Le développement du contentieux de la responsabilité médicale et hospitalière, publique et privée, implique la nomination d'experts disponibles, efficaces, compétents.
Pour être inscrit sur la liste des experts judiciaires d'une cour d'appel, il convient de retirer un dossier de demande d'inscription auprès du Parquet du Procureur de la république (tribunal de grande instance, au palais de Justice). Le dossier doit être déposé au plus tard le 28 février de chaque année.
Le service des experts du Parquet reçoit les candidatures, vérifie que les dossiers sont complets (description des diplômes, titres universitaires, travaux scientifiques, techniques ou professionnels, activité professionnelle dans la spécialité demandée, nombre d'expertises déjà diligentées comme sapiteur ou expert amiable, lettre de candidature motivée, photocopie d'une pièce d'identité, curriculum vitæ).
Le Parquet fait effectuer les investigations qui lui paraissent nécessaires ou qui lui sont imposées par la loi (enquête de moralité, casier judiciaire, avis des institutions professionnelles, etc.).
Courant mai, le dossier est transmis avec un premier avis au président du Tribunal. Celui-ci recueille les avis des magistrats du siège et des autres juridictions et transmet le dossier au procureur général près la cour d'appel. Ce dernier soumet enfin les dossiers à l'assemblée générale des magistrats de la cour d'appel (en novembre de chaque année). Celle-ci choisit souverainement, par une décision non motivée, les candidats qui seront inscrits. La réponse est communiquée, en principe, fin novembre aux candidats.
S'il existe à Paris une rubrique F.1.12 " maladies infectieuses, maladies tropicales ", aucune rubrique ne vise expressément la qualité d'expert en hygiène hospitalière, ou en infections nosocomiales. Il apparaît pourtant nécessaire que des professionnels soient candidats dans cette discipline où il est indispensable aux tribunaux d'obtenir des avis techniques émanant de spécialistes compétents, d'expérience et de notoriété indiscutables.
En effet, trop souvent, les juridictions nomment des experts dans la spécialité chirurgicale ou médicale concernant la pathologie principale du patient (un chirurgien orthopédique pour une infection de prothèse de hanche, un ophtalmologiste après endophtalmie, etc.) et ceux-ci n'ont pas toujours le réflexe (ou parfois un peu trop de cet orgueil aveugle qui caractérise les grands hommes…) de s'adjoindre un sapiteur ou de demander la nomination d'un co-expert, en bactériologie par exemple.
La loi du 4 mars 2002 a créé une Commission nationale des accidents médicaux placée auprès des ministres chargés de la justice et de la santé, dont la mission est de prononcer l'inscription des experts sur une liste nationale des experts en accidents médicaux, après avoir procédé à une évaluation de leurs connaissances.
La Commission nationale est chargée d'assurer la formation de ces experts en matière de responsabilité médicale, dans des conditions définies par décret. Pendant un délai de deux ans, qui expire normalement en avril 2004, les Commissions régionales de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, également créées par la loi Kouchner, peuvent avoir recours aux experts judiciaires classiques, non encore inscrits sur la liste de la Commission nationale des accidents médicaux.
Mon conseil : soyez nombreux à être candidats, car nous avons réellement besoin de compétences particulières en ce domaine, vos confrères non spécialisés présentant souvent des lacunes que leur bonne volonté - ou leurs habitudes - ne suffit pas toujours à combler.
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Arrêt du 14 mars 2019, Cour d’appel de Paris, Pôle 2, chambre 2 (n° 17/12378) :
Il n’est pas rare, dans les procès en responsabilité médicale, de critiquer les compétences de l’expert désigné par la juridiction saisie du litige.
Cet arrêt récent rappelle quelques principes qu’il faut mieux connaître pour récuser l’expert, s’il y a lieu, au bon moment.
Les faits : un chirurgien urologue pratique une cure de prolapsus par voie basse et procède à une hystérectomie. La patiente saisit le juge des référés qui nomme un expert lequel dépose un pré-rapport dont le contenu est critiqué par le chirurgien urologue qui assigne alors l’expert judiciaire devant le Tribunal de grande instance de Paris aux fins de mise en cause de sa responsabilité civile professionnelle en qualité d’expert judiciaire.
