Base de données - Radiologue

Agénésie non diagnostiquée : indemnité aux parents
Isabelle Lucas-Baloup


Deux radiologues procédant aux échographies de dépistage prénatal mentionnent, dans leurs comptes rendus, le premier que « l’enfant avait deux mains », le second « qu’il avait des membres visibles avec leurs extrémités ». Le bébé présente à la naissance un handicap consistant en une agénésie.
Les parents reçoivent une indemnité de 15 000 € chacun en réparation du préjudice subi par la privation de « pouvoir se préparer psychologiquement en faisant appel au besoin à un psychologue ou à un psychothérapeute en évitant alors la situation de détresse et de souffrance qu’ils ont connue suite au choc de la révélation du handicap au moment de la naissance. »


Arrêt du 15 décembre 2011, Cour d’appel de Versailles :

« SUR CE,

Attendu que Monsieur Patrick L. et Madame Isabelle L. née D. ne critiquent pas les dispositions du jugement entrepris relatives au rejet de leurs demandes concernant le préjudice personnel de leur fille, Tiffany L. ;

Attendu que l'application des dispositions de la loi du 4 mars et de l'article L 114-1 du code de l'action sociale et des familles en la présente instance concernant des faits survenus courant 2004 et 2005 est désormais admise par l'ensemble des parties ;

- Sur les demandes des époux L.

Attendu qu'il résulte des comptes rendus des échographies versés aux débats :

- que le Docteur Jean-Michel C. a mentionné concernant celle du 16 novembre 2004 : 'Le cerveau est présent ainsi que les deux mains et les deux pieds',

- que le Docteur Daniel B. a indiqué concernant celle du 26 janvier 2005 : 'les membres sont visibles avec leurs extrémités' ;

Attendu que le compte-rendu de l'échographie pratiquée le 30 mars 2005 ne comporte aucun élément relatif aux mains voire aux membres ;

Attendu que l'expert judiciaire, le Professeur Yves V., relate dans son rapport :

- en page 2 que le Docteur Jean-Michel C. lui a déclaré : 'J'ai vu 2 segments ressemblant à des mains à 13 sa. Je me suis trompé' ;

Attendu que pour sa part, le Docteur Daniel B. a fait à l'expert une réponse pour le moins sibylline : 'j'ai réalisé un examen complet' ;

Attendu que l'expert judiciaire mentionne que :

- le Docteur Jean-Michel C. est médecin radiologue et que sa formation a débuté il y a 30 ans et qu'il est membre du réseau d'échographie obstétricale Echo-78 et de son programme de FMC,
- le Docteur Daniel B. est également médecin radiologue, avec une formation commencée il y a 30 ans et qu'il réalise environ 1 000 échographies obstétricales par an dont 800 examens morphologiques et lui a fourni des attestations de FMC en échographie prénatale ;

Attendu que le Docteur Daniel B. verse aux débats de nombreuses attestations de présence à des séminaires, journées de formation durant les années 200 à 2005 et des cours d'échographie en avril 1979 ;

Attendu que l'expert judiciaire dans son rapport estime que ces deux praticiens pouvaient être considérés eu égard à leur âge et leurs cursus comme fondés à réaliser des échographies de dépistage prénatal au moment des faits et que pour les mêmes raisons ils pouvaient attester d'une formation médicale continue et que les machines utilisées pouvaient être considérées comme adaptées ;

Attendu que les éléments du dossier et les déclarations recueillies par l'expert judiciaire et les constatations qu'il a pu faire, établissent que le Docteur Jean-Michel C., qui l'a reconnu, et le Docteur Daniel B. ont commis des erreurs, en mentionnant dans leur propre compte-rendu d'échographie que l'enfant que portait Madame Isabelle L. née D. :

- pour le Docteur Jean-Michel C. : avait deux mains,
- pour le Docteur Daniel B. : avait des membres visibles avec leurs extrémités alors qu'elle était atteinte d'une agénésie ;

Attendu qu'ainsi le défaut de diagnostic tant du Docteur Jean-Michel C. que du Docteur Daniel B. lors de leurs premières échographies apparaît caractérisé et constitue au sens des dispositions de l'article 1147 du code civil aux termes desquelles il se forme entre le médecin et son client un véritable contrat comportant pour le praticien notamment de lui donner des soins consciencieux et attentifs conformes aux données avérées de la science ;

Qu'il importe peu que les recommandations récentes mentionnées par l'expert judiciaire pour le dépistage prénatal concernant l'amputation d'au moins un segment de membre ne s'appliquaient pas à l'époque des faits, puisqu'en l'espèce le Docteur Jean-Michel C. et le Docteur Daniel B. avaient par écrit mentionné l'existence des deux mains et que la situation aurait été toute autre s'il n'avait porté aucune indication sur ces membres ;

Attendu que les observations de l'expert judiciaire sur les conséquences de ce qu'il qualifie 'de défaut de diagnostic' ne présentent désormais plus d'intérêt pour le handicap subi par l'enfant lui-même, les demandes présentées de ce chef n'étant pas maintenues par ses parents, eu égard aux dispositions de la loi du 4 mars 2002 ;

Que le Professeur Yves V. indique que les conséquences de cette absence de diagnostic ont été l'impossibilité pour le couple de réfléchir à la prise en charge post-natale de Tiffany et précise en outre qu'en ce qui concerne le choc de cette nouvelle à la naissance, il est impossible de dire si ce choc eut été moindre si l'annonce avait été faite avant la naissance ;

Qu'il fait valoir en ce qui concerne une éventuelle demande d'interruption de grossesse pour raison médicale, celle-ci aurait été vraisemblablement refusée par les Centres Pluridisciplinaires de Diagnostic Prénatal Français et que le recours à un Centre d'interruption étranger aurait été possible essentiellement pendant moins de 10 jours après la date de l'examen échographique, le terme limite étant de 26 semaines au Royaume Uni ; qu'il ajoute qu'il est peu vraisemblable qu'une décision de cette gravité eut pu être prise dans ce contexte et dans un laps de temps aussi court ;

Attendu que la décision du 6 février 2007 de l'Ordre des Médecins, conseil régional d'Ile de France, en rejetant la plainte déposée par les parents de Tiffany, précise qu'elle ne se prononce que sur des griefs de nature déontologique et non sur des griefs de nature technique dont l'appréciation ne peut être réalisée qu'au terme d'une expertise contradictoire et qu'il appartient aux juridictions de droit commun de diligenter, les critiques de Monsieur Patrick L. et de Madame Isabelle L. née D. apparaissant exclusivement de nature technique ;

Attendu que les études, produites aux débats, pour intéressantes qu'elles soient, ne présentent aucune valeur probante en la présente instance ;

Attendu qu'il convient d'examiner la demande dont est désormais saisie la Cour d'Appel de Versailles par Monsieur Patrick L. et Madame Isabelle L. née D. au regard des dispositions de l'article L 114-1 du code de l'action sociale et des familles ainsi libellé :

'Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis à vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice' ;

Attendu que tant le Docteur Jean-Michel C. que le Docteur Daniel B., professionnels particulièrement confirmés au vu des pièces produites et des indications fournies par l'expert judiciaire pour procéder à des échographies prénatales, se sont montrés négligents et trop hâtifs dans leurs examens et l'affirmation de ce que l'enfant avait bien ses membres supérieurs alors qu'il n'en était rien constitue une faute, caractérisée au regard de l'article L 114-1 du code de l'action sociale et des familles, qui engagent leur responsabilité ;

Attendu qu'il ne peut être préjugé de l'avis des médecins qui auraient eu à se prononcer sur une éventuelle interruption thérapeutique de grossesse au regard de l'agénésie affectant un avant-bras de l'enfant ni sur la décision des parents dans de brefs délais pour une IVG à l'étranger où elle demeurait encore envisageable ;

Mais attendu que si l'accouchement est pour une mère un événement heureux puisqu'il permet la venue au monde de son enfant, il est également un moment de fatigue physique et psychologique qui vient aggraver la révélation du handicap de l'enfant à ce moment-là ;

Attendu que si les parents avaient connu par les examens échographiques le handicap de leur enfant avant la naissance de celle-ci, ils auraient pu se préparer psychologiquement à la venue de cet enfant en faisant appel au besoin à un psychologue ou à un psychothérapeute et n'auraient pas vécu la situation de détresse et de souffrance qu'ils ont connue suite au choc de la révélation du handicap au moment de la naissance ;

Attendu que les fautes caractérisées commises par le Docteur Jean-Michel C. et le Docteur Daniel B. ont entraîné pour Monsieur Patrick L. et Madame Isabelle L. née D. un préjudice moral pour n'avoir pu se préparer au handicap de leur enfant, consistant en une agénésie, qu'il convient de réparer ;

Que le préjudice moral ainsi causé aux parents doit être indemnisé par l'allocation à chacun d'eux d'une somme de 15.000 euros, soit 30.000 euros au total, et ce, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Attendu que la demande de préjudice matériel, consistant en une modification de leur condition de vie du fait du handicap de leur enfant, chiffré à la somme de 75.000 euros pour chacun des parents n'apparaît pas justifiée en l'espèce, aucune pièce n'étant versée aux débats pour des frais qui seraient ou resteraient à charge depuis la naissance alors que l'enfant est âgée désormais de 6 ans et demi et constitue en pratique une indemnisation du préjudice lié au handicap de l'enfant non indemnisable dans le cadre de la loi du 4 mars 2002 ;

- Sur l'article 700 du code de procédure civile

Attendu qu'au regard des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il apparaît équitable :

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté le Docteur Jean-Michel C. de sa réclamation de ce chef en première instance,

- de condamner le Docteur Jean-Michel C. et le Docteur Daniel B. in solidum à verser à Madame Isabelle L. née D. et à Monsieur Patrick L. une somme de 3.000 euro pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel,

- de débouter le Docteur Jean-Michel C. de sa réclamation de ce chef en cause d'appel ;

- Sur les dépens

Attendu que le Docteur Jean-Michel C. et le Docteur Daniel B. supporteront les entiers dépens de première instance, les frais d'expertise judiciaire et les dépens d'appel avec faculté de recouvrement direct au profit de la SCP Mélina P., avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt doit être déclaré commun à la CPAM des Yvelines ;


PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire,

Confirme le jugement du 20 mai 2010 rendu par le Tribunal de Grande Instance de Versailles en ses seules dispositions relatives au rejet des demandes d'indemnisation du préjudice de Tiffany L. et aux frais irrépétibles de première instance concernant le Docteur Jean-Michel C. et les époux L.,

Réformant le jugement entrepris pour le surplus et statuant à nouveau,
Dit et juge que le Docteur Jean-Michel C. et le Docteur Daniel B. ont, au regard des dispositions des articles 1147 du code civil et article L 114-1 du code de l'action sociale et des familles, commis des fautes caractérisées à l'égard de leur patiente, Madame Isabelle L. née D., lors des échographies qu'ils ont pratiquées et doivent en conséquence être tenus à en réparer les conséquences subies tant par cette dernière que par Monsieur Patrick L., père de l'enfant,

Condamne in solidum le Docteur Jean-Michel C. et le Docteur Daniel B. à payer à Monsieur Patrick L. et à Madame Isabelle L. née D., à chacun d'eux, une somme de 15.000 euro en réparation de leur préjudice moral soit pour les deux un total de 30.000 euro, la dite somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Déboute Monsieur Patrick L. et Madame Isabelle L. née D. de leur demande de préjudice matériel,

Condamne in solidum le Docteur Jean-Michel C. et le Docteur Daniel B. à verser à Madame Isabelle L. née D. et à Monsieur Patrick L. une somme de 3.000 euros pour les frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel,

Déboute le Docteur Jean-Michel C. de sa réclamation au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Déclare l'arrêt commun à la CPAM des Yvelines. »

Gyneco Online - Janvier 2012
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Cancer du sein : distribution des responsabilités par la jurisprudence
Isabelle Lucas-Baloup

Deux affaires récentes illustrent la distribution des responsabilités lorsque certaines patientes n’ont pas la chance d’un diagnostic et traitement rapide et efficace de leur cancer du sein.
Le premier arrêt (Cour d’appel de Montpellier) constitue une illustration d’un cumul de comportements jugés fautifs, avec distribution de la charge indemnitaire entre le radiologue, le chirurgien et le radiothérapeute.
L’arrêt suivant (Cour d’appel de Paris) retient l’entière responsabilité du radiologue.


