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Y a-t-il un médecin dans l'avion ?
Isabelle Lucas-Baloup

Quand un praticien, non urgentiste, pas de garde et tranquillement installé pour un vol international entend le commandant de bord se livrer à cette invitation de venir bénévolement donner un coup de main au PNC dont les compétences issues d’un certificat de sécurité et de sauvetage sont largement dépassées face à l’état critique d’un passager qui souffre, il hésite souvent à se manifester rapidement et, au minimum, il regarde dans la cabine discrètement si un confrère ne s’avère pas plus prompt à une intervention qui peut se révéler à fort risque si la spécialité du médecin ne l’a pas exposé, depuis de nombreuses années, au diagnostic et au traitement de pathologies aussi variées qu’une embolie pulmonaire, une crise d’angor ou d’appendicite aiguë. Le passager qui se tord de douleurs, allongé dans le couloir, qu’enjambent les hôtesses est-il frappé par une colique néphrétique, un coma diabétique, une thrombose veineuse ou une dissection aortique ? Quand on opère des cataractes depuis 30 ans, il n’est pas évident que la seule carte professionnelle de médecin, dont il faudra exciper avant de déplomber la trousse médicale d’urgence, donne des ailes pour prodiguer les premiers gestes utiles. « J’ai oublié où se cache exactement la membrane cricothyroïdienne que je devrai inciser pour réussir la trachéotomie d’urgence qui sauvera cet obèse en train de suffoquer à cause d’un gros morceau de blanquette de veau aux champignons, m’explique son épouse dans un état de stress inférieur au rush d’adrénaline qui me cause à moi-même un trouble du rythme dès que j’observe la détresse du mari. Pourquoi ne pas avoir choisi la lotte-ratatouille ? ».

Avant de se lever, et en priant le ciel que le malade ne soit pas l’un des pilotes, le médecin rencontre aussi l’angoisse de ne pas très bien savoir à quoi il s’expose, en termes de responsabilité, s’il échoue dans l’efficacité de l’action sollicitée.

La situation est donc très inconfortable, pour un médecin français, qui – comme tout le monde - connaît les peines sanctionnant le délit d’omission de porter secours à une personne en péril (article 223-6 du code pénal : 5 ans de prison et/ou 75 000 € d’amende) et aussi ses obligations déontologiques : devoir de porter assistance à un malade (article R. 4127-9 du code de la santé publique), même en dehors de sa spécialité médicale compte tenu de l’omnivalence du diplôme de docteur en médecine (article R. 4127-70). A ce moment précis, c’est plutôt l’article R. 4127-40 qui lui revient à l’esprit : ne pas faire courir au patient un risque injustifié.

Le droit pénal français s’applique au médecin quelle que soit la place de l’avion, s’il est immatriculé en France, et même s’il ne survole pas le territoire national (article 113-4, code pénal). S’il s’agit d’un avion étranger, l’article 3 de la Convention de Tokyo (14 septembre 1963, déposée auprès de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale, institution spécialisée des Nations Unies) confirme la compétence de l’Etat d’immatriculation de l’aéronef pour connaître des actes, éventuellement des crimes et délits, commis à bord.

Mais aucune jurisprudence française n’a été publiée à l’occasion d’un contentieux opposant un médecin bénévolement intervenu à bord et un passager se prétendant victime d’une faute professionnelle eu égard aux connaissances médicalement avérées ou aux données acquises de la science.

En droit aérien américain, des affaires ont été déjà jugées, notamment Singh v. Caribbean Airlines Limited (Southern District of Floridia, aff. n° 13-20639-CIV-ALTONAGA) et Safa v. Deutsche Lufthansa (New York Eastern District Court, aff. n° 12-CV-2950), mettant en cause tant la qualité des soins fournis par l’équipage que par les médecins ayant prêté leur concours, outre un reproche au commandement de bord qui, selon les victimes, aurait dû décider rapidement d’atterrir au plus près. Dans les deux dossiers, le passager a été débouté, et les arrêts ont retenu que les soins diligentés ne constituaient pas un « accident » au sens de la Convention de Montréal, signée le 28 mai 1999 (cf. Revue de Droit des Transports, oct. 2014, chr. 7, Développements récents en droit américain des transports, par Christopher Kende), permettant l’indemnisation des victimes.

En droit civil de la responsabilité, le passager s’adressera judiciairement au transporteur et non directement au médecin bénévole, susceptible d’être assigné par la compagnie aérienne. Certaines d’entre elles (comme Air France) communiquent sur le fait qu’elles assurent elles-mêmes les médecins ayant agi en vol, au titre de préposés occasionnels, à condition que l’intervention ait été expressément demandée par le commandant de bord et que le médecin ne réclame pas d’honoraires au passager. Le commandant de bord est le maître des décisions en toutes circonstances, y compris si le médecin requiert un déroutement de l’avion pour un atterrissage plus rapide que prévu par le plan de vol initial. La théorie du préposé occasionnel est celle que les chirurgiens libéraux connaissent en établissements de santé privés, quand ils deviennent les commettants occasionnels d’infirmier(ère)s les aidant au bloc opératoire avec un lien de subordination, alors qu’il(elle)s sont les salarié(e)s de la Clinique et non du praticien. Certains assureurs de RCP annoncent qu’ils assurent à ce titre leurs médecins, mais pas partout (la MACSF-Sou Médical refuse la prise en charge des interventions effectuées aux Etats-Unis, en Australie et au Canada).