L’arrêt du 14 mars 2019 confirme le jugement du 3 mai 2017. En ce qui concerne les fautes reprochées à l’expert, l’arrêt mentionne :
« Considérant que [le chirurgien urologue] recherche la responsabilité délictuelle de [l’expert judiciaire], auquel il reproche, comme fautes, un manque de qualification dans le domaine concerné, qui aurait dû l’amener à se récuser ou à s’adjoindre un sapiteur en application de l’article R. 4127-106 du code de la santé publique, de multiples erreurs médicales et la violation du principe de la contradiction ;
« Qu’estimant avoir des qualifications supérieures à celles de l’expert, il affirme l’absence notable de connaissances et de pratique professionnelle de [l’expert judiciaire] dans le domaine de la chirurgien du prolapsus, à la frontière entre l’urologie, la gynécologie chirurgicale et la chirurgie générale, que n’établissent pas ses spécialités communiquées par l’Ordre des médecins, soit la chirurgie urologique et la gynécologie médicale et non la gynécologie chirurgicale, et en l’absence de pratique depuis 1981 ;
« Qu’il soutient que [l’expert judiciaire] a donné un avis ne pouvant reposer, compte tenu de ses lacunes, que sur des hypothèses et contraire à la littérature médicale, à laquelle son rapport ne fait pas référence et conteste les avis donnés sur les questions de la rétroversion utérine, la stadification du prolapsus, l’incontinence urinaire, et l’indication opératoire, faisant valoir les avis recueillis auprès du professeur Lhermite et du docteur B ;
« Qu’il conteste les conclusions de [l’expert judiciaire], relevant que l’hystérectomie était la cause de la survenue d’un abcès et maintient son indication opératoire, conforme aux règles de l’art ainsi que constaté par l’expert Z, le dernier expert n’ayant pu se prononcer de façon certaine, soulignant que sa condamnation le 17 février 2014 par le Conseil de l’Ordre ne se rapporte qu’au défaut d’information de sa patiente ; »
La Cour de Paris rappelle ensuite les textes de droit s’appliquant à la situation :
« Considérant que selon l’article 1382 devenu 1240 du code civil, “Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à la réparer” ;
« Que les observations et conclusions de pré-rapport de [l’expert judiciaire] sont critiquées par [le chirurgien urologue] sur un plan technique et au fond, soit un débat relevant de la juridiction saisie du litige l’opposant à Mme E A, dont ne résultent pas des fautes civiles au sens du texte susvisé ;
« Que selon l’article 237 du code de procédure civile, “le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité” ;
« Qu’aux termes de l’article R. 4127-106 du code de la santé publique lorsqu’il “est investi d’une mission, le médecin expert doit se récuser s’il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la technique proprement médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou qu’elles l’exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent code de déontologie” ;
« Considérant qu’en l’espèce, le choix de l’expert et de sa spécialité relevant du juge, le manque de qualification reproché à [l’expert judiciaire] dans le domaine concerné devait donner lieu, à le supposer établi, à une demande en récusation ou une demande de changement d’expert de la part de M. [le chirurgien urologue] qui s’en est abstenu ;
« Que, selon le Conseil de l’Ordre des médecins de la ville de Paris, [l’expert judiciaire] a comme qualifications la chirurgie urologique, la gynécologie médicale, la cancérologie, la chirurgie générale, la gynécologie-obstétrique, la médecine générale et l’urologie ;
« Que le sentiment d’avoir des qualifications supérieures à celles de l’expert et la critique relative à un manque de pratique supposé ne peuvent contredire la qualification de [l’expert judiciaire] dans la spécialité concernée par l’expertise et son inscription sur la liste des experts de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation dans cette même rubrique ;
« Qu’il résulte de ces éléments qu’il ne peut être reproché à [l’expert judiciaire] de ne pas s’être récusé ou de ne pas s’être adjoint un sapiteur, faute de questions étrangères à ses connaissances ;
[…]
« Qu’il résulte de ce qui précède qu’aucune faute ne peut être imputée à [l’expert judiciaire] ; que le rejet des demandes fondées sur l’article 1382 ancien du code civil sera confirmé, étant ajouté qu’ainsi que l’a justement relevé le tribunal, [le chirurgien urologue] ne démontre pas avoir subi le moindre préjudice ; »
L’expert judiciaire obtient 2 000 € à titre de dommages et intérêts et 3 000 € au titre de ses frais de défense, que le chirurgien urologue est condamné à lui payer.