Cour d’appel de Montpellier, 6 octobre 2010 (n° 09/00161)

Cet arrêt constitue un exemple d’analyse par les Juges, après expertise, des responsabilités respectivement encourues par :

- un radiologue, pour retard au diagnostic d’un cancer du sein, puis de sa récidive,
- un chirurgien, pour retard au traitement de la récidive cancéreuse,
- un radio-chimiothérapeute, pour avoir inversé les traitements de radiothérapie et de chimiothérapie,

faisant perdre à la patiente 50% de chances de survie.

Le radiologue : 70% de responsabilité
L’expert a relevé que le radiologue n’avait pas vu sur les mammographies les micro-calcifications situées à proximité du nodule, classées en ACR4, ce qui imposait un contrôle histologique qui n’a donc pas eu lieu. C’est à partir d’un compte rendu radiographique erroné que le chirurgien a décidé une chirurgie conservatrice plutôt qu’une mastectomie totale. Après l’intervention chirurgicale, le même radiologue n’a toujours pas diagnostiqué la récidive du cancer du sein bien que la patiente soit revenue le voir devant l’élargissement d’une plaque fibreuse près de la cicatrice.

Le chirurgien : 10%
Il a décidé de pratiquer une chirurgie conservatrice plutôt qu’une mastectomie compte tenu des résultats des examens radiographiques interprétés par le radiologue, ce qui ne lui est pas imputé à faute compte tenu du compte rendu reçu du radiologue.
Cependant, lorsqu’il constate la présence d’une zone nodulaire évoquant un noyau fibreux dans la périphérie du sein traité, avec modifications de la cicatrice, il aurait dû immédiatement prescrire des examens complémentaires tels que mammographie, biopsie, lesquels auraient permis de détecter une récidive du cancer, ce qu’il n’a pas fait.

Le radio-chimiothérapeute : 20%
Le chimiothérapeute a procédé d’abord à un traitement de radiothérapie puis à un traitement de chimiothérapie, alors que « la littérature médicale prescrit l’inverse» déclare l’expert. De même, après avoir constaté la présence d’un nodule au niveau de la cicatrice, il n’a pas prescrit de mesures urgentes avec des examens approfondis, ce qui a généré un retard de 9 mois dans le traitement de la récidive concernée par une équipe pluridisciplinaire oncologique alors que la patiente présentait un stade avancé compte tenu de la dissémination métastatique ganglionnaire.

La patiente est décédée des suites de sa maladie.


Cour d’appel de Paris, 12 novembre 2010 (n° 08/23503)

Cette décision condamne le radiologue au motif ci-après :

« Le cancer du sein a été diagnostiqué le 18 juin 2003. A cette date il s’agissait d’une lésion classée T2 (3 cm de diamètre) N1, avec un ganglion palpable et suspect. En février 2003, la lésion était beaucoup plus petite (T1<2cm) et l’adénopathie n’était pas perçue par la patiente. Elle semble néanmoins avoir été perçue par le gynécologue, qui l’a dessinée dans son dossier. Il semblerait qu’on soit passé d’un stade I (T1 N0) à un stade IIb (T2 N1). Il existe un retard de diagnostic de 4 mois, qui a entraîné une perte de chance. Pour une lésion classée T1, la survie à 10 ans après un traitement est de plus de 80%. Elle n’est plus que de 60% pour les tumeurs T2. Il y a donc une diminution des chances de survie que l’on peut quantifier à 20%. L’apparition de ganglions métastatiques préjore l’évolution de façon semblable. Par contre, le retard de diagnostic n’a pas eu de réelle incidence sur les traitements, seulement une aggravation du traumatisme psychologique. »

La Cour conclut : « Le radiologue a interprété de façon erronée la mammographie effectuée le 21 février 2003 et cette faute, à l’origine d’un retard de diagnostic de 4 mois, est en relation directe et certaine avec la perte de chance subie par la patiente. Sa responsabilité est engagée. »
La patiente est décédée de son cancer. La perte de chance de survie a été évaluée à 20% (15 000 euros de dommages-intérêts à sa fille).

Gynéco-Online - Avril 2011
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Echographies fœtales
(arrêt du 16 janvier 2013)
Isabelle Lucas-Baloup

On se souvient des jurisprudences Quarez et Perruche, puis de la décision du 11 juin 2010 du Conseil Constitutionnel sur la conformité à la Constitution de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles, commentée sur ce site (cf. Rubrique juridique, septembre 2010, « Affaire Perruche, suite… et fin ? ») :

L’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles :

« Nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance.

« La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer.

« Lorsque la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d’une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. »

fait déjà l’objet d’applications jurisprudentielles et la Cour de cassation vient de se prononcer en rejetant le pourvoi engagé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 15 décembre 2011, également commenté sur ce site il y a un an (« Agénésie non diagnostiquée : indemnité aux parents », janvier 2012).

Il est intéressant de connaître la motivation retenue par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt du 16 janvier 2013, pour rejeter le pourvoi engagé par les médecins condamnés :

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, du 15 décembre 2011), que, le 13 mai 2005, Mme X… a accouché d’une fille prénommée Tifanny présentant une agénésie de l’avant-bras droit, qu’au cours de sa grossesse, elle avait fait l’objet de trois échographies, la première pratiquée le 16 novembre 2004 par M. Y…, les deux autres les 26 janvier et 30 mars 2005, par M. Z…, tous deux médecins échographistes ; que M. et Mme X… ont recherché la responsabilité des deux praticiens ;

« Sur le moyen unique du pourvoi principal :

« Attendu que M. Z… fait grief à l’arrêt de le condamner in solidum avec M. Y…, à réparer le préjudice moral subi par M. et Mme X…, alors, selon le moyen, que la responsabilité d’un professionnel de santé envers les parents d’un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse suppose la commission d’une faute caractérisée ; que, s’agissant d’une échographie, la faute caractérisée est celle qui, par son intensité et son évidence, dépasse la marge d’erreur habituelle d’appréciation, compte tenu des difficultés inhérentes au diagnostic anténatal ; qu’en l’espèce, en affirmant que M. Z… avait commis une faute caractérisée sans préciser en quoi la mention dans le compte-rendu de l’échographie de l’existence de membres supérieurs du fœtus dépassait la marge d’erreur habituelle d’appréciation pour un examen qui comporte une irréductible part d’aléa, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ;

« Mais attendu que la Cour d’appel a relevé que M. Z… avait indiqué, dans son compte-rendu écrit du 26 janvier 2005, que les membres étaient « visibles avec leurs extrémités » ; qu’elle a pu en déduire que cette affirmation constituait une faute qui, par son intensité et son évidence, était caractérisée au sens de l’article précité ; que le moyen n’est pas fondé ;

« Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches :

« Attendu que M. Y… reproche également à l’arrêt de le condamner à l’égard de M. et Mme X…, alors, selon le moyen :

« 1°/ que la responsabilité d’un professionnel de santé ne peut être engagée à l’égard des parents d’un enfant né avec un handicap qu’en cas de faute caractérisée ; qu’en se bornant à énoncer que M. Y…, qui avait affirmé de façon erronée que l’enfant avait ses deux mains, avait commis une faute caractérisée, sans indiquer en quoi, compte tenu de l’état de développement du fœtus, peu avancé lors de la première échographie, cette erreur constituait une faute caractérisée, compte tenu des difficultés et de la marge d’erreur inhérentes à ce type d’examen, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ;

« 2°/ que la responsabilité d’un professionnel de santé ne peut être engagée à l’égard des parents d’un enfant né avec un handicap qu’en cas de faute caractérisée ; qu’en se bornant à énoncer que M. Y…, qui avait affirmé de façon erronée que l’enfant avait ses deux mains, avait commis une faute caractérisée, motif pris qu’il s’était montré négligent et trop hâtif dans son examen, sans relever aucun élément permettant d’établir que M. Y… n’aurait pas consacré à l’examen médical tout le temps et l’attention que celui-ci requérait, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ;

« Mais attendu que la Cour d’appel, qui a déduit l’existence d’une faute caractérisée au sens de l’article précité, de la constatation que M. Y… avait affirmé, dans le compte-rendu écrit de l’examen, la présence de deux mains, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ;

« Par ces motifs :

« Rejette le pourvoi ;

« Condamne MM. Z… et Y… aux dépens ; »

Gynéco Online - Mars 2013
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Radiation d'une SELAS de radiologues pour perte d’indépendance
(Conseil d’Etat, juge des référés, 4 janvier 2024, n° 490099)
Isabelle Lucas-Baloup

Le Conseil départemental du Rhône de l’Ordre des médecins avait décidé, le 7 novembre 2023, de radier une SELAS de radiologues du tableau de l’Ordre au motif qu’il résultait des nouveaux statuts et du pacte d’associés, après que la société ait accepté en son sein comme associé non exerçant un Groupe  se présentant comme « une société de consolidation de l’imagerie médicale », l’Ordre analysant d’une manière critique : « en particulier la compétence du conseil stratégique de la société, le contrôle de cette instance, la répartition du capital, les droits attachés aux différentes catégories d’actions, les règles de distribution des bénéfices et les conditions d’agrément des transferts de titres, la perte du contrôle effectif de la société par les praticiens qui y sont associés et y exercent leur profession, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 4127-5 du code de la santé publique, aux termes desquels : “Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit” ».

Après sa radiation, la SELAS a saisi le Conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes d’un recours administratif, puis a demandé au juge des référés du Conseil d’Etat de suspendre l’exécution de la radiation.

Il est donc très intéressant de lire l’ordonnance de référé rendue le 4 janvier 2024, laquelle a suspendu l’exécution de la radiation prononcée le 7 novembre 2023 par le Conseil départemental du Rhône de l’Ordre des médecins en prenant notamment en considération que :

« La radiation de la SELAS du tableau de l’ordre des médecins a pour effet de lui interdire d’exercer son activité, et par suite, notamment, d’exploiter les équipements matériels lourds qu’elle avait été autorisée à installer. […] L’arrêt de son activité privera de revenu professionnel les soixante-sept salariés qu’elle emploie, ainsi que, pour une part, les radiologues associés en son sein, et mettra fin notamment, selon les informations qu’elle a communiquées, à sa participation aux activités des services d’urgences, de chirurgie et de réanimation de l’important établissement de santé privé Médipôle Lyon-Villeurbanne. La SELAS justifie ainsi d’une atteinte grave et immédiate à sa situation et à celle des salariés et des praticiens travaillant en son sein. »

L’ordonnance de référé a également analysé un vice de procédure susceptible de créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

Les radiologues, nombreux, qui cèdent actuellement leurs cabinets d’imagerie médicale à des Groupes leur imposant des conditions compromettant leur indépendance professionnelle en contrepartie d’un prix de vente inespéré il y a encore quelques années, ont le plus grand intérêt, particulièrement les plus jeunes qui exerceront sous la gouvernance, directe ou indirecte, des financiers qui les achètent, à s’intéresser à ces premières décisions ordinales courageuses ayant pour objet de défendre les droits des médecins dont les structures sont cédées, en contrôlant les statuts, les règlements intérieurs, les pactes d’associés et autres documents souvent « confidentiels » imposés par les Groupes investisseurs aux cédants, lesquels n’ont pas toujours conscience de la portée des contrats qu’ils signent au moment de la vente.

Une affaire à suivre au fond.

Gynéco-online - avril 2024


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Radiologue, médecin traitant, chirurgien et oncologue : cancer du sein, absence de responsabilité fautive
(arrêt Cour d’appel de Douai, 3ème chambre, 25 mai 2023, n° 21/00252)
Isabelle Lucas-Baloup

Cet arrêt est intéressant en ce qu’il analyse, sur assignation des héritiers d’une patiente décédée d’un cancer du sein, les responsabilités encourues par quatre professionnels de santé : radiologue, médecin traitant, chirurgien puis oncologue. La Cour écarte la responsabilité du radiologue et du médecin traitant et ordonne une expertise médicale complémentaire pour statuer sur la responsabilité du chirurgien et de l’oncologue :

 

« EXPOSE DU LITIGE

 

1. Les faits et la procédure antérieure :

 

Mme [O patiente] a consulté M. [N médecin traitant], son médecin traitant, alors qu’elle avait constaté la présence d’une boule au sein droit fin 2015.

