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Récidive de cancer du sein : pas de responsabilité fautive du médecin
Isabelle Lucas-Baloup

Un arrêt, prononcé le 9 mars 2017 par la Cour d’appel d’aix-en-Provence (10ème chambre, n° 15/22268) déboute une patiente de son action en responsabilité civile professionnelle à l’encontre de son médecin traitant, lequel avait pourtant prescrit divers examens afin de déterminer l’origine des douleurs dont se plaignait la patiente : un bilan sénologique, une IRM du rachis cervical, dorsal et lombaire, un EMG et des bilans sanguins.

L’arrêt est reproduit quasi intégralement :

 

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

« Mme Carole B. épouse C. a subi le 25 mars 2004 l'exérèse d'un carcinome canalaire infiltrant suivi de 6 séances de chimiothérapie ; le 10 mai 2004 elle a bénéficié d'une reconstruction mammaire par mise en place d'un expandeur qui a été ôté le 28 février 2005 pour mise en place d'une prothèse totale ; elle a bénéficié par la suite d'un suivi régulier par son gynécologue, tous les mois puis tous les ans.

« Mme B. qui avait pour médecin traitant le docteur L. a été examinée le 17 mars 2010 puis à diverses reprises entre cette date et juin 2010 par le remplaçant de ce médecin, le docteur Monique O.

« A la suite d'une IRM ayant révélé des métastases de son cancer du sein, Mme B. mécontente des soins de Mme O. a saisi le juge des référés qui par ordonnance du 4 décembre 2012 a prescrit une mesure d'expertise confiée au docteur M. qui a déposé son rapport le 20 janvier 2014.

« Par acte d'huissier de justice du 27 avril 2015 Mme B. a assigné Mme O. devant le tribunal d'instance d'Aix en Provence, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches du Rhône (CPAM), tiers payeur, pour obtenir l'indemnisation du préjudice consécutif à un retard de diagnostic des métastases de son cancer du sein.

« Par jugement du 27 novembre 2015 cette juridiction a :

- débouté Mme B. de sa demande de dommages et intérêts,

- dit n'y a voir lieu à exécution provisoire,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- déclaré le jugement opposable à la CPAM,

- condamné Mme B. aux dépens.

« Pour statuer ainsi le tribunal a considéré que Mme B. ne rapportait pas la preuve que le retard de diagnostic des métastases à la hanche était imputable à Mme O. alors que sur la période de mars 2010 à janvier 2011 elle avait également été suivie par son gynécologue, le docteur B. et par d'autres médecins et qu'elle n'avait pas communiqué à l'expert les dossiers médicaux permettant à celui-ci de vérifier le contenu des diverses consultations.

« Par acte du 17 décembre 2015, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, Mme B. a interjeté appel général de cette décision.

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

« Mme B. demande à la cour dans ses conclusions du 16 mars 2016, en application des articles L.1142-1 du code de la santé publique et 700 du code de procédure civile, de :

- infirmer le jugement,

statuant de nouveau

- juger que Mme O., chargée de son suivi médical, a commis une faute en négligeant de s'entourer de tous les moyens d'investigation utiles et ainsi en ne diagnostiquant pas la récidive de son cancer,

- juger que cette erreur de diagnostic a été à l'origine d'un traitement inadapté et d'un retard dans sa prise en charge,

- juger que compte tenu du suivi médical pris en charge par Mme O. il existe un lien de causalité entre les manquements de ce médecin et ses séquelles,

- condamner Mme O. à indemniser toutes les conséquences de ses manquements,

- évaluer son préjudice à :

- déficit fonctionnel temporaire partiel : 1 000 €

- souffrances endurées : 3 500 €

en conséquence

- condamner Mme O. à lui verser la somme de 4 500 €,

- la condamner à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens,

- le tout avec les intérêts au double du taux légal à compter de la date de l'accident,

subsidiairement

- ordonner une expertise judiciaire au contradictoire des docteurs B. et L.,

- juger que dans l'hypothèse où à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées dans la décision à intervenir l'exécution forcée devra être réalisée par un huissier de justice le montant des sommes par lui retenues en application de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96/1080 devra être supporté par le débiteur en sus de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

« Elle expose que ce n'est qu'en janvier 2011, à la suite de son insistance et car elle se plaignait auprès d'elle depuis mai 2010 de douleurs dans le dos, que Mme O. l'a orientée vers un rhumatologue, le docteur B., qui a prescrit une IRM laquelle a révélé des métastases, qu'elle a alors été prise en charge en radiothérapie puis en chimiothérapie puis a subi en avril 2012 une opération pour mise en place d'une prothèse totale de la hanche gauche consécutive à la nécrose de l'os due au cancer, que lorsque Mme O. l'a examinée elle savait qu'elle avait été opérée d'un cancer du sein, que Mme O. a omis de s'entourer de tous les moyens d'investigation utiles et a omis de diagnostiquer une récidive de son cancer ce qui a retardé sa prise en charge et a été à l'origine d'un traitement inadapté.