Conclusion : lorsqu’un expert judiciaire nommé n’apparaît pas compétent dans l’hyper-spécialité concernée par l’objet du litige, c’est avant le dépôt du pré-rapport ou du rapport qu’il convient de saisir le magistrat qui contrôle les expertises pour solliciter la désignation d’un deuxième expert dans l’hyper-spécialité concernée. Il est extrêmement difficile de contester la compétence de l’expert une fois qu’il a déposé son rapport.
Gynéco-Online - juin 2019
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Expert Incompétence
Quelques mois plus tôt, le Professeur Claude Sureau dénonçait « le règne de l’incertitude » en commentant les débats sur la loi de bioéthique.
Dans le Discours de la méthode, la description du doute cartésien a pourtant appris aux experts, aux magistrats et aux avocats, que le préjugé et la précipitation empêchent de bien juger. L’idée que la science permette d’accéder à une forme de vérité, « la vérité scientifique », qui impose une proposition construite par un raisonnement rigoureux et vérifié par l’expérience, est-elle étrangère au débat judiciaire ?
Relire les 38 stratagèmes décrits par Arthur Schopenhauer dans L’art d’avoir toujours raison, en les transposant à l’expertise médicale, illustre d’une manière non pas caricaturale mais caractéristique de moments vécus par bien des patients, des experts et des avocats acteurs directs, volontairement ou pas, des errements qui écartent les parties de l’explication rationnelle pour demeurer sur la pensée unique que chacun des gloseurs veut imposer aux autres protagonistes du débat contradictoire. Quelques exemples - ô combien fréquemment utilisés pendant les expertises médicales - de stratagèmes décrits par le Philosophe qui refusait de suivre « la pente de la connaissance vulgaire » :
- la généralisation des arguments adverses,
- cacher son jeu,
- faux argument,
- postuler ce qui n’a pas été prouvé,
- atteindre le consensus par des questions,
- fâcher l’adversaire,
- poser les questions dans un autre ordre,
- prendre avantage de l’antithèse,
- généraliser ce qui porte sur des cas précis,
- choisir des métaphores favorables,
- faire rejeter l’antithèse,
- clamer victoire malgré la défaite,
- utiliser des arguments absurdes,
- argument ad hominem,
- se défendre en coupant les cheveux en quatre,
- interrompre et détourner le débat,
- généraliser plutôt que de débattre de détails,
- répondre à de mauvais arguments par de mauvais arguments,
- forcer l’adversaire à l’exagération,
- tirer de fausses conclusions,
- trouver une exception,
- la colère est une faiblesse,
- convaincre le public et non l’adversaire,
- faire diversion,
- argument d’autorité,
- je ne comprends rien de ce que vous me dites,
- principe de l’association dégradante,
- en théorie oui, en pratique non,
- accentuer la pression,
- les intérêts sont plus forts que la raison,
- déconcerter l’adversaire par des paroles insensées,
- une fausse démonstration signe la défaite.
Au cœur de cette agitation stratégique, l’expertise médicale est un art difficile.
C’est pour cette raison que les conclusions du rapport ne lient pas le Juge (article 246 du code de procédure civile) et parfois même le conduisent à une position totalement opposée à celle de l’Expert. Je n’aborde pas ici le cas de l’expert partial, dont la récusation sera demandée et obtenue par la partie y ayant intérêt (sujet déjà traité sur le site du Cabinet en mai 2015 « Médecins experts judiciaires : impartialité et récusation »), mais vise l’expert qu’on rencontre fréquemment en pratique qui, tout en proclamant sa modestie face à un exercice médical très complexe et éloigné d’une science exacte, adopte ab initio un comportement manichéen à l’encontre du confrère objet du contrôle de la qualité de ses actes professionnels : c’est bien/c’est mal, c’est un bon/c’est un mauvais, et, partant de cette posture, ce type d’expert va orienter le débat, écarter les éléments de fait qui contrarient la conclusion à laquelle il veut aboutir, va celer les éventuelles publications dans des revues à comité de lecture qui gênent en l’espèce la rigueur du raisonnement scientifique, se perdre dans des affirmations de détails sans incidence directe sur la complication rencontrée et surtout sans lien de causalité entre la faute et le dommage.