 

M. [N médecin traitant] lui a prescrit deux examens réalisés par Mme [U radiologue] : une mammographie, réalisée le19 octobre 2015 et une échographie mammaire, réalisée le 22 octobre 2015.

 

Le 20 octobre 2016, M. [T], gynécologue de Mme [O patiente], a détecté la grosseur et a prescrit des investigations ayant conduit à un diagnostic de cancer du sein de grade III.

 

M. [I chirurgien] a procédé en novembre 2016 à une mastectomie partielle avec curage axiliaire du sein droit.

 

Mme [J oncologue] a mis en œuvre entre décembre 2016 et mai 2017 un traitement par chimiothérapie, avant qu’elle ne diagnostique chez Mme [O patiente] l’existence de métastases sur les os ayant justifié un changement de thérapie jusqu’au décès de la patiente.

 

Mme [O patiente] ayant saisi le juge des référés, l’expert oncologue [B], assisté du sapiteur radiologue [P], a en définitive déposé son rapport le 7 août 2020.

 

Invoquant la responsabilité des différents professionnels de santé, Mme [O patiente] a assigné à jour fixe par actes des 24 et25 septembre 2020 M. [I chirurgien], Mme [U radiologue], Mme [J oncologue] et M. [N médecin traitant], ainsi que la caisse primaire d’assurance-maladie, devant le tribunal judiciaire.

 

2. Le jugement dont appel :

 

Par jugement rendu le 24 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :

 

1- rejeté la fin de non-recevoir formulée par Mme [J oncologue] quant à l’absence d’urgence ;

2- dit que l’affaire est en état d’être jugée ;

3- rejeté la demande de renvoi à l’audience de mise en état formulée par Mme [U radiologue] ;

4- dit que la responsabilité de Mme [U radiologue] est engagée ;

5- dit que la responsabilité de M. [N médecin traitant] est engagée ;

6- dit que la responsabilité de M. [I chirurgien] est engagée ;

7- dit que la responsabilité de Mme [J oncologue] est engagée ;

8- dit que Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] seront condamnés in solidum à réparer le préjudice subi par Mme [O patiente] ;

9- condamné in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à payer à Mme [O patiente] une provision de 40 000 euros à valoir sur son préjudice suite à sa prise en charge défectueuse ;

10- sursis à statuer sur le recours subrogatoire de la caisse primaire d’assurance-maladie du Hainaut, dans l’attente de la consolidation de l’état de santé de Mme [O patiente] ;

11- condamné in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à payer à Mme [O patiente] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

12- condamné in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à payer à Mme [O patiente] à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie la somme de 1 091 euros sur le fondement de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

13- condamné in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] aux dépens ;

14- ordonné l’exécution provisoire de son jugement.

 

Mme [O patiente] est décédée le [Date décès 7] 2021. L’instance a été reprise par ses trois fils.

 

3. Les déclarations d’appel :

 

Par déclaration du 8 janvier 2021, M. [N médecin traitant] a formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 5, 8 à 14 ci-dessus.

 

Par déclaration du 19 janvier 2021, Mme [U radiologue] a formé appel à l’encontre de ce jugement, en visant les chefs de son dispositif n°3, 4, 8, 9, 11 à 13 ci-dessus.

 

Par déclaration du 11 mars 2021, Mme [J oncologue] a formé appel de ce jugement, en visant les chefs de son dispositif n°1, 2,4 à 14 ci-dessus.

 

Les instances ont été jointes par ordonnances des 17 juin 2021 et 7 avril 2022.

 

4. Les prétentions et moyens des parties :

 

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2022, M. [N médecin traitant] demande à la cour d’infirmer le jugement critiqué en ses dispositions visés par sa déclaration d’appel et, statuant de nouveau, de :

 

  • le recevoir en ses écritures les disant bien fondées ;
  • dire et juger qu’aucune preuve d’une quelconque faute de sa part n’est rapportée ;
  • rejeter toutes demandes, fins et conclusions formulées à son encontre ;
  • condamner la ou les parties succombantes à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.

 

A l’appui de ses prétentions, il fait valoir que la preuve d’une faute n’est pas établie à son encontre, alors que le premier juge s’est exclusivement fondé sur les seules déclarations a posteriori de Mme [O patiente] pour estimer qu’elle avait informé son médecin de la progression clinique du nodule du sein, sans que ce dernier n’ait jugé utile de l’examiner en dépit de ses plaintes et de lui prescrire des examens ; le reproche d’un diagnostic tardif d’une année ayant conduit à un cancer du sein métastatique incurable n’est pas établi : les seuls propos de Mme [O patiente] ne suffisent pas à prouver la faute alléguée, alors qu’à l’inverse, les deux examens réalisés par la radiologue Mme [U radiologue] sur sa prescription ne montraient aucune anomalie particulière et n’exigeaient aucun suivi, et qu’enfin, les consultations par Mme [O patiente] entre octobre 2015 et octobre 2016 portaient sur d’autres motifs ; les conclusions des experts reposent sur une simple déduction à partir de l’évolution ultérieure de la maladie.

 

Aux termes de ses conclusions notifiées le 17 octobre 2022, Mme [U radiologue] demande à la cour d’infirmer la décision entreprise et de :

 

  • rejeter toutes demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont diligentées à son encontre ;
  • condamner la ou les parties succombantes à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.

 

A l’appui de ses prétentions, Mme [U radiologue] fait valoir que :

 

  • elle n’a commis aucune faute, dès lors qu’aucun élément suspect ne figurait sur les clichés radiologiques, même après une vérification par échographie et relecture de la mammographie par un confrère, et qu’à ce titre, le suivi se limitait à fixer un nouveau rendez-vous de contrôle à l’issue d’une période de deux ans en fonction de seins classés ACR2. Les conditions techniques de réalisation des examens sont conformes aux données de la science, selon les experts judiciaires eux-mêmes. Les recommandations de l’Anaes prévoyaient à l’époque des faits litigieux un arrêt de la démarche diagnostique et l’absence de surveillance particulière, de sorte que le tribunal a retenu à tort une obligation à son encontre de procéder à un examen radiologique de vérification dans un délai de 3 à 4 mois, dès lors que le classement ACR2 n’a pas été par ailleurs valablement remis en cause par les experts qui ont procédé à une relecture a posteriori s’inspirant de l’évolution effective ultérieure de la grosseur.

 

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 novembre 2022, M. [I chirurgien] demande à la cour de réformer le jugement critiqué en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

 

  • débouter les ayants droit de Mme [O patiente] de l’ensemble de leurs demandes ;
  • ordonner une contre-expertise avec mission d’expertise proposée dans le corps de ses conclusions.

 

A l’appui de ses prétentions, M. [I chirurgien] fait valoir que :

 

  • aucune faute n’est établie à son encontre, dès lors que l’indication opératoire était valable : lors de son examen initial de Mme [O patiente], cette dernière présentait une tumeur volumineuse, sans notion de métastases, de sorte qu’une intervention chirurgicale rapide était requise, notamment pour accroître la survie globale de la patiente ; au lieu de faire perdre du temps, cette intervention chirurgicale a augmenté les chances de survie ; à l’inverse, l’efficacité d’une chimiothérapie d’emblée n’est pas démontrée, alors que Mme [O patiente] présentait une tumeur hormono-résistante au traitement par hormonothérapie ;
  • aucun préjudice en lien avec la faute reprochée ne peut être établi : alors qu’en fonction du décès de la patiente, la cour ne dispose d’aucun élément pour connaître le taux de perte de chance de survie et le nombre d’année de vie perdu ;
  • subsidiairement, la condamnation in solidum des différents professionnels de santé n’est pas justifiée, alors qu’elle ne peut intervenir qu’à la condition que plusieurs personnes aient concouru et causé un seul et même dommage : en l’espèce, les fautes reprochées sont distinctes et ont entraîné des préjudices distincts.
  • la notion de « perte de chance » ne concerne que Mme [J oncologue].

 

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2022, Mme [J oncologue] demande à la cour de réformer le jugement critiqué en toutes ses dispositions :

 

=> Sur la procédure :

 

  • dire que Mme [O patiente] était irrecevable en ses demandes en raison de l’absence d’urgence ;
  • juger que les dossiers enregistrés sous les n°21/00304, 21/01487, 21/00252, 21/00423 concernent la même affaire et ordonner leur jonction ;

 

=> Sur le fond :

 

  • à titre principal : juger qu’elle n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
  • à titre subsidiaire : si, par extraordinaire, la cour estimait qu’un doute subsiste quant à l’analyse de la prise en charge, ordonner une contre-expertise médicale avec pour mission comme précisée dans le corps de ses conclusions ;
  • en tout état de cause : condamner les ayants-droits de Mme [O patiente] aux dépens et à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

 

A l’appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

 

  • elle n’a pas commis de faute: sur ce point, le tribunal a suivi les conclusions de l’expert , en violation de l’article 246 du code de procédure civile disposant qu’il n’est pas lié par celles-ci ; à l’inverse, l’expert judiciaire a retenu qu’il s’agissait d’un cancer de type luminal A, alors qu’il résulte d’un rapport établi par le professeur [F] qu’il s’agissait d’un type B : cette distinction a un intérêt pour décider de la nature du traitement, même s’agissant d’un cancer du sein métastatique, contrairement à l’affirmation de l’expert judiciaire ; l’expert a faussement apprécié l’intérêt d’une RCP datant du 9 novembre 2016 et ayant permis de décider de l’administration d’un traitement complémentaire par chimiothérapie, d’une irradiation locorégionale et d’une hormonothérapie ; l’expert s’est trompé en indiquant qu’elle n’était pas présente pour présenter le dossier de sa patiente à la RCP du 2 janvier 2017 ; le reproche par l’expert d’avoir d’emblée eu recours à une chimiothérapie, et non à une hormonothérapie, n’est pas justifié, alors qu’une telle stratégie thérapeutique a été validée en RCP et que les études scientifiques ne permettent pas à l’époque de trancher en faveur d’une hormonothérapie de première ligne en présence d’un cancer métastatique chez une femme de 40 ans non ménopausée ; à l’inverse, les recommandations de la HAS préconisent en 2010 un traitement initial par chimiothérapie, avant d’envisager une hormonothérapie et une radiothérapie (RT) ; la radiothérapie n’est indiquée qu’en situation adjuvante après chirurgie hors situation métastatique, selon les normes médicales, étant observé que le centre [29] a également exclu ce type de thérapie, de sorte qu’il n’existe aucune perte de chance de contrôle tuméral par l’absence de recours ; en outre, la tumeur s’est révélée à la fois chimio- et hormono-résistante, de sorte que l’impact du traitement adopté est en tout état de cause limité ;
  • subsidiairement, elle demande une contre-expertise, sur laquelle le tribunal judiciaire ne s’est pas prononcé.

 

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2022, MM. [A] [Z], M. [S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z], demandent à la cour de :

 

' confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir de Mme [J oncologue] sur l’absence d’urgence ;

' confirmer le jugement attaqué en ce qu’il dit que Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] avaient engagé pour chacun leur responsabilité ;

' Déclarer Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] pleinement responsables du préjudice subi par Mme [O patiente] ;

' Condamner in solidum Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à leur verser, ès-qualité d’héritiers de Mme [O patiente], une indemnité de 235 816 euros sur l’indemnisation de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, sauf à parfaire ;

' condamner in solidum Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à leur verser, ès-qualité d’héritiers de Mme [O patiente], la somme de 100 000 euros à titre de perte de chance de survie ;

' les recevoir en leur intervention volontaire ;

' en conséquence, condamner in solidum Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à leur verser la somme de 20 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral ;

' en tout état de cause débouter, Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] de leurs appels incidents et de leurs demandes plus amples et contraires ;

' condamner Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] in solidum au paiement d’une indemnité procédurale de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

 

 

A l’appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

 

  • la motivation du jugement doit être adoptée par la cour s’agissant de la responsabilité des différents professionnels de santé ; M. [N médecin traitant] ment lorsqu’il indique que Mme [O patiente] ne lui a pas indiqué l’existence de douleurs au niveau du sein droit lors des 10 consultations entre octobre 2015 et octobre 2016 : à cet égard, le dossier médical indique « mastodynies » au 28 décembre 2015 ; M. [I chirurgien] a accéléré la croissance des métastases osseuses par sa chirurgie première et retardé un traitement systémique qui pouvait soulager les douleurs de la patiente ;
  • les différentes fautes commises ont entraîné une perte de chance de survie, alors qu’il appartient aux responsables d’indemniser les ayants-droits de la patiente décédée des préjudices subis par cette dernière, outre leur propre préjudice moral personnel.

