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Radiologue, médecin traitant, chirurgien et oncologue : cancer du sein, absence de responsabilité fautive
(arrêt Cour d’appel de Douai, 3ème chambre, 25 mai 2023, n° 21/00252)
Isabelle Lucas-Baloup

Cet arrêt est intéressant en ce qu’il analyse, sur assignation des héritiers d’une patiente décédée d’un cancer du sein, les responsabilités encourues par quatre professionnels de santé : radiologue, médecin traitant, chirurgien puis oncologue. La Cour écarte la responsabilité du radiologue et du médecin traitant et ordonne une expertise médicale complémentaire pour statuer sur la responsabilité du chirurgien et de l’oncologue :

 

« EXPOSE DU LITIGE

 

1. Les faits et la procédure antérieure :

 

Mme [O patiente] a consulté M. [N médecin traitant], son médecin traitant, alors qu’elle avait constaté la présence d’une boule au sein droit fin 2015.

 

M. [N médecin traitant] lui a prescrit deux examens réalisés par Mme [U radiologue] : une mammographie, réalisée le19 octobre 2015 et une échographie mammaire, réalisée le 22 octobre 2015.

 

Le 20 octobre 2016, M. [T], gynécologue de Mme [O patiente], a détecté la grosseur et a prescrit des investigations ayant conduit à un diagnostic de cancer du sein de grade III.

 

M. [I chirurgien] a procédé en novembre 2016 à une mastectomie partielle avec curage axiliaire du sein droit.

 

Mme [J oncologue] a mis en œuvre entre décembre 2016 et mai 2017 un traitement par chimiothérapie, avant qu’elle ne diagnostique chez Mme [O patiente] l’existence de métastases sur les os ayant justifié un changement de thérapie jusqu’au décès de la patiente.

 

Mme [O patiente] ayant saisi le juge des référés, l’expert oncologue [B], assisté du sapiteur radiologue [P], a en définitive déposé son rapport le 7 août 2020.

 

Invoquant la responsabilité des différents professionnels de santé, Mme [O patiente] a assigné à jour fixe par actes des 24 et25 septembre 2020 M. [I chirurgien], Mme [U radiologue], Mme [J oncologue] et M. [N médecin traitant], ainsi que la caisse primaire d’assurance-maladie, devant le tribunal judiciaire.

 

2. Le jugement dont appel :

 

Par jugement rendu le 24 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Valenciennes a :

 

1- rejeté la fin de non-recevoir formulée par Mme [J oncologue] quant à l’absence d’urgence ;

2- dit que l’affaire est en état d’être jugée ;

3- rejeté la demande de renvoi à l’audience de mise en état formulée par Mme [U radiologue] ;

4- dit que la responsabilité de Mme [U radiologue] est engagée ;

5- dit que la responsabilité de M. [N médecin traitant] est engagée ;

6- dit que la responsabilité de M. [I chirurgien] est engagée ;

7- dit que la responsabilité de Mme [J oncologue] est engagée ;

8- dit que Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] seront condamnés in solidum à réparer le préjudice subi par Mme [O patiente] ;

9- condamné in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à payer à Mme [O patiente] une provision de 40 000 euros à valoir sur son préjudice suite à sa prise en charge défectueuse ;

10- sursis à statuer sur le recours subrogatoire de la caisse primaire d’assurance-maladie du Hainaut, dans l’attente de la consolidation de l’état de santé de Mme [O patiente] ;

11- condamné in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à payer à Mme [O patiente] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

12- condamné in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à payer à Mme [O patiente] à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie la somme de 1 091 euros sur le fondement de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

13- condamné in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] aux dépens ;

14- ordonné l’exécution provisoire de son jugement.

 

Mme [O patiente] est décédée le [Date décès 7] 2021. L’instance a été reprise par ses trois fils.

 

3. Les déclarations d’appel :

 

Par déclaration du 8 janvier 2021, M. [N médecin traitant] a formé appel de ce jugement en limitant la contestation du jugement critiqué aux seuls chefs du dispositif numérotés 5, 8 à 14 ci-dessus.

 

Par déclaration du 19 janvier 2021, Mme [U radiologue] a formé appel à l’encontre de ce jugement, en visant les chefs de son dispositif n°3, 4, 8, 9, 11 à 13 ci-dessus.

 

Par déclaration du 11 mars 2021, Mme [J oncologue] a formé appel de ce jugement, en visant les chefs de son dispositif n°1, 2,4 à 14 ci-dessus.

 

Les instances ont été jointes par ordonnances des 17 juin 2021 et 7 avril 2022.

 

4. Les prétentions et moyens des parties :

 

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2022, M. [N médecin traitant] demande à la cour d’infirmer le jugement critiqué en ses dispositions visés par sa déclaration d’appel et, statuant de nouveau, de :

 

  • le recevoir en ses écritures les disant bien fondées ;
  • dire et juger qu’aucune preuve d’une quelconque faute de sa part n’est rapportée ;
  • rejeter toutes demandes, fins et conclusions formulées à son encontre ;
  • condamner la ou les parties succombantes à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.

 

A l’appui de ses prétentions, il fait valoir que la preuve d’une faute n’est pas établie à son encontre, alors que le premier juge s’est exclusivement fondé sur les seules déclarations a posteriori de Mme [O patiente] pour estimer qu’elle avait informé son médecin de la progression clinique du nodule du sein, sans que ce dernier n’ait jugé utile de l’examiner en dépit de ses plaintes et de lui prescrire des examens ; le reproche d’un diagnostic tardif d’une année ayant conduit à un cancer du sein métastatique incurable n’est pas établi : les seuls propos de Mme [O patiente] ne suffisent pas à prouver la faute alléguée, alors qu’à l’inverse, les deux examens réalisés par la radiologue Mme [U radiologue] sur sa prescription ne montraient aucune anomalie particulière et n’exigeaient aucun suivi, et qu’enfin, les consultations par Mme [O patiente] entre octobre 2015 et octobre 2016 portaient sur d’autres motifs ; les conclusions des experts reposent sur une simple déduction à partir de l’évolution ultérieure de la maladie.

 

Aux termes de ses conclusions notifiées le 17 octobre 2022, Mme [U radiologue] demande à la cour d’infirmer la décision entreprise et de :

 

  • rejeter toutes demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont diligentées à son encontre ;
  • condamner la ou les parties succombantes à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel.

 

A l’appui de ses prétentions, Mme [U radiologue] fait valoir que :

 

  • elle n’a commis aucune faute, dès lors qu’aucun élément suspect ne figurait sur les clichés radiologiques, même après une vérification par échographie et relecture de la mammographie par un confrère, et qu’à ce titre, le suivi se limitait à fixer un nouveau rendez-vous de contrôle à l’issue d’une période de deux ans en fonction de seins classés ACR2. Les conditions techniques de réalisation des examens sont conformes aux données de la science, selon les experts judiciaires eux-mêmes. Les recommandations de l’Anaes prévoyaient à l’époque des faits litigieux un arrêt de la démarche diagnostique et l’absence de surveillance particulière, de sorte que le tribunal a retenu à tort une obligation à son encontre de procéder à un examen radiologique de vérification dans un délai de 3 à 4 mois, dès lors que le classement ACR2 n’a pas été par ailleurs valablement remis en cause par les experts qui ont procédé à une relecture a posteriori s’inspirant de l’évolution effective ultérieure de la grosseur.

 

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 7 novembre 2022, M. [I chirurgien] demande à la cour de réformer le jugement critiqué en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

 

  • débouter les ayants droit de Mme [O patiente] de l’ensemble de leurs demandes ;
  • ordonner une contre-expertise avec mission d’expertise proposée dans le corps de ses conclusions.

 

A l’appui de ses prétentions, M. [I chirurgien] fait valoir que :

 

  • aucune faute n’est établie à son encontre, dès lors que l’indication opératoire était valable : lors de son examen initial de Mme [O patiente], cette dernière présentait une tumeur volumineuse, sans notion de métastases, de sorte qu’une intervention chirurgicale rapide était requise, notamment pour accroître la survie globale de la patiente ; au lieu de faire perdre du temps, cette intervention chirurgicale a augmenté les chances de survie ; à l’inverse, l’efficacité d’une chimiothérapie d’emblée n’est pas démontrée, alors que Mme [O patiente] présentait une tumeur hormono-résistante au traitement par hormonothérapie ;
  • aucun préjudice en lien avec la faute reprochée ne peut être établi : alors qu’en fonction du décès de la patiente, la cour ne dispose d’aucun élément pour connaître le taux de perte de chance de survie et le nombre d’année de vie perdu ;
  • subsidiairement, la condamnation in solidum des différents professionnels de santé n’est pas justifiée, alors qu’elle ne peut intervenir qu’à la condition que plusieurs personnes aient concouru et causé un seul et même dommage : en l’espèce, les fautes reprochées sont distinctes et ont entraîné des préjudices distincts.
  • la notion de « perte de chance » ne concerne que Mme [J oncologue].

