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Arrêt du 13 janvier 2015 : Léiomyosarcome, erreur de diagnostic, pas de faute de l’anapath.
Isabelle Lucas-Baloup
Les faits :


En 1997, Mme B. a souhaité recourir à la fécondation in vitro et consulte le Dr W. exerçant dans une clinique de Lyon. Celui-ci réalise une cœlioscopie, laquelle met en évidence deux fibromes transmis pour analyse au Dr L. exerçant au sein d’un Groupement de recherche cytologique. Le résultat, sous forme de réponse écrite, fait mention d’un léiomyosarcome bien différencié de bas grade.


Le 10 juillet suivant, le Dr W. revoit la patiente et lui annonce le diagnostic ainsi que l’indication thérapeutique d’hystérectomie totale.


Mme B. consulte pour second avis un gynécologue dans un hôpital proche, lequel l’adresse au chirurgien viscéral de l’établissement qui réalise en urgence, le 15 juillet 1997, l’hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale, ce qui s’entend de la suppression des ovaires.


La patiente présente un syndrome dépressif qui, après une phase aigüe, devient chronique, avec traitement au long cours, compliqué d’une boulimie à l’origine de l’obésité morbide traitée par gastroplastie en 1999 ainsi que des troubles liés à l’apparition d’une ménopause précoce.


Mme B. a appris par l’intermédiaire de son médecin traitant que les résultats des prélèvements effectués lors de l’intervention révélaient l’absence de cellules cancéreuses.



La procédure :


La patiente demande une expertise au juge des référés du Tribunal de grande instance de Lyon. Un rapport déposé dix ans après les faits, le 21 juillet 2007, conclut que « l’acte chirurgical du 15 juillet 1997 et ses conséquences physiques et psychiques sont liés de façon directe, certaine et exclusive à l’erreur de diagnostic concernant le myome utérin ». L’anatomopathologiste et le chirurgien viscéral de l’hôpital sont déclarés avoir, par leur action cumulée, été à l’origine du préjudice corporel de Mme B., avec une causalité respective égale à 50 %.


Sur la base de ce rapport, la patiente a sollicité de l’Hôpital une indemnité d’environ 200 000 €, le Tribunal administratif de Grenoble a sursis à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure judiciaire.


Parallèlement, le Tribunal de grande instance de Lyon avait débouté la patiente de ses demandes contre le Groupement de recherche cytologique.
Par un premier arrêt du 15 janvier 2013, la Cour d’appel de Lyon a confirmé le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de nullité d’expertise et a ordonné une nouvelle expertise. Celle-ci conclut qu’il n’y a eu aucun défaut dans la prise en charge par le premier médecin (dont on ignore la spécialité) et que la prise en charge chirurgicale a été conforme aux données acquises de la science compte tenu du diagnostic histologique retenu, en dehors cependant de l’ovarectomie bilatérale. L’expert et son sapiteur, anatomopathologiste, ne retiennent pas de manquement ou de faute dans la prise en charge de l’anatomopathologiste, et relèvent que « si le diagnostic posé par ce dernier est inexact au vu des connaissances actuelles, il s’agissait à l’époque des faits d’un diagnostic rare et difficile » et qu’une « seconde lecture ne s’imposait pas ».


La patiente a continué à se prévaloir d’une erreur de diagnostic imputable à l’anatomopathologiste, consistant en une grossière erreur d’interprétation à laquelle s’ajoute le fait de ne pas avoir demandé un second avis, ce à quoi le Groupement de recherche cytologique répliquait qu’il n’existait pas de lien de causalité entre le diagnostic posé et les préjudices subis par la patiente. Le Dr L., anatomopathologiste, soutenait que ce n’est pas lui qui a pris la décision d’opérer et que, même si le bon diagnostic avait été posé, le traitement aurait été identique, à savoir une hystérectomie totale.



