Base de données - Intérêt supérieur du patient

Produits visqueux en chirurgie de la cataracte : liberté de prescription et risques professionnels
Isabelle Lucas-Baloup

La liberté de prescription de l’ophtalmologiste constitue un principe essentiel garanti par le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale. Plutôt que rédiger des commentaires, permettez-moi de rappeler les textes en vigueur qui établissent d’une manière on ne peut plus claire cette liberté encadrée mais sans cesse réaffirmée :


1. La liberté de prescription de l’ophtalmologiste :

- Article R. 4127-8, code de la santé publique (CSP) :

« Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.
« Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.
« Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles. »

- Article L. 5123-7, CSP :

« Afin d’éviter le gaspillage des médicaments et sans porter atteinte à la liberté des prescriptions médicales, des modalités particulières peuvent être fixées par décret pour la délivrance des médicaments aux bénéficiaires d’un régime d’assurance maladie et aux bénéficiaires de l’aide sociale. »

- Article D. 5232-5, CSP :

« Le prestataire de services et le distributeur de matériels prennent en charge la personne malade ou présentant une incapacité ou un handicap avec la même conscience sans discrimination et sans chercher à exploiter sa confiance en vue d’un avantage personnel ou financier.

« Il leur est interdit toute pratique qui risquerait de compromettre l’indépendance de l’équipe médicale en charge de la personne malade ou handicapée vis-à-vis de sa liberté de prescription. »


- Article L. 162-2, code de la sécurité sociale :

« Dans l’intérêt des assurés sociaux et de la santé publique, le respect de la liberté d’exercice et de l’indépendance professionnelle et morale des médecins est assuré conformément aux principes déontologiques fondamentaux que sont le libre choix du médecin par le malade, la liberté de prescription du médecin, le secret professionnel, le paiement direct des honoraires par le malade, la liberté d’installation du médecin, sauf dispositions contraires en vigueur. » 

-->  La liberté de prescription constitue un principe fondamental.


2. L’intérêt du patient et de la santé publique :

La liberté de prescription s’exerce en tenant compte notamment de l’efficacité du produit, de la sécurité sanitaire au regard de l’état de l’art et du coût du produit à qualité équivalente.

Deux dispositions du code de la santé publique l’organisent, le code de la sécurité sociale l’encadre :

- Article L. 1110-5, CSP, alinéa 1er :

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés, de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. »

- Article R. 4127-32, CSP :

« Le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science. » 

--> L’intérêt supérieur du patient gouverne la prescription, dont la qualité est appréciée par rapport à l’état de l’art (les « connaissances médicales avérées » de la Loi Kouchner ou les « données acquises de la science » du code de déontologie).


- Article L. 162-2-1, CSS :

« Les médecins sont tenus, dans tous les actes et prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins. »

Si l’UNCAM a été habilitée par le législateur à établir et proposer un contrat type comportant des engagements individualisés sur l’activité des médecins conventionnés, notamment en matière de prescriptions médicamenteuses, contenant des objectifs quantifiés en matière de prescriptions moins onéreuses à l’efficacité comparable, sous réserve qu’elles soient conformes aux données actuelles de la science, l’adhésion au contrat est laissée à la libre décision du praticien (article L. 162-12-21, CSS et article 2 décision du 9 mars 2009 de l’UNCAM), ainsi que vient de le juger le Conseil d’Etat dans un arrêt n° 329069 du 7 avril 2011.

Il a été également déjà jugé que si les partenaires conventionnels peuvent instituer des obligations individuelles ou collectives portant sur l’activité des médecins conventionnés en matière de prescriptions médicamenteuses, ces obligations ne sauraient avoir pour effet de retirer aux médecins ayant adhéré à la convention leur liberté de prescription. Pas plus les avenants à la convention ne sauraient avoir légalement pour effet d’étendre la portée du droit reconnu aux pharmaciens par l’article L. 5125-23 du CSP de substituer à une spécialité prescrite (médicament ou autre produit) une spécialité du même groupe générique (arrêt Conseil d’Etat, n° 261746, 1er octobre 2004). 

--> Ainsi, les dispositions tarifaires ne peuvent pas non plus avoir pour effet de constituer des atteintes à la liberté de prescription du médecin.


3. Responsabilités encourues :

Lorsqu’il a évalué le bénéfice/risque du traitement qu’il propose, dans le cadre de sa liberté de prescription, dans l’intérêt supérieur du patient, après s’être assuré du consentement de ce dernier (dans les conditions prévues à l’article L. 1111-2 du CSP), le chirurgien engage sa responsabilité, comme tout professionnel, mais uniquement s’il a commis une faute (de diagnostic, de traitement, une maladresse, une négligence, etc.) :

- Article L. 1142-1, CSP, alinéa 1er :

« I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute. »


--> La jurisprudence définit la faute de l’ophtalmologiste, en appréciant son comportement le plus souvent après expertise. Le chirurgien doit donc prévoir d’apporter la preuve de la qualité de son geste, de son choix, de sa prescription dans l’intérêt du patient.

Certains établissements tentent néanmoins de considérer que constituerait une faute la prescription d’un produit de santé non spécifiquement prévu en interne, le plus souvent la Commission du médicament et des dispositifs médicaux stériles (Comedims) prévue aux articles L. 5126-5 et R. 5126-48 du CSP, chargée d’établir la liste des « médicaments et dispositifs médicaux stériles dont l’utilisation est préconisée dans l’établissement » et des « recommandations en matière de prescription et de bon usage des médicaments et des dispositifs médicaux stériles ».

Mais, on le vérifie à la seule lecture des dispositions légales et réglementaires l’instituant, la Comedims n’a pas pour mission d’imposer : elle « préconise », elle « recommande », on est loin d’un pouvoir d’ordonner ou de décréter ce qui serait ou non autorisé dans l’établissement de santé, public ou privé.

--> Ainsi, le médecin a les moyens légaux et réglementaires de faire respecter par ses différents partenaires et interlocuteurs sa liberté de prescription. Cela crée, évidemment, à sa charge, une obligation de leur expliquer la qualité et la pertinence de ses choix de prescription.

Réalités Ophtalmologiques
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