 

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2022, Mme [J oncologue] demande à la cour de réformer le jugement critiqué en toutes ses dispositions :

 

=> Sur la procédure :

 

  • dire que Mme [O patiente] était irrecevable en ses demandes en raison de l’absence d’urgence ;
  • juger que les dossiers enregistrés sous les n°21/00304, 21/01487, 21/00252, 21/00423 concernent la même affaire et ordonner leur jonction ;

 

=> Sur le fond :

 

  • à titre principal : juger qu’elle n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
  • à titre subsidiaire : si, par extraordinaire, la cour estimait qu’un doute subsiste quant à l’analyse de la prise en charge, ordonner une contre-expertise médicale avec pour mission comme précisée dans le corps de ses conclusions ;
  • en tout état de cause : condamner les ayants-droits de Mme [O patiente] aux dépens et à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

 

A l’appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

 

  • elle n’a pas commis de faute: sur ce point, le tribunal a suivi les conclusions de l’expert , en violation de l’article 246 du code de procédure civile disposant qu’il n’est pas lié par celles-ci ; à l’inverse, l’expert judiciaire a retenu qu’il s’agissait d’un cancer de type luminal A, alors qu’il résulte d’un rapport établi par le professeur [F] qu’il s’agissait d’un type B : cette distinction a un intérêt pour décider de la nature du traitement, même s’agissant d’un cancer du sein métastatique, contrairement à l’affirmation de l’expert judiciaire ; l’expert a faussement apprécié l’intérêt d’une RCP datant du 9 novembre 2016 et ayant permis de décider de l’administration d’un traitement complémentaire par chimiothérapie, d’une irradiation locorégionale et d’une hormonothérapie ; l’expert s’est trompé en indiquant qu’elle n’était pas présente pour présenter le dossier de sa patiente à la RCP du 2 janvier 2017 ; le reproche par l’expert d’avoir d’emblée eu recours à une chimiothérapie, et non à une hormonothérapie, n’est pas justifié, alors qu’une telle stratégie thérapeutique a été validée en RCP et que les études scientifiques ne permettent pas à l’époque de trancher en faveur d’une hormonothérapie de première ligne en présence d’un cancer métastatique chez une femme de 40 ans non ménopausée ; à l’inverse, les recommandations de la HAS préconisent en 2010 un traitement initial par chimiothérapie, avant d’envisager une hormonothérapie et une radiothérapie (RT) ; la radiothérapie n’est indiquée qu’en situation adjuvante après chirurgie hors situation métastatique, selon les normes médicales, étant observé que le centre [29] a également exclu ce type de thérapie, de sorte qu’il n’existe aucune perte de chance de contrôle tuméral par l’absence de recours ; en outre, la tumeur s’est révélée à la fois chimio- et hormono-résistante, de sorte que l’impact du traitement adopté est en tout état de cause limité ;
  • subsidiairement, elle demande une contre-expertise, sur laquelle le tribunal judiciaire ne s’est pas prononcé.

 

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2022, MM. [A] [Z], M. [S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z], demandent à la cour de :

 

' confirmer le jugement attaqué en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir de Mme [J oncologue] sur l’absence d’urgence ;

' confirmer le jugement attaqué en ce qu’il dit que Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] avaient engagé pour chacun leur responsabilité ;

' Déclarer Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] pleinement responsables du préjudice subi par Mme [O patiente] ;

' Condamner in solidum Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à leur verser, ès-qualité d’héritiers de Mme [O patiente], une indemnité de 235 816 euros sur l’indemnisation de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, sauf à parfaire ;

' condamner in solidum Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à leur verser, ès-qualité d’héritiers de Mme [O patiente], la somme de 100 000 euros à titre de perte de chance de survie ;

' les recevoir en leur intervention volontaire ;

' en conséquence, condamner in solidum Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] à leur verser la somme de 20 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral ;

' en tout état de cause débouter, Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] de leurs appels incidents et de leurs demandes plus amples et contraires ;

' condamner Mme [U radiologue], [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] in solidum au paiement d’une indemnité procédurale de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

 

 

A l’appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

 

  • la motivation du jugement doit être adoptée par la cour s’agissant de la responsabilité des différents professionnels de santé ; M. [N médecin traitant] ment lorsqu’il indique que Mme [O patiente] ne lui a pas indiqué l’existence de douleurs au niveau du sein droit lors des 10 consultations entre octobre 2015 et octobre 2016 : à cet égard, le dossier médical indique « mastodynies » au 28 décembre 2015 ; M. [I chirurgien] a accéléré la croissance des métastases osseuses par sa chirurgie première et retardé un traitement systémique qui pouvait soulager les douleurs de la patiente ;
  • les différentes fautes commises ont entraîné une perte de chance de survie, alors qu’il appartient aux responsables d’indemniser les ayants-droits de la patiente décédée des préjudices subis par cette dernière, outre leur propre préjudice moral personnel.

 

Dans ses conclusions notifiées le 13 octobre 2022, la caisse primaire d’assurance-maladie, demande à la cour de :

 

  • confirmer le jugement critiqué en ce qu’il a :
  • dit que Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] étaient responsables des préjudices subis par Mme Mme [O patiente] ;
  • condamné in solidum les professionnels de santé à payer à la Caisse la somme de 1 091 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion
  • déclarer la caisse primaire d’assurance-maladie recevable en sa prétention nouvelle, en raison de la survenance du décès de l’assurée sociale postérieurement au jugement de première instance ;

 

en conséquence,

 

  • condamner in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]au paiement d’une somme de 228 479,08 euros au titre des débours définitifs exposés pour le compte de l’assurée sociale,
  • condamner in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] au paiement d’une somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance,
  • condamner in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] au paiement d’une somme de 1000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel,
  • condamner in solidum Mme [U radiologue], M. [N médecin traitant], M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] aux entiers frais et dépens d’appel.

 

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il y a lieu de se référer à leurs dernières conclusions visées ci-dessus, en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION :

 

Sur la recevabilité de l’intervention volontaire des ayants droit de Mme [O patiente]:

 

Aux termes des articles 554 et 555 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt, les personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.

 

Alors qu’ils ont d’une part repris l’instance interrompue par le décès de Mme [O patiente] en leur qualité d’héritiers, MM. [A][Z], M. [S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z], sont par ailleurs intervenus volontairement à l’instance aux fins de solliciter l’indemnisation de leur préjudice personnel résultant du décès de leur mère.

 

N’ayant pas été parties en première instance, leur intervention volontaire devant la cour est recevable.

 

Sur la recevabilité de la demande de Mme [O patiente] :

 

L’article 840 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 13 décembre 2019 applicable à l’espèce, dispose qu’en cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut autoriser le demandeur, sur sa requête, à assigner le défendeur à jour fixe.

 

L’ordonnance rendue par le président est une mesure d’administration judiciaire, qui ne peut faire l’objet d’aucun recours.

 

Ainsi, le tribunal est valablement saisi par l’assignation délivrée en application de cette ordonnance ayant autorisé le recours à l’assignation à jour fixe, en application de l’article 843 du même code, alors que la juridiction dispose de la simple faculté d’ordonner le renvoi de l’affaire devant le juge de la mise en état.

 

Il en résulte que la contestation d’une urgence par Mme [J oncologue] au titre d’une procédure à jour fixe ne constitue pas une fin de non-recevoir qu’elle peut opposer aux ayants droit de Mme [O patiente].

 

Sur la responsabilité des professionnels de santé :

 

Si la cour n’est pas liée par les conclusions de l’expert, conformément à l’article 246 du code de procédure civile, il lui appartient toutefois de préciser sur quels éléments médicaux elle se fonde pour parvenir à une conclusion contraire à celle de l’expertise judiciaire

 

2.1. s’agissant de M. [N médecin traitant] :

 

La responsabilité du praticien n’est, en principe, engagée qu’en cas de faute, sur le fondement de l’article L. 1142-1, I, alinéa 1 du code de la santé publique, issu de la loi du 4 mars 2002, dont la preuve incombe aux demandeurs en réparation, dès lors que les professionnels de santé ne sont soumis qu’à une obligation de moyens et non de résultat, à l’égard de leurs patients.

 

Le médecin ne pouvant être tenu de poser le bon diagnostic, une erreur ou un retard de diagnostic ne sont pas en eux-mêmes constitutifs d’une faute, laquelle implique que le médecin ne se soit pas donné les moyens pour tenter de parvenir au bon diagnostic.

 

À cet égard, l’article R. 4127-33 du code de la santé dispose que « le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés ».

 

Lorsqu’il existe un doute concernant le diagnostic les articles R. 4127-32 et R 4127-33 du code de la santé publique font obligation au médecin de recourir à l’aide des tiers compétents et d’obtenir des concours appropriés.

 

Le médecin est par conséquent responsable du diagnostic établi à la légère en négligeant de s’entourer de tous les renseignements nécessaires ou même simplement utiles et en n’ayant pas eu recours au procédé de contrôle et d’investigation exigé par la science.

 

En l’espèce, en sa qualité de médecin traitant de Mme [O patiente], M. [N médecin traitant] a certes été informé par cette dernière de la découverte d’une « boule » sur son sein droit à compter d’octobre 2015.

 

Pour autant, une pathologie maligne n’a été détectée que le 20 octobre 2016 par le gynécologue de Mme [O patiente], avant qu’une mammographie ne confirme la présence dans le sein droit d’une masse ayant atteint 30 mm et classéeACR5, associée à des ganglions axillaires droit.

 

M. [N médecin traitant] a toutefois pris en compte la découverte initiale de cette « boule », en prescrivant utilement des investigations auprès d’un radiologue, conformément à ses obligations professionnelles.

 

M. [N médecin traitant] a été ainsi éclairé par l’analyse de Mme [U radiologue], qui a procédé à une mammographie le 19 octobre 2015, complétée le 22 octobre 2015 par une échographie du sein. Les comptes-rendus de ces examens établis par cette radiologue indiquent une absence d’anormalité particulière au niveau de la tuméfaction palpée. La radiologue Mme [U radiologue] lui adresse ainsi un compte-rendu de mammographie indiquant qu’ « il s’agit probablement soit d’une formation kystique, soit d’une formation fibro-adénomateuse ».

