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Ordre de passage au bloc opératoire : un arrêt singulier de la Cour de Douai
Isabelle Lucas-Baloup

L’affaire avait déjà défrayé la chronique et suscité un débat vif entre le Sou Médical (Docteur Christian Sicot) et la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED, Professeur Bertrand Napoléon), notamment dans Gastroenterol Clin Biol (2005;29 : 1069-1072).
L’arrêt du 8 juin 2006 prononcé par la Cour d’appel de Douai va relancer les commentaires en raison du doute qui perdure sur la cause de la contamination et les affirmations péremptoires auxquelles les juges procèdent sur l’ordre de passage des patients dans un programme d’endoscopie.
En l’espèce, une patiente avait présenté une hépatite C dans les suites d’une coloscopie sous anesthésie diligentée immédiatement après celle d’une autre malade (une infirmière) connue comme étant infectée par le VHC.
Dans un commentaire du jugement de première instance (en dates des 16 octobre et 18 novembre 2003) le Docteur Sicot avait écrit : « Dans le cadre d’une démarche de gestion des risques, l’observation précédente est un nouvel exemple des conséquences dommageables d’une “déviance“, c’est-à-dire du franchissement d’une “défense immatérielle“ représentée par la règle de bonne pratique de toujours mettre en fin de programme d’une séance d’endoscopie digestive tout malade dont on sait qu’il est porteur du VHC. »
La SFED s’appuyait sur l’état des recommandations actuelles pour contester ce principe, en soulignant le danger, pour les juges – et donc rapidement pour les malades –, d’exprimer, sous couvert de position expertale, des opinions personnelles non fondées sur des références publiées. Dans la même revue, Thierry Vallot et Jean-Christophe Lucet (Unité d’Hygiène et de Lutte contre les Infections Nosocomiales, CHU Bichat - Claude Bernard) affirmaient qu’il n’existe actuellement aucun texte réglementaire qui aborde la question de l’ordre de passage de malades en endoscopie digestive en fonction de leur statut infectieux.
Sur interpellation de la SFED, le Directeur Général de la Santé écrivait, en août 2005 : « [...] En conclusion, la position de principe qu’adopteraient les experts des infections nosocomiales n’est pas en faveur de l’institution d’un ordre de passage selon le risque viral. [...] Pour le moment, [...] aucune recommandation n’est faite en ce sens », tout en soulignant que le CTINILS était saisi.
La Clinique avait été condamnée en première instance et ne contestait pas sa responsabilité mais revendiquait qu’elle soit partagée avec le gastro-entérologue intervenu en raison « de sa faute de négligence en acceptant de procéder à la coloscopie d’une patiente porteuse du VHC juste avant de pratiquer la coloscopie sur [la demanderesse au procès]. »
L’arrêt du 8 juin 2006 condamne in solidum la Clinique et le gastro-entérologue au titre d’une obligation de sécurité de résultat, les faits, de 1996, ne permettant pas d’appliquer la loi Kouchner. La Cour ajoute que la patiente, d’après le rapport d’expertise « présente le même génotype (de type 3A) que l’infirmière et que tout laisse à penser que la contamination provient de l’infirmière qui a été traitée juste avant elle », tout en rappelant les déclarations conjointes du gastroentérologue et de l’anesthésiste selon lesquelles « le coloscope qui a servi pour son examen ne serait pas le même que celui qui a servi pour la patiente précédente atteinte d’une hépatite C » et que les médecins inspecteurs de la DDASS ont fait état « de réserves sur les opérations de désinfection des endoscopes, notamment pour les opérations de rinçage, dans la Clinique ».
Il est en conséquence regrettable de lire dans cet arrêt, en présence d’un tel doute sur les causes exactes de la contamination, un alinéa que de futurs plaideurs ne manqueront pas d’invoquer : « La Cour considère que [le gastroentérologue] a commis une faute en procédant à la coloscopie de Mme P. après avoir effectué celle de l’infirmière qui était atteinte de l’hépatite C. »
Il est urgent qu’en droit français une réflexion sérieuse soit conduite sur les sources de l’état de l’art opposable et des connaissances médicales avérées (article L. 1110-5, csp).

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Novembre-Décembre 2006
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Ordre de passage des patients au bloc opératoire : le Ctinils prend position
Isabelle Lucas-Baloup

Dans le n° 81 d’HMH (décembre 2006), j’avais vivement critiqué un arrêt de la Cour d’appel de Douai, prononcé le 8 juin 2006, à l’occasion de la contamination d’un patient à l’hépatite C à la suite d’une coloscopie sous anesthésie diligentée immédiatement après celle d’une autre malade connue comme étant infectée par le VHC.
L’affaire avait défrayé la chronique notamment en raison du commentaire d’un représentant du Sou Médical, le Docteur Christian Sicot, lequel avait cru devoir écrire en commentant le jugement de première instance qu’un tel comportement constituait « une déviance », et qu’il convenait de respecter « la règle de bonne pratique de toujours mettre en fin de programme une séance d’endoscopie digestive tout malade dont on sait qu’il est porteur du VHC ».
Le Professeur Bertrand Napoléon, Président de la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED), avait immédiatement réagi en soulignant qu’il n’existe actuellement aucun texte réglementaire ni recommandations d’une société savante imposant cet ordre de passage.
Par avis rendu public le 8 mars 2007, le Comité Technique des Infections Nosocomiales et des Infections Liées aux Soins (CTINILS) a analysé les principales activités de soins à risque de transmission nosocomiale identifiées dans la littérature scientifique, telle que l’hémodialyse, la chirurgie, l’utilisation d’autopiqueurs, l’endoscopie, l’utilisation de flacons multidoses en anesthésie et des activités de risque théorique représentées par la chirurgie dentaire, la petite chirurgie sans anesthésie générale et les soins esthétiques et cosmétiques. Le CTINILS rappelle notamment :
- « que l’application des bonnes pratiques de traitement des dispositifs médicaux et la promotion de l’utilisation du matériel à usage unique ou à défaut stérilisable, mesures recommandées par les textes officiels quel que soit l’acte, doivent permettre d’éviter la transmission des virus hématogènes lors des soins »
- « que le statut infectieux des malades est inconnu des personnels soignants dans au moins la moitié des cas ;
- « que seule une détermination systématique de la charge virale avant un acte invasif permettrait de connaître le statut infectieux des malades, détermination dont le rapport coût-efficacité n’est pas démontré et qui, par ailleurs, méconnaîtrait un virus non identifiable à ce jour [...],
- « qu’en chirurgie, les données de la littérature scientifique montrent que la succession d’une chirurgie propre à une chirurgie sale ne présente pas de sur-risque au plan infectieux dans la mesure où les conditions d’hygiène et d’entretien des blocs sont respectées entre deux interventions. »

En conclusion :
« Le CTINILS ne recommande pas l’instauration d’un ordre de passage pour tout patient porteur de virus hématogène lors d’actes invasifs médico-chirurgicaux, et notamment lors d’endoscopies, hémodialyses ou interventions chirurgicales. En revanche, le CTINILS considère comme une priorité l’application des précautions standard et le respect des mesures de prévention de la transmission croisée. Cependant, la décision d’instaurer un ordre de passage reste subordonnée à l’avis de l’opérateur (endos-copiste, chirurgien) sous réserve d’une stricte observance des précautions standard. »
Une position à conserver précieusement et à utiliser lorsqu’un patient revendiquera le bénéfice de l’arrêt de la Cour de Douai fondé sur une opinion scientifique manifestement non fondée !

Revue Hygiène en Milieu Hospitalier - Mai-juin 2007
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