 

Dans ses conclusions notifiées le 13 octobre 2022, la caisse primaire d’assurance-maladie, demande à la cour de :

 

  • confirmer le jugement critiqué en ce qu’il a :
  • dit que Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] étaient responsables des préjudices subis par Mme Mme [O patiente] ;
  • condamné in solidum les professionnels de santé à payer à la Caisse la somme de 1 091 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion
  • déclarer la caisse primaire d’assurance-maladie recevable en sa prétention nouvelle, en raison de la survenance du décès de l’assurée sociale postérieurement au jugement de première instance ;

 

en conséquence,

 

  • condamner in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]au paiement d’une somme de 228 479,08 euros au titre des débours définitifs exposés pour le compte de l’assurée sociale,
  • condamner in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] au paiement d’une somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,
  • condamner in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] au paiement d’une somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
  • condamner in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] aux entiers frais et dépens d’appel.

 

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il y a lieu de se référer à leurs dernières conclusions visées ci-dessus, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION :

 

Sur la recevabilité de l’intervention volontaire des ayants droit de Mme [O patiente]:

 

Aux termes des articles 554 et 555 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt, les personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

 

Alors qu’ils ont d’une part repris l’instance interrompue par le décès de Mme [O patiente] en leur qualité d’héritiers, MM. [A][Z], M. [S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z], sont par ailleurs intervenus volontairement à l’instance aux fins de solliciter l’indemnisation de leur préjudice personnel résultant du décès de leur mère.

 

N’ayant pas été parties en première instance, leur intervention volontaire devant la cour est recevable.

 

Sur la recevabilité de la demande de Mme [O patiente] :

 

L’article 840 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 13 décembre 2019 applicable à l’espèce, dispose qu’en cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut autoriser le demandeur, sur sa requête, à assigner le défendeur à jour fixe.

 

L’ordonnance rendue par le président est une mesure d’administration judiciaire, qui ne peut faire l’objet d’aucun recours.

 

Ainsi, le tribunal est valablement saisi par l’assignation délivrée en application de cette ordonnance ayant autorisé le recours à l’assignation à jour fixe, en application de l’article 843 du même code, alors que la juridiction dispose de la simple faculté d’ordonner le renvoi de l’affaire devant le juge de la mise en état.

 

Il en résulte que la contestation d’une urgence par Mme [J oncologue] au titre d’une procédure à jour fixe ne constitue pas une fin de non-recevoir qu’elle peut opposer aux ayants droit de Mme [O patiente].

 

Sur la responsabilité des professionnels de santé :

 

Si la cour n’est pas liée par les conclusions de l’expert, conformément à l’article 246 du code de procédure civile, il lui appartient toutefois de préciser sur quels éléments médicaux elle se fonde pour parvenir à une conclusion contraire à celle de l’expertise judiciaire

 

2.1. s’agissant de M. [N médecin traitant] :

 

La responsabilité du praticien n’est, en principe, engagée qu’en cas de faute, sur le fondement de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002, dont la preuve incombe aux demandeurs en réparation, dès lors que les professionnels de santé ne sont soumis qu’à une obligation de moyens et non de résultat, à l’égard de leurs patients.

 

Le médecin ne pouvant être tenu de poser le bon diagnostic, une erreur ou un retard de diagnostic ne sont pas en eux-mêmes constitutifs d’une faute, laquelle implique que le médecin ne se soit pas donné les moyens pour tenter de parvenir au bon diagnostic.

 

À cet égard, l’article R. 4127-33 du code de la santé dispose que « le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés ».

 

Lorsqu’il existe un doute concernant le diagnostic les articles R. 4127-32 et R 4127-33 du code de la santé publique font obligation au médecin de recourir à l’aide des tiers compétents et d’obtenir des concours appropriés.

 

Le médecin est par conséquent responsable du diagnostic établi à la légère en négligeant de s’entourer de tous les renseignements nécessaires ou même simplement utiles et en n’ayant pas eu recours au procédé de contrôle et d’investigation exigé par la science.

 

En l’espèce, en sa qualité de médecin traitant de Mme [O patiente], M. [N médecin traitant] a certes été informé par cette dernière de la découverte d’une « boule » sur son sein droit à compter d’octobre 2015.

 

Pour autant, une pathologie maligne n’a été détectée que le 20 octobre 2016 par le gynécologue de Mme [O patiente], avant qu’une mammographie ne confirme la présence dans le sein droit d’une masse ayant atteint 30 mm et classéeACR5, associée à des ganglions axillaires droit.

 

M. [N médecin traitant] a toutefois pris en compte la découverte initiale de cette « boule », en prescrivant utilement des investigations auprès d’un radiologue, conformément à ses obligations professionnelles.

 

M. [N médecin traitant] a été ainsi éclairé par l’analyse de Mme [U radiologue], qui a procédé à une mammographie le 19 octobre 2015, complétée le 22 octobre 2015 par une échographie du sein. Les comptes-rendus de ces examens établis par cette radiologue indiquent une absence d’anormalité particulière au niveau de la tuméfaction palpée. La radiologue Mme [U radiologue] lui adresse ainsi un compte-rendu de mammographie indiquant qu’ « il s’agit probablement soit d’une formation kystique, soit d’une formation fibro-adénomateuse ».

 

Dans ces conditions, M. [N médecin traitant] indique valablement qu’après une telle analyse de l’imagerie médicale par une spécialiste, aucun suivi particulier de cette tuméfaction n’était requis d’office dans la prise en charge ultérieure de Mme [O patiente] alors que cette dernière ne prouve par ailleurs pas avoir spécifiquement reconsulté son médecin traitant pour lui en évoquer une évolution péjorative.

 

À cet égard, la preuve des soins apportés par un médecin à son patient repose notamment sur l’examen du dossier médical qu’il appartient au praticien de renseigner. La connaissance des motifs pour lesquels Mme [O patiente] a consulté M. [N médecin traitant] postérieurement aux examens précités doit par conséquent nécessairement prendre en compte les indications que ce médecin y a porté sur la période d’octobre 2015 à octobre 2016, étant observé que le caractère unilatéral d’une telle mention n’est pas en soi de nature à en affecter la sincérité. En l’absence de tout élément établissant l’existence d’une falsification de ce dossier médical, le premier juge ne pouvait par conséquent estimer que la fiabilité des éléments y figurant était douteuse. A l’inverse, M. [N médecin traitant] établit valablement par la production d’un tel document obligatoirement établi par le professionnel de santé qu’à l’inverse des allégations non étayées de sa patiente, les motifs de consultations par Mme [O patiente] chez son médecin traitant ne concernaient pas une telle grosseur du sein, et ceci sur l’ensemble de la période au cours de laquelle lui est reproché un défaut de suivi.

 

Il en résulte que le rapport d’expertise judiciaire, auquel le premier juge s’est exclusivement reporté pour retenir l’existence d’une faute imputable à M. [N médecin traitant], comporte des affirmations qui sont exclusivement fondées sur les seules allégations de Mme [O patiente] qui ne sont toutefois pas corroborées par les éléments issus de son propre dossier médical. D’une part, aucun diagnostic pathologique n’a été établi à l’issue des examens réalisés en octobre 2015, de sorte qu’à cette dernière date, il ne s’agissait pas d’une tumeur d’un centimètre de diamètre dont le caractère pathologique et la taille impliquaient qu’elle évolue vers un envahissement ganglionnaire selon une probabilité importante au cours des mois postérieurs aux examens réalisés, mais d’un nodule ne présentant aucune anomalie repérable. D’autre part, Mme [O patiente] n’établit pas avoir au cours de l’année ayant suivi ces examens, informé son médecin traitant d’une évolution clinique de cette « boule », de sorte que l’absence reprochée au médecin d’avoir pris en compte des doléances exprimées par la patiente n’est pas prouvée. À cet égard, la seule mention de « mastodynies » (douleur aux seins) lors d’une consultation du 28 décembre 2015 ne suffit pas à établir que Mme [O patiente] avait informé son médecin d’une évolution de la tuméfaction antérieurement observée sur l’un de ses seins, en l’absence d’autres précisions apportées sur la localisation de telles douleurs ou sur leur lien avec la grosseur. Le compte-rendu d’échographie établi en octobre 2015 par Mme [U radiologue], tel qu’il est repris par l’expertise judiciaire, indique à cet égard l’hypothèse d’une mastose en période pré menstruelle, renvoyant ainsi à une pathologie bénigne provoquant desseins douloureux.

 

L’absence d’examen par M. [N médecin traitant] n’est en outre prouvée par aucun élément du dossier, alors que l’expertise n’établit pas l’existence d’une évolution de la taille de la tuméfaction litigieuse à la date de cette consultation intervenant deux mois après les résultats de l’échographie, de sorte qu’en tout état de cause, une faute commise par M. [N médecin traitant] et résultant d’un défaut de détection d’une évolution maligne n’est pas prouvée par les ayants droit de Mme [O patiente]. Le caractère répété des sollicitations qu’a allégué Mme [O patiente] ne résulte en tout état de cause pas des motifs de ses consultations ultérieures, en dépit de la proximité temporelle des dernières dates de consultation par rapport à celle de la découverte de son cancer en octobre 2016.

 

En définitive, la seule circonstance que M. [N médecin traitant] n’ait pas d’office demandé à Mme [O patiente] de lui présenter à nouveau cette « boule » pour procéder à un nouvel examen au cours de la période postérieure à l’analyse radiologique établissant l’absence d’anomalie pathologique et jusqu’en octobre 2016, ne suffit pas à engager la responsabilité de ce médecin au titre du suivi médical de sa patiente. Enfin, aucune documentation médicale n’indique qu’à défaut de tout élément impliquant un suivi ultérieur, la palpation par un médecin généraliste du sein de sa patiente à l’occasion des consultations constitue un examen de routine, dont le défaut devrait s’analyser comme une négligence.

Le jugement critiqué est par conséquent réformé en ce qu’il a retenu la responsabilité professionnelle de M. [N médecin traitant] au titre d’un retard de diagnostic.

 

3.2. S’agissant de Mme [U radiologue] :

 

En cas d’erreur de diagnostic, la faute peut être notamment constituée :

 

    • par une interprétation inexacte des symptômes observés ou des examens médicaux au regard des données acquises de la science au moment de l’examen du patient.
    • par une mise en œuvre insuffisante d’examens ou de moyens d’investigations préconisés au regard des données acquises de la science.
    • par la carence à s’entourer de l’avis éclairé d’autres médecins face à un diagnostic difficile.

 

L’erreur de diagnostic non fautive est celle que tout professionnel diligent, appartenant à la même spécialité et placé dans les mêmes circonstances, aurait commise.

 

En l’espèce, le premier juge a retenu l’existence d’une faute de la radiologue, dès lors que le rapport d’expertise judiciaire conclut que les soins médicaux n’ont pas été conformes aux données acquises de la science, parce que Mme [U radiologue] « n’a pas mentionné dans son compte-rendu la nécessité d’un examen radiologique de contrôle dans les mois qui suivaient (mammographie et échographie) ».

 

Mme [U radiologue], indiquant que son compte-rendu doit être présenté au médecin traitant et au gynécologue, a conclu à un nouveau contrôle à deux ans, précisant qu’il appartient à Mme [O patiente] de consulter son gynécologue chaque année compte tenu de son âge.

