Base de données - Intersexualisme

Transsexualisme et changement de prénom Arrêts récents
Isabelle Lucas-Baloup

L’article 60 du code civil prévoit que « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales à la requête de l’intéressé ou, s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur en tutelle, à la requête de son représentant légal. L’adjonction ou la suppression de prénoms peut pareillement être décidée. Si l’enfant est âgé de plus de 13 ans, son consentement personnel est requis. »

Les changements de prénoms interviennent notamment en cas de transsexualisme mais aussi d’intersexualisme ou d’hermaphrodisme. La modification du prénom sur les registres de l’état civil est souvent la conséquence d’un changement de sexe. La jurisprudence française avait beaucoup résisté aux demandes de changement de prénom liées au transsexualisme et il a fallu la condamnation de la France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Strasbourg) pour violation de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, en 1992, pour que la Cour de cassation admette la modification de l’état civil après une métamorphose thérapeutique, sur le fondement du principe du respect dû à la vie privée prévu à l’article 9 du code civil.

Quelques jurisprudences récentes : 

- Arrêt Cour d’appel de Versailles, 1ère chambre 1ère section, 2 février 2012 (n° 10/04968) :

« Considérant qu’aux termes d’un rapport d’expertise parfaitement argumenté, le Professeur L. répond à la question de savoir s’il est possible ou non de déterminer le sexe d’Isabelle L. "que les avis concordants des psychiatres, du gynécologue et de l’endocrinologue ainsi que la période de suivi et de traitement qui, débutée en 2008, se poursuit actuellement de façon stable, à la satisfaction de Mme L., incitent à considérer qu’il s’agit bien d’une dysphorie de genre du sexe biologique féminin vers le sexe masculin."

« Qu’il conclut "qu’à ce jour, en l’état actuel de données dont nous disposons, Mme L. peut être considérée comme appartenant au plan psychologique, comportemental et dans son apparence extérieure, au sexe masculin".

« Considérant que l’ensemble des éléments du dossier ainsi que les conclusions péremptoires du Professeur L. justifient, conformément au principe du respect dû à la vie privée posé par les articles 8 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil de faire droit à la demande de modification de sexe et de prénom comme le demande l’appelante. » 


- Arrêt Cour d’appel de Nancy, 3ème chambre civile, 2 septembre 2011 (n° 11/02099, 09/02179) :

« Attendu que l’état civil d’une personne doit indiquer le sexe dont elle a l’appartenance.

« Attendu que la demande de changement d’état civil ne peut se fonder sur la notion de possession d’état, déjà invoquée dans les premières conclusions de l’appelant ; qu’il sera rappelé aux termes de l’arrêt du 11 octobre 2010, il a été expressément indiqué par la Cour que le fait que la personne appartienne au sexe féminin aux yeux des tiers compte tenu de son comportement social et de l’apparence qu’elle donne en faisant établir la plupart des documents de la vie courante sous un prénom féminin en l’espèce Delphine, ne peut valoir preuve d’un changement irréversible de son sexe de nature à justifier une telle demande ;

« Attendu que la modification d’état civil n’impose pas nécessairement que soient avérées chez la personne qui la sollicite des transformations de nature chirurgicale et donc une opération de "réassignation sexuelle" mais que soit établi le caractère irréversible du processus de changement de sexe engagé ;

« Qu’invité par la Cour à justifier médicalement des conséquences du traitement d’hormonothérapie auquel il se soumet depuis 5 ans, Thierry R.-G. a produit aux débats deux certificats médicaux, l’un du Docteur G., psychiatre, qui indique que "Delphine R.-G. a eu un traitement hormonal depuis 4 ans, est en inversion de genre depuis cette date, ceci de façon irréversible" ; que ce médecin ajoute qu’elle ne présente pas de troubles psychiatriques ;

« Qu’un second certificat médical du Docteur A., médecin traitant généraliste, confirme que le traitement hormonal substitutif féminisant a induit des modifications corporelles féminines parfaitement avérées ;

« Que ces constatations médicales et les termes mêmes employés par ces médecins, établissent le caractère irréversible du changement entrepris et des modifications du métabolisme qui en résultent ; qu’il convient donc […] de faire droit à la demande de changement de sexe ;

« Attendu que, par application de l’article 60 du code civil, toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut changer de prénom ; que le changement de sexe et la mention dans l’acte de naissance du sexe féminin rend légitime le changement de prénom masculin en un prénom féminin Delphine ; qu’il convient de faire droit à la demande. » 

- Arrêt Cour d’appel de Rennes, 6ème chambre, 7 juin 2011 (n° 10/03953) :

« Il résulte des pièces médicales versées aux débats que Monsieur H. présente un trouble de l’identité sexuelle, qu’il vit "sous habitus féminin", qu’il est animé de la volonté de changer de sexe et qu’il a entrepris des traitements pour mettre en harmonie son corps et son sentiment d’appartenir au sexe féminin.

« Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que depuis de nombreuses années il se comporte comme une femme dont il a l’apparence et est connu sous le nom de Janie H.

« Si Monsieur H. n’est pas allé jusqu’au bout de sa démarche en ne subissant pas de "réassignation chirurgicale", ainsi que le Tribunal l’a indiqué dans sa décision, il convient d’observer que la demande de changement d’état civil est fondée dès lors que les traitements hormonaux destinés à opérer une transformation physique ou physiologique ont entraîné un changement de sexe irréversible, même si l’ablation des organes génitaux n’a pas été réalisée.

« Il apparaît à la Cour que Monsieur H. qui présente le syndrome de transsexualisme ne possède plus à la suite du traitement subi tous les caractères de son sexe et a pris une apparence physique le rapprochant de l’autre sexe auquel correspond son comportement social et que sa transformation est irréversible.

« Dès lors, en application du principe du respect dû à la vie privée, il est bien fondé à demander que son état civil indique le sexe dont il a l’apparence. » 

- Arrêt Cour d’appel de Lyon, 2ème chambre, 14 février 2011 (n° 10/01752) :

« Attendu que Monsieur Jean-Michel D.C. demande à pouvoir substituer, à son prénom, celui de Myriam ; qu’il indique être connu sous ce prénom depuis de nombreuses années tant sur le plan personnel que sur le plan administratif, ce dont il justifie par des attestations et la production de divers documents et factures, ainsi que de l’intitulé de son compte bancaire où il figure sous les vocables de Madame Myriam D. ;

« Attendu que la question d’un intérêt légitime envisagée au regard d’un usage prolongé pourrait effectivement être débattue ;

« Mais attendu que cette question se heurte à un principe d’ordre public dans la mesure où l’attribution du prénom est étroitement liée au sexe ; que le sexe et le prénom sont des identifiants de l’identité d’une personne et constituent des mentions substantielles qui doivent conserver un caractère de permanence ; que l’identité ne peut recevoir de modification que dans des circonstances strictement limitées par la loi ;

« Attendu que Monsieur Jean-Michel D.C. a été enregistré à l’état civil comme étant de sexe masculin ; qu’il invoque un état de transsexualisme le conduisant à revendiquer un prénom qui soit en conformité avec ses aspirations et son comportement social, orientés vers la féminité ;

« Mais attendu qu’il n’y a pas de requête en modification de l’état civil, s’accompagnant d’une demande de changement de prénom pour mettre précisément l’identité en conformité avec l’état civil ; que Monsieur Jean-Michel D.C. ne justifie pas de démarches médicales en vue d’une transformation irréversible des caractères morphologiques et sexuelles pour changer de sexe ; qu’il produit un seul certificat médical, d’un médecin généraliste, indiquant qu’il suit ?avec son endocrinologue, Madame Myriam D., qui me dit souffrir d’un syndrome de transsexualité à évaluer?, que cette formulation vague et imprécise, qui se contente de rapporter les doléances d’un patient sans conclure par un diagnostic, ne présente pas un caractère suffisant pour considérer que le requérant est engagé dans un processus médical ;

« Attendu que c’est à bon droit que le premier juge a débouté Monsieur Jean-Michel D.C. de sa demande, faute d’éléments médicaux pour justifier la mise en conformité de son identité avec un état civil autre que celui enregistré lors de sa naissance ;

« Mais attendu que Monsieur Jean-Michel D.C. justifie d’un intérêt légitime à modifier son prénom dans la mesure où l’apparence physique féminine qu’il s’est donnée et son comportement social suscitent des interrogations par rapport à son prénom masculin ; qu’il souhaite, pour mener une vie tranquille et discrète, ne pas donner prise à de telles interrogations qui peuvent faire douloureusement intrusion dans son intimité et sa vie privée ;

« Qu’il formule en appel une demande subsidiaire pour substituer à son prénom celui de "Camille" qui peut être porté par un homme ou une femme, sans que cela suscite de la curiosité ; qu’en outre, ce prénom le rattache étroitement à des liens familiaux puisqu’il est celui de sa grand-tante ;

« Attendu que Monsieur Jean-Michel D.C. présente bien un intérêt légitime en raison des inconvénients d’ordre psychologique résultant du port d’un prénom qui ne correspond pas à l’aspect extérieur de sa personne ; qu’il sera fait droit à sa demande de pouvoir substituer à son prénom "Jean-Michel" celui de "Camille". »

Attention donc à la manière dont les médecins rédigent les certificats médicaux utiles et demandés à l’occasion de procédures de changement d’état civil…

Gynéco Online - Avril 2012
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