 

Dans ces conditions, M. [N médecin traitant] indique valablement qu’après une telle analyse de l’imagerie médicale par une spécialiste, aucun suivi particulier de cette tuméfaction n’était requis d’office dans la prise en charge ultérieure de Mme [O patiente] alors que cette dernière ne prouve par ailleurs pas avoir spécifiquement reconsulté son médecin traitant pour lui en évoquer une évolution péjorative.

 

À cet égard, la preuve des soins apportés par un médecin à son patient repose notamment sur l’examen du dossier médical qu’il appartient au praticien de renseigner. La connaissance des motifs pour lesquels Mme [O patiente] a consulté M. [N médecin traitant] postérieurement aux examens précités doit par conséquent nécessairement prendre en compte les indications que ce médecin y a porté sur la période d’octobre 2015 à octobre 2016, étant observé que le caractère unilatéral d’une telle mention n’est pas en soi de nature à en affecter la sincérité. En l’absence de tout élément établissant l’existence d’une falsification de ce dossier médical, le premier juge ne pouvait par conséquent estimer que la fiabilité des éléments y figurant était douteuse. A l’inverse, M. [N médecin traitant] établit valablement par la production d’un tel document obligatoirement établi par le professionnel de santé qu’à l’inverse des allégations non étayées de sa patiente, les motifs de consultations par Mme [O patiente] chez son médecin traitant ne concernaient pas une telle grosseur du sein, et ceci sur l’ensemble de la période au cours de laquelle lui est reproché un défaut de suivi.

 

Il en résulte que le rapport d’expertise judiciaire, auquel le premier juge s’est exclusivement reporté pour retenir l’existence d’une faute imputable à M. [N médecin traitant], comporte des affirmations qui sont exclusivement fondées sur les seules allégations de Mme [O patiente] qui ne sont toutefois pas corroborées par les éléments issus de son propre dossier médical. D’une part, aucun diagnostic pathologique n’a été établi à l’issue des examens réalisés en octobre 2015, de sorte qu’à cette dernière date, il ne s’agissait pas d’une tumeur d’un centimètre de diamètre dont le caractère pathologique et la taille impliquaient qu’elle évolue vers un envahissement ganglionnaire selon une probabilité importante au cours des mois postérieurs aux examens réalisés, mais d’un nodule ne présentant aucune anomalie repérable. D’autre part, Mme [O patiente] n’établit pas avoir au cours de l’année ayant suivi ces examens, informé son médecin traitant d’une évolution clinique de cette « boule », de sorte que l’absence reprochée au médecin d’avoir pris en compte des doléances exprimées par la patiente n’est pas prouvée. À cet égard, la seule mention de « mastodynies » (douleur aux seins) lors d’une consultation du 28 décembre 2015 ne suffit pas à établir que Mme [O patiente] avait informé son médecin d’une évolution de la tuméfaction antérieurement observée sur l’un de ses seins, en l’absence d’autres précisions apportées sur la localisation de telles douleurs ou sur leur lien avec la grosseur. Le compte-rendu d’échographie établi en octobre 2015 par Mme [U radiologue], tel qu’il est repris par l’expertise judiciaire, indique à cet égard l’hypothèse d’une mastose en période pré menstruelle, renvoyant ainsi à une pathologie bénigne provoquant desseins douloureux.

 

L’absence d’examen par M. [N médecin traitant] n’est en outre prouvée par aucun élément du dossier, alors que l’expertise n’établit pas l’existence d’une évolution de la taille de la tuméfaction litigieuse à la date de cette consultation intervenant deux mois après les résultats de l’échographie, de sorte qu’en tout état de cause, une faute commise par M. [N médecin traitant] et résultant d’un défaut de détection d’une évolution maligne n’est pas prouvée par les ayants droit de Mme [O patiente]. Le caractère répété des sollicitations qu’a allégué Mme [O patiente] ne résulte en tout état de cause pas des motifs de ses consultations ultérieures, en dépit de la proximité temporelle des dernières dates de consultation par rapport à celle de la découverte de son cancer en octobre 2016.

 

En définitive, la seule circonstance que M. [N médecin traitant] n’ait pas d’office demandé à Mme [O patiente] de lui présenter à nouveau cette « boule » pour procéder à un nouvel examen au cours de la période postérieure à l’analyse radiologique établissant l’absence d’anomalie pathologique et jusqu’en octobre 2016, ne suffit pas à engager la responsabilité de ce médecin au titre du suivi médical de sa patiente. Enfin, aucune documentation médicale n’indique qu’à défaut de tout élément impliquant un suivi ultérieur, la palpation par un médecin généraliste du sein de sa patiente à l’occasion des consultations constitue un examen de routine, dont le défaut devrait s’analyser comme une négligence.

Le jugement critiqué est par conséquent réformé en ce qu’il a retenu la responsabilité professionnelle de M. [N médecin traitant] au titre d’un retard de diagnostic.

 

3.2. S’agissant de Mme [U radiologue] :

 

En cas d’erreur de diagnostic, la faute peut être notamment constituée :

 

    • par une interprétation inexacte des symptômes observés ou des examens médicaux au regard des données acquises de la science au moment de l’examen du patient.
    • par une mise en œuvre insuffisante d’examens ou de moyens d’investigations préconisés au regard des données acquises de la science.
    • par la carence à s’entourer de l’avis éclairé d’autres médecins face à un diagnostic difficile.

 

L’erreur de diagnostic non fautive est celle que tout professionnel diligent, appartenant à la même spécialité et placé dans les mêmes circonstances, aurait commise.

 

En l’espèce, le premier juge a retenu l’existence d’une faute de la radiologue, dès lors que le rapport d’expertise judiciaire conclut que les soins médicaux n’ont pas été conformes aux données acquises de la science, parce que Mme [U radiologue] « n’a pas mentionné dans son compte-rendu la nécessité d’un examen radiologique de contrôle dans les mois qui suivaient (mammographie et échographie) ».

 

Mme [U radiologue], indiquant que son compte-rendu doit être présenté au médecin traitant et au gynécologue, a conclu à un nouveau contrôle à deux ans, précisant qu’il appartient à Mme [O patiente] de consulter son gynécologue chaque année compte tenu de son âge.

 

Alors que la conformité des actes médicaux aux données acquises de la science doit s’apprécier au moment où ils sont effectivement réalisés, la circonstance que le cancer du sein de Mme [O patiente] se soit ultérieurement révélé très agressif et qu’un diagnostic aurait ainsi pu intervenir dans un délai inférieur de 6 à 7 mois n’est pas de nature à être prise en compte pour apprécier a posteriori l’existence d’une faute imputable au professionnel de santé.

 

A l’inverse, les experts ne contestent pas la qualité de l’examen clinique auquel a procédé Mme [U radiologue], au terme duquel elle n’a relevé aucune autre anomalie des seins et n’a en particulier relevé aucune adénopathie axillaire et susclaviculaire dans son compte-rendu du 19 octobre 2015.

 

Alors que Mme [U radiologue] a classé la tuméfaction litigieuse comme ACR2 (aspect bénin), la seule circonstance qu’elle soit diagnostiquée ACR5 (malin) lors d’une mammographie réalisée le 21 octobre 2016 ne conduit pas à remettre en cause une telle classification initiale.

 

La nature des soins apportés par Mme [U radiologue] n’est pas fautive, dès lors qu’elle a réalisé par prudence un examen échographique, alors que les recommandations de l’Anaes concernant la « conduite à tenir diagnostique devant une image mammographique infraclinique anormale » indiquent pourtant que « l’échographie n’est pas indiquée dans les anomalies ACR2 », étant observé que :

 

  • cette classification est intervenue sur la base de clichés radiologiques qui ont été réalisés conformément aux règles de l’art ;
  • cette classification a été retenue après que la mammographie soit relue par un confrère avant que l’échographie soit elle-même réalisée ;
  • la conclusion de l’examen pratiqué par Mme [U radiologue], ayant conduit à la classification ACR2, est validée par l’expertise judiciaire (page 23/76).

 

Dans une telle situation, les recommandations de l’Anaes indiquent que « devant un aspect d’anomalie mammographique bénin (ACR2), il est recommandé d’arrêter la démarche diagnostique et de n’engager aucune surveillance particulière », étant précisé que Mme [O patiente] ne présentait pas de facteurs de risque, notamment en l’absence d’antécédent de cancer du sein au sein de la famille et s’agissant d’une patiente de 40 ans dont le risque statistique de développer une telle affection est très limité.

 

Il en résulte que l’analyse du radiologue sapiteur, selon lequel « le fait que cette anomalie mammographique corresponde à une anomalie clinique pour laquelle la patiente vient consulter aurait dû au minimum faire pratiquer un contrôle rapproché, à 3 ou 4 mois pour suivre cette anomalie », « selon les recommandations » (page23/76), ne repose toutefois sur aucune documentation médicale spécifiquement visée par l’expert judiciaire.

 

En considération de ces éléments, la faute reprochée à Mme [U radiologue] n’est pas établie.

 

Le jugement est infirmé en ce qu’il a retenu la responsabilité professionnelle de cette dernière.