 

Alors que la conformité des actes médicaux aux données acquises de la science doit s’apprécier au moment où ils sont effectivement réalisés, la circonstance que le cancer du sein de Mme [O patiente] se soit ultérieurement révélé très agressif et qu’un diagnostic aurait ainsi pu intervenir dans un délai inférieur de 6 à 7 mois n’est pas de nature à être prise en compte pour apprécier a posteriori l’existence d’une faute imputable au professionnel de santé.

 

A l’inverse, les experts ne contestent pas la qualité de l’examen clinique auquel a procédé Mme [U radiologue], au terme duquel elle n’a relevé aucune autre anomalie des seins et n’a en particulier relevé aucune adénopathie axillaire et susclaviculaire dans son compte-rendu du 19 octobre 2015.

 

Alors que Mme [U radiologue] a classé la tuméfaction litigieuse comme ACR2 (aspect bénin), la seule circonstance qu’elle soit diagnostiquée ACR5 (malin) lors d’une mammographie réalisée le 21 octobre 2016 ne conduit pas à remettre en cause une telle classification initiale.

 

La nature des soins apportés par Mme [U radiologue] n’est pas fautive, dès lors qu’elle a réalisé par prudence un examen échographique, alors que les recommandations de l’Anaes concernant la « conduite à tenir diagnostique devant une image mammographique infraclinique anormale » indiquent pourtant que « l’échographie n’est pas indiquée dans les anomalies ACR2 », étant observé que :

 

  • cette classification est intervenue sur la base de clichés radiologiques qui ont été réalisés conformément aux règles de l’art ;
  • cette classification a été retenue après que la mammographie soit relue par un confrère avant que l’échographie soit elle-même réalisée ;
  • la conclusion de l’examen pratiqué par Mme [U radiologue], ayant conduit à la classification ACR2, est validée par l’expertise judiciaire (page 23/76).

 

Dans une telle situation, les recommandations de l’Anaes indiquent que « devant un aspect d’anomalie mammographique bénin (ACR2), il est recommandé d’arrêter la démarche diagnostique et de n’engager aucune surveillance particulière », étant précisé que Mme [O patiente] ne présentait pas de facteurs de risque, notamment en l’absence d’antécédent de cancer du sein au sein de la famille et s’agissant d’une patiente de 40 ans dont le risque statistique de développer une telle affection est très limité.

 

Il en résulte que l’analyse du radiologue sapiteur, selon lequel « le fait que cette anomalie mammographique corresponde à une anomalie clinique pour laquelle la patiente vient consulter aurait dû au minimum faire pratiquer un contrôle rapproché, à 3 ou 4 mois pour suivre cette anomalie », « selon les recommandations » (page23/76), ne repose toutefois sur aucune documentation médicale spécifiquement visée par l’expert judiciaire.

 

En considération de ces éléments, la faute reprochée à Mme [U radiologue] n’est pas établie.

 

Le jugement est infirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité professionnelle de cette dernière.

 

3.3. s’agissant de M. [I chirurgien] :

 

    • le 20 octobre 2016, M. [I chirurgien] reçoit en consultation Mme [O patiente] après que son gynécologue ait repéré l’évolution maligne de la grosseur ;
    • le 21 octobre 2016, l’examen radiologique confirme la présence d’une masse ACR5 ;
    • le 28 octobre 2016, l’analyse anatomopathologique met en évidence un adénocarcinome de grade 3 au sein droit, alors que les ganglions ne présentent pas de métastases dans la limite du prélèvement effectué ;
    • le 4 novembre 2016, l’indication d’une mastectomie partielle avec curage ganglionnaire est posée ;
    • le 9 novembre 2016 : l’intervention chirurgicale est réalisée, avec pose d’une chambre implantable dans la perspective d’un traitement complémentaire par chimiothérapie adjuvante, suivi d’une radiothérapie ;
    • 16 novembre 2016 : l’examen anatomopathologique des prélèvements effectués pendant l’intervention chirurgicale conclut à un adénocarcinome infiltrant de type canalaire, de grade III, avec des métastases ganglionnaires sans rupture capsulaire ;
    • 17 novembre 2016 : le complément d’étude immuno-histochimique conclut à l’absence d’amplification du gène HER-2 ;
    • 21 novembre 2016 : réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) proposant un traitement complémentaire par chimiothérapie adjuvante, suivie d’une irradiation loco-régionale puis d’une hormonothérapie ; Mme [J oncologue] participe à cette réunion ;
    • 19 décembre 2016 : découverte des métastases osseuses multifocales par TEP-scan.

 

L’expert judiciaire reproche à M. [I chirurgien] :

 

    • d’avoir réalisé d’emblée une mammectomie partielle avec curage axiliaire le 4 novembre 2016, sans avoir préalablement discuté collégialement en RCP cancérologique de la situation de la patiente : et ceci en violation des recommandations de la Haute autorité de la santé, de sorte que n’a pu être discutée l’opportunité d’un bilan d’extension, préalable à l’intervention chirurgicale, comprenant notamment une scintigraphie osseuse ou un TEPFDG (ou TEP scan), alors que seul un scanner a été prescrit par M. [I chirurgien] ; de telles investigations auraient pourtant révélé dès novembre 2016 l’existence d’une dissémination osseuse métastatique qui modifiait considérablement l’approche thérapeutique, dès lors qu’une patiente présentant un stade IV métastatique d’emblée non traité auparavant a une maladie complexe qui est normalement traitée par un traitement systématique associé à un traitement palliatif, la maladie étant incurable ; une seconde RCP aurait dû être organisée après la découverte des métastases osseuses : chez Mme [O patiente] la RCP aurait recommandé une hormonothérapie séquentielle de première intention ; l’absence de réalisation d’un TEP scan a entraîné un retard à la mise en place d’un traitement systémique qui n’interviendra qu’en mars 2017 à l’initiative de Mme [J oncologue]. Ce retard a permis la progression des métastases et le non-contrôle des douleurs osseuses qui en résultent. L’intervention chirurgicale était à la fois inutile et dangereuse, dès lors qu’elle a contribué à aggraver les métastases osseuses ;
    • de ne pas avoir discuté avec Mme [O patiente] elle-même de l’indication d’une chirurgie mammaire première ni de ses bénéfices pour la patiente, et plus généralement des options thérapeutiques, de sorte que cette dernière n’a pu choisir une option après des explications appropriées.

 

 

 

=> sur le choix thérapeutique de pratiquer en première intention une mammectomie :

 

Le praticien doit donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date des soins.

 

Il n’est pas contesté qu’en dépit des dispositions de l’article D. 6124-131 du code de la santé publique, la situation cancéreuse de Mme [O patiente] n’a pas été présentée en RCP avant l’intervention chirurgicale, étant observé que M. [I chirurgien] avait d’ailleurs indiqué, dans son courrier du 4 novembre à destination du médecin traitant et du gynécologue, que « le dossier sera validé en RCP de sénologie dès qu'[il sera] en possession des résultats définitifs ». Or, ces résultats sont postérieurs à l’acte chirurgical.

 

Si la cour ne peut se fonder sur des connaissances médicales ultérieures aux faits reprochés pour caractériser l’existence d’une faute commise par le professionnel de santé, ce dernier est en revanche fondé à invoquer les données de la science émises postérieurement aux soins (Civ 1ère 5 avril 2018 n° 17-15620 bull I n°65). L’expert judiciaire ne peut par conséquent invoquer le caractère anachronique d’études postérieures aux faits reprochés.

 

Le recours à une contre-expertise judiciaire est par ailleurs justifié s’il est démontré que le rapport établi par l’expert initialement commis présente des lacunes, des erreurs manifestes ou des incohérences, étant précisé que le seul désaccord d’une partie avec ses conclusions ne constitue pas une cause suffisante pour y recourir.

 

En l’espèce, alors que l’intervention chirurgicale contestée est intervenue le 4 novembre 2016, l’expert judiciaire indique qu’à cette date, trois recommandations internationales concernaient les indications du traitement de première intention (page 31/76) : l’expert précise qu’une hormonothérapie était indiquée en première intention, selon ces recommandations datant de 2012, 2014 et 2016, et qu’une mono-chimiothérapie pouvait être indiquée, après hormonothérapie, en cas de progression métastatique rapide mettant en jeu le pronostic vital.

 

Pour autant, l’expert indique qu’en 2016, les professionnels de santé pouvaient également s’appuyer :

 

    • d’une part, sur « 15 études rétrospectives ['] qui présentaient toutes de nombreux biais méthodologiques et qui faisaient l’hypothèse que la chirurgie d’emblée suivie de radiothérapie loco régionale pouvait améliorer la survie » ; l’expert judiciaire n’expliquent pas en quoi ces études doivent être écartées ;
    • d’autre part, sur « les résultats préliminaires d’un essai randomisé [protocole MF 07-01] multicentre phase3 présenté au congrès de l’Asco qui s’était tenu du 3 au 7 juin 2016 à Chicago. Cet essai randomisait les patientes stade IV de novo, c’est à dire avec des métastases d’emblée entre chirurgie première suivi d’un traitement standard versus traitement standard seul sans chirurgie ['] Dans cet essai, les patientes avec chirurgie suivie du traitement standard avaient en moyenne 9 mois de plus de survie que celles qui recevaient le traitement standard seul. Près de42 % des patientes qui ont eu une chirurgie vivaient à 5 ans comparé à moins de 25 % des femmes qui n’ont pas eu de chirurgie », tout en précisant que les résultats étaient moins probants en cas de maladie agressive, telle que celle subie par Mme [O patiente].

 

A l’inverse, l’expert indique que les données médicales qu’il retient et selon lesquelles un cancer de stade IV métastatique d’emblée est « normalement traité par un traitement systémique associé à un traitement palliatif » datent de 2003 et 2007, de sorte qu’elles n’intègrent pas les résultats d’essais postérieurs.

 

En novembre 2016, n’étaient pas disponibles les conclusions définitives de l’essai MF 07-01 ou d’études postérieures (notamment un essai Khan SA datant de 2020 : page 45/76 du rapport) indiquant clairement que le traitement locorégional d’emblée n’améliorait pas la survie.

 

Dans sa conclusion, l’expert judiciaire indique qu’ « en 2018, la place du traitement chirurgical initial dans les cancers du sein d’emblée métastatiques (stade IV) restait encore controversée », de sorte qu’il admet lui-même l’absence de consensus scientifique sur la question. En tout état de cause, une telle conclusion contredit le choix de l’expert de privilégier certaines études, et notamment les conclusions d’un essai en phase 3 de Braudwe publié en2015 (page 54/76), pour considérer que la séquence thérapeutique excluait l’option d’une intervention chirurgicale en première intention, et en conclure qu’un tel choix présente nécessairement un caractère fautif.

 

Enfin, le compte rendu de la RCP ayant eu lieu le 2 janvier 2017 pour examiner la situation de la patiente rappelle que cette dernière a bénéficié une mastectomie partielle avec curage axilliaire, sans que l’indication chirurgicale soit à cette occasion remise en cause.

 

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’expertise judiciaire ne permet pas à la cour de statuer sur la question de la responsabilité professionnelle de M. [I - chirurgien] au titre du choix thérapeutique de pratiquer une intervention chirurgicale avant tout traitement systémique (chimio ou hormono-thérapie).

 

=> sur le retard à effectuer des examens permettant la mise en œuvre d’un traitement systémique :

 

L’expert judiciaire relève que le retard à diagnostiquer les métastases osseuses est imputable à l’absence de prescription par ce professionnel de santé d’une scintigraphie osseuse ou d’un Pet scan dans le cadre du bilan d’extension que la littérature médicale prévoyait pourtant en présence d’une tumeur du sein classée cliniquementT3 c N1 par M. [I chirurgien] lui-même, et associée à des symptômes douloureux évoquant de telles métastases osseuses.

 

Ainsi, seule Mme [J oncologue] sollicitera ultérieurement un tel bilan d’extension qui mettra en évidence sur un PET au FDG réalisé le 19 décembre 2016 des métastases osseuses multiples sans localisation extra osseuse, à la suite duquel ce professionnel de santé débutera une chimiothérapie de type FEC 50 à compter de mars 2017.

