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Isabelle Lucas-Baloup
Le gynécologue-obstétricien doit s’enquérir des résultats des analyses qu’il prescrit pendant le suivi de la grossesse. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt du 3 février 2016, qui confirme la condamnation du gynécologue-obstétricien pour perte de chance subie par l’enfant ayant conservé d’importantes séquelles d’une septicémie et méningite à streptocoque B.


Les faits :

Le 19 mai 2004, Mme J. accouche d’un garçon, à la Clinique Lille Sud. Sa grossesse a été suivie par le Dr D., gynécologue décédé en cours d’instance, assuré par Axa.
A la 29ème semaine de grossesse, le Dr D. avait prescrit des analyses confiées à un laboratoire lillois, qui avaient permis de mettre en évidence la présence d’un streptocoque du groupe B.
A l’occasion de son accouchement, Mme J. a été prise en charge par un autre gynécologue, qui n’a pas été tenu informé des résultats des examens.

Le lendemain de sa naissance, l’enfant a dû être admis au CHU de Lille en raison d’une septicémie et d’une méningite à streptocoque B dont il a conservé d’importantes séquelles.

Saisi par les parents, le Juge des référés a ordonné une expertise et on peut lire dans le rapport :


Le rapport d’expertise :

« Madame J. présentait avant son accouchement une bactériurie positive à streptocoque B. Elle présentait lors de la naissance d’Aimé une infection génito-urinaire à streptocoque B. Les actes médicaux réalisés pendant la grossesse ont été décrits en détail.
« Le diagnostic d’infection génito-urinaire aurait pu être établi avec certitude en contrôlant la bactériurie déjà prescrite et/ou en réalisant une bactériologie vaginale et endocervicale en fin de grossesse.
« A l’époque des faits il existait déjà un consensus très fort pour conseiller cette pratique systématique en fin de grossesse, a fortiori chez une femme ayant présenté quelques temps auparavant une bactériurie positive à streptocoque B.
« Si cette stratégie avait été appliquée (ou si la bactériurie du 11/3 avait été prise en compte), elle aurait dû aboutir à la prescription (toujours d’après le consensus de l’époque) d’une antibioprophylaxie maternelle per-partum.
« Cette antibioprophylaxie maternelle per-partum n’aurait pas supprimé tout risque d’infection néonatale précoce et sévère chez Aimé mais, d’après la littérature sur le sujet, on peut considérer que la perte de chance pour lui d’avoir eu soit une absence d’infection soit une infection moins sévère était de 50 % à 70 % selon les publications.
« En outre ceci est un minimum car certains articles récents sur le sujet font penser que les infections néonatales persistantes malgré le screening maternel de fin de grossesse et la prophylaxie antibiotique systématique per-partum, se retrouvent surtout chez les mères dont les tests bactériologiques étaient négatifs au moment du prélèvement ce qui n’est pas le cas de Mme J.
« C’est le Docteur D. qui suivait la grossesse de Madame J. Il n’a pas vu ou n’a pas tenu compte de la bactériurie qu’il avait prescrite et qui était positive à streptocoque B. Il n’a pas prescrit de contrôle urinaire ni de bactériologie vaginale et endocervicale en fin de grossesse. C’est lui qui était de garde lors de son arrivée à la Clinique le 18 mai 2004, la veille de son accouchement. Il a été tenu au courant de l’arrivée de la patiente par téléphone par la sage-femme et ne lui a pas donné de consigne particulière concernant la prescription d’une bactériologie de fin de grossesse, ou la prescription d’une antibioprophylaxie per-partum contre le Strepto B. Les sages-femmes de la Clinique étaient sous l’autorité de prescription des médecins. Le Docteur Da., de garde le 19 mai 2004, n’a été appelé qu’après dilatation complète à la fin de l’accouchement, c’est-à-dire trop tard pour discuter d’une antibioprophylaxie per-partum.
« L’état actuel de l’enfant est en rapport avec la méningite compliquée d’une myélite à streptocoque B qu’il a développée dans les heures qui ont suivi sa naissance.
« Sa prise en charge pédiatrique n’appelle pas de commentaires ou de remarques particulières.
« Le Docteur D. par son attitude a commis une négligence et une imprudence de nature à augmenter le risque pour Aimé d’avoir une infection néonatale précoce et sévère à streptocoque B qui aurait cependant pu survenir avec la même gravité si toutes les précautions recommandées à l’époque des faits avaient été prises.
« Nous n’avons pas mis en évidence de manquements de la part de la Clinique Lille Sud ou de son personnel salarié, en rapport avec les séquelles actuelles. »


Arrêt de la Cour d’appel de Douai :

Le 6 novembre 2014, la 3ème chambre de la Cour d’appel de Douai a retenu que le gynécologue-obstétricien qui a suivi la grossesse, le Docteur D., a commis une faute en ne s’inquiétant pas du résultat des analyses d’urines qu’il avait prescrites, en raison du risque de naissance prématurée, et en ne prescrivant pas un nouvel examen bactériologique en fin de grossesse.

Le pédiatre consulté en qualité de sapiteur par l’expert avait indiqué qu’un « traitement maternel en per-partum aurait diminué le risque de contamination de l’enfant et la sévérité de la forme clinique ». Si la prise en charge de Madame J. avait été conforme aux recommandations de l’époque, une antibioprophylaxie maternelle aurait été appliquée per partum, sans pour autant supprimer tout risque d’infection néonatale précoce. Au vu de ces éléments, la Cour confirme le jugement en ce qu’il avait retenu que les fautes commises par le Docteur D. étaient à l’origine d’une perte de chance de 60 % d’éviter le dommage.

L’assureur du gynécologue-obstétricien, Axa, a été condamné à payer environ notamment :

- 320 000 € au titre des besoins en tierce personne,
- 60 000 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 42 000 € au titre des souffrances endurées,
- 5 000 € au titre des frais de logement adapté,
- 5 000 € au titre des frais de véhicule adapté,
- 5 000 € au titre des frais divers,
- 42 000 € au titre du préjudice d’affection pour le père et pour la mère chacun,
- 186 000 € à la CPAM de Lille.
Arrêt de cassation :

Par arrêt du 3 février 2016, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’Axa en jugeant :

« […] l’arrêt retient que les résultats des analyses ont été adressés par le laboratoire à la clinique à l’attention du médecin prescripteur ; il n’est pas établi que les analyses auraient été égarées à la suite d’une faute du personnel salarié de la clinique ; le Dr D. a reçu à plusieurs reprises Mme J. entre la prescription des analyses et l’accouchement, sans faire d’observations sur l’absence des analyses ou de s’inquiéter de leur résultat, et il appartient au médecin de s’enquérir des résultats des analyses prescrites afin d’adapter le cas échéant la prise en charge du patient.

« La Cour d’appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que l’absence au dossier médical des résultats des analyses prescrites par le Dr D. ne suffisait pas à caractériser la faute de la Clinique. »

L’arrêt de la Cour de Douai est donc définitif, puisque le pourvoi de l’assureur est rejeté.


Conclusion :

Le gynécologue-obstétricien doit s’enquérir des résultats des analyses qu’il prescrit pendant le suivi de la grossesse. En l’espèce la négligence du médecin a fait perdre une chance au nouveau-né d’éviter le dommage, que la Cour de Douai a fixé, après expertise, à 60 %, ce qui est confirmé par les Hauts Magistrats.
Gynéco-Online - Avril 2016


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