Base de données - Sage-femme

Accouchement non médicalisé : information et responsabilité
Isabelle Lucas-Baloup

Comment évaluer le risque, et donc choisir le service d’obstétrique (ou la « maison de naissance » bientôt autorisée), si la parturiente n’a pas été soumise aux actes de dépistage (notamment clarté nucale et dosage des marqueurs sériques du 1er trimestre et autres consultations prénatales) dans les délais recommandés ? Qui est responsable ?

L’Assemblée Nationale vient d’ajouter, en séance du 2 novembre, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, un article L. 6122-19 au code de la santé publique [cliquer ici pour accéder au texte], qui permettra, si le Sénat l’adopte à l’identique, à partir du 1er septembre 2011, « l’expérimentation de nouveaux modes de prise en charge de soins aux femmes enceintes et aux nouveau-nés au sein de maisons de naissance ». Des sages-femmes réaliseront ainsi l’accouchement des femmes enceintes, dans des structures qui ne seront pas elles-mêmes des établissements de santé, mais qui devront être « attenantes à une structure autorisée à l’activité de gynécologie-obstétrique avec laquelle elle doit obligatoirement passer une convention. »

 

Pour avoir vécu, dans ma vie d’avocat, plusieurs fermetures de maternités parce qu’elles ne disposaient pas d’un anesthésiste-réanimateur ou d’un pédiatre en permanence, ce qui les rendaient « dangereuses » d’après les ARH, l’opération surprend et l’exemple de ce qui se pratique dans certains pays amis ne saurait dissiper, en droit interne, le manque de cohérence entre les mesures ainsi décidées ! Toute parturiente ayant vécu une hémorragie de la délivrance est consciente du bénéfice d’être entourée de professionnels compétents, et l’ouverture des maisons de naissance « au nom de la liberté d’accoucher naturellement dans un cadre moins médicalisé parce que ce n’est pas une maladie », inquiète sérieusement pour les femmes non détectées « à risque » maternel et/ou fœtal, peut-être simplement parce que, dans leur démarche d’éviter la médicalisation de leur grossesse, elles auront consulté a minima un médecin généraliste ou une sage-femme, sans bénéficier d’un avis spécialisé après la 1ère consultation. Ces situations ne se rencontrent pas seulement dans les cas de dérives sectaires…

 

En droit, quelles sont les responsabilités encourues en cas de risque non diagnostiqué parce que la parturiente n’est pas venue aux consultations prénatales ?

 

On sait bien que si le défaut de diagnostic procède d’un manquement du médecin ayant suivi la grossesse, qui n’a pas prescrit les examens échographiques ou biologiques utiles, ou n’a pas analysé les résultats bien que les ayant reçus : les soins n’ont pas été attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science. Cette carence engage évidemment sa responsabilité, puisqu’il n’a pu informer du risque la parturiente, qui s’est trouvée dans l’impossibilité de recourir à une éventuelle interruption thérapeutique de grossesse (Cour de cassation, arrêt du 6 mai 2010). De même, s’il n’a pas prescrit d’examens complémentaires et s’est montré trop rassurant (Cour d’appel de Chambéry, 11 mars 2008 : alors que l’analyse du sang révélait un risque de spina-bifida, le médecin s’est contenté de dire à la patiente qu’il était possible qu’il y ait « un petit souci sans gravité à la colonne vertébrale de l’enfant », sans procéder à des examens complémentaires ; ou encore Cour d’appel de Rennes, arrêt du 3 novembre 2009 : responsabilité conjointe du gynécologue et du radiologue, qui n’ont pas, après diagnostic d’anencéphalie sur l’un des jumeaux, procédé à une 3ème échographie de contrôle sur le fœtus, réalisé une échographie morphologique et demandé en l’espèce un avis complémentaire pour l’interprétation de l’IRM). 

 

Mais si, en revanche, c’est la femme enceinte qui n’a pas donné suite aux prescriptions, qui n’a pas fait pratiquer les examens prévus, ou n’est pas revenue consulter le médecin ou la sage-femme, alors il ne doit pas être reproché au professionnel une insuffisance fautive dans la surveillance. Il n’est pas rare qu’une femme qui, ayant ou pas reçu/entendu/compris/retenu l’information sur le suivi général de sa grossesse qui a dû lui être communiquée dans les conditions recommandées par la Haute Autorité de Santé, n’est pas réapparue pour les consultations prénatales suivantes et arrive directement pour accoucher, six mois plus tard.

 

Toute action constitue un cas d’espèce et les juges examineront attentivement la situation pour voir si la femme a reçu une information suffisante l’alertant sur la nécessité d’être suivie pendant sa grossesse. Evidemment, le médecin, quelle que soit sa spécialité, n’aura pas le même comportement avec une patiente qui le consultait régulièrement avant d’être enceinte, et une patiente nouvelle, ou de passage, ou qui déclare avoir un autre médecin et n’avoir pas l’intention de revenir, etc. 

 

Le suivi de la grossesse constitue une démarche continue et évolutive, qui implique la participation effective de la parturiente. Pour que la responsabilité du médecin, ou de la sage-femme, soit engagée, une faute doit être établie. Sans faute : pas de responsabilité (article L. 1142-1.I. du CSP).

 

Le texte voté par l’Assemblée Nationale pour l’expérimentation des maisons de naissance précise que les sages-femmes y accouchent les femmes enceintes « dont elles ont assuré le suivi de grossesse ». L’article L. 4151-3 du code de la santé publique leur impose de faire appel à un médecin en cas de pathologie maternelle, fœtale ou néonatale pendant la grossesse. Mais si le risque n’est pas diagnostiqué, ou s’il l’est tardivement, la femme enceinte peut être classée en « suivi A » (?sans risque ou faible niveau de risque), alors que de meilleures investigations auraient conduit au moins à une demande d’avis d’un gynécologue-obstétricien et/ou d’un autre spécialiste (avis A1 ou A2), voire à un « suivi B » de la grossesse. Le lieu de naissance, hôpital public ou privé ou maison de naissance, et le plateau technique immédiatement disponible, dépendant notamment du classement du suivi de la grossesse, on imagine que les sages-femmes vont être très sérieusement exposées elles-mêmes à un risque professionnel majoré, comme le sera très certainement le montant de leurs primes d’assurance de responsabilité…

Dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, l’Assemblée Nationale a adopté, en première lecture, dans sa session du 2 novembre 2010, un nouvel article L. 6122-19 au code de la santé publique dans les termes ci-après :