 

3.3. s’agissant de M. [I chirurgien] :

 

    • le 20 octobre 2016, M. [I chirurgien] reçoit en consultation Mme [O patiente] après que son gynécologue ait repéré l’évolution maligne de la grosseur ;
    • le 21 octobre 2016, l’examen radiologique confirme la présence d’une masse ACR5 ;
    • le 28 octobre 2016, l’analyse anatomopathologique met en évidence un adénocarcinome de grade 3 au sein droit, alors que les ganglions ne présentent pas de métastases dans la limite du prélèvement effectué ;
    • le 4 novembre 2016, l’indication d’une mastectomie partielle avec curage ganglionnaire est posée ;
    • le 9 novembre 2016 : l’intervention chirurgicale est réalisée, avec pose d’une chambre implantable dans la perspective d’un traitement complémentaire par chimiothérapie adjuvante, suivi d’une radiothérapie ;
    • 16 novembre 2016 : l’examen anatomopathologique des prélèvements effectués pendant l’intervention chirurgicale conclut à un adénocarcinome infiltrant de type canalaire, de grade III, avec des métastases ganglionnaires sans rupture capsulaire ;
    • 17 novembre 2016 : le complément d’étude immuno-histochimique conclut à l’absence d’amplification du gène HER-2 ;
    • 21 novembre 2016 : réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) proposant un traitement complémentaire par chimiothérapie adjuvante, suivie d’une irradiation loco-régionale puis d’une hormonothérapie ; Mme [J oncologue] participe à cette réunion ;
    • 19 décembre 2016 : découverte des métastases osseuses multifocales par TEP-scan.

 

L’expert judiciaire reproche à M. [I chirurgien] :

 

    • d’avoir réalisé d’emblée une mammectomie partielle avec curage axiliaire le 4 novembre 2016, sans avoir préalablement discuté collégialement en RCP cancérologique de la situation de la patiente : et ceci en violation des recommandations de la Haute autorité de la santé, de sorte que n’a pu être discutée l’opportunité d’un bilan d’extension, préalable à l’intervention chirurgicale, comprenant notamment une scintigraphie osseuse ou un TEPFDG (ou TEP scan), alors que seul un scanner a été prescrit par M. [I chirurgien] ; de telles investigations auraient pourtant révélé dès novembre 2016 l’existence d’une dissémination osseuse métastatique qui modifiait considérablement l’approche thérapeutique, dès lors qu’une patiente présentant un stade IV métastatique d’emblée non traité auparavant a une maladie complexe qui est normalement traitée par un traitement systématique associé à un traitement palliatif, la maladie étant incurable ; une seconde RCP aurait dû être organisée après la découverte des métastases osseuses : chez Mme [O patiente] la RCP aurait recommandé une hormonothérapie séquentielle de première intention ; l’absence de réalisation d’un TEP scan a entraîné un retard à la mise en place d’un traitement systémique qui n’interviendra qu’en mars 2017 à l’initiative de Mme [J oncologue]. Ce retard a permis la progression des métastases et le non-contrôle des douleurs osseuses qui en résultent. L’intervention chirurgicale était à la fois inutile et dangereuse, dès lors qu’elle a contribué à aggraver les métastases osseuses ;
    • de ne pas avoir discuté avec Mme [O patiente] elle-même de l’indication d’une chirurgie mammaire première ni de ses bénéfices pour la patiente, et plus généralement des options thérapeutiques, de sorte que cette dernière n’a pu choisir une option après des explications appropriées.

 

 

 

=> sur le choix thérapeutique de pratiquer en première intention une mammectomie :

 

Le praticien doit donner à son patient des soins conformes aux données acquises de la science à la date des soins.

 

Il n’est pas contesté qu’en dépit des dispositions de l’article D. 6124-131 du code de la santé publique, la situation cancéreuse de Mme [O patiente] n’a pas été présentée en RCP avant l’intervention chirurgicale, étant observé que M. [I chirurgien] avait d’ailleurs indiqué, dans son courrier du 4 novembre à destination du médecin traitant et du gynécologue, que « le dossier sera validé en RCP de sénologie dès qu'[il sera] en possession des résultats définitifs ». Or, ces résultats sont postérieurs à l’acte chirurgical.

 

Si la cour ne peut se fonder sur des connaissances médicales ultérieures aux faits reprochés pour caractériser l’existence d’une faute commise par le professionnel de santé, ce dernier est en revanche fondé à invoquer les données de la science émises postérieurement aux soins (Civ 1ère 5 avril 2018 n° 17-15620 bull I n°65). L’expert judiciaire ne peut par conséquent invoquer le caractère anachronique d’études postérieures aux faits reprochés.

 

Le recours à une contre-expertise judiciaire est par ailleurs justifié s’il est démontré que le rapport établi par l’expert initialement commis présente des lacunes, des erreurs manifestes ou des incohérences, étant précisé que le seul désaccord d’une partie avec ses conclusions ne constitue pas une cause suffisante pour y recourir.

 

En l’espèce, alors que l’intervention chirurgicale contestée est intervenue le 4 novembre 2016, l’expert judiciaire indique qu’à cette date, trois recommandations internationales concernaient les indications du traitement de première intention (page 31/76) : l’expert précise qu’une hormonothérapie était indiquée en première intention, selon ces recommandations datant de 2012, 2014 et 2016, et qu’une mono-chimiothérapie pouvait être indiquée, après hormonothérapie, en cas de progression métastatique rapide mettant en jeu le pronostic vital.

 

Pour autant, l’expert indique qu’en 2016, les professionnels de santé pouvaient également s’appuyer :

 

    • d’une part, sur « 15 études rétrospectives ['] qui présentaient toutes de nombreux biais méthodologiques et qui faisaient l’hypothèse que la chirurgie d’emblée suivie de radiothérapie loco régionale pouvait améliorer la survie » ; l’expert judiciaire n’expliquent pas en quoi ces études doivent être écartées ;
    • d’autre part, sur « les résultats préliminaires d’un essai randomisé [protocole MF 07-01] multicentre phase3 présenté au congrès de l’Asco qui s’était tenu du 3 au 7 juin 2016 à Chicago. Cet essai randomisait les patientes stade IV de novo, c’est à dire avec des métastases d’emblée entre chirurgie première suivi d’un traitement standard versus traitement standard seul sans chirurgie ['] Dans cet essai, les patientes avec chirurgie suivie du traitement standard avaient en moyenne 9 mois de plus de survie que celles qui recevaient le traitement standard seul. Près de42 % des patientes qui ont eu une chirurgie vivaient à 5 ans comparé à moins de 25 % des femmes qui n’ont pas eu de chirurgie », tout en précisant que les résultats étaient moins probants en cas de maladie agressive, telle que celle subie par Mme [O patiente].

 

A l’inverse, l’expert indique que les données médicales qu’il retient et selon lesquelles un cancer de stade IV métastatique d’emblée est « normalement traité par un traitement systémique associé à un traitement palliatif » datent de 2003 et 2007, de sorte qu’elles n’intègrent pas les résultats d’essais postérieurs.

 

En novembre 2016, n’étaient pas disponibles les conclusions définitives de l’essai MF 07-01 ou d’études postérieures (notamment un essai Khan SA datant de 2020 : page 45/76 du rapport) indiquant clairement que le traitement locorégional d’emblée n’améliorait pas la survie.

 

Dans sa conclusion, l’expert judiciaire indique qu’ « en 2018, la place du traitement chirurgical initial dans les cancers du sein d’emblée métastatiques (stade IV) restait encore controversée », de sorte qu’il admet lui-même l’absence de consensus scientifique sur la question. En tout état de cause, une telle conclusion contredit le choix de l’expert de privilégier certaines études, et notamment les conclusions d’un essai en phase 3 de Braudwe publié en2015 (page 54/76), pour considérer que la séquence thérapeutique excluait l’option d’une intervention chirurgicale en première intention, et en conclure qu’un tel choix présente nécessairement un caractère fautif.

 

Enfin, le compte rendu de la RCP ayant eu lieu le 2 janvier 2017 pour examiner la situation de la patiente rappelle que cette dernière a bénéficié une mastectomie partielle avec curage axilliaire, sans que l’indication chirurgicale soit à cette occasion remise en cause.

 

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’expertise judiciaire ne permet pas à la cour de statuer sur la question de la responsabilité professionnelle de M. [I - chirurgien] au titre du choix thérapeutique de pratiquer une intervention chirurgicale avant tout traitement systémique (chimio ou hormono-thérapie).

 

=> sur le retard à effectuer des examens permettant la mise en œuvre d’un traitement systémique :

 

L’expert judiciaire relève que le retard à diagnostiquer les métastases osseuses est imputable à l’absence de prescription par ce professionnel de santé d’une scintigraphie osseuse ou d’un Pet scan dans le cadre du bilan d’extension que la littérature médicale prévoyait pourtant en présence d’une tumeur du sein classée cliniquementT3 c N1 par M. [I chirurgien] lui-même, et associée à des symptômes douloureux évoquant de telles métastases osseuses.

 

Ainsi, seule Mme [J oncologue] sollicitera ultérieurement un tel bilan d’extension qui mettra en évidence sur un PET au FDG réalisé le 19 décembre 2016 des métastases osseuses multiples sans localisation extra osseuse, à la suite duquel ce professionnel de santé débutera une chimiothérapie de type FEC 50 à compter de mars 2017.

 

Pour contester cette analyse de l’expert, M. [I chirurgien] estime que son intervention chirurgicale est intervenue avant l’apparition des métastases osseuses. Dans une réponse à un dire, l’expert indique d’une façon générale que les métastases osseuses existaient nécessairement au 4 novembre 2016, dès lors qu’elles ont été détectées le19 décembre 2016 par le PET-scan. Pour autant, son rapport se limite à cette seule affirmation, sans comporter une analyse des résultats de cet examen pour argumenter sur l’ampleur des lésions métastatiques et sur la compatibilité ou non d’une apparition des métastases dans l’intervalle de ces deux dates, étant observé que l’agressivité du cancer est par ailleurs soulignée.