 

Pour contester cette analyse de l’expert, M. [I chirurgien] estime que son intervention chirurgicale est intervenue avant l’apparition des métastases osseuses. Dans une réponse à un dire, l’expert indique d’une façon générale que les métastases osseuses existaient nécessairement au 4 novembre 2016, dès lors qu’elles ont été détectées le19 décembre 2016 par le PET-scan. Pour autant, son rapport se limite à cette seule affirmation, sans comporter une analyse des résultats de cet examen pour argumenter sur l’ampleur des lésions métastatiques et sur la compatibilité ou non d’une apparition des métastases dans l’intervalle de ces deux dates, étant observé que l’agressivité du cancer est par ailleurs soulignée.

 

La classification du cancer dont souffrait Mme [O patiente] à la date de l’intervention chirurgicale est essentielle, dès lors que les conclusions du rapport de l’expert reposent sur son caractère métastatique, pour en conclure que la pathologie était incurable dès le 4 novembre 2016 et que seuls des traitements systémiques, associés à une démarche palliative, étaient recommandés.

 

La question du retard à engager un traitement systémique est également corrélée à la licéité ou non du choix de M. [I chirurgien] de procéder à une intervention chirurgicale en première intention. Sur ce point, la mise en œuvre d’un traitement par chimiothérapie a été en outre prévue dès l’intervention chirurgicale par M. [I chirurgien], avec la mise en place d’une chambre implantable.

 

Il résulte de ces éléments qu’une contre-expertise est également nécessaire pour éclairer la cour sur ces questions que l’expertise produite ne suffit pas à trancher.

 

S’agissant de Mme [J oncologue] :

 

    • le 8 décembre 2016, Mme [J oncologue] est consultée par Mme [O patiente] ;
    • le 21 novembre 2016, une RCP a lieu, à laquelle Mme [J oncologue] n’assiste pas ;
    • le 22 novembre 2016, annonce du caractère métastatique du cancer, après un bilan d’extension ayant mis en évidence le 19 décembre 2016 des métastases osseuses multifocales par TEP-scan ;
    • le 2 janvier 2017, une RCP valide une proposition de chimiothérapie par FEC 50 ;
    • le 20 mars 2017, une nouvelle RCP valide l’adoption d’une hormonothérapie par Tamixifène ;
    • le 3 mai 2017, Mme [O patiente] exprime son mécontentement à l’égard de Mme [J oncologue] et change de praticien.

 

L’expert judiciaire conclut à l’égard de Mme [J oncologue] que :

 

    • elle n’a pas présenté le dossier de la patiente en RCP avant de débuter une chimiothérapie et pour décider d’une radiothérapie hypofractionnée afin d’éviter la reprise évolutive locale du cancer du sein opéré ;
    • la première RCP était inutile en l’absence de bilan d’extension, par contre elle devait demander un bilan d’extension en présence d’un cancer du sein T3 c N1 ;
    • elle n’a pas eu le temps d’être présente au RCP du 2 janvier 2017 pourtant décisive pour discuter les conséquences d’une chirurgie de première intention non indiquée ; et envisagé une irradiation hypofractionnée alors que PETscan post opératoire était considéré comme normal par ce praticien ;
    • aucun parcours de soins n’a été donné à la patiente avant de débuter le traitement (ce qui est évident puisque le traitement a débuté avant la RCP et que le parcours de soin est remis au décours de la RCP) ;
    • la patiente n’a pas été informée des problèmes posés par une chirurgie initiale ;
    • elle a débuté une chimiothérapie sans avoir discuté en RCP le dossier de la patiente sur le fond et en particulier selon les recommandations de la Haute autorité de santé : « les dossiers des patients sont discutés en recherchant le meilleur rapport bénéfice risque en termes de stratégies diagnostiques et thérapeutiques » : nous avons vu que ce principe cardinal n’avait pas été respecté ;
    • elle n’a pas suivi les recommandations internationales à l’époque des faits en matière de traitement systémique de première intention ;
    • de fait, elle a prescrit une polychimiotéraphie inadaptée qui a retardé de trois mois la prise en charge de la maladie ; une telle séquence est contraire aux recommandations internationales qui exclut une polychimiothérapie chez une patiente RO positive et HER-2 négative (page 60).
    • elle n’a pas pris en compte PET scan du 10 mars 2017 sous prétexte que la lésion n’était pas symptomatique alors qu’un bilan radiologique s’imposait voire aussi une biopsie de la lésion et rediscuter en RCP de cette biopsie pour éventuellement adapter la stratégie thérapeutique notamment et a nouveau un radiothérapie mammaire hypofractionnée accélérée ; la récidive mammaire constatée en septembre 2018 n’aurait pas eu lieu si une telle irradiation hypofractionnée du sein avait été délivrée dès janvier ou mars 2017, de sorte qu’il n’est en réalité pas question d’un échec de l’hormothérapie, qui a notamment permis pendant 9 mois d’apporter une réponse thérapeutique (pages 65 et 66) ;
    • elle a prescrit une hormonothérapie par Tamoxifen inadaptée retardant de trois mois supplémentaires une prise en charge efficace de la maladie métastatique : l’administration de ce seul antioestrogène est insuffisante pour obtenir une réponse tumorale objective, alors qu’elle aurait dû associer plusieurs types d’inhibiteur de l’aromatase (page 64) ;
    • elle n’a pas mis en place une prise en charge de la patiente par une équipe de soins palliatifs alors qu’il s’agissait d’une vulnérable ;

 

La prise en charge de la patiente a été désastreuse avec de nombreux dysfonctionnements concernant le RCP, le suivi de la patiente et les indications thérapeutiques.

 

Pour autant, la cour observe que :

 

    • alors que la première consultation était fixée au 8 décembre 2016, Mme [J oncologue] produit un compte-rendu d’une RCP de sénologie, dont il résulte qu’au 2 janvier 2017, elle a participé en qualité de médecin référent à une telle présentation de la situation de Mme [O patiente], étant observé que M. [I chirurgien] y participait également : l’affirmation de l’expert selon laquelle Mme [J oncologue] était absente à cette date est par conséquent erronée ;
    • l’examen de ce compte-rendu rappelle d’une part l’intervention chirurgicale subie par la patiente et révèle d’autre part que le plan thérapeutique critiqué par l’expert a été adopté collégialement, alors qu’il vise en outre « l’application d’un référentiel régional » ;
    • Mme [J oncologue] produit un avis établi par le professeur [K] [F] critiquant le pré-rapport d’expertise judiciaire et un guide élaboré en janvier 2010 par la Haute autorité de santé, pour estimer que la séquence thérapeutique adoptée était conforme aux données acquises de la science à la date des faits litigieux ; le professeur [F] estime que les connaissances scientifiques n’avaient pas tranché clairement à l’époque sur le recours à une hormonothérapie, et non à une chimiothérapie, en présence d’un cancer métastatique ; il souligne en outre que l’absence d’efficacité du traitement initial a conduit à une modification du choix thérapeutique (à compter d’une RCP du 20 mars 2017), et qu’en dépit de trois types de traitement hormonothérapique, aucune modification histologique n’a été observée sur une nouvelle biopsie mammaire effectuée en octobre 2018. Plus généralement, cet avis en conclut qu’il s’agissait d’une tumeur d’emblée chimio- et hormono-résistante, de sorte que « la séquence de traitement n’avait que probablement peu d’impact sur le pronostic ». Ce même avis conteste l’analyse de l’expert judiciaire, selon lequel une radiothérapie hypofractionnée aurait dû être intercalée pendant le traitement systémique, alors qu’il estime à l’inverse qu’en présence d’un cancer métastatique, la radiothérapie n’est pas indiquée, ainsi qu’il résulte du référentiel du réseau régional ONCO Hauts-de-France ou des recommandations de l’ESMO 2014 et 2017. Par voie de conséquence, se pose la question de l’efficacité du traitement hormonal, alors que l’expert judiciaire impute la récidive de septembre 2018 à une telle absence de radiothérapie, et non à un échec de ce traitement face à un cancer hormono-résistant.
    • alors que l’expert judiciaire indique que la morbidité et les contraintes de l’hormonothérapie sont moins importantes que celles d’une polychimiothérapie (page 62), ce même expert précise pourtant qu’à l’époque des faits, le traitement de chimiothérapie ne consistait pas en une poly-chimiothérapie, mais en une mono-thérapie (page 59/76).

 

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la cour ne peut valablement statuer sur l’appréciation de la responsabilité de Mme [J oncologue] sur la base du rapport d’expertise judiciaire.

 

Au-delà de l’existence d’une ou plusieurs fautes imputables à M. [I chirurgien] ou à Mme [J oncologue], se pose également la question dulien de causalité entre ces fautes et les préjudices invoqués. Sur ce point, outre que le décès de Mme [O patiente] en janvier2021 modifie l’approche de l’expertise judiciaire initiale et conduit à mieux apprécier la question de la perte de chance de survie, la cour observe que l’imputabilité des différents postes de préjudices à chaque professionnel de santé n’a pas été clairement abordée par l’expert judiciaire [B] dans son rapport du 7 août 2020.

 

Une nouvelle expertise est par conséquent ordonnée selon les termes visés au dispositif du présent arrêt, alors qu’il est sursis à statuer sur la responsabilité de M. [I  chirurgien] et de Mme [J oncologue], et sur l’indemnisation des ayants-droits de Mme [O patiente] jusqu’au dépôt du rapport à intervenir.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

 

Il est sursis à statuer sur les dépens et les frais irrépétibles jusqu’à l’intervention du rapport de contre-expertise.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La cour,

 

Déclare recevable l’intervention volontaire de MM. [A] [Z], M. [S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z] devant la cour ;

 

Réforme le jugement rendu le 24 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en ce qu’il a :

 

    • dit que la responsabilité de Mme [U radiologue] est engagée ;
    • dit que la responsabilité de M. [N médecin traitant] est engagée ;
    • dit que Mme [U radiologue] et M. [N médecin traitant] seront condamnés in solidum (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) à réparer le préjudice subi par Mme [O patiente] ;
    • condamné in solidum Mme [U radiologue]et M. [N médecin traitant] (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) à payer à Mme [O patiente] une provision de 40 000 euros à valoir sur son préjudice suite à sa prise en charge défectueuse ;
    • condamné in solidum Mme [U radiologue]et M. [N médecin traitant] (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) à payer à Mme [O patiente] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
    • condamné in solidum Mme [U radiologue]et M. [N médecin traitant] (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) à payer à Mme [O patiente] à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie la somme de 1 091 euros sur le fondement de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
    • condamné in solidum Mme [U radiologue]et M. [N médecin traitant] (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) aux dépens ;

 

Et statuant à nouveau sur ces chefs réformés :

 

    • dit que la responsabilité de Mme [U radiologue] et M. [N médecin traitant] n’est pas engagée, à défaut d’établir une faute commise par eux à l’égard de Mme [O patiente] ;
    • déboute par conséquent MM. [A] [Z], M. [S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur[H] [Z], de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de Mme [U radiologue] et de M. [N médecin traitant] ;

 

Confirme le jugement rendu le 24 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en ce qu’il a :

    • rejeté la fin de non-recevoir formulée par Mme [J oncologue] quant à l’absence d’urgence ;
    • dit que l’affaire est en état d’être jugée ;
    • rejeté la demande de renvoi à l’audience de mise en état formulée par Mme [U radiologue] ;

 

Avant-dire droit, ordonne une expertise médicale sur pièces de la situation médicale de Mme [O patiente], au contradictoire de la caisse primaire d’assurance-maladie du Hainaut, de M. [I chirurgien], de Mme [J oncologue] et de MM. [A] [Z], M. [S] [Z] et M. [R][Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z] ;

 

Commet à cet effet le professeur [L] [E], Clinique [23] [Adresse 9] [Localité 21] Tél : [XXXXXXXX02] Fax : [XXXXXXXX01] ; email : [Courriel 26], expert inscrit sur la liste dressée par la cour d’appel de Paris, aux fins de procéder comme suit :

 

SUR LA MISSION D’EXPERTISE :

