 septembre 2001, a conduit le Dr R. à procéder à des examens complémentaires portant sur le col de l’utérus ;

 

« Que, compte tenu de la rareté de la pathologie présentée par Mlle L., cette erreur de diagnostic ne peut être considérée comme fautive au regard des dispositions de l’article L. 1142-1 du CPS ;

 

« Considérant que, si la prise en charge de Mlle L. après le 12 juillet 2002 paraît avoir été inadéquate, il n’est pas suffisamment établi qu’elle a contribué à l’aggravation de la perte de chance dès lors que l’expert indique que le traitement n’était pas nécessairement chirurgical, que l’insuffisance de la chirurgie a été reprise et surtout qu’aucune critique n’est apportée aux traitements dispensés sous forme de radiothérapie externe, curiethérapie et chimiothérapie ;

 

« Considérant qu’il résulte de l’expertise que le retard de diagnostic a entraîné une perte de chance de 50 % ;
 

 

« Que le préjudice a été exactement évalué en tenant compte de ce pourcentage ;

 

« Que l’époux et les filles de Melle L., décédée en cours de procédure, sont recevables à exercer l’action successorale sur la somme allouée par le premier juge. »

 

Cet arrêt de la Cour d’appel de Rennes constitue un bon exemple de distribution des responsabilités encourues au sein de l’équipe ayant eu à connaître du cas litigieux.

 

Il existe peu de jurisprudence car très souvent des transactions interviennent réparant les dommages subis.
Gynéco Online - Novembre 2014


Mots clefs associés à cet article :
Biopsie Cancer Perte de chance Responsabilité

Voir le contenu de l'article [+]
Cancer du sein : distribution des responsabilités par la jurisprudence
Isabelle Lucas-Baloup

Deux affaires récentes illustrent la distribution des responsabilités lorsque certaines patientes n’ont pas la chance d’un diagnostic et traitement rapide et efficace de leur cancer du sein.
Le premier arrêt (Cour d’appel de Montpellier) constitue une illustration d’un cumul de comportements jugés fautifs, avec distribution de la charge indemnitaire entre le radiologue, le chirurgien et le radiothérapeute.
L’arrêt suivant (Cour d’appel de Paris) retient l’entière responsabilité du radiologue.


Cour d’appel de Montpellier, 6 octobre 2010 (n° 09/00161)

Cet arrêt constitue un exemple d’analyse par les Juges, après expertise, des responsabilités respectivement encourues par :

- un radiologue, pour retard au diagnostic d’un cancer du sein, puis de sa récidive,
- un chirurgien, pour retard au traitement de la récidive cancéreuse,
- un radio-chimiothérapeute, pour avoir inversé les traitements de radiothérapie et de chimiothérapie,

faisant perdre à la patiente 50% de chances de survie.

Le radiologue : 70% de responsabilité
L’expert a relevé que le radiologue n’avait pas vu sur les mammographies les micro-calcifications situées à proximité du nodule, classées en ACR4, ce qui imposait un contrôle histologique qui n’a donc pas eu lieu. C’est à partir d’un compte rendu radiographique erroné que le chirurgien a décidé une chirurgie conservatrice plutôt qu’une mastectomie totale. Après l’intervention chirurgicale, le même radiologue n’a toujours pas diagnostiqué la récidive du cancer du sein bien que la patiente soit revenue le voir devant l’élargissement d’une plaque fibreuse près de la cicatrice.

Le chirurgien : 10%
Il a décidé de pratiquer une chirurgie conservatrice plutôt qu’une mastectomie compte tenu des résultats des examens radiographiques interprétés par le radiologue, ce qui ne lui est pas imputé à faute compte tenu du compte rendu reçu du radiologue.
Cependant, lorsqu’il constate la présence d’une zone nodulaire évoquant un noyau fibreux dans la périphérie du sein traité, avec modifications de la cicatrice, il aurait dû immédiatement prescrire des examens complémentaires tels que mammographie, biopsie, lesquels auraient permis de détecter une récidive du cancer, ce qu’il n’a pas fait.

Le radio-chimiothérapeute : 20%
Le chimiothérapeute a procédé d’abord à un traitement de radiothérapie puis à un traitement de chimiothérapie, alors que « la littérature médicale prescrit l’inverse» déclare l’expert. De même, après avoir constaté la présence d’un nodule au niveau de la cicatrice, il n’a pas prescrit de mesures urgentes avec des examens approfondis, ce qui a généré un retard de 9 mois dans le traitement de la récidive concernée par une équipe pluridisciplinaire oncologique alors que la patiente présentait un stade avancé compte tenu de la dissémination métastatique ganglionnaire.

La patiente est décédée des suites de sa maladie.


Cour d’appel de Paris, 12 novembre 2010 (n° 08/23503)

Cette décision condamne le radiologue au motif ci-après :

« Le cancer du sein a été diagnostiqué le 18 juin 2003. A cette date il s’agissait d’une lésion classée T2 (3 cm de diamètre) N1, avec un ganglion palpable et suspect. En février 2003, la lésion était beaucoup plus petite (T1<2cm) et l’adénopathie n’était pas perçue par la patiente. Elle semble néanmoins avoir été perçue par le gynécologue, qui l’a dessinée dans son dossier. Il semblerait qu’on soit passé d’un stade I (T1 N0) à un stade IIb (T2 N1). Il existe un retard de diagnostic de 4 mois, qui a entraîné une perte de chance. Pour une lésion classée T1, la survie à 10 ans après un traitement est de plus de 80%. Elle n’est plus que de 60% pour les tumeurs T2. Il y a donc une diminution des chances de survie que l’on peut quantifier à 20%. L’apparition de ganglions métastatiques préjore l’évolution de façon semblable. Par contre, le retard de diagnostic n’a pas eu de réelle incidence sur les traitements, seulement une aggravation du traumatisme psychologique. »

La Cour conclut : « Le radiologue a interprété de façon erronée la mammographie effectuée le 21 février 2003 et cette faute, à l’origine d’un retard de diagnostic de 4 mois, est en relation directe et certaine avec la perte de chance subie par la patiente. Sa responsabilité est engagée. »
La patiente est décédée de son cancer. La perte de chance de survie a été évaluée à 20% (15 000 euros de dommages-intérêts à sa fille).

Gynéco-Online - Avril 2011
Voir le contenu de l'article [+]