 

La classification du cancer dont souffrait Mme [O patiente] à la date de l’intervention chirurgicale est essentielle, dès lors que les conclusions du rapport de l’expert reposent sur son caractère métastatique, pour en conclure que la pathologie était incurable dès le 4 novembre 2016 et que seuls des traitements systémiques, associés à une démarche palliative, étaient recommandés.

 

La question du retard à engager un traitement systémique est également corrélée à la licéité ou non du choix de M. [I chirurgien] de procéder à une intervention chirurgicale en première intention. Sur ce point, la mise en œuvre d’un traitement par chimiothérapie a été en outre prévue dès l’intervention chirurgicale par M. [I chirurgien], avec la mise en place d’une chambre implantable.

 

Il résulte de ces éléments qu’une contre-expertise est également nécessaire pour éclairer la cour sur ces questions que l’expertise produite ne suffit pas à trancher.

 

S’agissant de Mme [J oncologue] :

 

    • le 8 décembre 2016, Mme [J oncologue] est consultée par Mme [O patiente] ;
    • le 21 novembre 2016, une RCP a lieu, à laquelle Mme [J oncologue] n’assiste pas ;
    • le 22 novembre 2016, annonce du caractère métastatique du cancer, après un bilan d’extension ayant mis en évidence le 19 décembre 2016 des métastases osseuses multifocales par TEP-scan ;
    • le 2 janvier 2017, une RCP valide une proposition de chimiothérapie par FEC 50 ;
    • le 20 mars 2017, une nouvelle RCP valide l’adoption d’une hormonothérapie par Tamixifène ;
    • le 3 mai 2017, Mme [O patiente] exprime son mécontentement à l’égard de Mme [J oncologue] et change de praticien.

 

L’expert judiciaire conclut à l’égard de Mme [J oncologue] que :

 

    • elle n’a pas présenté le dossier de la patiente en RCP avant de débuter une chimiothérapie et pour décider d’une radiothérapie hypofractionnée afin d’éviter la reprise évolutive locale du cancer du sein opéré ;
    • la première RCP était inutile en l’absence de bilan d’extension, par contre elle devait demander un bilan d’extension en présence d’un cancer du sein T3 c N1 ;
    • elle n’a pas eu le temps d’être présente au RCP du 2 janvier 2017 pourtant décisive pour discuter les conséquences d’une chirurgie de première intention non indiquée ; et envisagé une irradiation hypofractionnée alors que PETscan post opératoire était considéré comme normal par ce praticien ;
    • aucun parcours de soins n’a été donné à la patiente avant de débuter le traitement (ce qui est évident puisque le traitement a débuté avant la RCP et que le parcours de soin est remis au décours de la RCP) ;
    • la patiente n’a pas été informée des problèmes posés par une chirurgie initiale ;
    • elle a débuté une chimiothérapie sans avoir discuté en RCP le dossier de la patiente sur le fond et en particulier selon les recommandations de la Haute autorité de santé : « les dossiers des patients sont discutés en recherchant le meilleur rapport bénéfice risque en termes de stratégies diagnostiques et thérapeutiques » : nous avons vu que ce principe cardinal n’avait pas été respecté ;
    • elle n’a pas suivi les recommandations internationales à l’époque des faits en matière de traitement systémique de première intention ;
    • de fait, elle a prescrit une polychimiotéraphie inadaptée qui a retardé de trois mois la prise en charge de la maladie ; une telle séquence est contraire aux recommandations internationales qui exclut une polychimiothérapie chez une patiente RO positive et HER-2 négative (page 60).
    • elle n’a pas pris en compte PET scan du 10 mars 2017 sous prétexte que la lésion n’était pas symptomatique alors qu’un bilan radiologique s’imposait voire aussi une biopsie de la lésion et rediscuter en RCP de cette biopsie pour éventuellement adapter la stratégie thérapeutique notamment et a nouveau un radiothérapie mammaire hypofractionnée accélérée ; la récidive mammaire constatée en septembre 2018 n’aurait pas eu lieu si une telle irradiation hypofractionnée du sein avait été délivrée dès janvier ou mars 2017, de sorte qu’il n’est en réalité pas question d’un échec de l’hormothérapie, qui a notamment permis pendant 9 mois d’apporter une réponse thérapeutique (pages 65 et 66) ;
    • elle a prescrit une hormonothérapie par Tamoxifen inadaptée retardant de trois mois supplémentaires une prise en charge efficace de la maladie métastatique : l’administration de ce seul antioestrogène est insuffisante pour obtenir une réponse tumorale objective, alors qu’elle aurait dû associer plusieurs types d’inhibiteur de l’aromatase (page 64) ;
    • elle n’a pas mis en place une prise en charge de la patiente par une équipe de soins palliatifs alors qu’il s’agissait d’une vulnérable ;

 

La prise en charge de la patiente a été désastreuse avec de nombreux dysfonctionnements concernant le RCP, le suivi de la patiente et les indications thérapeutiques.

 

Pour autant, la cour observe que :

 

    • alors que la première consultation était fixée au 8 décembre 2016, Mme [J oncologue] produit un compte-rendu d’une RCP de sénologie, dont il résulte qu’au 2 janvier 2017, elle a participé en qualité de médecin référent à une telle présentation de la situation de Mme [O patiente], étant observé que M. [I chirurgien] y participait également : l’affirmation de l’expert selon laquelle Mme [J oncologue] était absente à cette date est par conséquent erronée ;
    • l’examen de ce compte-rendu rappelle d’une part l’intervention chirurgicale subie par la patiente et révèle d’autre part que le plan thérapeutique critiqué par l’expert a été adopté collégialement, alors qu’il vise en outre « l’application d’un référentiel régional » ;
    • Mme [J oncologue] produit un avis établi par le professeur [K] [F] critiquant le pré-rapport d’expertise judiciaire et un guide élaboré en janvier 2010 par la Haute autorité de santé, pour estimer que la séquence thérapeutique adoptée était conforme aux données acquises de la science à la date des faits litigieux ; le professeur [F] estime que les connaissances scientifiques n’avaient pas tranché clairement à l’époque sur le recours à une hormonothérapie, et non à une chimiothérapie, en présence d’un cancer métastatique ; il souligne en outre que l’absence d’efficacité du traitement initial a conduit à une modification du choix thérapeutique (à compter d’une RCP du 20 mars 2017), et qu’en dépit de trois types de traitement hormonothérapique, aucune modification histologique n’a été observée sur une nouvelle biopsie mammaire effectuée en octobre 2018. Plus généralement, cet avis en conclut qu’il s’agissait d’une tumeur d’emblée chimio- et hormono-résistante, de sorte que « la séquence de traitement n’avait que probablement peu d’impact sur le pronostic ». Ce même avis conteste l’analyse de l’expert judiciaire, selon lequel une radiothérapie hypofractionnée aurait dû être intercalée pendant le traitement systémique, alors qu’il estime à l’inverse qu’en présence d’un cancer métastatique, la radiothérapie n’est pas indiquée, ainsi qu’il résulte du référentiel du réseau régional ONCO Hauts-de-France ou des recommandations de l’ESMO 2014 et 2017. Par voie de conséquence, se pose la question de l’efficacité du traitement hormonal, alors que l’expert judiciaire impute la récidive de septembre 2018 à une telle absence de radiothérapie, et non à un échec de ce traitement face à un cancer hormono-résistant.
    • alors que l’expert judiciaire indique que la morbidité et les contraintes de l’hormonothérapie sont moins importantes que celles d’une polychimiothérapie (page 62), ce même expert précise pourtant qu’à l’époque des faits, le traitement de chimiothérapie ne consistait pas en une poly-chimiothérapie, mais en une mono-thérapie (page 59/76).

 

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la cour ne peut valablement statuer sur l’appréciation de la responsabilité de Mme [J oncologue] sur la base du rapport d’expertise judiciaire.

 

Au-delà de l’existence d’une ou plusieurs fautes imputables à M. [I chirurgien] ou à Mme [J oncologue], se pose également la question dulien de causalité entre ces fautes et les préjudices invoqués. Sur ce point, outre que le décès de Mme [O patiente] en janvier2021 modifie l’approche de l’expertise judiciaire initiale et conduit à mieux apprécier la question de la perte de chance de survie, la cour observe que l’imputabilité des différents postes de préjudices à chaque professionnel de santé n’a pas été clairement abordée par l’expert judiciaire [B] dans son rapport du 7 août 2020.

 

Une nouvelle expertise est par conséquent ordonnée selon les termes visés au dispositif du présent arrêt, alors qu’il est sursis à statuer sur la responsabilité de M. [I  chirurgien] et de Mme [J oncologue], et sur l’indemnisation des ayants-droits de Mme [O patiente] jusqu’au dépôt du rapport à intervenir.