« A partir du 1er septembre 2011 et pendant une période de deux ans, le Gouvernement est autorisé à engager l’expérimentation de nouveaux modes de prise en charge de soins aux femmes enceintes et aux nouveau-nés au sein de structures dénommées : « maisons de naissance », où des sages-femmes réalisent l’accouchement des femmes enceintes dont elles ont assuré le suivi de grossesse, dans les conditions prévues aux articles L. 4151-1 et L. 4151-3. Ces expérimentations ont une durée maximale de cinq ans.
« A cet effet, il est dérogé aux articles L. 1434-2, L. 1434-7 et L. 6122-1.
« Les maisons de naissance ne sont pas des établissements de santé au sens de l’article L. 6111-1 et ne sont pas soumises au chapitre II du titre II du livre III de la deuxième partie.
« Le décret en Conseil d’Etat visé au dernier alinéa du présent article précise notamment que la maison de naissance doit être attenante à une structure autorisée à l’activité de gynécologie-obstétrique avec laquelle elle doit obligatoirement passer une convention.
« L’activité de la maison de naissance est comptabilisée avec celle de la structure autorisée à l’activité de gynécologie-obstétrique autorisée attenante.
« Il peut être dérogé aux dispositions du code de la sécurité sociale relatives aux modalités d’application de la prise en charge de certains actes inscrits sur la liste prévue à l’article L. 162-1-7 de ce même code.
« Par dérogation à l’article L. 162-22-13 du même code, les dépenses nécessaires au fonctionnement des maisons de naissance peuvent être prises en charge en tout ou partie par la dotation annuelle prévue à l’article L. 162-22-14 du même code.
« Les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale arrêtent la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner à titre expérimental en fonction notamment de l’intérêt et de la qualité du projet pour l’expérimentation et de son intégration dans l’offre de soins régionale en obstétrique. La suspension de fonctionnement d’une maison de naissance inscrite sur la liste peut être prononcée par le directeur général de l’agence régionale de santé pour les motifs et dans les conditions prévues par l’article L. 6122-13. Le retrait d’inscription à la liste est prononcé par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale en cas de manquement grave et immédiat à la sécurité ou lorsqu’il n’a pas été remédié aux manquements ayant motivé la suspension.
« Un premier bilan de l’expérimentation est établi au 31 décembre 2014 par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale en vue de la poursuite ou de l’abandon de l’expérimentation. Le Gouvernement adresse au Parlement un bilan définitif de l’expérimentation dans l’année qui suivra sa fin.
« Les conditions de l’expérimentation et notamment les conditions d’établissement de la liste susmentionnée, les conditions de prise en charge par l’assurance maladie de la rémunération des professionnels, les conditions spécifiques de fonctionnement des maisons de naissance ainsi que les modalités d’évaluation de l’expérimentation à son terme sont fixées par décret en Conseil d’Etat. »

Gynéco Online - Novembre 2010
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Accouchement, paralysie du plexus brachial : la Cour de cassation exige la démonstration d’une faute
(arrêt du 27 juin 2006, 1ère ch. civile, Cour de cassation, Juris-Data 2006-034299)
Isabelle Lucas-Baloup

Une complication malheureusement fréquente (« la terreur des obstétriciens » disent certains) : la dystocie des épaules, conséquence en l’espèce, d’après la cour d’appel, des manœuvres de traction effectuées par la sage-femme avant que n’arrive le gynécologue-obstétricien. Salariée, sa faute engage la responsabilité de la clinique, d’après la décision attaquée.
Pour la Cour de cassation, la démonstration n’est pas établie que les lésions sont imputables à faute à la sage-femme, l’arrêt de Fort-de-France condamnant la clinique est cassé et l’affaire renvoyée devant la cour de Basse-Terre.

La Lettre du Cabinet - Décembre 2006
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Licenciement d’une sage-femme inapte pour refus d’acceptation d’un reclassement : clinique condamnée
(Cour de cassation, ch. soc., 20 mai 2009, n° 07-44.272, Clinique Lafourcade)
Bertrand Vorms

Encore une illustration de la distinction importante entre modification du contrat de travail et changement des conditions de travail : le refus injustifié par le salarié des postes de reclassement proposés par l’employeur après déclaration d’inaptitude n’est pas nécessairement constitutif d’une faute : s’ils entraînent modification du contrat de travail (en l’espèce, changement de fonctions), l’employeur ne peut procéder au licenciement pour faute, mais uniquement en le fondant sur l’impossibilité de procéder au reclassement (l’article L. 1226-12 du code du travail).
Il pourrait en aller différemment si les postes proposés n’emportaient qu’un simple changement des conditions de travail.
Autre enseignement de l’arrêt, qui n’est qu’une confirmation : le fait de procéder à un licenciement pour un motif disciplinaire (faute grave), interdit au juge de le requalifier en licenciement pour cause réelle et sérieuse.
En l’absence de faute, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à indemnité.

La Lettre du Cabinet - Juin 2009


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Clinique Faute Inaptitude Licenciement Prud'hommes Sage-femme

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Respectez le personnel ! (Cour d’appel Aix-en-Provence, arrêt du 14 novembre 2013, Juris-Data n° 2013-027050)
Céline Hullin

Une sage-femme, salariée statut cadre, surveillante du service maternité et gynécologie, a été licenciée par la Polyclinique où elle travaillait en raison d’un grand nombre de témoignages faisant état de son comportement inacceptable à l’égard du personnel et des conséquences de ses agissements sur l’organisation du service et la santé des salariés. Il lui était reproché par l’ensemble des médecins et une grande partie des salariés :

- une « attitude rigide sans communication possible »,

 

- un « excès d’autorité quant aux décisions concernant le service »,

 

- une « communication non verbale » à travers des « soupirs excédés, haussements d’épaules, regards quasi méprisants, ou bien non-dits »,

 

- son « management par le rapport de force et l’agressivité »,

 

- sa « tendance à terrifier, culpabiliser et déstabiliser le personnel ».

 

 Son attitude a eu pour conséquence de :

 

- créer un climat délétère au sein du service,

 

- démotiver l’ensemble des salariés travaillant à ses côtés en raison de ses remarques blessantes, vexatoires, dénigrantes,

 

- engendrer une réelle souffrance chez certains salariés,

 

- rendre impossible le travail dans des conditions optimales au sein du service.