Dès lors qu’il n’existe pas un système de contrôle de la qualité du rapport d’expertise par d’autres experts médicaux, l’évaluation ne peut avoir lieu, avant le jugement, que grâce aux arguments développés par les parties elles-mêmes, et sur ce terrain bien évidemment les plaideurs ne sont pas tous égaux, selon les moyens qu’ils ont pour faire valoir leurs droits : médecin/patient, assisté ou pas d’un expert dans la spécialité, d’un avocat spécialisé, etc. Et encore, ce débat ne peut porter ses fruits que si l’expert a bien voulu présenter son pré-rapport aux parties pour leur permettre de débattre sur les griefs retenus ou écartés. Cet exercice allonge évidemment la durée de la mission, la complique et dès lors l’expert rechigne souvent à s’y plier si la décision le nommant ne l’a pas ordonné. Particulièrement si ses honoraires sont forfaitisés, comme souvent devant les Commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI), à un montant qui ne permet pas de « jouer les prolongations ».
En l’absence de pré-rapport, c’est directement devant le tribunal que les parties contesteront les conclusions de l’expert, hors son audition le plus souvent au civil, parfois en sa présence s’il est cité devant la juridiction correctionnelle. On perçoit immédiatement la difficulté de convaincre les magistrats que l’homme de l’art qu’ils ont choisi est lui-même défaillant dans la pertinence de son appréciation.
Au pénal, une autre origine d’atteinte aux droits de la défense se multiplie : les parquets saisis de plaintes de patients (pour homicide involontaire, altération de l’état, mise en danger d’autrui, et autres) contre les médecins qui les ont traités, font diligenter des enquêtes préliminaires par les autorités de police ou de gendarmerie et une expertise sur dossier médical, sans convocation des parties devant l’expert ou le collège pluridisciplinaire désigné. Les juges d’instruction n’étant pas assez nombreux, l’instruction à charge et à décharge se raréfie en matière de contentieux de la responsabilité des professionnels et établissements de santé. Le médecin critiqué n’ayant aucun moment de dialogue avec les experts, ceux-ci peuvent ignorer certains faits non tracés dans le dossier auquel ils ont accès et ainsi orienter leur rapport d’une manière très critique contre leur confrère, puisqu’ils omettent du raisonnement médical des éléments à décharge du praticien concerné. Mais une fois le rapport, non fondé sur une connaissance exhaustive mais partielle des éléments de fait de l’espèce, déposé, le ou les hospitalo-universitaires signataires des conclusions ont beaucoup de mal à revenir sur ce qu’ils ont écrit, même en présence d’éléments ignorés à décharge.
On rencontre aussi des experts influencés par une attitude compassionnelle à l’égard du patient et/ou de sa famille lorsque l’écart est important entre l’état de la personne avant les soins et le résultat de ceux-ci, oubliant que l’expertise n’a pas pour objet de faciliter une indemnisation légitime dont la partie plaignante a besoin, en l’absence de faute démontrée à l’encontre du praticien poursuivi.
La France a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme lorsqu’une partie à l’instance a pu démontrer que le changement d’opinion de l’expert à l’audience (volte-face dit l’arrêt) a provoqué au détriment d’un plaideur une « situation de net désavantage par rapport à son adversaire», violant ainsi l’égalité des armes – l’un des éléments de la notion plus large du procès équitable - et les droits de la défense prévus à l’article 6 de la Convention des droits de l’homme (CEDH, c/ France, 2 octobre 2001, n° 44069/98). En l’espèce, l’expert avait pendant l’audience présenté des conclusions verbales totalement différentes de celles de son rapport écrit.
