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Equipements lourds
Isabelle Lucas-Baloup

La notion de transfert de responsabilité des chefs d'entreprise et de leur société lors de la fourniture d'équipements dits lourds (IRM, scanner etc.) s'inscrit dans un cadre juridique complexe. Pourriez-vous cependant en présenter les principaux aspects ?
Le transfert de propriété provoque un transfert de certaines responsabilités encourues en cas d'accident lié à l'équipement lourd. Mais pas toujours, le transfert peut avoir lieu bien avant. Tout dépend des clauses contractuelles adoptées, c'est-à-dire du contenu du marché public qui lie le fournisseur à l'hôpital public, ou du contrat de droit privé si le client est un établissement de santé privé, un cabinet ou un groupement de radiologues privés. Un marché correctement rédigé mentionne expressément les effets juridiques de la date de livraison et/ou de réception, les conditions de la vérification de l'état des équipements et de leur fonctionnement. Doivent être également décrites des notions fréquemment utilisées en pratique sans toujours faire l'objet d'une définition opposable telles que les périodes " probatoires ", ou " d'essai ", " de validation ", de " vérification d'aptitude " et bien évidemment la date de transfert des risques. Une " réception provisoire avec réserves " doit être distinguée d'une " réception définitive " et une " décision d'ajournement " par l'hôpital produit des effets juridiques que le marché doit prévoir.
A défaut de vigilance sur la rédaction de ces dispositions, le contentieux se compliquera inutilement en cas de défaillance technique du matériel pendant ces périodes de découverte de son fonctionnement ou de faute de manipulation du personnel de l'hôpital. Quand un défaut apparemment technique procède en réalité d'une manipulation erronée, les responsabilités sont distribuées à la lumière des éléments de fait et de droit soumis au tribunal, après expertise. Je ne puis que recommander d'exiger, autant que faire se peut, des descriptions plus soigneuses dans les marchés de ces étapes à haut risque médico-légal.

Quelles sont les dispositions du nouveau Code des Marchés Publics applicables aux contrats de fourniture d'équipements dits lourds ?
Le décret du 7 janvier 2004, qui abroge celui pourtant pas très ancien de mars 2001, prévoit que " Quel que soit leur montant, les marchés publics respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures" et la loi dite Murcef, en son article 2, que " les marchés passés en application du code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs ". Au moins ce point est-il réglé, puisque depuis des années la jurisprudence présentait une géométrie variable sur la qualification des marchés d'équipements passés avec les hôpitaux publics, en examinant au coup par coup notamment les clauses dites " exorbitantes de droit commun " que les contrats contenaient ou non. Désormais, les contrats de fourniture d'équipements lourds, tels que scanner, IRM ou TEP, comportent un caractère administratif par détermination de la loi et relèvent des dispositions du code des marchés publics.
Mais la réforme ne règle pas tout ! Les obligations du marché dépendent du contenu du contrat. L'article 12 du nouveau code des marchés publics énumère les mentions obligatoires qui doivent figurer dans les pièces constitutives du marché, sous peine de nullité. On y trouve notamment " les conditions de réception, de livraison ou d'admission des prestations ". L'article 13 vise les cahiers des charges, les documents généraux (cahiers des clauses administratives générales et cahiers des clauses techniques générales), en laissant le pouvoir à " la personne responsable du marché " - pour nous l'hôpital public -, de décider d'y faire ou non référence et précise, au titre des documents particuliers (cahiers des clauses administratives particulières et cahiers des clauses techniques particulières), que " si la personne responsable du marché décide de faire référence aux documents généraux, les documents particuliers comportent, le cas échéant, l'indication des articles des documents généraux auxquels ils dérogent "… Attention danger ! particulièrement en ce qui concerne le transfert de propriété. La référence sans réserve au CCAG par exemple de fournitures et services impose le contenu de son article 22 intitulé " Transfert de propriété " ainsi rédigé : " Le transfert de propriété des fournitures est réalisé par l'admission. Si la remise à la personne publique est postérieure à l'admission, le titulaire assume dans l'intervalle les obligations du dépositaire ". C'est donc bien alors l'admission qui opère le transfert de propriété et non le paiement intégral du prix (sauf accord écrit différent), contrairement à ce qui est souvent avancé.

