Base de données - Rupture

Harcèlement de la clinique pour augmenter la redevance contractuelle d’un chirurgien : manquement condamnable
(Cour de cassation, 1ère ch. civ., arrêt du 13 mars 2007)
Isabelle Lucas-Baloup

Il est impossible d’écrire cette Lettre du Cabinet sans rencontrer une opportunité de commenter un ou plusieurs arrêts récents portant sur les relations économiques chroniquement conflictuelles entre médecins libéraux et cliniques privées et plus particulièrement sur le partage des coûts et charges des moyens et services offerts aux premiers.
En l’espèce, la clinique, qui prélevait une redevance forfaitaire convenue sur les honoraires médicaux en rémunération de l’encaissement de ceux-ci et de la mise à disposition des moyens techniques et humains nécessaires à l’activité professionnelle considérée, a fait savoir, par une lettre circulaire envoyée aux médecins, qu’elle facturerait désormais à leur coût réel les prestations fournies, en précisant que les refus entraîneraient la transmission des dossiers au conseil de l’ordre des médecins et une réduction des services rendus à proportion des sommes effectivement versées. Un chirurgien, contestant ces nouvelles modalités de calcul, a fait savoir qu’il mettait fin à ses interventions, sous préavis d’un an et a assigné la clinique en rupture fautive, après vaine tentative de conciliation.
C’est cette fois le chirurgien qui gagne, et, comme c’est la Cour de cassation qui condamne, je vous invite à lire intégralement les quelques alinéas décisifs : « Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir dit la clinique responsable de la rupture du contrat d’exercice et tenue d’en indemniser le préjudice aux conditions contractuellement arrêtées, alors, selon le moyen, que, lorsqu’un contractant résilie unilatéralement un contrat, sans avoir saisi la justice d’une demande en résiliation aux torts de son contractant, seul le comportement d’une gravité particulière de ce contractant justifie que la rupture du contrat puisse lui être imputée ; qu’en l’espèce, pour imputer la rupture du contrat à la clinique, la cour d’appel a considéré qu’en modifiant le contrat, elle s’était rendue coupable d’un manquement contractuel qui justifiait que lui soit imputée la rupture ; qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que le chirurgien avait pris l’initiative de la rupture par un courrier (...), et n’avait pas saisi la justice d’une demande de résiliation du contrat aux torts de la clinique, sans relever l’existence d’un comportement d’une particulière gravité de la clinique, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1184 du code civil ; Mais attendu que la cour a relevé, outre l’acharnement de la clinique à adresser périodiquement au chirurgien les factures contestées, concrétisant ainsi sa décision de modifier unilatéralement une clause substantielle du contrat d’exercice, les tracas ainsi provoqués et peu compatibles avec la sérénité indispensable à l’activité chirurgicale, ainsi que le respect néanmoins par l’intéressé d’un préavis ; que de ces constatations, elle a pu déduire un manquement d’une gravité suffisante pour permettre au praticien de mettre licitement fin au contrat sans saisine préalable de la juridiction compétente ». La Cour de cassation confirme l’arrêt à titre principal, qu’elle ne casse qu’au regard des dispositions de l’arrêt ayant refusé au chirurgien le rachat de ses actions aux conditions contractuelles.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2007
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La présence incertaine des anesthésistes justifie la rupture brutale de son contrat par un chirurgien
(Arrêt du 18 octobre 2005, Cour de Cassation, 1ère chambre civile)
Isabelle Lucas-Baloup

La présence effective d'anesthésistes réanimateurs, comme celle des pédiatres dans certaines maternités, constitue une angoisse pour les gestionnaires d'établissements privés, qui peut tourner au cauchemar en période de pénurie des spécialistes concernés.
La Cour de cassation vient ainsi de valider la rupture sans préavis de son contrat par un orthopédiste qui avait écrit au P-DG d'une clinique quatre lettres en juin, juillet, août et septembre, "toutes demeurées sans réponse ou sans réponse satisfaisante ; l'orthopédiste avait fait savoir que rien n'était prévu pour remplacer au 1er octobre suivant les deux anesthésistes en fonction dans l'établissement, malgré le rappel constamment fait du caractère indispensable de cette mesure tant au regard de la sécurité des malades qu'à celui de l'obligation contractuelle de la clinique de fournir de façon permanente le concours d'un personnel qualifié conformément aux normes en vigueur ; que le 30 septembre, la clinique était toujours dans l'impossibilité d'indiquer à l'orthopédiste ce qu'elle allait faire, étant encore à rechercher si elle était tenue ou non d'avoir deux anesthésistes". Reprenant ces motifs qu'elle adopte, la Cour de cassation juge que le comportement de la clinique avait revêtu "une gravité suffisante pour fonder finalement la décision du chirurgien de rompre son contrat sans préavis".