De l’avis péremptoire d’un expert manichéen à la volte-face de celui qui n’avait pas sérieusement travaillé son dossier avant de rendre ses conclusions, la variété des critiques possibles à l’encontre des experts ne doit pas faire oublier que la majorité de leurs rapports présentent un exposé complet des faits à l’occasion d’opérations respectueuses du contradictoire et des conclusions conformes aux données acquises de la science.
Les experts sont comme les avocats, les magistrats et les trains de la SNCF : on retient et commente plus souvent ceux qui dysfonctionnent ; pardon à tous les autres qui ne méritent pas les mêmes critiques. D’ailleurs, les fautifs poursuivis ne sont pas nombreux, puisque la jurisprudence sur la responsabilité des experts médecins est des plus ténue. A ce point que le débat demeure ouvert sur la juridiction compétente pour juger de la faute professionnelle de l’expert : selon la jurisprudence administrative, l’expert judiciaire relève du statut du collaborateur occasionnel du service public et doit être assimilé à un agent public, qui en tant que tel ne répond pas personnellement de ses fautes qui engagent la seule responsabilité de la personne publique, devant la juridiction administrative (Conseil d’Etat, 26 avril 1971). Pour la Cour de cassation, au contraire, la responsabilité des experts judiciaires relève de l’ordre judiciaire (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 10 septembre 2015) et doit être appréciée conformément au droit commun des obligations, en l’espèce la responsabilité délictuelle prévue à l’article 1382 du code civil « Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
La responsabilité de l’expert peut être engagée même si la juridiction a suivi son avis dans l’ignorance de l’erreur dont son rapport était entaché (Cour de cassation, 2ème civile, 4 avril 1973). La partie qui se plaint de l’expert doit établir la faute de celui-ci, le préjudice subi et un lien de causalité entre les deux. La réparation du préjudice ne tient compte que de la perte de chance subie par la partie à laquelle le rapport fautif a nui en la privant d’obtenir une décision judiciaire plus favorable à ses intérêts.
L’expert est donc un professionnel comme les autres, susceptible de grands moments de lucidité comme capable, coupable, d’incompétence et de négligence, à l’instar du confrère qu’il évalue, de l’avocat qui plaidera l’affaire, plus ou moins bien, du magistrat qui tranchera, comme il pourra. Et res judicata pro veritate accipitur, la chose jugée est tenue pour vérité.
La Lettre du Cabinet - Janvier 2016
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Une femme, estimant avoir été victime d’un retard de diagnostic de cancer du sein, à l’origine d’une mastectomie, a lancé plusieurs actions contre les établissements de santé et médecins intervenus, c’est un autre dossier.
Celui ayant donné lieu à cet arrêt intéressant concerne l’action qu’elle a introduite contre l’expert judiciaire nommé en référé, qui a procédé à sa mission et rendu un rapport qui ne convenait pas parfaitement à la patiente, laquelle a déposé une plainte à son encontre devant le Conseil de l’Ordre des médecins en lui reprochant de ne pas avoir renoncé à cette expertise alors que l’expert « entretenait des liens avec certains des médecins et établissements de santé mis en cause et a même exercé dans une des cliniques concernées ».
1. La patiente est irrecevable en sa plainte contre l’expert judiciaire,
chargé d’une mission de service public :
Aux termes de l’article L. 4123-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée :
" Il est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d’au moins trois de ses membres. La conciliation peut être réalisée par un ou plusieurs des membres de cette commission, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat.
Lorsqu’une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l’auteur, en informe le médecin, le chirurgien-dentiste ou la sage-femme mis en cause et les convoque dans un délai d’un mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte en vue d’une conciliation.
En cas d’échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l’avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte, en s’y associant le cas échéant.
Lorsque le litige met en cause un de ses membres, le conseil départemental peut demander à un autre conseil de procéder à la conciliation.
En cas de carence du conseil départemental, l’auteur de la plainte peut demander au président du conseil national de saisir la chambre disciplinaire de première instance compétente. Le président du conseil national transmet la plainte dans le délai d’un mois.".