 

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

 

Il est sursis à statuer sur les dépens et les frais irrépétibles jusqu’à l’intervention du rapport de contre-expertise.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La cour,

 

Déclare recevable l’intervention volontaire de MM. [A] [Z], M. [S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z] devant la cour ;

 

Réforme le jugement rendu le 24 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en ce qu’il a :

 

    • dit que la responsabilité de Mme [U radiologue] est engagée ;
    • dit que la responsabilité de M. [N médecin traitant] est engagée ;
    • dit que Mme [U radiologue] et M. [N médecin traitant] seront condamnés in solidum (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) à réparer le préjudice subi par Mme [O patiente] ;
    • condamné in solidum Mme [U radiologue]et M. [N médecin traitant] (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) à payer à Mme [O patiente] une provision de 40 000 euros à valoir sur son préjudice suite à sa prise en charge défectueuse ;
    • condamné in solidum Mme [U radiologue]et M. [N médecin traitant] (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) à payer à Mme [O patiente] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
    • condamné in solidum Mme [U radiologue]et M. [N médecin traitant] (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) à payer à Mme [O patiente] à payer à la caisse primaire d’assurance-maladie la somme de 1 091 euros sur le fondement de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
    • condamné in solidum Mme [U radiologue]et M. [N médecin traitant] (avec M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue]) aux dépens ;

 

Et statuant à nouveau sur ces chefs réformés :

 

    • dit que la responsabilité de Mme [U radiologue] et M. [N médecin traitant] n’est pas engagée, à défaut d’établir une faute commise par eux à l’égard de Mme [O patiente] ;
    • déboute par conséquent MM. [A] [Z], M. [S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur[H] [Z], de l’ensemble de leurs demandes à l’encontre de Mme [U radiologue] et de M. [N médecin traitant] ;

 

Confirme le jugement rendu le 24 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Valenciennes en ce qu’il a :

    • rejeté la fin de non-recevoir formulée par Mme [J oncologue] quant à l’absence d’urgence ;
    • dit que l’affaire est en état d’être jugée ;
    • rejeté la demande de renvoi à l’audience de mise en état formulée par Mme [U radiologue] ;

 

Avant-dire droit, ordonne une expertise médicale sur pièces de la situation médicale de Mme [O patiente], au contradictoire de la caisse primaire d’assurance-maladie du Hainaut, de M. [I chirurgien], de Mme [J oncologue] et de MM. [A] [Z], M. [S] [Z] et M. [R][Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z] ;

 

Commet à cet effet le professeur [L] [E], Clinique [23] [Adresse 9] [Localité 21] Tél : [XXXXXXXX02] Fax : [XXXXXXXX01] ; email : [Courriel 26], expert inscrit sur la liste dressée par la cour d’appel de Paris, aux fins de procéder comme suit :

 

SUR LA MISSION D’EXPERTISE :

 

entendre contradictoirement les parties, leurs conseils convoqués et entendus, ceci dans le strict respect des règles de déontologie médicale ou relative au secret professionnel ;

recueillir toutes informations orales ou écrites des parties ; se faire communiquer puis examiner tous documents utiles (dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs à la demande et le relevé des débours exposés par les organismes tiers-payeurs, à charge d’aviser le magistrat chargé du contrôle des expertises en cas de refus de lever le secret médical couvrant les documents concernés ;

se faire communiquer le relevé des débours de l’organisme de sécurité sociale de la victime et indiquer si les frais qui y sont inclus sont bien en relation directe, certaine et exclusive avec les faits ;

recueillir au besoin, les déclarations de toutes les personnes informées, en précisant alors leurs nom, prénom, domicile et leurs liens de parenté, d’alliance, de subordination ou de communauté de vie avec l’une des parties ;

procéder à l’examen sur pièces de la situation de Mme [O patiente] ;

 

SUR LE FAIT GENERATEUR :

 

rechercher l’état médical de Mme [O patiente] avant les actes critiqués ;

décrire les lésions et séquelles directement imputables aux soins et traitements critiqués ;

rechercher si les actes médicaux réalisés étaient indiqués, si le diagnostic pouvait être établi avec certitude et si les soins ou actes médicaux ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale ;

se référer aux données acquises de la science médicale, tel qu’un praticien normalement diligent devait en avoir connaissance par leur publication effective à la date des actes critiqués pour apprécier l’existence d’une faute ;

se référer aux données de la science émises postérieurement aux soins pour apprécier l’absence de faute ;

plus particulièrement, donner un avis sur les points suivants :

apprécier la conformité de la séquence thérapeutique aux données acquises de la science ;

s’agissant de la prise en charge par M. [I chirurgien] :

> la recherche de métastases est-elle systématique en matière de cancer du sein '

> au regard des données biologiques disponibles et des doléances figurant dans le dossier médical, la situation de Mme [O patiente] nécessitait-elle d’emblée une recherche de telles métastases, notamment osseuses, préalablement à tout choix thérapeutique par M. [I chirurgien] ' L’absence de bilan d’extension préalable est-elle fautive '

> l’existence de métastases au moment de la mammectomie partielle du sein droit, intervenue le 9 novembre 2016, est-elle certaine '

> dans l’affirmative, le choix de procéder d’emblée à une telle intervention chirurgicale est-il fautif '

> la circonstance que l’étude immuno-histochimique ait mis en évidence un HER-2 ++, alors qu’une analyse Fishpostérieure à l’intervention chirurgicale ne retrouve pas une telle surexpression du récepteur HER-2, a-t-il une influence dans l’appréciation des faits reprochés '

 

s’agissant de la prise en charge par Mme [J oncologue] :

> en présence d’un cancer métastatique, l’utilisation de la chimiothérapie en première ligne était-elle fautive, dans la situation de Mme [O patiente] en décembre 2016 (RO positive et HER-2 négative), selon les données acquises de la science, ou a-t-elle été ultérieurement validée par la recherche médicale '

> la classification du type de cancer (luminal A ou B) importe-t-elle dans l’appréciation de la ou des fautes reprochées et dans celle de leur lien de causalité avec les préjudices subis ;

> l’inefficacité de la chimiothérapie est-elle imputable à une erreur de choix thérapeutique ou à la nature du cancer du sein dont souffrait Mme [O patiente] '

> l’absence de radiothérapie au cours de la séquence thérapeutique est-elle fautive '

> l’hormonothérapie a-t-elle été efficace ' Le cancer du sein dont souffrait Mme [O patiente] était-il hormono-résistant '

rechercher si le patient a reçu une information préalable et suffisante sur les risques que lui faisait courir l’intervention et si c’est en toute connaissance de cause qu’il s’est prêté à cette intervention ;

analyser, le cas échéant, de façon détaillée et motivée la nature des erreurs, imprudences, manques de précaution nécessaires, négligences ou autres défaillances de nature à caractériser une faute en relation de cause à effet direct et certaine avec le préjudice allégué ;

se prononcer sur l’existence certaine et sérieuse d’une perte de chance de ne pas subir les séquelles résultant d’untel manquement ; apporter les éléments techniques permettant de procéder au chiffrage d’un taux de perte de chance ; se prononcer sur une perte de chance de survie, notamment au regard d’une éventuelle chimio- et hormono-résistance du cancer ;

en cas de concours de manquements ayant contribué à la réalisation des dommages subis par la victime, se prononcer sur l’imputabilité et sur la part causale de chaque manquement ;

plus spécifiquement, se prononcer :

* en individualisant la part causale imputable à chaque faute éventuellement retenue pour chacun des préjudices subis ;

* en appréciant séparément le rôle causal des fautes respectivement reprochées à M. [I  chirurgien] et à Mme [J oncologue] ; à cet égard, préciser pour chaque poste de préjudice si les fautes respectives de ces derniers ont directement contribué à l’entier préjudice subi (question de l’obligation à la dette des responsables à l’égard des victimes) ;

* en appréciant, sous la forme d’un pourcentage, la contribution des fautes respectivement retenues à l’encontre de M. [I chirurgien] et de Mme [J oncologue] dans la survenance de chaque poste de préjudice subi (question de la contribution à la dette entre les co-responsables) ;

 

SUR LES PREJUDICES SUBIS :

 

fournir les éléments techniques permettant d’apprécier, de façon distincte s’il existe un tel concours de fautes, la perte de chance résultant :

* d’une part, d’un éventuel défaut d’information du patient sur un risque s’étant réalisé : proposer un pourcentage permettant de déterminer le degré de probabilité selon lequel le patient aurait refusé de procéder à l’acte médical litigieux, s’il n’avait pas été privé préalablement à cet acte d’une information loyale, claire et complète par le professionnel de santé sur les risques encourus, notamment en prenant en considération l’état de santé du patient ainsi que son évolution prévisible, sa personnalité, les raisons pour lesquelles des investigations ou des soins à risques lui sont proposés, ainsi que les caractéristiques de ces investigations, de ces soins et de ces risques, pour évaluer les effets qu’aurait pu avoir une telle information quant à son consentement ou à son refus ;

* d’autre part, d’une faute technique ou diagnostique commise par le professionnel de santé en relation causale avec les préjudices invoqués : proposer un pourcentage permettant de déterminer le degré de probabilité selon lequel le patient aurait pu éviter les conséquences dommageables qui ont résulté de cette faute ;

déterminer les préjudices subis par [Mme [O patiente], en relation de causalité avec chacun des faits générateurs, selon la nomenclature suivante :

 

1) Préjudices avant consolidation

1-1) Préjudices patrimoniaux

1-1-1) Pertes de gains professionnels actuels (P.G.P.A.) : Déterminer la durée de l’incapacité provisoire de travail, correspondant au délai normal d’arrêt ou de ralentissement d’activités ; dans le cas d’un déficit partiel, en préciser le taux,

1-1-2) Frais divers : Dire si du fait de son incapacité provisoire, la victime directe a été amenée à exposer des frais destinés à compenser des activités non professionnelles particulières durant sa maladie traumatique (notamment garde d’enfants, soins ménagers, frais d’adaptation temporaire d’un véhicule ou d’un logement, assistance temporaire d’une tierce personne pour les besoins de la vie courante – dans ce dernier cas, la décrire, et émettre un avis motivé sur sa nécessité et ses modalités, ainsi que sur les conditions de la reprise d’autonomie)

1-2) Préjudices extra-patrimoniaux temporaires

1-2-1) Déficit fonctionnel temporaire : Décrire et évaluer l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant sa maladie traumatique (troubles dans les actes de la vie courante)

1-2-2) Souffrances endurées avant consolidation : Décrire les souffrances endurées avant consolidation, tant physiques que morales, en indiquant les conditions de leur apparition et leur importance ; les évaluer sur une échelle de sept degrés,