La Lettre du Cabinet - Décembre 2005


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Anesthésie Orthopédie Réanimation (service de) Rupture

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Préavis de rupture : attention aux faux-départs ! (Cour de cassation, ch. civ. 1, 16 avril 2015, n° 13-26365)
Vincent Guillot
Par un arrêt du 16 avril 2015, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation est venue apporter une précision importante sur un aspect spécifique de la résiliation, par le médecin, du contrat d’exercice de fait.
Le médecin gastro-entérologue en cause avait signifié une première fois l’arrêt de son activité au sein de la Clinique pour laquelle il exerçait. Aucun contrat écrit n’existant au jour de la résiliation, le délai de préavis prévu par les usages était applicable, conformément à la jurisprudence constante des juridictions civiles.
Malgré l’expiration de ce délai d’usage, le médecin a poursuivi son activité au sein de l’établissement pendant deux années avant d’annoncer une seconde fois son intention de cesser toute activité dans un délai très bref.
Considérant qu’il devait se soumettre une nouvelle fois au délai de préavis, la Clinique a saisi la juridiction civile afin d’obtenir une indemnisation du préjudice causé par ce non-respect.
Faisant droit à cette demande, la Cour d’appel a retenu que la poursuite de l’activité, l’absence d’information sur la date de départ dans la première lettre et l’absence de présentation d’un successeur avaient pu laisser croire, « eu égard à l’annonce d’une précédente résiliation non suivie d’effet, qu’il ne donnerait pas suite à cette rupture, de sorte que son départ, résultant d’une décision unilatérale, a eu lieu en méconnaissance du délai de préavis conforme aux usages de la profession ».
Dans un attendu très explicite, la Cour de cassation a considéré que dans le cadre d’un contrat de fait, la simple poursuite de l’activité postérieurement au délai de préavis d’usage ne peut manifester sans équivoque la volonté de renoncer à la résiliation du contrat d’exercice et par conséquent d’initier un nouveau délai.
Autrement dit, seul un acte sans équivoque, manifestant la volonté de renoncer à la résiliation peut avoir pour effet de faire courir un nouveau délai de préavis, ce que ne peut constituer la simple poursuite de l’activité pour la Cour de cassation.
La Clinique n’a donc pu bénéficier d’aucune indemnisation du fait de la rupture du contrat passé avec le médecin.
Les cliniques devront donc être particulièrement vigilantes dans une situation similaire. Seul un acte positif de renonciation à la résiliation du contrat peut avoir pour conséquence d’imposer un nouveau délai de préavis. Il est donc vivement recommandé d’obtenir une telle preuve en cas de poursuite de l’activité du médecin.
La Lettre du Cabinet - Janvier 2016


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Préavis Rupture

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Raisons légitimes de ne pas effectuer le préavis avant rupture d’un contrat d’exercice libéral de la chirurgie
(Cour d’appel de Dijon, 1ère ch. civ., arrêt du 26 juin 2012, n° 11/01143)
Isabelle Lucas-Baloup

Une clinique de Dijon reprochait à un orthopédiste de ne pas avoir respecté, avant de la quitter, le préavis de 24 mois auquel il était tenu conformément aux usages professionnels et lui réclamait 1 223 645 € en réparation de son manque à gagner causé par le départ brutal du chirurgien. Ce dernier plaidait que ladite clinique, dépendant désormais du groupe Générale de Santé, avait entrepris une réorganisation de l’activité de ses blocs opératoires, avait modifié, dans leurs jours et amplitude, les vacations de bloc du chirurgien, la direction prenant l’initiative de supprimer les dernières opérations de la journée pour éviter au personnel infirmier de terminer tard.

La Cour d’appel a analysé la situation et l’arrêt mentionne : « Attendu que s’il appartient à l’administration de l’établissement de s’assurer que le programme des interventions chirurgicales est compatible avec la présence des autres praticiens, notamment les médecins anesthésistes et avec les horaires du personnel soignant, ainsi que plus généralement avec la sécurité des patients, il revient néanmoins au chirurgien seul d’apprécier l’ordre et la durée de ses opérations ; que si elle avait constaté des dépassements importants et réitérés du seul fait du chirurgien, la Clinique aurait été autorisée à rompre son contrat sans respecter le préavis de 24 mois ; que parallèlement le chirurgien constatant le non-respect de ses prérogatives pouvait légitimement souhaité partir rapidement ».