Par dérogation à ces dispositions, l’article L. 4124-2 du code la santé publique prévoit, s’agissant des « médecins (…) chargés d’un service public et inscrits au tableau de l’ordre », qu’ils « ne peuvent être traduits devant la chambre disciplinaire de première instance, à l’occasion des actes de leur fonction publique, que par le ministre chargé de la santé, le représentant de l’Etat dans le département, le directeur général de l’agence régionale de santé, le procureur de la République, le conseil national ou le conseil départemental au tableau duquel le praticien est inscrit (…) ».
Les personnes et autorités publiques mentionnées à cet article ont seules le pouvoir de traduire un médecin chargé d’un service public devant la juridiction disciplinaire en raison d’actes commis dans l’exercice de cette fonction publique. En particulier, le Conseil national de l’Ordre des médecins, autant qu’un Conseil départemental de l’Ordre des médecins, exerce en la matière une compétence propre.
En conséquence, la Cour administrative d’appel juge :
« 5. Il résulte de ce qui précède que Mme B… ne peut utilement invoquer les dispositions de l’article L. 4123-2 du code de la santé publique pour soutenir que le Conseil national de l’ordre des médecins était tenu de transmettre sa plainte contre le Dr F… à la chambre disciplinaire de première instance, dès lors que les faits qu’elle reproche à cette dernière ont été accomplis en sa qualité d’expert judiciaire, ainsi chargée d’une mission de service public au sens des dispositions précitées de l’article L. 4124-2 du code de la santé publique. Par suite, il appartenait au Conseil national de l’ordre des médecins, sur le fondement de ce seul dernier article, d’apprécier s’il y avait lieu ou non de traduire le Dr F… devant la juridiction discipline. »
2. Pas de conflit d’intérêts entre l’expert judiciaire et les médecins intervenus :
La patiente soutenait ensuite qu’en acceptant la mission d’expertise qui lui a été confiée par le Tribunal de grande instance de Versailles, l’Expert a violé les dispositions de l’article R. 4127-105 du code de la santé publique aux termes desquelles :
« Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »,
alors que l’Expert aurait exercé au sein de la Clinique Hartmann, établissement privé choisi par Mme B… pour le traitement de son cancer. La requérante reproche en outre à l’Expert d’avoir délibérément omis certains faits afin de dissimuler ses liens avec des établissements et praticiens intervenus dans le cadre de sa prise en charge, et d’avoir occulté dans son rapport des fautes commises lors du diagnostic de sa tumeur.
L’arrêt retient :
« Toutefois, si [l’Expert] a ponctuellement utilisé le plateau technique de la clinique Hartmann, ou rencontré certains de ses confrères lors de divers colloques, il ne ressort pas des pièces du dossier que les liens entre l’expert et les établissements médicaux et médecins mis en cause par la requérante auraient été de nature, par leur intensité ou leur régularité, à faire naître un conflit d’intérêts incompatible avec la mission d’expertise qui lui a été confiée. Par ailleurs, les éléments et conclusions de fond contenus dans le rapport du Dr F…, qui ont pu être discutés à l’occasion de l’action indemnitaire engagée par Mme B…, ne sauraient révéler un manquement de l’expert à ses obligations déontologiques. Dans ces conditions, le Conseil national de l’ordre des médecins a donc pu légalement estimer, par la décision contestée du 15 décembre 2016, qu’il n’y avait pas lieu de transmettre la plainte de l’intéressée à la chambre disciplinaire de première instance. La circonstance que le tribunal de grande instance de Paris a ultérieurement considéré, par un jugement du 18 décembre 2017, d’ailleurs frappé d’appel et dépourvu en l’instance de l’autorité de la chose jugée, que le Dr F… avait commis des manquements de nature à engager sa responsabilité, est sans incidence sur cette appréciation.
« Il résulte de tout ce qui précède que Mme B… n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. »
Cet arrêt rappelle clairement qu’un patient ne peut attaquer directement un Expert nommé judiciairement devant la juridiction disciplinaire.
www.gyneco-online.comUn expert-comptable doit s’assurer que le montage qu’il propose convient aux besoins de son client praticien libéral et l’informer suffisamment des conséquences notamment économiques et fiscales du projet.
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