Le jugement :


Le Groupement de recherche cytologique est mis hors de cause (groupement de moyens), seul le Dr L. était intervenu en nom propre.


En l’espèce, l’erreur de diagnostic commise par ce dernier est établie, puisqu’il a porté le diagnostic de « léiomyosarcome bien différencié de bas grade », alors que le diagnostic porté à partir des lames aurait dû être celui de « léiomyome mitotiquement actif ».


Mais le jugement a retenu que l’ensemble de la communauté médicale ayant appréhendé le dossier de Mme B. s’accorde pour affirmer que le diagnostic était rare et difficile, l’expert explique que les léiomyomes mitotiquement actifs correspondent à une entité de diagnostic difficile car très trompeur du fait de leur activité mitotique, et que ces léiomyomes constituent une variante de diagnostic très difficile et très inhabituelle des léiomyomes. Le sapiteur du premier expert judiciaire a indiqué : « Il faut reconnaître que le diagnostic de ce type de tumeur est difficile du fait d’une part de la rareté du léiomyome mitotiquement actif et d’autre part de l’évolution incessante des connaissances demandant une spécialisation de plus en plus accrue dans le domaine de l’anatomie pathologique ». Un des experts a précisé qu’il s’agit d’une pathologie frontière avec chevauchement entre aspects bénins et malins.


L’examen anatomopathologique du myome réalisé par le Dr L. a porté le diagnostic de « léiomyosarcome bien différencié de bas grade », la description de l’aspect microscopique de ce myome a révélé qu’il n’avait ni nécrose, ni atypie cellulaire et qu’ainsi le diagnostic a été fait exclusivement sur l’activité mitotique (somme des mitoses sur 10 champs à fort grossissement entre 9 et 11). Selon les données acquises de la science en juin 1997, le premier expert judiciaire a considéré que le diagnostic aurait dû être celui de léiomyome mitotiquement actif, la possibilité de diagnostiquer précisément le léiomyosarcome selon cette méthode étant acquise depuis un article publié en 1994. Ainsi, le Dr L. a commis une erreur dans son diagnostic en se limitant à une recherche qui ne prenait pas en compte la présence de nécrose de coagulation ou d’atypie nucléocellulaire. Dans la mesure où ces diagnostics sont difficiles, l’anatomopathologiste aurait dû se livrer à une deuxième lecture par un spécialiste d’autant que l’examen concernait une femme jeune.


Le second expert judiciaire qui s’est adjoint comme spécialiste un chef de service d’anatomie et de cytologie pathologique de l’Hôpital Nord de Marseille, n’a retenu aucune faute dans la prise en charge par le Dr L., son rapport retenant notamment :


- qu’en l’état des connaissances en 1997, il n’existait pas de référentiel consensuel à cette époque, ces référentiels étant apparus en 2003,

- qu’à l’époque des faits, un index mitotique élevé isolé signait habituellement la malignité,

- que sur la lame examinée, il n’existait pas de nécrose ni d’atypie,

- qu’à l’époque, il n’y avait pas d’obligation de demander une relecture des lames, ni de réseau organisé permettant de demander un avis complémentaire,

- qu’à l’époque des faits, la présence de nécrose n’était pas indispensable pour poser le diagnostic de léiomyosarcome.


Après avoir analysé la littérature médicale française et internationale, l’expert a considéré que s’il y a eu une évolution notable dans le diagnostic des léiomyomes mitotiquement actifs à partir de 1998, dans l’état des connaissances à l’époque des faits et en France il n’existait pas de recommandation, que ce soit au niveau anatomopathologique ou sur le plan chirurgical dans la prise en charge de ce type de lésion. Il a précisé qu’en 1997, la littérature française évoquait « un problème qui reste entier » et qu’une référence française de 2005 précisait que les critères de malignité des tumeurs musculaires lisses de l’utérus avaient beaucoup évolué dans la littérature. Il ajoutait, s’agissant des données internationales, qu’en 1992 a été décrite la découverte fortuite post mortem de léiomyomatose intravasculaire disséminée, qu’à cette époque la situation n’était pas claire sur le sujet, qu’en 1994 a été évoquée la notion de léiomyomes mitotiquement actifs, mais que le traitement est resté majoritairement radical (hystérectomie), que le potentiel métastasiant de ces lésions restait évoqué, que dans la littérature internationale postérieure à 1997 des publications ont indiqué que l’hystérectomie n’était pas une fatalité en cas de fibrome mitotiquement actif, en particulier lorsque l’index mitotique est inférieur à 10 sans atypie et sans nécrose, mais qu’en 1998 la question était loin d’être réglée au niveau international.