 

Cependant, par décision du 9 mai 2012, le Conseil de prud’hommes de Grasse a condamné la Polyclinique à payer à la salariée une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’établissement a interjeté appel et la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a infirmé la décision de première instance jugeant que :

 

« […] le comportement autoritaire de Madame X., ses remarques désobligeantes et son attitude irrespectueuse envers le personnel de son service, ayant eu des répercussions importantes sur les conditions de travail dégradées du service maternité et gynécologie et sur l’état de santé des salariés dont elle assurait l’encadrement, justifient le licenciement pour cause réelle et sérieuse de la salariée, peu importe la satisfaction des patients du service et l’absence de tout avertissement ou mise en garde préalable notifié à la salariée par l’employeur ; […]. »

 

Il incombe à l’employeur, selon les articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, de prendre soin de la sécurité et de la santé des salariés. Il est donc tenu envers ses employés d’une obligation de sécurité en la matière, notamment en ce qui concerne le harcèlement moral. L’absence de faute de sa part ne peut l’exonérer de sa responsabilité (Cour de cassation, chambre sociale, 21 juin 2006, Juris-Data n° 2006-034275).

 

La Cour de cassation a également précisé que les mesures prises par l’employeur suite au harcèlement moral sur un de ses salariés commis par une personne détenant une autorité de fait « n’exoné-raient pas l’employeur des conséquences des faits de harcèlement antérieurement commis » (Cour de cassation, chambre sociale, 19 octobre 2011, Juris-Data n° 2011-022293).
La Lettre du Cabinet - Janvier 2014


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Responsabilité disciplinaire d’une sage-femme (absence de sanction)
Isabelle Lucas-Baloup

Décision du 14 janvier 2021, Chambre disciplinaire Ordre des Sages-Femmes

Une patiente saisit la Chambre disciplinaire de première instance d’une plainte contre une sage-femme, après son accouchement précédé d’une grossesse pathologique, pour n’avoir pas averti le médecin d’un tracé anormal du rythme cardiaque fœtal (RCF), pour avoir enregistré une mention manuscrite « constituant un rapport tendancieux », avoir administré un médicament pour arrêter la lactation et n’avoir pas entretenu une bonne relation professionnelle avec le médecin.

La plainte est rejetée après une motivation précise qui plante le décor des relations au sein d’une clinique privée entre les différents professionnels de santé :

« Par délibération du 13 mai 2019, enregistrée au greffe de la chambre disciplinaire le 4 juin 2019, le conseil de l'Ordre des sages-femmes de ... a transmis à la chambre disciplinaire, sans s'y associer, la plainte déposée par Mme Y, à l'encontre de Mme X, sage- femme inscrite au tableau de l'Ordre de ...

Par sa plainte reçue le 8 octobre 2018 et un mémoire reçu le 13 mai 2019 au conseil de l'Ordre des sages-femmes de ..., complétés par trois mémoires enregistrés devant la chambre disciplinaire les 18 octobre 2019, 3 juin 2020 et 28 octobre 2020, Mme Y, représentée par Me N, demande à la chambre disciplinaire :

1°) de prononcer une sanction à l'encontre de Mme X;

2°) d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 4126-18 du code de la santé publique, l'audition de Mme C, surveillante du service, et la communication des éléments recueillis par la direction de la clinique ... au cours de la procédure ayant abouti au licenciement pour faute grave de Mme X.

Elle soutient que la sage-femme a commis plusieurs manquements à la déontologie :

  • elle n'a pas averti le médecin du tracé anormal du rythme cardiaque fœtal (RCF) révélé par le monitoring pratiqué le 29 mai de 8h50 à 9h30 sur une patiente entrée la veille pour pré-éclampsie ; ce n'est qu'à 11h30 que la surveillante a averti la gynécologue et que l'accouchement d'urgence par césarienne a pu être décidé, mais pratiqué à 15h30 seulement du fait de l'occupation alors du bloc opératoire ; contrairement à ce que soutient la sage-femme, elle-même n'a commis aucune faute en prenant en charge la patiente, en accord avec le pédiatre et en toute connaissance de cause, à la maternité de ..., qui est une maternité de type 2 dès lors qu'elle dispose d'un pédiatre et de la proximité d'un service de néonatalogie ; ce n'est qu'en raison du petit poids de l'enfant qu'il a été conduit au centre hospitalier ; elle avait laissé des consignes dans le dossier médical que Mme X aurait dû lire ; en tout état de cause, devant l’anormalité du RCF la sage-femme devait obligatoirement prévenir le médecin et continuer à enregistrer ce rythme au lieu de l'interrompre pour la consultation d'anesthésie; elle a méconnu les articles 2, 13, 14 et 26 du code de déontologie ;
  • postérieurement au transfert de la patiente et de l'enfant au centre hospitalier, elle a indiqué sur le RCF « vu par le Dr Y », ce qui est une falsification pour faire porter au praticien la responsabilité de sa propre faute; elle n'a même pas mentionné l'heure de cette consultation, laissant accroire que le médecin était averti dès le début de matinée ; elle a méconnu les articles 35, 37 et 59 du code de déontologie ;
  • Mme X a prescrit, pour arrêter la lactation, du Dostinex à une des patientes du Docteur Y, alors que ce médicament ne peut être prescrit par les sages- femmes, qu'il ne dispose pas d'une AMM pour l'arrêt de la lactation et que le Dr Y applique, seule dans cette maternité, un protocole homéopathique pour aider à la fin de la lactation ; ce protocole et l'ordonnance correspondante étaient disponibles dans son casier et Mme X, parfaitement informée par Mme C, aurait dû se les procurer ; elle a méconnu les articles 12 et 59 du code de déontologie.

Par un mémoire devant le conseil de l'Ordre enregistré le 10 mai 2019 et des mémoires en défense devant la chambre disciplinaire enregistrés les 28 février 2020 et 25 novembre 2020, Mme X demande le rejet de la plaine.

