Capio, RGDS, Vivalto, plus les groupes de cliniques du secteur privé fusionnent et se restructurent, plus il s’avère compliqué de négocier un contrat d’exercice libéral avec un établissement de santé, lorsqu’on est médecin candidat à l’intégrer. Nombre de chirurgiens, anesthésistes, radiologues, biologistes et autres spécialistes ont d’ailleurs fait l’amère expérience que l’expression « négocier un contrat » a disparu du vocabulaire des directeurs de certains établissements de santé privés, qui ne disposent parfois d’aucun pouvoir pour modifier « le contrat-type » soigneusement mis au point par les juristes de la holding du groupe, à grands coups de copier-coller du code de la santé, avec interdiction de modifier un article, une ligne, un mot, sans en rapporter « au siège », qui seul est susceptible d’amender le sacro-saint « modèle » national, qui souvent compile un maximum d’obligations légales, réglementaires et conventionnelles opposables aux praticiens, en y ajoutant les leçons tirées des mauvaises expériences passées, c’est-à-dire des bonnes jurisprudences obtenues par des médecins ayant fait condamner leurs partenaires contractuels à les indemniser pour abus de droit ou autres écarts dommageables aux professionnels libéraux. Selon l’intérêt que chacun met à finaliser rapidement la convention, les versions successives en mode « suivi des modifications » partent souvent de loin pour retourner au point de départ, version 1, après 6 ou 9 mois de tergiversations plus ou moins pertinentes. Quelles que soient ses qualités professionnelles, le Docteur Dupont qui rentre au Centre Hospitalier Privé de la rue des Anémones, ce n’est pas Neymar signant au PSG.
Nonobstant les recommandations contraires de l’Ordre des médecins, c’est parfois plus d’un an après s’être installé, abreuvé de promesses orales d’évolution du projet initial qui ne résistent pas au départ imprévu du directeur rencontré à l’époque des premiers échanges, que le médecin juridiquement épuisé et relancé par la commission des contrats de son ordre départemental, finit par signer sans relire un texte inadapté à sa spécialité, truffé de dispositions que son seing rend opposables alors que son esprit ne les découvrira qu’à l’occasion d’un contentieux ultérieur.
Pour résilier le même contrat c’est fréquemment plus rapide, et le nième directeur du même établissement n’hésitera pas à avouer en catimini que la décision est prise « en haut », qu’il n’y est pour rien, etc.
La Cour d’appel de Paris a ainsi rappelé, par un arrêt du 6 mai 2016, à un gynécologue-obstétricien dont le contrat d’exercice libéral a été rompu sans motivation annoncée dans la lettre de résiliation, qu’il était vain d’attaquer la société Générale de Santé, dont la clinique était une des filiales, même si le nom du groupe figurait sur le papier à entête. L’arrêt précise, conformément à la jurisprudence habituelle : « Considérant que le Docteur L. soutient que la société Générale de Santé, société mère de la société Hôpital Privé de Marne-la-Vallée, a rompu de manière abusive un contrat d’exercice professionnel libéral qui le liait à cette dernière ; […] Considérant qu’une société mère ne peut être tenue des fautes éventuelles de sa filiale que dans le cas d’une confusion de patrimoine ou d’une immixtion dans la gestion, créant une situation apparente et trompeuse envers les tiers emportant absence totale d’autonomie de ladite filiale ; Considérant qu’il résulte des pièces produites et notamment des extraits Kbis que la société Hôpital Privé de Marne-la-Vallée et la société Générale de Santé sont des personnes morales distinctes ; qu’elles ont des sièges sociaux distincts à des adresses distinctes ; qu’elles disposent chacune d’un dirigeant autonome et d’organes de gestion spécifiques notamment au regard des commissaires aux comptes ; […] Que même s’il y a eu une stratégie insufflée par la société Générale de Santé, les éventuelles consignes, au demeurant non prouvées, n’ont pas privé la société Hôpital Privé de Marne-la-Vallée de son autonomie de décision dans la résiliation du contrat […] », et le médecin est débouté de son action contre la société mère (comme d’ailleurs contre la filiale, le contrat ne prévoyant pas de motivation obligatoire de la rupture, mais seulement le respect d’un délai de préavis qui avait été observé en l’espèce).
La Cour vise l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au conflit : « Les convention légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. », devenu depuis le 1er octobre 2016 l’article 1103 : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. ». Un nouvel article 1104 ajoute : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public. ». Bonne foi contractuelle, ordre public… tout se plaide !
La Lettre du Cabinet - Septembre 2017