 

entendre contradictoirement les parties, leurs conseils convoqués et entendus, ceci dans le strict respect des règles de déontologie médicale ou relative au secret professionnel ;

recueillir toutes informations orales ou écrites des parties ; se faire communiquer puis examiner tous documents utiles (dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs à la demande et le relevé des débours exposés par les organismes tiers-payeurs, à charge d’aviser le magistrat chargé du contrôle des expertises en cas de refus de lever le secret médical couvrant les documents concernés ;

se faire communiquer le relevé des débours de l’organisme de sécurité sociale de la victime et indiquer si les frais qui y sont inclus sont bien en relation directe, certaine et exclusive avec les faits ;

recueillir au besoin, les déclarations de toutes les personnes informées, en précisant alors leurs nom, prénom, domicile et leurs liens de parenté, d’alliance, de subordination ou de communauté de vie avec l’une des parties ;

procéder à l’examen sur pièces de la situation de Mme [O patiente] ;

 

SUR LE FAIT GENERATEUR :

 

rechercher l’état médical de Mme [O patiente] avant les actes critiqués ;

décrire les lésions et séquelles directement imputables aux soins et traitements critiqués ;

rechercher si les actes médicaux réalisés étaient indiqués, si le diagnostic pouvait être établi avec certitude et si les soins ou actes médicaux ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale ;

se référer aux données acquises de la science médicale, tel qu’un praticien normalement diligent devait en avoir connaissance par leur publication effective à la date des actes critiqués pour apprécier l’existence d’une faute ;

se référer aux données de la science émises postérieurement aux soins pour apprécier l’absence de faute ;

plus particulièrement, donner un avis sur les points suivants :

apprécier la conformité de la séquence thérapeutique aux données acquises de la science ;

s’agissant de la prise en charge par M. [I chirurgien] :

> la recherche de métastases est-elle systématique en matière de cancer du sein '

> au regard des données biologiques disponibles et des doléances figurant dans le dossier médical, la situation de Mme [O patiente] nécessitait-elle d’emblée une recherche de telles métastases, notamment osseuses, préalablement à tout choix thérapeutique par M. [I chirurgien] ' L’absence de bilan d’extension préalable est-elle fautive '

> l’existence de métastases au moment de la mammectomie partielle du sein droit, intervenue le 9 novembre 2016, est-elle certaine '

> dans l’affirmative, le choix de procéder d’emblée à une telle intervention chirurgicale est-il fautif '

> la circonstance que l’étude immuno-histochimique ait mis en évidence un HER-2 ++, alors qu’une analyse Fishpostérieure à l’intervention chirurgicale ne retrouve pas une telle surexpression du récepteur HER-2, a-t-il une influence dans l’appréciation des faits reprochés '

 

s’agissant de la prise en charge par Mme [J oncologue] :

> en présence d’un cancer métastatique, l’utilisation de la chimiothérapie en première ligne était-elle fautive, dans la situation de Mme [O patiente] en décembre 2016 (RO positive et HER-2 négative), selon les données acquises de la science, ou a-t-elle été ultérieurement validée par la recherche médicale '

> la classification du type de cancer (luminal A ou B) importe-t-elle dans l’appréciation de la ou des fautes reprochées et dans celle de leur lien de causalité avec les préjudices subis ;

> l’inefficacité de la chimiothérapie est-elle imputable à une erreur de choix thérapeutique ou à la nature du cancer du sein dont souffrait Mme [O patiente] '

> l’absence de radiothérapie au cours de la séquence thérapeutique est-elle fautive '

> l’hormonothérapie a-t-elle été efficace ' Le cancer du sein dont souffrait Mme [O patiente] était-il hormono-résistant '

rechercher si le patient a reçu une information préalable et suffisante sur les risques que lui faisait courir l’intervention et si c’est en toute connaissance de cause qu’il s’est prêté à cette intervention ;

analyser, le cas échéant, de façon détaillée et motivée la nature des erreurs, imprudences, manques de précaution nécessaires, négligences ou autres défaillances de nature à caractériser une faute en relation de cause à effet direct et certaine avec le préjudice allégué ;

se prononcer sur l’existence certaine et sérieuse d’une perte de chance de ne pas subir les séquelles résultant d’untel manquement ; apporter les éléments techniques permettant de procéder au chiffrage d’un taux de perte de chance ; se prononcer sur une perte de chance de survie, notamment au regard d’une éventuelle chimio- et hormono-résistance du cancer ;

en cas de concours de manquements ayant contribué à la réalisation des dommages subis par la victime, se prononcer sur l’imputabilité et sur la part causale de chaque manquement ;

plus spécifiquement, se prononcer :

* en individualisant la part causale imputable à chaque faute éventuellement retenue pour chacun des préjudices subis ;

* en appréciant séparément le rôle causal des fautes respectivement reprochées à M. [I  chirurgien] et à Mme [J oncologue] ; à cet égard, préciser pour chaque poste de préjudice si les fautes respectives de ces derniers ont directement contribué à l’entier préjudice subi (question de l’obligation à la dette des responsables à l’égard des victimes) ;

* en appréciant, sous la forme d’un pourcentage, la contribution des fautes respectivement retenues à l’encontre de M. [I chirurgien] et de Mme [J oncologue] dans la survenance de chaque poste de préjudice subi (question de la contribution à la dette entre les co-responsables) ;

 

SUR LES PREJUDICES SUBIS :

 

fournir les éléments techniques permettant d’apprécier, de façon distincte s’il existe un tel concours de fautes, la perte de chance résultant :

* d’une part, d’un éventuel défaut d’information du patient sur un risque s’étant réalisé : proposer un pourcentage permettant de déterminer le degré de probabilité selon lequel le patient aurait refusé de procéder à l’acte médical litigieux, s’il n’avait pas été privé préalablement à cet acte d’une information loyale, claire et complète par le professionnel de santé sur les risques encourus, notamment en prenant en considération l’état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, pour évaluer les effets qu’aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus ;

* d’autre part, d’une faute technique ou diagnostique commise par le professionnel de santé en relation causale avec les préjudices invoqués : proposer un pourcentage permettant de déterminer le degré de probabilité selon lequel le patient aurait pu éviter les conséquences dommageables qui ont résulté de cette faute ;

déterminer les préjudices subis par [Mme [O patiente], en relation de causalité avec chacun des faits générateurs, selon la nomenclature suivante :

 

1) Préjudices avant consolidation

1-1) Préjudices patrimoniaux

1-1-1) Pertes de gains professionnels actuels (P.G.P.A.) : Déterminer la durée de l’incapacité provisoire de travail, correspondant au délai normal d’arrêt ou de ralentissement d’activités ; dans le cas d’un déficit partiel, en préciser le taux,

1-1-2) Frais divers : Dire si du fait de son incapacité provisoire, la victime directe a été amenée à exposer des frais destinés à compenser des activités non professionnelles particulières durant sa maladie traumatique (notamment garde d’enfants, soins ménagers, frais d’adaptation temporaire d’un véhicule ou d’un logement, assistance temporaire d’une tierce personne pour les besoins de la vie courante – dans ce dernier cas, la décrire, et émettre un avis motivé sur sa nécessité et ses modalités, ainsi que sur les conditions de la reprise d’autonomie)

1-2) Préjudices extra-patrimoniaux temporaires

1-2-1) Déficit fonctionnel temporaire : Décrire et évaluer l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant sa maladie traumatique (troubles dans les actes de la vie courante)

1-2-2) Souffrances endurées avant consolidation : Décrire les souffrances endurées avant consolidation, tant physiques que morales, en indiquant les conditions de leur apparition et leur importance ; les évaluer sur une échelle de sept degrés,

1-2-3) Préjudice esthétique temporaire : Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance, sur une échelle de sept degrés, d’un éventuel préjudice esthétique temporaire,

2) Consolidation

fixer la date de consolidation des blessures, qui est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire,

3) Préjudices après consolidation

3-1) Préjudices patrimoniaux permanents

3-1-1) Dépenses de santé futures : décrire les frais hospitaliers, médicaux, para-médicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels, mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l’état pathologique de la victime après la consolidation

3-1-2) Frais de logement et de véhicule adapté : décrire et chiffrer les aménagements rendus nécessaires pour adapter le logement et/ou le véhicule de la victime à son handicap,

3-1-3) assistance par une tierce personne : Se prononcer sur la nécessité d’une assistance par tierce personne ; dans l’affirmative, préciser le nombre nécessaire d’heures par jour ou par semaine, et la nature de l’aide (spécialisée ou non) ; décrire les attributions précises de la tierce personne : aide dans les gestes de la vie quotidienne, accompagnement dans les déplacements, aide à l’extérieur dans la vie civile, administrative et relationnelle etc… ; donner toutes précisions utiles,

3-1-4) Perte de gains professionnels futurs : décrire les éléments permettant de dire si la victime subit une perte ou une diminution consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage (notamment perte d’emploi, temps partiel, changement de poste ou poste adapté)

3-1-5) incidence professionnelle : décrire l’incidence périphérique du dommage touchant à la sphère professionnelle (notamment dévalorisation sur le marché du travail, augmentation de la pénibilité de l’emploi, frais de reclassement, perte ou diminution de droits à la retraite)

3-1-6) préjudice scolaire, universitaire ou de formation : dire si du fait de l’événement, la victime a subi un retard dans son parcours scolaire, universitaire ou de formation, et/ou a dû modifier son orientation, ou renoncer à une formation,

3-2) Préjudices extra-patrimoniaux

 

 

3-2-1) Déficit fonctionnel permanent : Donner un avis sur le taux de déficit fonctionnel permanent imputable à l’événement, résultant de l’atteinte permanente d’une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, ce taux prenant en compte non seulement les atteintes physiologiques, mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes ressenties ;

 

Préciser le barème d’invalidité utilisé,

 

Dans l’hypothèse d’un état antérieur de la victime, préciser :

si cet état était révélé et traité avant le ou les faits dommageables (dans ce cas, préciser les périodes, la nature et l’importance des traitements antérieurs) et s’il entraînait un déficit fonctionnel avant l’accident,

s’il a été aggravé ou révélé ou décompensé par l’accident,

si en l’absence d’accident, cet état antérieur aurait entraîné un déficit fonctionnel. Dans l’affirmative en déterminer le taux ;

En toute hypothèse, donner un avis sur le taux du déficit fonctionnel actuel, tous éléments confondus (état antérieur inclus) ;

3-2-2) Préjudice d’agrément : si la victime allègue l’impossibilité définitive de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisirs, correspondant à un préjudice d’agrément, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette limitation,

3-2-3) Préjudice esthétique permanent : donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique permanent, l’évaluer sur une échelle de sept degrés,

3-2-4) Préjudice sexuel : dire s’il existe un préjudice sexuel, le décrire en précisant s’il recouvre l’un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l’acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité), et la fertilité (fonction de reproduction),

3-2-5) Préjudice d’établissement : dire si la victime présente un préjudice d’établissement (perte de chance de réaliser un projet de vie familiale normale en raison de la gravité du handicap permanent) et le quantifier en indiquant des données circonstanciées,

Procéder de manière générale à toutes constatations ou conclusions utiles à la solution du litige,

 

SUR LES MODALITES D’ACCOMPLISSEMENT DE L’EXPERTISE :

 

Commet le président de la 3ème chambre de la cour d’appel en qualité de magistrat chargé du contrôle de l’expertise ;

Dit que l’expert devra faire connaître sans délai son acceptation au juge chargé du contrôle de l’expertise, et devra commencer ses opérations dès réception de l’avis de consignation ;

Dit qu’en cas d’empêchement ou de refus de l’expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du juge chargé du contrôle de l’expertise ;

Dit que l’expert devra accomplir sa mission conformément aux articles 232 et suivants du code de procédure civile, notamment en ce qui concerne le caractère contradictoire des opérations ;

Dit que l’expert devra tenir le juge chargé du contrôle de l’expertise, informé du déroulement de ses opérations et des difficultés rencontrées dans l’accomplissement de sa mission ;

 

Dit que l’expert devra :

 

=> remettre un pré-rapport aux parties en considération de la complexité technique de la mission, dans un délai de6 mois à compter de l’avis par le greffe du versement de la consignation, et inviter les parties à formuler leurs observations dans un délai de 30 jours à compter de la réception de ce pré-rapport, étant rappelé aux parties qu’en application de l’article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de ce délai ;

 

=> dresser de l’ensemble de ses investigations un rapport formalisant la réponse apportée à chaque question en reprenant les termes exacts de la mission figurant ci-dessus, et sans renvoyer à des pièces annexes ou à d’autres parties du rapport (tel que le commémoratif) ;

 

=> adresser ce rapport, dans les 8 mois de l’avis par le greffe du versement de la consignation, sauf prorogation de ce délai accordée par le magistrat chargé du contrôle des expertises :

* aux parties ;

* au greffe de la troisième chambre de la cour d’appel de Douai :

— d’une part, en deux exemplaires et en format physique à destination du greffe de la troisième chambre la cour d’appel de Douai ;'

— d’autre part, en format PDF et en pièce jointe à un courriel adressé à [Courriel 25] et indiquant en objet le numéro du répertoire général (RG) de la présente procédure,

 

Dit que le dépôt du rapport sera accompagné de la demande de rémunération de l’expert, dont ce dernier aura adressé un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d’en établir la réception ; que la demande de rémunération mentionnera la date d’envoi aux parties de cette copie ;

Dit que les frais d’expertise seront provisoirement avancés par M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] qui devront consigner chacun la somme de mille euros à valoir sur la rémunération de l’expert, auprès du régisseur d’avances et de recettes de la cour d’appel de Douai, dans un délai de 30 jours à compter du présent arrêt étant précisé que :

 

— la charge définitive de la rémunération de l’expert incombera, sauf transaction, à la partie qui sera condamnée aux dépens,

— à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l’expert sera caduque, (sauf décision contraire du juge en cas de motif légitime)

— chaque partie est autorisée à procéder à la consignation de la somme mise à la charge de l’autre en cas de carence ou de refus.