Elle soutient que :

  • Mme Y, qui refuse toute conciliation, tente de lui faire supporter les conséquences éventuelles de ses propres insuffisances ; sa plainte a été déposée plus de quatre mois après les faits et alors que la mère et l'enfant se portent bien; ajoutée à un licenciement brutal, cette plainte témoigne d'un rare acharnement; le tribunal du travail de ... a d'ailleurs fait droit à ses propres demandes contre le licenciement dans des termes sévères pour la clinique ;
  • elle n'a commis aucune faute disciplinaire : s'agissant de l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal, le Dr Y ne démontre pas avoir laissé d'instructions claires, ne s'est pas aperçue que le monotoring qui aurait selon lui dû être réalisé à cinq heures du matin ne l'a pas été; la gynécologue obstétricienne ne s'est présentée à la clinique, le 29 mai au matin, qu'à 11h45, de même que la responsable du service de gynécologie; elles ont laissé une sage- femme novice seule pour assumer l'ensemble des tâches du service, alors même qu'avait été hospitalisée la veille une femme enceinte dont l'état de santé justifiait une hospitalisation dans une maternité de niveau 2 ou 3 ;
  • on ne peut lui reprocher d'avoir pris l'initiative de réaliser un monitoring, ce qui entre bien dans les compétences des sages-femmes ;
  • elle n'a rien indiqué de faux en notant que le docteur Y avait vu le RCF; aucune intention de nuire ne peut lui être reprochée ;
  • les sages-femmes ont en droit de prescrire les médicaments arrêtant la lactation ;
  • les documents émanant de Mme C, sage-femme sous les ordres du Dr B et partageant avec elle une communauté d'intérêts, et du professeur R, qui n'est pas un expert nommé par la juridiction et auquel un dossier couvert par le secret médical n'aurait pas dû être communiqué, doivent être écartés des débats.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

  • la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de
  • la délibération n° 97-109 APF du 10 juillet 1997 portant code de déontologie des sages-femmes;
  • le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement informées du jour de l'audience.

Le rapport de Mme … a été entendu au cours de l'audience publique du7 décembre 2020, les parties n'étant ni présentes ni représentées.

Considérant ce qui suit :

Mme Y, gynécologue obstétricienne exerçant à la clinique ... de ..., reproche à Mme X, sage-femme alors salariée de cet établissement, d'avoir commis plusieurs fautes déontologiques en ne l'avertissant pas immédiatement, le mardi 29 mai 2018, du caractère anormal de l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal qu'elle avait pris l'initiative de réaliser sur une patiente hospitalisée la veille, ensuite en portant des mentions fallacieuses sur cet enregistrement, enfin en outrepassant ses compétences et ses instructions en prescrivant à une de ses patientes un médicament pour arrêter la lactation au lieu de mettre en place le protocole qu'elle-même préconise, tous manquements révélant en outre selon la plaignante une méconnaissance du devoir d'entretenir de bons rapports avec les autres membres des professions de santé.

Sur l'existence de fautes déontologique :

En ce qui concerne la réalisation d'un enregistrement du rythme cardiaque fœtal et l'absence d'appel au médecin :

  1. L'article 2 du code de déontologie des sages-femmes applicable en …, approuvé par la délibération de l'Assemblée de ... du 10 juillet 1997 modifié, dispose : « La sage-femme exerce sa mission dans le respect de la vie et de la personne humaine». Aux termes de l'article 13 du même code: ««Dans l'exercice de sa profession, la sage-femme ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, effectuer des actes ou donner des soins, ni formuler des prescriptions dans les domaines qui débordent sa compétence professionnelle ou dépassent ses possibilités (. ..) ». Selon l'article 14 du même code : « La sage-femme doit s'interdire dans les investigations ou les actes qu'elle pratique comme dans les traitements qu'elle prescrit de faire courir à sa patiente ou à l'enfant un risque injustifié (. ..) ». Enfin, aux termes de l'article 26 du même code : « La sage- femme doit élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en s'aidant dans toute la mesure du possible des méthodes les plus appropriées et, s'il y a lieu, en s'entourant des concours les plus éclairés ».
  1. D'une part, peu importe que ce soit de sa propre initiative ou pour suivre des instructions figurant au dossier que Mme X a décidé de procéder, le 29 mai 2018 de 8h45 à 9h30, à l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal de l'enfant attendu par une patiente hospitalisée le 28 mai 2018 à la demande du docteur Y en raison d'une grossesse pathologique. Une telle initiative ne saurait en effet, en tout état de cause, lui être reprochée, dès lors qu'il entre bien dans les compétences des sages-femmes, contrairement à ce qui est soutenu, de prescrire ce type d'examen, en particulier s'agissant d'une patiente hospitalisée en fin de grossesse en raison de risques avérés, qui devait nécessairement faire l'objet d'une surveillance étroite.
  1. D'autre part, il est constant que cet enregistrement faisait apparaitre une tachycardie fœtale avec un rythme insuffisamment oscillant, potentiellement synonyme de souffrance fœtale et que, lorsqu'il a été porté à la connaissance de la cadre du service maternité- obstétrique, celle-ci l'a immédiatement communiqué, vers 11h30, au docteur Y, qui a décidé de réaliser le jour-même la césarienne précédemment programmée pour le lendemain. Ces faits sont suffisamment établis par les pièces du dossier et l'attestation de la surveillante Mme C produite par le docteur Y, sans qu'il soit besoin d'ordonner une audition de celle-ci. Il est constant que l'intervention ne s'est déroulée que vers 15h30, ce qui semble indiquer qu'elle n'a pas été jugée très urgente ou bien, si le retard tient réellement, comme l'affirme le docteur Y, au fait que tous les blocs opératoires de la clinique étaient occupés, que celle-ci n'était pas organisée de façon à faire face aux urgences obstétricales. La naissance s'est d'ailleurs bien déroulée et ce n'est qu'en raison de son petit poids que l'enfant, accompagné de sa mère, a été transféré au centre hospitalier de Il reste cependant que, en n'alertant pas immédiatement un médecin sur le caractère inquiétant du tracé du rythme cardiaque fœtal au lieu d'y mettre fin à 9h30 pour que la patiente se rende à son rendez-vous d'anesthésie, la sage-femme a manqué de compétence professionnelle et fait courir à la mère et l'enfant un risque injustifié.