La Cour observe que l’orthopédiste avait, dans sa lettre de résiliation, annoncé son départ à l’issue d’un préavis limité à trois mois, compte tenu des modifications substantielles dont il était victime, mais avait, pendant la tentative de conciliation, dont la Clinique avait retardé l’organisation, proposé de continuer à exercer quelques mois de plus à temps partiel, ce qu’il a fait. La direction a alors déprogrammé les patients et immédiatement enlevé le nom du chirurgien de tous les panneaux et plannings, la Cour retenant que « cette attitude, après plusieurs mois d’échanges quasi quotidiens de lettres de récriminations réciproques, révèle que la Clinique ne tenait pas à ce que la collaboration du chirurgien perdure […] ; la demande de dommages et intérêts de la Clinique n’est donc pas justifiée, d’autant qu’elle-même est au moins pour partie à l’origine du préjudice qu’elle invoque, du fait qu’elle n’a expressément formulé son désaccord que juste avant l’échéance et qu’elle était manifestement peu encline à la recherche d’un compromis et a exigé que le chirurgien s’en tienne à sa première proposition ».

En revanche, le chirurgien est débouté de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts à l’encontre de la Clinique en réparation des défaillances chroniques de celle-ci dont la fourniture des moyens et la réduction des vacations avaient limité l’activité de l’orthopédiste.

Cette décision est conforme à la jurisprudence habituelle : le délai de préavis doit être respecté sauf circonstances d’une particulière gravité dont la preuve incombe à l’auteur de la réduction unilatérale de la durée. Il ne suffit pas d’affirmer pour démontrer. En l’espèce, l’orthopédiste prouvait l’intrusion de la direction dans l’organisation de ses plannings et la suppression de plusieurs malades en fin de journée ainsi que le changement sans l’accord du praticien de ses vacations hebdomadaires. La Cour a donc parfaitement jugé que le chirurgien avait des raisons légitimes de ne pas effectuer le préavis d’usage de 24 mois et qu’il n’a pas commis de faute dans les conditions de la rupture de son contrat avec la Clinique.

La lettre du Cabinet - Septembre 2012


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Contrat d'exercice Préavis Rupture

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Regroupement géographique de deux cliniques sur un nouveau site : refus de locaux aux biologistes, rupture imputable à la clinique
(Cour d’appel de Rouen, arrêt du 17 février 2011, Hôpital Privé de l’Estuaire)
Isabelle Lucas-Baloup

Là encore, jurisprudence classique : la Générale de Santé regroupe deux établissements, les Cliniques Colmoulins et François 1er, sur un nouveau site, sur lequel, malgré les engagements contractuels initiaux, le nouvel hôpital privé refuse de mettre à disposition de la Selarl de biologie médicale liée contractuellement à la première des deux cliniques, les locaux permettant de réaliser des prélèvements et analyses sur place. Après cassation, la Cour d’appel statue conformément à la demande des biologistes qui ont refusé dans de telles conditions de poursuivre leur activité dans le nouvel hôpital : « La résolution judiciaire du contrat sera donc prononcée aux torts de la société des cliniques aujourd’hui Hôpital Privé de l’Estuaire et celle-ci doit indemniser la société de biologie médicale du préjudice résultant pour elle de cette rupture. » Expertise comptable pour l’évaluation du préjudice.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2011
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Résiliation brutale --> dommages et intérêts payés par la clinique au médecin
(Cour d'appel d'Aix en Provence, 1ère ch. A, arrêt du 3 avril 2007)
Isabelle Lucas-Baloup

Dans une maison de retraite dans laquelle il intervient depuis 12 ans, on annonce verbalement à un psychiatre qu'il ne fait plus partie des libéraux exerçant dans l'établissement, ce qui lui est confirmé par écrit quelques jours plus tard. Il assigne et obtient 50 000 € à titre de dommages et intérêts, la maison de retraite fait appel.

La Cour confirme le jugement et déboute la maison de retraite qu plaidait avoir été contrainte d'agir ainsi en raison de l'attitude du médecin qui n'entendait pas se plier aux exigences nées des réformes imposant un médecin référent, un médecin coordonnateur et une réorganisation corrélative des services, mais son courrier de rupture ne mentionnait pas ce grief et l'arrêt observe que la mise en place du médecin référent est postérieure à la résiliation du contrat. La Cour évalue, compte tenu des revenus du psychiatre, son préjudice matériel à 45 000 € auxquels elle ajoute 5 000 € en réparation du préjudice moral.

La Lettre du Cabinet - Septembre 2007
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