 

Sursoit à statuer sur l’ensemble des demandes formées à l’encontre de M. [I chirurgien] et de Mme [J oncologue] jusqu’au dépôt du rapport d’expertise ;

 

Réouvre les débats et renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 11 mars 2024, lors de laquelle MM. [A] [Z], M.[S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z] devront avoir conclu après le dépôt du rapport d’expertise ;

 

Sursoit à statuer sur les dépens et sur les frais irrépétibles.

 

Gynéco-online - avril 2025
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Radiologues et cliniques privées : le cabinet indépendant constitue « le service de radiologie de la Clinique »
(Cour de cassation, 1ère ch. civ. arrêt du 12 juillet 2012)
Isabelle Lucas-Baloup

Une SCM de radiologues est titulaire, en vertu d’un contrat de sous-location, au sein d’un bâtiment loué par une clinique, de locaux propres, d’un matériel spécifiquement dédié à l’exercice de l’imagerie médicale dont elle avait l’exclusivité et d’une indépendance qui lui permettait notamment d’avoir une clientèle distincte de celle de la Clinique. Un footballeur professionnel est adressé aux radiologues pour une arthroscanner. Une infection est déclarée et une ponction met en évidence la présence d’un streptocoque.

L’arrêt statue ainsi sur la responsabilité de la Clinique :

« Vu l’article L. 1142-1, I, alinéa 2 du code de la santé publique ;

« Attendu qu’en vertu de ce texte, est responsable des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’il rapporte la preuve d’une cause étrangère, tout établissement, service ou organisme dans lequel sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ;

« Attendu que, pour écarter la responsabilité de la Clinique, la Cour d’appel, ayant constaté que la SCM de radiologie disposait, en vertu d’un contrat de sous-location, au sein du bâtiment loué par la Clinique, de locaux propres, d’un matériel spécifiquement dédié à l’exercice d’une activité dont elle avait l’exclusivité et d’une indépendance qui lui permettait notamment d’avoir une clientèle distincte de celle de la Clinique, puis que le patient avait été adressé au radiologue sur recommandation extérieure d’un autre praticien et que l’examen avait été pratiqué dans les locaux et par un médecin de la SCM de radiologie, peu important que l’adresse fût identique à celle de la Clinique dans la mesure où les locaux étaient distincts, en a déduit que l’arthroscanner à l’origine de l’infection nosocomiale n’avait pas été pratiquée dans l’établissement de santé Clinique ;

« Qu’en statuant ainsi, quand elle avait constaté qu’aux termes de la convention conclue entre elles, la SCM de radiologues assurait tous les besoins de la Clinique en matière de radiologie courante et bénéficiait de l’exclusivité de l’installation et de l’usage de tout appareil radiologique dans la Clinique, de sorte que la SCM pouvait être considérée comme le service de radiologie de l’établissement de santé, lequel était soumis aux dispositions de l’article susvisé pour les infections nosocomiales qui y étaient survenues, la Cour d’appel a violé ce texte par fausse application ;

« Par ces motifs

« Casse et annule, mais seulement en ce qu’il a dit que la Clinique n’était pas responsable […] »

Cet arrêt est particulièrement intéressant, au-delà de la responsabilité liée au droit spécifique de la responsabilité en matière d’infections nosocomiales. En effet, il est fréquent que des contentieux opposent des cabinets de radiologie de plus en plus indépendants, mais néanmoins situés dans le périmètre de l’établissement de santé privé, ou sur un lot immédiatement contigu, emportant alors des conséquences liées au maintien ou non des autorisations administratives délivrées par les agences régionales de santé, ou à des conflits de concurrence entre médecins, qui impliquent de savoir si de tels cabinets de radiologie doivent être considérés « sur le site » de la Clinique, ou en dehors, ou « dans le périmètre », ou immédiatement contigus etc., les conventions diverses et autorisations nécessitant alors une analyse de ces notions pour distribuer les obligations respectives des parties…

La lettre du Cabinet - Septembre 2012


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Cabinet de consultation Clinique Radiologue

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Radiologues : envoyer le compte-rendu au prescripteur ne suffit pas (Cour de cassation, 1ère ch. civ., arrêt du 16 janvier 2013, n° 12-14.097 et Cour de cassation, ch. crim., arrêt du 4 juin 2013, n° 12-84.543)
Isabelle Lucas-Baloup
Les radiologues doivent, comme tous autres médecins, respecter l’obligation légale (article L. 1111-2 du code de la santé publique) et déontologique (article R. 4127-35 du même code) d’informer le patient, sauf urgence ou impossibilité, d’une manière « loyale, claire et appropriée sur son état », en tenant compte de la personnalité du patient dans leurs explications et en veillant à leur compréhension. 

 

La Cour de cassation rappelle, dans cet arrêt, que le compte-rendu envoyé au médecin prescripteur ne dispense pas les radiologues d’informer sur le résultat de l’examen d’imagerie d’une manière adaptée. En l’espèce, le compte-rendu d’un cliché du rachis mentionnait « solution de continuité sur tige inférieure droite », ce qui évoque clairement une fracture du matériel d’ostéosynthèse pour le médecin destinataire, mais pas pour le patient. Les radiologues n’ont donc pas satisfait à leur obligation d’information dont ils ne peuvent se libérer en se retranchant derrière l’envoi du compte-rendu parfaitement rédigé et envoyé au prescripteur.

 

Dans la deuxième affaire référencée, une radiologue intervenant à titre libéral dans une clinique est condamnée à 2 mois de prison avec sursis pour homicide involontaire pour ne pas s’être assurée que l’anesthésiste prescripteur de la radiographie, qui avait placé sur une malade hospitalisée pour colectomie un cathéter veineux sous-clavier, avait été informé de son mauvais positionnement et de la présence d’un épanchement pleural et médiastinal compressif dont l’importance témoignait d’une complication post-opératoire, cause exclusive du décès de la patiente. Pour se défendre, la radiologue invoquait l’absence de procédures internes de communication des résultats au sein de la clinique privée et de protocole relatif au circuit de la radiologie, argument écarté par les experts ayant décrit un « manque de professionnalisme » du médecin dont les constatations graves qu’elle venait de faire imposaient de retirer immédiatement le dispositif en cause et donc de s’assurer que l’anesthésiste était informé du résultat de son examen radiologique.
La Lettre du Cabinet - Janvier 2014


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Information du patient Prescription Radiologue

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Un radiologue peut-il indemniser un angiologue qui se retire ?
(Cour de cassation, 1ère ch. civ., arrêt du 30 septembre 2010, à la Clinique du Nohain)
Isabelle Lucas-Baloup

Les radiologues de la Clinique du Nohain s’étaient engagés envers un médecin généraliste compétent en angiologie à lui verser, lors de sa cessation d’activité, une indemnité correspondant au droit de présentation de sa clientèle d’explorations vasculaires. Certains radiologues, le moment venu, ont refusé de payer, en demandant la nullité de la clause conclue entre des praticiens de spécialités différentes. La Cour de cassation les déboute en jugeant, sur le fondement de l’article 3 du règlement de qualification approuvé par arrêté du 4/9/1970, que peut être considéré comme médecin compétent qualifié tout docteur en médecine qui possède, dans une des disciplines énumérées dans cet article, un certificat d’études spéciales lorsqu’un enseignement a été institué ou à défaut qui possède des compétences particulières. L’arrêt confirme la position de la Cour d’appel qui a retenu que l’angiologie est une « compétence qui peut être exercée exclusivement ou simultanément avec une autre compétence ou avec la médecine générale, que les radiologues pouvaient acquérir cette compétence, soit au titre d’un certificat, soit par la prise en considération de connaissances particulières et que, dans le cas où ils se seraient abstenus d’acquérir la compétence exigée pour reprendre la clientèle de l’angéiologue, il leur aurait appartenu d’engager un médecin ayant la compétence d’angiologue ou de proposer à un angiologue de reprendre le cabinet de ce dernier seul ou en association avec eux. Dès lors l’exécution de l’engagement litigieux n’étant pas impossible, les radiologues ne pouvaient se prévaloir d’aucune erreur sur sa cause. »


Un résultat à transposer dans d’autres circonstances avec d’autres compétences…

La Lettre du Cabinet - Décembre 2010
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Valeur des parts de SCP : en cas de refus de l’offre par le retrayant, la Cour de cassation impose l’évaluation par le juge après expertise
(Cour de cassation, 1ère ch. civ. 30 octobre 2008, n° 07-19.459)
Isabelle Lucas-Baloup

Un radiologue membre d’une société civile professionnelle est malade pendant plus de huit mois, ce qui permet, d’après les statuts, à ses associés de le mettre en demeure de céder ses parts ou de se retirer de la SCP. Une offre de rachat lui est notifiée, laquelle est refusée. L’associé assigne alors la SCP en rachat de ses parts et subsidiairement en paiement d’une provision à valoir sur le prix. La Cour d’appel de Nîmes avait entériné l’évaluation faite par une précédente assemblée générale des associés fixant, comme il est prévu aux statuts, la valeur unitaire des parts.
La Cour de cassation annule cette décision et juge « qu’en cas de refus, par le retrayant, du prix proposé pour la cession ou le rachat de ses parts, la valeur au jour du retrait en est fixée par le juge après expertise selon la procédure particulière et impérative prévue à cet effet » par l’article 1843-4 du code civil.
Cette position est regrettable pour ses effets en pratique : très souvent les experts nommés ne sont pas rompus à l’évaluation des cabinets médicaux, qui doit tenir compte d’éléments propres à la spécialité, à la concurrence locale, à la réputation du cabinet, aux conventions qu’il a passées avec divers autres acteurs, à la démographie médicale au moment de la cession etc. Si bien que la valeur déterminée par expertise s’éloigne souvent de la valeur vénale, c’est-à-dire celle qu’un candidat à la succession est réellement prêt à payer.
On sait, contrairement aux juges parfois, que beaucoup de patientèles ne trouvent pas de repreneurs à titre onéreux. Est-il légitime et équitable de faire payer aux associés restants des prix excessifs, alors qu’ils ne trouveront pas plus de candidat pour le retrayant que pour eux-mêmes ultérieurement ? Dans certains cas, certains cabinets, certains statuts… il faut mieux être le premier que le dernier à quitter la SCP ! Conclusion : on ne doit y entrer que prudemment.

La Lettre du Cabinet - Juin 2009


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Associés Cession Cession de parts Patientèle Radiologue SCP

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