En ce qui concerne la qualité des soins prodigués par le médecin bénévole, ce dernier, après avoir demandé, si possible devant témoin(s), confirmation au passager – à condition que celui-ci n’ait pas perdu ses facultés de discernement - de son consentement pour qu’il intervienne au besoin en lui signalant que ses compétences ne relèvent pas de la médecine d’urgence ou de la médecine générale afin d’éviter que le patient ne s’en plaigne ultérieurement, ne sera tenu qu’à une obligation de moyens, comme d’habitude, et non de résultat. Il fournira ses meilleurs efforts pour soulager le passager, sans avoir d’une quelconque manière pris l’engagement contractuel de le guérir ou de lui éviter les souffrances auxquelles son état l’expose. Le praticien intervenant avec bienveillance et humanité en dehors de son activité professionnelle ne saurait devenir débiteur d’une obligation supérieure à celle à laquelle le contraint sa déontologie habituelle.

D’autant que les moyens et médicaments dont il dispose à bord sont limités et non standardisés. La trousse de premier secours accessible au personnel navigant et la trousse médicale d’urgence, qui ne peut être ouverte que sur décision du commandant de bord, ne permettent pas systématiquement d’opérer un diagnostic de qualité et de commencer un traitement, quelle que soit la compétence du médecin. Certains transporteurs sont plus performants que d’autres pour fournir à distance des moyens de diagnostic et de premiers traitements : lecture d’ECG, défibrillateurs, ligne d’assistance médicale pour assister le professionnel de santé disponible à bord (avec le SAMU de Paris chez Air France), constituent autant d’éléments à développer à charge ou à décharge en cas de contentieux entre un passager mécontent, la compagnie aérienne et le médecin bénévole. Mais aucune jurisprudence publiée en France ne me permet d’illustrer ces commentaires par des arrêts rendus.

Il y a quelques jours, Mike Sinnet, vice-président de Boeing annonçait vouloir tester, dès l’année prochaine, des vols sans pilotes, « une technologie présentée comme plus sûre qui pourrait faire économiser des dizaines de milliards de dollars aux compagnies aériennes » selon une étude de la banque UBS (http://bfmbusiness/entreprise/boeing-va-tester-des-avions-sans-pilote-1183). Cette entrée dans l’avionique, vers 2025, laisse peu d’espoir à ceux qui rêvent, à 10 000 mètres d’altitude, de la présence en routine d’un médecin spécialement formé à soulager les maux divers de passagers à bord de plus en plus nombreux et de plus en plus vieux. Le A380 peut transporter plus de 800 passagers, c’est plus que le nombre de spectateurs dans bien des théâtres parisiens qui assurent pourtant une permanence médicale ! Les compagnies pourraient, selon la même tradition, offrir au praticien un billet gratuit en contrepartie de sa prestation, ou un sur-classement en première ou en business…

Tout le monde n’a pas en effet l’occasion d’avoir sa photographie dans la presse à l’arrivée ! Encore qu’un médecin, à bord d’un vol Paris-Miami détourné par un terroriste, qui lui avait bénévolement administré plusieurs sédatifs pour le calmer, n’avait pas apprécié de voir sa photographie dans les pages centrales d’un numéro de Paris Match en décembre 2001 « dont une partie était consacrée à l’islam, et ce sans en avoir été averti, de nature à créer un risque sur sa vie quotidienne dans le contexte international de terrorisme de l’époque, craignant pour sa sécurité et celle de sa famille ». Le médecin avait donc assigné l’éditeur du magazine pour violation de son droit à l’image ; la Cour d’appel de Versailles avait considéré que le cliché n’était pas dévalorisant ou attentatoire à la dignité humaine et qu’au contraire il témoignait de la chaîne de solidarité déclenchée par l’appel au secours de l’hôtesse de l’air et de « l’attitude du médecin citée comme un exemple de cette solidarité et de courage, présentée de façon élogieuse, participant légitimement à l’information du public ».

Une statistique pour rassurer les bons samaritains : celle publiée par l’Académie Nationale de Médecine (Bull. Acad. Nat. Méd., 2010, 194, n° 6, 10045-1069) : « La fréquence des incidents médicaux survenant à bord des avions est difficile à connaître, les transporteurs n’étant pas tenus d’en fournir l’information. Les chiffres diffèrent. Pour certains 0,03 à 0,07 incidents médicaux surviendraient pour 1 000 passagers, avec un seul déroutement pour raison sanitaire par million de passagers. La compagnie Air France signale un incident médical pour 20 000 passagers, un décès sur 5 000 000 et un déroutement médical sur 20 000 vols (dont 40 % a posteriori injustifiés). »

Une anecdote pour conclure : la citation par Ed. Braure, secrétaire général de la Cie UTA, dans un article publié dans la Revue Française de Droit Aérien (1985, page 147), de la déclaration d’un représentant de la Flights Attendants Association : « Sur un vol, la moitié des passagers étaient des docteurs en médecine revenant d’une conférence médicale, et aucun d’entre eux ne se fit connaître quand j’ai demandé s’il y avait un médecin à bord. ».

Evidemment : primum non nocere …

La Lettre du Cabinet - Septembre 2017


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