« Elle précise qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir communiqué à l'expert son dossier médical qu'elle n'a pas eu en sa possession.

« Mme O. demande à la cour dans ses conclusions du 12 mai 2016, en application de l'article L.1142-1 I du code de la santé publique, de :

- constater que Mme B. ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle a pu engager sa responsabilité,

en conséquence

- débouter Mme B. de ses demandes,

- confirmer le jugement,

subsidiairement

- dire que la réparation du dommage ne saurait excéder les sommes suivantes :

- déficit fonctionnel temporaire partiel : 450 €

- souffrances endurées : 1 000 €

- débouter Mme B. de ses demandes,

- condamner Mme B. à lui verser la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme B. aux dépens avec distraction.

« Elle rappelle que le médecin n'est tenu que d'une obligation de moyens et que l'erreur n'est pas fautive dès lors que le diagnostic est difficile à établir.

« Elle précise qu'elle n'a examiné Mme B. qu'à l'occasion de remplacements, que durant la période où elle est intervenue cette patiente a consulté 3 autres médecins, que son gynécologue n'a pas décelé une récidive de son cancer, qu'elle-même a toujours cherché par la prescription d'examens d'imagerie (IRM), par la réalisation d'un EMG et par la demande de bilans sanguins à diagnostiquer la pathologie de Mme B.

« Elle ajoute que si l'expert a retenu un retard de diagnostic, il a précisé qu'il ne pouvait dire à quel praticien ce retard était imputable car Mme B. ne lui avait pas remis les dossiers médicaux des docteurs L. et B. ni le compte rendu de la consultation du docteur B. du 27 novembre 2010 et soutient que c'est à Mme B. de remettre ces documents.

« La CPAM, assignée par Mme B. par acte d'huissier du 17 mars 2016 délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel n'a pas constitué avocat.

« Par courrier du 12 juillet 2016 elle a indiqué n'avoir versé aucune prestation en espèces.

« L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du code de procédure civile.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

« Il résulte de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

« En l'espèce il ressort du rapport d'expertise que Mme O. n'a vu Mme B. en consultation que du mois de mars 2010 à fin janvier 2011, seulement à 8 reprises, à l'occasion du remplacement du médecin traitant de cette patiente, le docteur L., que face aux plaintes de Mme B. elle a prescrit divers examens afin de déterminer l'origine de ses douleurs soit un bilan sénologique le 15 mars 2010 et une IRM du rachis cervical, dorsal et lombaire le 3 mai 2010, et que les résultats de ces examens n'ont pas révélé ou fait suspecter la présence de métastases.

« Par ailleurs l'expert a noté que Mme B. a été atteinte d'une pathologie dont l'évolutivité est significative ce dont il s'évince que le diagnostic pouvait difficilement être posé rapidement.

« Ainsi au cours de sa courte période d'intervention Mme O. a dispensé des soins attentifs et consciencieux à Mme B. et a mis en œuvre les moyens d'investigation utiles et adaptés ; en outre dans le même temps que Mme O., Mme B. a également été prise en charge par son gynécologue, le docteur B. et par son médecin traitant, le docteur L.

« Enfin Mme B. n'a pas fourni à l'expert alors qu'elle seule était en mesure de le faire, en les demandant à ses médecins habituels, ses dossiers médicaux, de sorte que l'expert n'a pas pu mener plus amplement ses opérations.

« Il résulte de l'ensemble de ces éléments, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une mesure d'expertise au contradictoire des docteurs B. et L., laquelle n'est pas utile, que Mme B. ne rapporte pas la preuve que Mme O. a commis une faute dans les soins qu'elle lui a dispensés et qui serait à l'origine d'un retard fautif de diagnostic de ses métastases osseuses.

« Mme B. doit en conséquence être déboutée de ses demandes, le jugement sera confirmé.

« Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

« L'équité ne commande pas de faire application en cause d'appel de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou l'autre des parties.

« Mme B. qui succombe supportera la charge des entiers dépens d'appel.

 

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Confirme le jugement,

Y ajoutant,

- Rejette les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- Condamne Mme Carole B. épouse C. aux dépens d'appel. »

 

Gynéco-Online - mai 2017
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Tumeur de l’utérus : deuxième avis
(arrêt Cour de cassation, 1ère ch. civ., 30 avril 2014, n° 13-14288)
Isabelle Lucas-Baloup
   Brigitte X consulte en 2002 un gynécologue, le Dr Y, afin d’obtenir un deuxième avis, à la suite d’une suspicion de léiomyosarcome avancée par un autre gynécologue le Dr Z lequel a recommandé une hystérectomie. Cette intervention a été retardée par la patiente jusqu’en 2004 au vu du diagnostic erroné moins sévère du Dr Y après des résultats différents d’anatomopathologie.