En ce qui concerne la mention portée sur l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal :

  1. interdit à une sage-femme d'établir un rapport tendancieux ou de délivrer un certificat de complaisance». Selon l'article 37 du même code: « Toute fraude, abus de cotation, indication inexacte des honoraires perçus et des actes effectués sont interdits(...)».
  1. Il résulte de l'instruction que le 31 mai 2018, la surveillante, consultant le dossier médical de la mère récemment accouchée, a constaté que figurait, sur l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal en litige, la mention manuscrite « vu par le docteur Y». Il n'est pas contesté que cette mention a été portée sur ce document par Mme X, selon elle au moment où elle a photocopié le dossier pour en transmettre une copie au centre hospitalier.
  1. La mention ainsi portée par la sage-femme sur l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal n'est pas en soi mensongère, puisque ce document avait bien été porté à la connaissance du docteur Y, et que celle-ci aurait pu, voire dû, indiquer elle-même sur le tracé ou dans le dossier l'heure à laquelle elle avait pris connaissance de cette pièce. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en inscrivant cette mention sous le tracé du rythme cardiaque fœtal, sans mention de l'heure, la sage-femme aurait eu l'intention de faire croire que cet enregistrement aurait été présenté au médecin dès la fin de ce tracé, à 9h30. Cette mention, qui aurait certes dû être plus précise, ne constitue donc pas un rapport tendancieux, ni en tout état de cause une fraude au sens de l'article 37 précitée du code de déontologie, l'intention de présenter les faits de façon fallacieuse pour échapper à une responsabilité n'étant pas établie.

En ce qui concerne la prescription d'un médicament pour arrêter la lactation :

  1. L'article 12 du code de déontologie des sages-femmes de … dispose : « La sage- femme est libre dans ses prescriptions dans les limites fixées par la réglementation en vigueur. Elle doit dans ses actes et ses prescriptions observer la plus stricte économie compatible avec l’efficacité des soins et l'intérêt de sa patiente ».
  1. Mme Y reproche à Mme X d'avoir, à une date non précisée, administré à une de ses patientes deux comprimés d'un médicament pour arrêter la lactation, alors que ce médicament ne bénéficie pas d'autorisation de mise sur le marché et qu'il était connu dans la clinique que, pour celles de ses patientes ne voulant pas ou plus allaiter, un protocole homéopathique devait être mis en place. Toutefois, à supposer qu'une telle instruction ait réellement été portée à la connaissance de Mme X, ce qui n'est pas démontré, le fait de ne l'avoir pas respectée relèverait d'une faute disciplinaire mais non d'une méconnaissance de l'article 12 du code de déontologie. Par ailleurs, il est constant que les sages-femmes disposent de la compétence professionnelle pour délivrer les médicaments aidant à l'arrêt de la lactation et il ne résulte pas de l'instruction que le médicament en cause, dont il n'est pas contesté que c'était celui habituellement prescrit par l'ensemble des autres médecins et sages-femmes de la clinique, ne bénéficiait pas d'autorisation en ….

En ce qui concerne le manquement au devoir d'entretenir de bonnes relations avec les autres membres des professions de santé :

L'article 59 du code de déontologie dispose: « Les sages-femmes doivent entretenir de bons rapports, dans l'intérêt des patientes, avec les membres des professions de santé. Elles doivent respecter l'indépendance de ceux-ci».

  1. Il résulte de l'instruction que, dans les suites immédiates de la césarienne pratiquée le 29 mai 2018 en présence de la sage-femme, le docteur Y a provoqué un entretien avec Mme X dans lequel elle lui a demandé de « reconnaitre » la « faute grave » que constituait l'absence de détection de l'anormalité du rythme cardiaque fœtal et d'appel au médecin. La sage-femme a tenté de se disculper en minimisant son manquement. Ce refus d'accepter sa responsabilité, quand bien même il aurait pour conséquence de rejeter la faute sur le médecin, ne saurait suffire à révéler de la part de la sage-femme un manquement à son devoir d'entretenir, dans l'intérêt des patientes, de bons rapports avec les autres professionnels de santé. Comme il est dit aux points 7 et 9, il n'est en outre nullement établi que Mme X aurait eu l'intention, par ses actions et prescriptions, de nuire au docteur Y ou aux patientes de celle-ci. De plus, aucun élément du dossier ne permet d'affirmer, comme il est allégué, que la sage-femme témoignerait, à l'égard de ce médecin ou des patientes, d'un quelconque « manque de considération ».

 

Sur la sanction :

  1. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en ne décelant pas le 29 mai 2018 l'anormalité du rythme cardiaque fœtal, qu'elle a à tort estimé semblable à celui de la veille, et en n'alertant pas immédiatement un médecin, Mme X a manqué de discernement et de réactivité et commis une faute déontologique. Toutefois, il n'est pas démontré que des instructions précises auraient été données à la sage-femme du service, isolée et peu expérimentée, en ce qui concerne les modalités de surveillance et de prise en charge de cette patiente, hospitalisée   la veille sur décision médicale pour des motifs graves, alors qu'il n'est pas contesté que le docteur Y était pour sa part absente de la clinique jusqu'en fin de matinée et ne s'est pour pas enquise de l'état de santé de sa patiente. Dans ces conditions particulières, il n'y a pas lieu de prononcer de sanction en répression du manquement constaté.
  1. Il résulte de tout ce qui précède que la plainte doit être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS,

DECIDE

Article 1er : La requête de Mme Y est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme X, à Me P, à Mme Y, à Me N, au conseil de l'Ordre des sages-femmes de ..., au procureur de la République près le tribunal de première instance de ..., au Gouvernement de ..., au ministère de la santé de ..., au Haut-Commissaire de la République en …, au Conseil national de l'Ordre des sages-femmes et au ministre des solidarités et de la santé. »

 

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SAGE-FEMME, Licenciement illégal par Clinique privée
(arrêt Cour d’appel de Toulouse, 4ème chambre, 20 février 2025, n° 23-02322))
Isabelle Lucas-Baloup

Une parturiente ayant accouché d’un enfant mort-né dans une clinique privée se plaint du « comportement inadapté de la sage-femme », laquelle conteste avoir commis la moindre faute et soutient que « les reproches tiennent uniquement au ressenti d’une patiente en état de choc émotionnel ». La Clinique procède à son licenciement pour faute grave, la sage-femme saisit le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement et gagne en première instance. La Clinique interjette appel et la Cour confirme le jugement, en analysant bien la situation de fait. Extraits de l’arrêt :

 

« MOTIFS DE LA DÉCISION

 

Sur le licenciement,

 

La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, constituant une violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise, d’une gravité telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise.

 

Lorsque l’employeur retient la qualification de faute grave, il lui incombe d’en rapporter la preuve et ce dans les termes de la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

 

En l’espèce, le motif a été énoncé dans les termes suivants :

 

Suite à l’entretien que nous avons eu le 15 octobre 2021, nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute grave, sans préavis et sans indemnité.