L’arrêt du 13 janvier 2015 :


Dans cet arrêt, la Cour d’appel de Lyon retient qu’il ne peut être reproché à l’anatomopathologiste de ne pas avoir respecté les standards médicaux de l’époque, en soulignant qu’une relecture selon les recommandations en vigueur en 1997 aurait certainement conclu au même diagnostic. Si le bon diagnostic avait été posé, il ressort de la littérature médicale que le traitement à l’époque des faits était celui de l’hystérectomie totale.


Selon la Cour, il découle de ce qui précède que, compte tenu des avis divergents des experts judiciaires et des connaissances acquises de la science en 1997, il ne peut être reproché au Dr L., anatomopathologiste, d’avoir, dans le diagnostic qu’il a posé, adopté un comportement fautif à l’origine des préjudices dont se prévaut Mme B.


La Cour de Lyon confirme en conséquence le jugement qui a débouté la patiente de ses demandes.


Cet arrêt est rendu en 2015, 18 ans après le diagnostic contesté. Il est intéressant en ce qu’il analyse l’évolution de la science. Les juges n’ont pas hésité à lancer une contre-expertise pour être parfaitement informés. Il convient, pendant les expertises puis ensuite devant la juridiction qui statue, de retracer soigneusement l’état de la littérature dans le domaine concerné, afin d’identifier avec une précision incontestable l’état des connaissances médicales avérées à l’époque des faits…
Gynéco Online - Mai 2015


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L’HPV dans la jurisprudence (retard au diagnostic, faute de l’anapath)
Isabelle Lucas-Baloup

Résumé :

Exemple d’action judiciaire gagnée par la famille d’une patiente de 38 ans, pour retard de diagnostic à l’encontre de l’anapath.
Gynécologue et chirurgien non condamnés.

Arrêt Cour d’appel de Rennes, 3 mars 2010 :

La Cour présente dans sa décision l’évolution chronologique suivante :

- 3 septembre 2001 : F 37 ans, frottis cervico-vaginal, interprétation par anapath : « soit une inflammation dans un contexte régénératif, soit une dysplasie légère vraie (lésion de bas grade), soit une lésion intra-épithéliale plus évoluée », recommande examens complémentaires colposcopie et biopsie,
- 12 octobre 2001, biopsie du col utérin portant sur une zone blanche à contours nets, peu étendue, révèle une banale lésion de dysplasie légère sans lésion virale formellement identifiée,
- 11 mars 2002, frottis montre des lésions virales à Papillomavirus et une dysplasie moyenne et conclut à la nécessité de faire des biopsies multifocales,
- 16 mai 2002, biopsies révèlent un ectropion péri-orificiel du col sans caractère suspect,
- 3 juillet 2002, CS pour métrorragies abondantes depuis 2-3 mois,
- 9 juillet 2002, tumeur irrégulière au toucher de la cloison recto-vaginale découverte et biopsiée ; prolifération maligne à type de carcinome épidermoïde infiltrant bien différencié non kératinisant
- 23 juillet 2002, hystérectomie totale avec annextomie bilatérale élargie à la cloison recto-vaginale et au vagin avec colpectomie partielle, l’examen de la tumeur montre bien un carcinome épidermoïde bien différencié mature.
- 8 août 2002, le radiothérapeute constate le caractère insuffisant de l’exérèse, reprise le 29 août, nodules cancéreux prélevés sur le mésentère,
- chimiothérapie, radiothérapie et curiethérapie jusqu’à fin décembre 2002,
- 9 janvier 2003, volumineux nodules de carcinome péritonéal et un nodule métastasique hépatique mis en évidence, traitements,
- décès le 20 mai 2003 d’un cancer primaire du vagin (38 ans).