A quels points particuliers les fabricants doivent-ils veiller lors de la phase de réception de leur matériel par l'établissement de santé public ?
La réponse à cette question découle de ce qui vient d'être dit : le comportement du fabricant doit être aligné sur les clauses du CCAG, CCTG, CCAP et du CCTP ou des contrats qui constituent le marché, dont les dispositions sont opposables au fabricant, d'une part, à l'hôpital, d'autre part.
Souvent, la signature du classique " bon de livraison " est inadaptée par rapport aux documents du marché et les industriels doivent former leurs équipes sur le terrain à établir un véritable constat ou procès-verbal de réception contradictoire, assorti ou non de réserves, avec une personne physique compétente pour le signer au nom de l'hôpital. Si, après la réception et l'installation, une période d'essai ou de validation est prévue, il convient que des documents signés de toutes les parties en tracent les étapes et l'évolution.
Rien n'est pire que l'installation d'un matériel que l'hôpital commence à utiliser sans qu'il ait officiellement fait l'objet d'une réception conforme aux stipulations du marché, notamment lorsque, à défaut d'autres indications dans les clauses opposables, la réception entraîne transfert de propriété et des risques encourus.
Lorsque des prestations accessoires sont diligentées par le fournisseur, souvent l'hôpital diffère la notification de la décision de réception jusqu'à la fourniture des prestations, par exemple, de formation du personnel ou d'adaptation à des logiciels internes à l'hôpital, ce qui constitue parfois un abus injustifié juridiquement et ne doit surtout pas être confondu avec une décision d'ajournement en cas de livraison non conforme du plateau technique commandé.

De quelle manière la responsabilité d'un industriel peut-elle être engagée lors d'un dommage causé à un patient suite à l'usage d'un dispositif médical lourd au cours de la période de transfert de responsabilité ?
Généralement, l'industriel est appelé en intervention par l'hôpital lequel est, dans sa relation avec le patient, automatiquement responsable " en raison d'un défaut d'un produit de santé " en application de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. L'article L. 1110-5 de ce code engage sa responsabilité sans faute, sans préjudice de l'obligation de sécurité à laquelle est tenue tout fournisseur. L'hôpital est donc systématiquement déclaré responsable, ce qui justifie son appel en garantie, pendant la procédure dont il est l'objet, de l'industriel ayant fourni l'équipement défectueux.
Fréquemment, les juridictions indemnisent le patient, lequel a actuellement également recours le cas échéant aux commissions régionales d'indemnisation, puis se déroule, ce qui est beaucoup plus long, la procédure en garantie entre l'hôpital, le fabricant de l'équipement et éventuellement les prestataires de services accessoires. Une ou plusieurs expertise(s) ont lieu. Les industriels ne doivent pas hésiter, lorsque la procédure le permet, à utiliser la prescription de l'article 1386-7 du code civil : " Le recours du fournisseur contre le producteur obéit aux mêmes règles que la demande émanant de la victime directe du défaut. Toutefois, il doit agir dans l'année suivant la date de sa citation en justice ", ce que les hôpitaux ne font pas toujours.
Les industriels doivent particulièrement veiller, dans le cadre de leurs marchés hospitaliers d'équipements lourds, à ce que la documentation technique jointe au matériel, indépendamment de toute action de formation, soit conforme aux dispositions de l'article 11.4.1 de l'annexe I du décret du 16 mars 1995 sur les dispositifs médicaux : " Les instructions d'utilisation des dispositifs émettant des rayonnements doivent comporter des informations détaillées sur la nature des rayonnements émis, les moyens de protéger le patient et l'utilisateur et sur les façons d'éviter les fausses manoeuvres et d'éliminer les risques inhérents à l'installation ", l'article 12-9 : " La fonction des commandes et des indicateurs doit être clairement indiquée sur les dispositifs. Lorsqu'un dispositif, ou un de ses accessoires, porte des instructions nécessaires à son fonctionnement ou indique des paramètres de fonctionnement ou de réglage à l'aide d'un système de visualisation, ces informations doivent pouvoir être comprises par l'utilisateur ", et de l'article 13-1 : " Chaque dispositif doit être accompagné des informations nécessaires pour pouvoir être utilisé en toute sécurité [...] en tenant compte de la formation et des connaissances des utilisateurs potentiels ".
En effet, de plus en plus les compagnies d'assurance, qui autrefois couvraient, contestent les fautes de manipulation, les défaillances techniques du matériel, les vices cachés des dispositifs médicaux. Il s'ensuit un débat technique à l'occasion duquel les industriels se trouvent dans la situation délicate d'avoir à démontrer la faute du personnel utilisateur qui conduit à la condamnation de l'hôpital... laquelle satisfait le service juridique et l'assureur de l'industriel, mais complique la vie de ses services commerciaux !

Interview pour la revue SNITEM Info - Septembre 2004


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