 

En ce qui concerne les motifs de ce licenciement, il s’agit de ceux qui vous ont été exposés lors de l’entretien précité du 15 octobre 2021, à savoir :

 

Vous avez été embauchée au sein de notre établissement le 30 mai 2000 par contrat de travail à durée déterminée à temps complet jusqu’au 31 janvier 2001. Vous exercez depuis le 1er février 2001 les fonctions de sage-femme sous contrat à durée indéterminée à temps partiel. Vous êtes actuellement positionnée coefficient 376, groupe B, position 11 niveau 3 selon la convention collective applicable.

 

En votre qualité de sage-femme, vous êtes notamment chargée des missions suivantes :

 

  • assurer le suivi médical de la grossesse en collaboration avec le médecin (examen clinique, surveillance du f’tus, dépistage des facteurs de risque ou des pathologies) ;
  • surveiller et assurer le suivi de l’accouchée et du nouveau-né ;
  • accompagnement psychologique de la future mère ;
  • à la responsabilité du déroulement de l’accouchement normal en collaboration avec le médecin, du diagnostic de début de travail jusqu’à la délivrance ;
  • après la naissance : dispenser les soins au nouveau-né et pratiquer si nécessaire les premiers gestes de réanimation en l’attente du médecin ;
  • surveiller la santé de la mère dans les premiers jours suivant la naissance ;
  • participer à la démarche qualité et gestion des risques.

 

Or, le 19 août 2021 nous avons été informés de manquements graves à vos obligations contractuelles.

 

En effet, par courrier daté du 16 août 2021 adressé par mail le 19 août 2021 à Mme [P], cadre sage-femme, une patiente ayant séjourné à la maternité de notre établissement du 21 au 24 juillet 2021 s’est plainte de la prise en charge dont elle a fait l’objet de votre part à cette occasion.

 

Cette patiente ayant malheureusement accouché d’un enfant mort-né, fait état, dans son courrier, du comportement inadapté que vous avez eu à son égard le 24 juillet 2021, jour de sa sortie.

 

Elle explique ainsi que vous êtes venue une première fois dans sa chambre, sans même un mot ni un sourire, afin de lui installer une perfusion de fer suite à son anémie post accouchement et ce alors même qu’elle vous signalait que la précédente perfusion de fer qu’elle avait reçue 48 heures avant lui avait brulé la veine.

 

Elle indique que malgré cela, vous avez injecté le produit directement dans son cathéter et qu’en dépit de ses cris de douleur pendant l’installation de la perfusion, vous avez persisté à ne pas dire un mot et avez quitté sa chambre en lui demandant de vous appeler lorsque toute la poche serait passée.

 

Constatant que la perfusion ne passait plus, cette patiente vous appelait une heure après. Lors de votre arrivée, vous lui avez alors dit que « sa veine n’en pouvait plus » et lui avez retiré sa la poche de fer, sans toujours lui adresser le moindre mot ni la moindre explication, la laissant seule, comme elle l’indique, avec son chagrin et la douleur qu’elle ressentait dans son bras gauche.

 

En fin de matinée, vous êtes repassée la voir pour examiner son col avant sa sortie et l’avez laissée se déshabiller seule, sans lui dispenser aucune aide face aux difficultés qu’elle rencontrait pour le faire, ni lui adresser un mot et lui avez ensuite demandé d’un ton glacial de placer ses poings sous ses fesses pour l’examen.

 

Elle indique ensuite que n’arrivant pas à pratiquer l’examen, vous lui avez crié dessus en lui enjoignant de se détendre, ce à quoi elle vous a répondu, en pleurs, que vous lui faisiez mal.

 

Vous avez toutefois insisté et quelques secondes plus tard, lui avez décrit l’état de son col et les consignes à suivre pour les prochaines semaines, puis êtes partie sans un mot de plus, ni aucune excuse pour la douleur générée par votre examen alors même que cette patiente était en pleurs dans son lit.

 

Cette patiente décrit ainsi avoir ressenti le sentiment d’être « violentée » pendant cet examen et d’avoir été laissée seule, sans explication, sans conseil, sans empathie, et confrontée à une « agressivité évidente, une lassitude et un agacement » de votre part.

 

Elle termine enfin son courrier en expliquant avoir dû revenir aux urgences obstétricales le 26 juillet soit 2 jours après sa sortie à cause des douleurs importantes qu’elle ressentait dans son bras gauche qui était devenu tout rouge et gonflé au niveau du cathéter dans lequel vous avez persisté à injecter une perfusion de fer alors même que la patiente vous avez fait part des complications rencontrées avec sa veine lors de la précédente perfusion.

 

Cette patiente, qui a développé une thrombose veineuse superficielle, indique dès lors avoir voulu signaler le comportement « intolérable » que vous avez eu à son égard afin que ce genre d’incident ne se reproduise plus et que d’autres mamans n’aient pas à subir ce « traumatisme ».

 

Suite à la réception de ce courrier, Mme [P] a rencontré cette patiente, le 24 septembre 2021, laquelle a renouvelé ses doléances à votre égard.

 

Aussi, ces agissements sont totalement inadmissibles et constituent clairement des manquements graves à vos obligations professionnelles élémentaires et essentielles.

 

Et pour cause puisque, comme rappelé ci avant, vous êtes chargée, en votre qualité de sage-femme, d’assurer le suivi post-accouchement et psychologique des patientes.

 

Il est donc de votre devoir de savoir-faire preuve d’écoute et d’empathie mais aussi d’expliquer rassurer et conseiller les patientes sur leur état de santé. Et ce de manière d’autant plus accrue, par ailleurs, dans le cas de patientes confrontées à la naissance d’enfants mort-nés.

 

Aussi, il est tout à fait inadmissible qu’une patiente ait dû faire face à ses examens post-accouchement dans la douleur et l’ignorance la plus totale, qui plus est après avoir perdu son enfant à la naissance.

 

L’attitude que vous avez adoptée démontre en outre un manque évident de considération à l’égard de vos patientes, de même qu’un mépris des règles élémentaires de comportement en situation professionnelle.

 

En agissant ainsi vous avez des lors manifestement manqué à vos obligations contractuelles et professionnelles aussi essentielles qu’élémentaires, ce que nous ne saurions tolérer.

 

Ces manquements sont d’autant plus graves qu’ils auraient pu avoir des conséquences beaucoup plus graves, voire irréversibles, sur la sante de cette patiente et qu’ils ne constituent, en outre, pas des actes isolés puisque ces derniers s’inscrivent dans la réitération.