1-2-3) Préjudice esthétique temporaire : Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance, sur une échelle de sept degrés, d’un éventuel préjudice esthétique temporaire,

2) Consolidation

fixer la date de consolidation des blessures, qui est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu’un traitement n’est plus nécessaire,

3) Préjudices après consolidation

3-1) Préjudices patrimoniaux permanents

3-1-1) Dépenses de santé futures : décrire les frais hospitaliers, médicaux, para-médicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels, mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l’état pathologique de la victime après la consolidation

3-1-2) Frais de logement et de véhicule adapté : décrire et chiffrer les aménagements rendus nécessaires pour adapter le logement et/ou le véhicule de la victime à son handicap,

3-1-3) assistance par une tierce personne : Se prononcer sur la nécessité d’une assistance par tierce personne ; dans l’affirmative, préciser le nombre nécessaire d’heures par jour ou par semaine, et la nature de l’aide (spécialisée ou non) ; décrire les attributions précises de la tierce personne : aide dans les gestes de la vie quotidienne, accompagnement dans les déplacements, aide à l’extérieur dans la vie civile, administrative et relationnelle etc… ; donner toutes précisions utiles,

3-1-4) Perte de gains professionnels futurs : décrire les éléments permettant de dire si la victime subit une perte ou une diminution consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage (notamment perte d’emploi, temps partiel, changement de poste ou poste adapté)

3-1-5) incidence professionnelle : décrire l’incidence périphérique du dommage touchant à la sphère professionnelle (notamment dévalorisation sur le marché du travail, augmentation de la pénibilité de l’emploi, frais de reclassement, perte ou diminution de droits à la retraite)

3-1-6) préjudice scolaire, universitaire ou de formation : dire si du fait de l’événement, la victime a subi un retard dans son parcours scolaire, universitaire ou de formation, et/ou a dû modifier son orientation, ou renoncer à une formation,

3-2) Préjudices extra-patrimoniaux

 

 

3-2-1) Déficit fonctionnel permanent : Donner un avis sur le taux de déficit fonctionnel permanent imputable à l’événement, résultant de l’atteinte permanente d’une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, ce taux prenant en compte non seulement les atteintes physiologiques, mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes ressenties ;

 

Préciser le barème d’invalidité utilisé,

 

Dans l’hypothèse d’un état antérieur de la victime, préciser :

si cet état était révélé et traité avant le ou les faits dommageables (dans ce cas, préciser les périodes, la nature et l’importance des traitements antérieurs) et s’il entraînait un déficit fonctionnel avant l’accident,

s’il a été aggravé ou révélé ou décompensé par l’accident,

si en l’absence d’accident, cet état antérieur aurait entraîné un déficit fonctionnel. Dans l’affirmative en déterminer le taux ;

En toute hypothèse, donner un avis sur le taux du déficit fonctionnel actuel, tous éléments confondus (état antérieur inclus) ;

3-2-2) Préjudice d’agrément : si la victime allègue l’impossibilité définitive de se livrer à des activités spécifiques de sport ou de loisirs, correspondant à un préjudice d’agrément, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette limitation,

3-2-3) Préjudice esthétique permanent : donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique permanent, l’évaluer sur une échelle de sept degrés,

3-2-4) Préjudice sexuel : dire s’il existe un préjudice sexuel, le décrire en précisant s’il recouvre l’un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la libido, l’acte sexuel proprement dit (impuissance ou frigidité), et la fertilité (fonction de reproduction),

3-2-5) Préjudice d’établissement : dire si la victime présente un préjudice d’établissement (perte de chance de réaliser un projet de vie familiale normale en raison de la gravité du handicap permanent) et le quantifier en indiquant des données circonstanciées,

Procéder de manière générale à toutes constatations ou conclusions utiles à la solution du litige,

 

SUR LES MODALITES D’ACCOMPLISSEMENT DE L’EXPERTISE :

 

Commet le président de la 3ème chambre de la cour d’appel en qualité de magistrat chargé du contrôle de l’expertise ;

Dit que l’expert devra faire connaître sans délai son acceptation au juge chargé du contrôle de l’expertise, et devra commencer ses opérations dès réception de l’avis de consignation ;

Dit qu’en cas d’empêchement ou de refus de l’expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du juge chargé du contrôle de l’expertise ;

Dit que l’expert devra accomplir sa mission conformément aux articles 232 et suivants du code de procédure civile, notamment en ce qui concerne le caractère contradictoire des opérations ;

Dit que l’expert devra tenir le juge chargé du contrôle de l’expertise, informé du déroulement de ses opérations et des difficultés rencontrées dans l’accomplissement de sa mission ;

 

Dit que l’expert devra :

 

=> remettre un pré-rapport aux parties en considération de la complexité technique de la mission, dans un délai de6 mois à compter de l’avis par le greffe du versement de la consignation, et inviter les parties à formuler leurs observations dans un délai de 30 jours à compter de la réception de ce pré-rapport, étant rappelé aux parties qu’en application de l’article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, il n’est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de ce délai ;

 

=> dresser de l’ensemble de ses investigations un rapport formalisant la réponse apportée à chaque question en reprenant les termes exacts de la mission figurant ci-dessus, et sans renvoyer à des pièces annexes ou à d’autres parties du rapport (tel que le commémoratif) ;

 

=> adresser ce rapport, dans les 8 mois de l’avis par le greffe du versement de la consignation, sauf prorogation de ce délai accordée par le magistrat chargé du contrôle des expertises :

* aux parties ;

* au greffe de la troisième chambre de la cour d’appel de Douai :

— d’une part, en deux exemplaires et en format physique à destination du greffe de la troisième chambre la cour d’appel de Douai ;'

— d’autre part, en format PDF et en pièce jointe à un courriel adressé à [Courriel 25] et indiquant en objet le numéro du répertoire général (RG) de la présente procédure,

 

Dit que le dépôt du rapport sera accompagné de la demande de rémunération de l’expert, dont ce dernier aura adressé un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d’en établir la réception ; que la demande de rémunération mentionnera la date d’envoi aux parties de cette copie ;

Dit que les frais d’expertise seront provisoirement avancés par M. [I chirurgien] et Mme [J oncologue] qui devront consigner chacun la somme de mille euros à valoir sur la rémunération de l’expert, auprès du régisseur d’avances et de recettes de la cour d’appel de Douai, dans un délai de 30 jours à compter du présent arrêt étant précisé que :

 

— la charge définitive de la rémunération de l’expert incombera, sauf transaction, à la partie qui sera condamnée aux dépens,

— à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l’expert sera caduque, (sauf décision contraire du juge en cas de motif légitime)

— chaque partie est autorisée à procéder à la consignation de la somme mise à la charge de l’autre en cas de carence ou de refus.

 

Sursoit à statuer sur l’ensemble des demandes formées à l’encontre de M. [I chirurgien] et de Mme [J oncologue] jusqu’au dépôt du rapport d’expertise ;

 

Réouvre les débats et renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 11 mars 2024, lors de laquelle MM. [A] [Z], M.[S] [Z] et M. [R] [Z], en sa qualité de représentant légal de son fils mineur [H] [Z] devront avoir conclu après le dépôt du rapport d’expertise ;

 

Sursoit à statuer sur les dépens et sur les frais irrépétibles.

 

Gynéco-online - avril 2025
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Retard d’entrée en institution et maintien à domicile du patient Alzheimer : devoirs, droits et responsabilités
Isabelle Lucas-Baloup

Les responsabilités éventuellement encourues par les médecins et soignants impliqués dans le diagnostic, le traitement et le suivi d’un patient frappé par la maladie d’Alzheimer et/ou les pathologies « apparentées » (cf. Recomman-dations HAS et Plan Alzheimer 2008-2012) évoluent au fur et à mesure que l’état du patient a été diagnostiqué, que des prescriptions sont déjà intervenues, mais pas toujours exécutées, que l’entourage a été prévenu, qu’il est plus ou moins présent et capable de constituer une aide efficace permettant ou non le maintien à domicile.

Le diagnostic initial par le médecin traitant

La consultation, souvent pour une autre cause, d’un patient habituel du médecin traitant, ne conduit pas nécessairement ce dernier à diagnostiquer la pathologie dont il souffre. Ses parents ou amis, constatant des manques intermittents de lucidité, lui conseillent « de voir un spécialiste » ; la personne finit par consulter son généraliste mais ne lui expose pas toujours la réalité de son état. Dès lors, le médecin n’est pas enclin spontanément, face à un patient habituel qui ne présente aucun symptôme apparent au moment de la consultation, aucun signe visible de changement de comportement, à orienter l’entretien vers l’évaluation cognitive globale.

Si aucune manifestation de troubles de la mémoire, ou de l’orientation temporo-spatiale, du langage du patient ou autres signes ne permet au médecin traitant de diagnostiquer son état, sa responsabilité ne saurait être engagée, civilement, administrativement ou pénalement, même si le patient provoque ou subit un accident peu de temps après cette consultation qui aura porté sur autre chose. Il faut évidemment que le médecin généraliste enregistre par écrit, dans le dossier habituel de chacun de ses patients, l’objet de chacune des consultations. Je plaide encore souvent pour des médecins qui, défaillants dans la charge de cette preuve, soutiennent que leur rythme de travail et la salle d’attente saturée ne leur laissent pas le temps suffisant pour les précautions écrites. Une telle carence peut conduire à un engagement de la responsabilité si la famille soutient que le patient qui a subi un accident à proximité immédiate de la consultation médicale était venu pour que des dispositions soient prises pour le protéger, pour déclencher un traitement contre cette maladie que les proches ont diagnostiquée, contrairement au médecin consulté (pour autre chose). 