 

   La patiente étant décédée en 2009, son époux lance une procédure contre le Dr Y pour avoir été à tort rassurant sur l’absence de pathologie suspecte, en arguant d’une perte de chance de guérison ou à tout le moins de chance de retarder l’issue fatale due à un sarcome avec métastases pulmonaires après chimiothérapie intensive et plusieurs interventions chirurgicales.

 

   Deux rapports d’expertise établissent que l’indication d’une hystérectomie aurait dû être posée début 2003 et qu’il n’y a pas eu de réunion de concertation pluridisciplinaire qui n’existait pas à l’époque à Vichy. L’un des experts avait conclu qu’en cas de discordance des avis, il appartenait nécessairement au Dr Y de retenir le prélèvement donnant le diagnostic le plus sévère par principe de prudence.

 

   Le Dr Y mis en cause par le veuf soutenait que cette position rendrait au final inutile la consultation d’un second médecin et que le Dr D, anatomopathologiste, avait écarté en janvier et février 2003 la suspicion initiale de sarcome faite fin 2002 après avoir demandé des colorations spéciales, soulignant que les examens ultérieurs, notamment ceux des tissus après les interventions d’octobre et novembre 2004, n’ont pas démontré de signe flagrant de malignité et qu’enfin Brigitte X était suivie par un médecin traitant à même de prendre le rôle de coordonnateur si nécessaire. Lors de la découverte du nodule en novembre 2004, le Dr Y a orienté la patiente sur le Dr B, radiologue spécialisé en pneumologie pour qu’il lui donne son avis, mais la patiente ne l’a pas consulté immédiatement, ne prenant rendez-vous avec un autre radiologue qu’en décembre 2005 qui découvre le sarcome métastasique.

 

   La Cour d’appel de Riom avait débouté le veuf de son action en dommages intérêts contre le gynécologue ayant donné le 2ème avis, par un arrêt du 16 janvier 2013 (qui n’a pas été publié ce qui empêche de connaître le détail de l’évolution des faits dans cette très intéressante affaire, les arrêts de cassation étant très réduits évidemment dans leur exposé puisque la Cour suprême juge en droit et ne réapprécie pas les faits). Toujours est il que, par la décision commentée prononcée le 30 avril 2014, la Cour de cassation confirme l’arrêt de Riom et déboute le veuf de son pourvoi en jugeant que :

 

 

 

« Un médecin, tenu, par l’article R. 4127-5 du code de la santé publique, d’exercer sa profession en toute indépendance, ne saurait être lié par le diagnostic établi antérieurement par un confrère, mais doit apprécier, personnellement et sous sa responsabilité, le résultat des examens et investigations pratiqués et, le cas échéant, en faire pratiquer de nouveaux conformément aux données acquises de la science. »

 

 

 

   L’arrêt de la Cour de Riom est donc confirmé en ce qu’il avait jugé que le Dr Y n’a pas commis de faute à l’origine du retard de traitement de Brigitte X et qu’il n’avait pas manqué de prudence et de diligence en ne privilégiant pas le prélèvement qui donnait le diagnostic le plus sévère, sans violer l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, qui prévoit, depuis la loi Kouchner, qu’il n’y a pas de responsabilité médicale sans faute en cette matière.

 

   Cet arrêt doit être signalé car la Cour de cassation est rarement saisie des responsabilités encourues en cas de deuxième avis médical, et la position de l’expert selon laquelle il convient, dans un souci de prudence, de s’aligner sur le diagnostic le plus sévère, peut conduire à la mise en œuvre abusive de ce qu’on qualifie, dans d’autres domaines, le devoir de précaution. En l’espèce, le 2ème avis, rassurant, était erroné, puisque les avis convergent sur le retard exposé au lancement des traitements. Mais il était utile que, sur des faits montrant l’erreur du deuxième consultant, la Cour de cassation réaffirme cependant la liberté d’appréciation dans le cadre du 2ème avis. Le détail des investigations conduites n’étant pas publié, il ne peut être commenté c’est dommage.

 

   Cette jurisprudence confirme la responsabilité autonome de chaque médecin dans le cadre de son exercice, en toute indépendance, avec la liberté de diagnostic et de prescription que le code de déontologie aujourd’hui codifié dans le code de la santé publique lui assure.
Gynéco Online - Juin 2014


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