 

En effet, par une lettre d’observations du 13 avril 2021 qui faisait suite à un évènement indésirable du 16 janvier 2021 dont vous étiez à l’origine et au cours duquel vous aviez réalisé sur une patiente une injection qui ne lui était pas destinée, nous vous avions déjà alertée, notamment, sur le manque d’information que vous aviez dispensé auprès de la patiente concernée, du médecin réfèrent et du cadre de santé, sur le défaut de prise en compte des conséquences potentielles de vos actes sur les patientes et sur le non-respect des bonnes pratiques d’administration d’une thérapeutique.

 

Nous vous invitions donc, à l’avenir, à respecter scrupuleusement les recommandations de bonnes pratiques et les protocoles de soins en vigueur au sein de l’établissement, ainsi qu’à renforcer votre vigilance et à informer votre hiérarchie et le praticien réfèrent de tout évènement indésirable ou dysfonctionnement susceptible d’impacter la qualité et la sécurité des soins.

 

Nous constatons dès lors, au vu des incidents qui nous ont été rapportés le 19 août 2021 par une patiente, que vous n’avez nullement tenu compte de cette alerte et que vous n’entendez pas respecter les consignes qui vous sont données.

 

Par ailleurs, Mme [P] nous a confirmé, après avoir reçu la plainte de la patiente évoquée ci-avant, que vous persistiez à ne pas respecter systématiquement les bonnes pratiques et protocoles de soins en vigueur au sein de l’établissement.

 

Nous avons pourtant tenté de vous accompagner dans cette démarche d’amélioration dans vos pratiques puisque nous avons, a plusieurs reprises, saisi le médecin du travail afin que ce dernier vous reçoive en consultation suites à divers incidents survenus avec des patientes.

 

Certains de ces incidents avaient d’ailleurs été signalés par le Cabinet de gynécologie de la Clinique de [Localité 2] qui faisait état d’un « problème de non adaptation » à votre poste professionnel après avoir constaté un manque d’attention et de concentration de votre part dans vos attributions, de vigilance auprès des patientes, des actions professionnelles non appropriées.

 

Force est de constater que malgré cet accompagnement, vous n’améliorez pas vos pratiques et persistez à adopter divers comportements et actions contraires à vos obligations professionnelles.

 

Un tel comportement est préjudiciable au bon fonctionnement du service maternité et véhicule, qui plus est, une très mauvaise image de la Clinique auprès de notre patientèle.

 

Lors de l’entretien préalable en date du 15 octobre, vous avez dit « être anéantie par la lettre de la patiente » en expliquant que cette patiente était fragilisée et que de votre point de vue, il n’y avait pas eu de problème avec la perfusion. Vous réitérez ces explications dans votre courrier du 18 octobre 2021 reçu le 19 octobre 2021.

Ces arguments ne sont pas recevables dans la mesure ou la patiente a confirmé les teneurs de son courrier vous concernant lors d’un entretien du 24 septembre 2021 avec Mme [P] et qu’elle tient qui plus est des propos extrêmement élogieux à l’égard du reste de l’équipe l’ayant prise en charge. Ceci démontre que la patiente n’a absolument pas amplifié ses griefs à votre encontre compte tenu d’une prétendue situation de fragilité.

 

Nous considérons que ces évènements constituent une faute grave rendant impossible votre maintien dans l’entreprise.

 

L’employeur reproche ainsi à la salariée un comportement inadapté lors de la prise en charge d’une patiente et ce alors que son attention avait déjà été attirée sur sa pratique professionnelle par une lettre d’observations.

 

Si Mme [U] admet avoir donné des soins à une patiente ayant malheureusement accouché d’un enfant mort-né, elle conteste tout manquement dans la prise en charge. Pour établir la réalité de la faute, l’employeur produit comme seule pièce utile la lettre adressée par la patiente à la clinique. La jeune femme y décrit le comportement de Mme [U] dans des termes qui correspondent, pour leur relation, à ceux repris dans la lettre de licenciement. Il s’agit de la seule pièce produite pour démontrer la faute. Or, la cour constate que ce document ne peut être considéré comme parfaitement objectif au regard des circonstances. La patiente faisait certes preuve de mesure et demeurait capable de dire qu’elle s’était sentie effectivement soutenue par certains membres du personnel soignant mais critiquait le comportement de Mme [U]. S’il est certain qu’elle avait manifestement et très authentiquement mal ressenti ce comportement, dans une période particulièrement douloureuse pour elle, il s’agissait bien évidemment également d’un ressenti qui ne pouvait être qu’empreint d’une forme de subjectivité. Cela est en particulier le cas pour les mentions relatives à l’absence de sourire ou à un ton glacial.

 

Alors qu’il ne peut être écarté une forme d’incompréhension entre cette patiente et Mme [U] ou une difficulté de communication entre elles ou encore même une certaine maladresse relationnelle de la salariée, la cour ne pourrait retenir un comportement relevant de la stricte sphère disciplinaire que si la lettre de la patiente était corroborée par d’autres éléments.

 

Or, force est de constater que tel n’est pas le cas. Tout d’abord la chronologie du dossier pose question. En effet, la lettre de la patiente est datée du 16 août 2021. La Clinique de [Localité 2] indique l’avoir reçue le 19 août 2021, ce qui apparaît parfaitement cohérent. Or, s’il ne peut être envisagé de prescription des faits puisque c’est bien cette plainte qui a donné à l’employeur une connaissance à tout le moins de ce qui avait pu être considéré comme blessant, ce n’est que le 5 octobre 2021 que la procédure disciplinaire a été engagée. Ceci est peu compatible avec le délai restreint imposé en cas de faute grave. La lettre de licenciement fait certes mention d’un entretien entre Mme [P], cadre sage-femme, et la patiente le 24 septembre 2021 mais sans qu’aucun élément ne soit donné qui permette d’établir la réalité de l’entretien. À supposer qu’il se soit bien tenu le 24 septembre 2021 son contenu est totalement ignoré par la cour. Il n’a donné lieu à aucun compte rendu et si une éventuelle attestation de la cadre de santé aurait pu être envisagée avec une certaine circonspection, un tel document n’est pas même produit.