TGI de Saint-Brieuc, jugement du 10 juin 2008 :
- « Il résulte de l’expertise que les conclusions de l’analyse pratiquée sur le prélèvement du 3 septembre 2001 ne sont pas alarmantes alors que l’interprétation est ambiguë et incomplète et en outre inexacte. Le retard de diagnostic est en grande partie attribuable à ce compte-rendu qui ne soulignait pas le contexte de haut risque cancéreux. », condamnation du médecin anapath à payer dommages-intérêts à la famille de la patiente décédée,
- en revanche, pas de faute retenue à l’encontre de la gynécologue médicale qui a procédé à des investigations plus poussées après le 13 mars 2002. « S’il y a eu faute dans la prise en charge thérapeutique en juillet 2002, elle n’est pas en lien de causalité avec la perte de chance déjà constituée à ce moment ».
- appel de l’anapath.

Arrêt du 3 mars 2010, 7ème chambre Cour de Rennes :

- « Si l’anapath a recommandé, en septembre 2001, des examens complémentaires appropriés, elle n’a pas donné les éléments de description portant notamment sur diverses anomalies de cellules et sur une infection à Papillomavirus ; elle est restée hésitante sur les conclusions alors que la conclusion aurait dû être « dysplasie de haut grade selon la classification de Béthesda de 2001 et probable infection par Papillomavirus », contexte de haut risque cancéreux ; au contraire les anomalies signalées étaient soit légères soit modérées, en sorte que la gynécologue médicale n’a pas été perturbée par les résultats relativement rassurants de a biopsie et n’a pas poursuivi ses recherches. »
- « C’est à raison que le jugement a dit que l’erreur ainsi caractérisée ne constitue pas seulement une inexactitude de diagnostic mais une faute constituant un exercice non conforme aux données actuelles de la médecine. »
- « Considérant que le cancer primitif du vagin est une tumeur extrêmement rare en général et ne se retrouve que dans 7% des cas chez les femmes de moins de 40 ans ; en l’absence d’alerte suffisante donnée par le compte rendu de septembre 2001, on ne peut reprocher à la gynécologue médicale de ne pas avoir recherché un tel cancer qui ne pouvait être soupçonné. »
- « En outre en raison de son siège en haut et en arrière de la paroi vaginale, la lame postérieure du speculum cache la lésion. »
- « Le résultat du 13 mars 2002, moins inquiétant que celui du 10 septembre 2001, a conduit la gynécologue à procéder à des examens complémentaires portant sur le col de l’utérus. Compte tenu de la rareté de la pathologie présentée par la patiente, cette erreur de diagnostic ne peut être considérée comme fautive au regard des dispositions de l’article L. 1142-1 du code de la santé. »
- « Si la prise en charge de la patiente après le 12 juillet 2002 parait avoir été inadéquate, il n’est pas suffisamment établi qu’elle a contribué à l’aggravation de la perte de chance dès lors que l’expert indique que le traitement n’était pas nécessairement chirurgical, que l’insuffisance de la chirurgie a été reprise et surtout qu’aucune critique n’est apportée aux traitements dispensés sous forme de radiothérapie externe, curiethérapie et chimiothérapie. »
- « Le retard au diagnostic a entraîné une perte de chance de 50%. »
- dommages-intérêts à la famille, et la Cour déboute l’action en garantie lancée par l’anapath contre la gynécologue et le chirurgien.

Gynéco Online - Novembre 2011
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