La responsabilité pour un retard de diagnostic est susceptible d’être engagée lorsque le patient ne vient pas consulter son médecin seul, mais accompagné d’un proche. Le risque est plus grand pour le praticien si l’accompagnant, pour diverses raisons, ne participe pas à l’entretien en toute transparence mais, craignant une recommandation (qu’il croit une « décision ») à court ou moyen terme d’hospitalisation ou d’orientation vers une institution, va collaborer avec la personne malade pour atténuer la présentation des symptômes, provoquer en conséquence une information a minima du médecin, afin de retarder le diagnostic, gagner du temps avant la prescription à intervenir d’une batterie d’examens et la crainte de « perdre la main » sur les décisions médicales que le couple redoute : hospitalisation, séparation, et souvent problèmes économiques considérés à ce moment-là comme insurmontables entraînés par une telle situation…

La responsabilité du médecin ne peut être engagée qu’en raison d’une faute dans les actes « de prévention, de diagnostic ou de soins » qu’il diligente, en application de l’article L. 1142-1-I. du code de la santé publique.

Encore une fois, les inscriptions dans le dossier du patient, pendant la consultation, sont des éléments majeurs pour la défense ultérieure d’un médecin traitant poursuivi pour retard au diagnostic de la maladie d’Alzheimer. Il est donc indispensable que le praticien consacre à cet enregistrement, manuel ou informatique, le soin indispensable pendant chaque consultation quelle qu’en soit la cause étrangère à la pathologie objet de la consultation le jour J qui, à J+30, après un accident, sera requalifiée par la famille devenue hostile à celui qu’elle accusera d’avoir manqué à ses devoirs professionnels un mois plus tôt.
Si la loi dite Kouchner, du 4 mars 2002, a affirmé avec force le principe fondamental que « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé » (article L. 1111-2, CSP), il convient que les familles sachent que, pour permettre aux médecins et soignants en général de respecter ce droit, sa mise en œuvre impose l’obligation réciproque d’informer loyalement et complètement le médecin sur les signes relevant de la santé physique et mentale du patient, qui permettront à l’homme de l’art de ne pas retarder un diagnostic pertinent.

Au moment du diagnostic : les obligations du médecin en faveur du patient atteint par la maladie d’Alzheimer

Une fois le diagnostic réalisé, la relation du patient avec son médecin est encadrée par une multitude de textes légaux, réglementaires et déontologiques qui assurent des droits et créent des obligations dans les termes ci-après : 

Obligation d’informer le patient, y compris sur les risques en cas de refus du traitement ou de l’hospitalisation :

- article L. 1111-2 du code de la santé publique (CSP) :
« Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. [...]
« Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. « Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. [...]
« Des recommandations de bonnes pratiques sur la délivrance de l'information sont établies par la Haute Autorité de santé et homologuées par arrêté du ministre chargé de la santé.
« En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. » 

- article R. 4127-35 du CSP :
« Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. [...] »

Dans ses Recommandations de mars 2008, la Haute Autorité de Santé insiste sur l’intérêt d’annoncer le diagnostic précoce qui permet la mise en place immédiate de thérapeutiques, d’initiatives médico-sociales et d’un accompagnement à un stade paucisymptomatique où le malade communique encore avec ses proches, ce qui favorise aussi de prévenir l’épuisement familial par la mise en place progressive des aides et soutiens nécessaires.
L’annonce du diagnostic, dans ses modalités, est laissée à la diligence du médecin et les Recommandations de la HAS constituent un instrument d’aide, mais le praticien demeure seul apte à déterminer la meilleure façon de communiquer cette information, compte tenu des capacités cognitives de la personne, de son histoire de vie, de sa représentation de la maladie et de ses craintes. L’annonce peut se faire en coordination avec un ou plusieurs spécialistes intervenant aux mêmes fins.
En tout état de cause, le médecin doit établir la preuve, dont il sera débiteur en cas de procès, qu’il a donné cette information, en une ou plusieurs fois, seul ou accompagné d’autres soignants, à la personne, elle-même seule ou accompagnée.

Obligation de donner des soins qui « garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées » : 

- article L. 1110-5 du CSP :
« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. »


- article L. 1110-1 du CSP :
« Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d’assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible. » 

- article R. 4127-8 du CSP :
« Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. […] Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. » 

- article R. 4127-32 du CSP :
« […], le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétent. »

- article R. 4127-33 du CSP :
« Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés. »

Là encore, la trace de l’information sur les prescriptions et les mesures d’accompagnement à envisager doit demeurer au dossier médical. Le problème récurent est constitué, pour le praticien libéral particulièrement puisqu’il n’est en contact avec le patient que lorsque celui-ci revient en consultation, de vérifier que ses prescriptions, notamment d’examens et investigations, puis de traitements médicamenteux ou non, sont exécutées.
Selon qu’il s’agit d’un médecin de famille, ou non, il lui sera plus ou moins facile d’intervenir directement auprès de la personne, ou de ses proches, avec – juridiquement – le risque de violer le secret professionnel en alertant un tiers sur l’inquiétude médicale justifiée par une absence de retour du patient dans les délais convenus avec le médecin traitant.
Le risque médico-légal est ici très difficile à apprécier : à quel moment commence la violation du secret médical, à quel moment le praticien peut-il se voir confronté à une procédure ultérieure de manquement à l’obligation de porter secours ? Les soignants ne doivent pas oublier que les juges qui auront à statuer sur les griefs éventuellement argués à leur encontre seront sensibles à la manière dont le médecin traitant aura mesuré le bénéfice/risque de son action, ou de son omission d’intervention, gouvernée en permanence par « l’intérêt supérieur du patient ». Demander des nouvelles de la mère à sa fille qui vient pour une autre cause en consultation conduit rarement un médecin de famille devant les juges !

Maintien à domicile ou pas :
c’est le patient lucide qui décide 

- article L. 1111-4 du CSP :
« Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé.
« Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical. […]
« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
« Lorsqu’une personne est hors d’état d’exprimer sa volonté
, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, ou la famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté.
« Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. »

Ces dispositions légales président à toute décision à envisager sur les traitements mais, puisqu’il s’agit du sujet principal de cette note juridique, aussi sur l’opportunité du maintien à domicile ou de l’admission en institution. 

Le recours à une hospitalisation, complète ou ambulatoire, le transfert vers une institution ou la décision de maintien à domicile avec un environnement adapté et organisé, relèvent, au même titre que la décision sur les traitements, de la volonté du patient, conscient de sa qualité de vie envisageable, compte tenu de son état apprécié par le médecin traitant.
La décision est souvent difficile à provoquer, comme l’adhésion de la personne et de sa famille. Le suivi, piloté par le médecin traitant, sera le plus souvent pluridisciplinaire, en collaboration avec un neurologue, un gériatre ou un psychiatre, en fonction du contexte et des ressources disponibles. La HAS dans ses Recommandations propose divers instruments et protocoles de suivi, avec des fréquences pour la réévaluation médicale du patient, de l’aidant et de ses proches, mais aussi sociale et juridique. En effet, quand les qualités de discernement ne sont plus assurées, il faut recourir au droit pour protéger et soigner.

Instruments juridiques pour la protection et la contrainte

Si le patient est isolé, s’il refuse d’entrer en institution, si le médecin traitant observe l’altération, même épisodique, de ses facultés intellectuelles, l’empêchant de respecter les traitements et/ou les règles de vie acceptés pendant un moment de lucidité, il convient d’avoir recours aux instruments juridiques permettant la protection et autorisant la contrainte, dans l’intérêt supérieur de la personne malade.
Préventivement, la personne disposant encore de ses capacités intellectuelles a pu recourir au mandat de protection future, sorte de « testament de vie », issu de la loi du 5 mars 2007 entrée en vigueur le 1er janvier 2009, permettant de désigner à l’avance un tiers de confiance, qui aura pour mission de la représenter en cas d’altérations futures. Ce mandat prendra effet au jour où l’incapacité est médicalement constatée (article 477 du code civil).
Le patient atteint par la maladie d’Alzheimer, dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts en raison d’une altération médicalement constatée de ses facultés mentales empêchant l’expression de sa volonté, peut bénéficier de plusieurs mesures de protection juridique (article 425 du code civil) et être ainsi placé, par le juge :
- sous sauvegarde de justice (article 433 du code civil),
- sous curatelle s’il est établi que la sauvegarde de justice ne peut lui assurer une protection suffisante (article 440, alinéas 1 et 2, du code civil),
- sous tutelle, pour être représenté de manière continue dans les actes de la vie civile, si aucune des deux autres mesures ne peuvent lui assurer la protection nécessaire à son état (article 440, alinéas 3 et 4, du code civil).
Ce n’est pas l’objet de cette note de décrire ces différents régimes.

A condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin doit tenir compte des directives anticipées prévues aux articles L. 1111-11 et R. 1111-17 et -18 du code de la santé publique, indiquant les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie et concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles doivent être rédigées par un écrit daté et signé, sont renouvelables tous les trois ans et révocables à tout moment.

En savoir plus :

- Plan Alzheimer 2008-2012 ;
- Circulaire n°2009-195 du 6 juillet 2009 relative à la mise en œuvre du volet médico-social du plan Alzheimer et maladies apparentées 2008-2012 ;
- Recommandations professionnelles de la Haute Autorité de Santé « Diagnostic et prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées », mars 2008 ;
- Recommandations du Ministère de la santé et des solidarités et du Ministère délégué à la Sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille « Alzheimer l’étique en questions », janvier 2007.

Revue Interface Médico-Juridique - Janvier 2010
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