 

Aucun élément n’est donné, même par faisceau d’indices, qui viendrait corroborer de façon objective un comportement anormal ou même caractérisant un défaut d’empathie dans la prise en charge. Les antécédents dont l’employeur entend se prévaloir à ce titre ne peuvent être en l’espèce retenus. En effet, la lettre d’observation en date du 13 avril 2021 n’est pas davantage assortie de justificatifs. Son caractère n’est pas même certain. Il n’est en effet pas justifié de sa réception et même de son envoi, lequel ne saurait résulter d’une simple référence de lettre recommandée avec demande d’avis de réception. L’argument de l’employeur selon lequel il n’est plus en mesure de produire une telle preuve compte tenu du délai de conservation par les services postaux est indifférent alors qu’il lui appartenait de se prémunir de toute contestation en s’assurant d’un envoi et d’une réception effective du courrier.

 

Ceci pose d’autant plus difficulté que l’employeur produit également un document, non signé, en date du9 avril 2021, dont la lettre du 13 avril ne fait aucune mention. Ce document sur papier à entête d’un cabinet de gynécologie fait état, non pas d’un problème d’empathie ou de brusquerie, mais d’un manque de concentration de la salariée. Alors que ceci pouvait être constitutif d’un risque sérieux pour la clinique, la seule réaction de l’employeur aurait été de saisir la médecine du travail, toujours sans qu’il soit justifié d’une réception effective avec une simple référence de recommandé, et surtout sans qu’il soit ensuite justifié de la réponse de la médecine du travail.

 

Au total sur les antécédents on dispose uniquement d’une lettre d’observations dont il n’est pas établi qu’elle ait été adressée et reçue et d’une possible saisine de la médecine du travail sans qu’on en connaisse les suites et démontrant en tout cas sur ce dernier point que l’employeur ne se plaçait pas sur un terrain disciplinaire.

 

Ceci ne peut en rien conforter les faits du 24 juillet 2021 dont la matérialité n’est pas suffisamment établie sur un terrain disciplinaire par un document unique établi sous la forme d’un courrier et nécessairement empreint au regard des circonstances d’une part de subjectivité. La cour constate enfin que l’employeur avait les moyens d’établir le fait, s’il était réel, de façon plus objective ne serait-ce que par une enquête contradictoire comprenant une audition de Mme [U] et de ses collègues présentes.

 

L’employeur ne rapportant pas la preuve qui lui incombe le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse de sorte que le jugement sera confirmé de ce chef.

 

Mme [U] peut donc prétendre à l’indemnité de préavis, aux congés payés afférents et à l’indemnité de licenciement dont les montants ont été exactement calculés et ne sont pas spécialement contestés.

 

Elle peut également prétendre à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ceux-ci doivent être fixés en considération de l’âge de la salariée au jour de la rupture (60 ans) rendant plus difficile son retour à l’emploi, d’une situation de chômage indemnisé ayant donné lieu à 472 allocations journalières au 6 décembre 2023, de la création d’une activité de sage-femme libérale n’ayant pas dégagé de bénéfice en 2022, d’un salaire de 2 600,19 euros, d’une ancienneté de 21 ans au jour de la rupture et des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail. Le montant des dommages et intérêts a ainsi été exactement apprécié à hauteur de 41 603,04 euros. »

Gynéco-online - mars 2025


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Faute grave Licenciement Sage-femme

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Sages-femmes et arrêts de travail à femmes enceintes
Isabelle Lucas-Baloup

Une sage-femme peut prescrire un arrêt de travail à une femme enceinte mais seulement en cas de grossesse non pathologique (arrêt du 3 mai 2012).


Les textes réglementaires opposables :

article D. 331-1 du code de la sécurité sociale :
« Les sages-femmes peuvent prescrire des arrêts de travail, conformément au 4° de l’article L. 321-1, à une femme enceinte en cas de grossesse non pathologique. »

article D. 331-2, même code :
«La durée de l’arrêt de travail prescrit en application de l’article D. 331-1 ne saurait excéder 15 jours calendaires. La prescription d’un arrêt de travail par une sage-femme n’est pas susceptible de renouvellement ou de prolongation au-delà de ce délai. »


Arrêt du 3 mai 2012, 5ème chambre de la Cour d’appel de Versailles :
(n° 11/00867)

La CPAM des Yvelines a refusé à une femme enceinte le bénéfice du paiement des indemnités journalières dues pendant un repos prescrit par une sage-femme, au motif qu’il était en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse.

L’arrêt énonce que « l’incapacité physique ne peut être constatée par la sage-femme que dans la limite de sa compétence professionnelle qui n’excède pas le domaine des grossesses non pathologiques, ce qui exclut les prescriptions en rapport avec des états pathologiques résultant de la grossesse, lesquelles sont réservées aux seuls médecins. Dès lors, l’arrêt de travail délivré par une sage-femme, en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse, […], ne répond pas aux exigences prévues par les dispositions susvisées. […] L’arrêt de travail établi par la sage-femme avait été immédiatement précédé et suivi de repos prescrits par des médecins, pour un état pathologique en rapport avec la grossesse. Il n’appartient ni aux services administratifs de la Caisse, ni à la juridiction du contentieux de la sécurité sociale d’émettre un avis d’ordre médical et en conséquence de décider que l’arrêt de travail litigieux délivré par la sage-femme était médicalement justifié. »

La Cour renvoie la femme enceinte à s’adresser au Médiateur de la République dans le cadre d’une éventuelle « intervention en équité »…

Gynéco Online - Juin 2012


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Arrêt de travail CPAM Femme enceinte Sage-femme

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Sages-femmes et arrêts de travail à femmes enceintes
(Cour d'appel de Versailles, 5ème ch., arrêt du 3 mai 2012, n° 11/00867)
Isabelle Lucas-Baloup

La CPAM des Yvelines a refusé à une femme enceinte le bénéfice du paiement des indemnités journalières dues pendant un repos prescrit par une sage-femme, au motif qu’il était en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse. L’arrêt énonce que « l’incapacité physique ne peut être constatée par la sage-femme que dans la limite de sa compétence professionnelle qui n’excède pas le domaine des grossesses non pathologiques, ce qui exclut les prescriptions en rapport avec des états pathologiques résultant de la grossesse, lesquelles sont réservées aux seuls médecins. Dès lors, l’arrêt de travail délivré par une sage-femme, en rapport avec un état pathologique résultant de la grossesse, […], ne répond pas aux exigences prévues par les dispositions susvisées. […]. »

Une application stricte des articles D. 331-1 et -2 du CSS. La Cour renvoie la femme enceinte à s’adresser au Médiateur de la République dans le cadre d’une éventuelle « intervention en équité »…

La lettre du Cabinet - Septembre 2012


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